Œuvres de François Fabié - Tome 3/La Lavandière
NICHES-TU toujours, fine lavandière,
Au roc du moulin, près du déversoir
Dont l’eau rejaillit comme une poussière
Où s’érige un bel arc-en-ciel, le soir ?
Dès les premiers jours d’avril, joli couple,
Allez-vous glanant, au flanc du coteau,
Brins d’herbe séchée ou de laine souple,
Amoureux pressés de faire un berceau ?
Peinant pour asseoir sur la roche lisse
La base en talus du petit palais,
Tremblant que dans l’eau farouche il ne glisse
Sous le poids des œufs ou des oiselets ;
Puis matelassant la frêle demeure,
La capitonnant de plume et de crin,
— Au bruit du torrent qui gronde ou qui pleure
Et fuit emportant votre clair refrain ;
Ensuite, pendant deux semaines lentes,
Captive endurant la soif et la faim,
Sous un vert rideau de mousses tremblantes,
Vas-tu donc couver et couver sans fin ?
Tandis que le long du ruisseau qui jase
Ton mâle sautille et cueille à son gré
Moucherons de l’air ou vers de la vase
Et mire au flot clair son jabot doré…
Ah ! pourvu que nul fripon de l’école,
Nul fils du meunier à l’œil pénétrant,
Nul chat attiré par tout ce qui vole
Ne grimpe à ton nid malgré le torrent,
Et pourvu qu’en mai ta couvée essaime,
Vaillante, emplissant de son gai concert
Le vallon étroit où jadis moi-même
J’eus mon nid bien chaud — maintenant désert !