Œuvres de François Fabié - Tome 3/Jeudi Saint

Œuvres de François Fabié
Alphonse Lemerre, éditeur (Poésies 1905-1918 : Ronces et Lierres. Les Paysans et la Guerrep. 24-26).

JEUDI SAINT




Ô lamentations poignantes du prophète !
Jamais psaume de deuil ou Te Deum de fête,
       Jamais air naïf ou savant
Animant les sillons, emplissant les églises,
Ou montant de l’orchestre aux feuillages des frises,
Non pas même la plainte indicible du vent,
Dans mon cœur désolé n’est entré plus avant.

   « Jérusalem, Jérusalem… » Lorsque s’élève,
Le jeudi saint, ce chant qu’un long sanglot achève,
        J’ai toujours des pleurs dans les yeux.
Et je ne pleure point sur la « Cité perfide »,
Mais sur mon âme, aussi rebelle et déicide,
Qui se dérobe à mille appels mystérieux
Et se traîne en la lange, avec la soif des cieux.

   « Jérusalem… » — C’est toi, vieille église rustique
Où j’entendis d’abord, pâle écolier mystique,
        La prose du prophète hébreu,
C’est toi peut-être, pauvre église, que je pleure,
Et ceux qui m’y menaient, qui sont morts à cette heure,
Et l’enfant pure à qui j’ajournais mon aveu,
Si bien qu’elle s’en fut, au loin, épouser Dieu.

   « Jérusalem, Jérusalem… » — C’est toi, peut-être,
Ma foi naïve, un jour morte, et qui veux renaître,
        Sur laquelle je m’attendris.
Oh ! croire, croire encore ! et, la sainte semaine,
Suivre docilement la voix qui vous ramène
Vers le doux Maître au front saignant, aux pieds meurtris,
Qui se donne avec joie à ceux qu’il a repris…

 

C’est sur cela : l’enfance enfuie et l’innocence,
Le cœur pareil à l’encensoir que l’on balance.
         Petit clergeon énamouré,
Puis qu’on laisse en lambeaux aux buissons de la route,
Qu’hier, en écoutant avec l’âme en déroute :
« Jérusalem, Jérusalem, convertere
Ad Dominum Deum tuum… » j’ai tant pleuré.