Œuvres de François Fabié - Tome 3/Adieu, Paris !

Œuvres de François Fabié
Alphonse Lemerre, éditeur (Poésies 1905-1918 : Ronces et Lierres. Les Paysans et la Guerrep. 13-17).

ADIEU, PARIS !

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À Émi’e Faguet.

Adieu, Paris ! — Un quart de siècle, ou peu s’en faut,
J’ai foulé ton pavé de gloire et de misère,
Peinant, luttant, grimpant enfin — oh ! pas bien haut
Sur l’escalier du temple où sourit la Chimère ;
Adieu ! Je vais revoir la vieille Terre-mère,
Trop tard pour mon bonheur… ou peut-être trop tôt.

Je t’ai souvent maudit, Paris, du cœur, des lèvres,
De la plume, en des vers applaudis quelquefois.
Je t’en voulais de ta cohue et de tes fièvres,
De ta rumeur profonde où se perdait ma voix


De petit rouge-gorge exilé de ses bois ;
De ton amour pour la suffisance et la pose,
Pour le clinquant, le faux, l’ampoulé, le joli,
De tes engouements fous, de tes dédains sans cause :
Un soir le Panthéon, le lendemain l’oubli.

Adieu. — J’ai peu mêlé les eaux de ma fontaine
À tes mille ruisseaux tous plus ou moins bourbeux ;
Je suis resté fidèle à la chanson lointaine
Que ma mère m’apprit dans nos chemins herbeux,
Lorsque j’allais gardant les brebis ou les bœufs ;
Tes cénacles m’ont vu sur leur seuil, mais à peine,
Et tes salons, jamais, surtout les plus fameux.
Adieu.

       — Je n’ai pourtant contre toi nulle haine,
Car les ans m’ont calmé qui m’ont pris mes cheveux.
Si je t’ai malmené je m’en repens ; et même
Tout près de te quitter j’avouerai, si tu veux,
Que je te dois — en plus de mes vers de blasphème —
Quelques airs que là-bas on répète et qu’on aime,
Parce que, sur les bords de ton fleuve exilé,
Mon âme nostalgique a plus souvent volé
Et plus éperdument vers les cimes natales,


Et que j’ai mieux compris, mieux aimé, mieux chanté
Mes bois ombreux et mes bruyères virginales,
Mon clocher, comme un chêne à l’air libre planté,
Mon pays de fraîcheur, de sève et de santé 1

Et je te dois aussi quelques nobles tendresses
Qui se prolongeront en de pieux regrets ;
Car, — ainsi que parfois sur le bord d’un marais
Ourlé de fleurs de fange aux malsaines ivresses
S’ouvrent comme des yeux quelques calices frais, —
Sur les berges du lac trouble où sans fin tournoie
Ta foule qui s’amuse et se grise et se noie,
J’ai rencontré des cœurs, aussitôt reconnus
Pour frères, s’isolant de la commune joie,
De mon pays ou de pays pareils venus,
Naïfs, et se berçant de mes airs ingénus.

Adieu, Paris, adieu. — De la légère trace
Qu’ont pu sur tes pavés où tout l’univers passe
Imprimer un instant mes talons de terrien
Je sais trop que ce soir il ne restera rien,
Et que mes vers chantant mon clocher et ma race,
Mes vers les plus aimés, dont j’avais quelque orgueil,
Disparaîtront de la vitrine et du recueil,


Des lèvres qui jadis souvent les déclamèrent,
Et du cerveau de ceux qui, m’aimant, les aimèrent,
Puis mourront, comme loin de leurs natals sillons
Nos genêts meurent dans la serre ou les salons.
Je sais qu’un peu plus tard, prochainement peut-être,
Un soir, dans les journaux, deux lignes apprendront
À leurs lecteurs, dont peu, bien peu se souviendront,
Qu’un poète estimé (sic) vient de disparaître ;
Et qu’au printemps suivant, — si l’herbe sur mon front,
Comme je le souhaite et comme je l’espère,
Croît et verdit, dans le rustique cimetière
Où l’on m’aura couché, sans pompe, entre les miens,
À l’ombre de la croix de bois des vrais chrétiens, —
L’abeille qui viendra vider la cassolette
De la fleur de la ronce ou de la violette
Sera sans doute seule à deviner où dort
Le triste cœur d’où tous mes vers ont pris l’essor…

Oui, je sais tout cela, Paris, et m’y résigne.
Tu m’as donné l’humble renom dont j’étais digne,
En somme. N’ayant point les dons que tu chéris,
Je vivais à l’écart, timide, un peu sauvage,
Dédaigneux de tes goûts comme de ton langage,
Amer, injuste même envers tes favoris ;


Et pourtant — d’un peu loin — parfois tu me souris,
Trouvant quelque saveur à mon fruste ramage :
Merci ! — L’âge et le deuil ayant éteint ma voix,
Je m’en vais essayer de finir comme un sage,
Entre une chère tombe et l’ombre de mes bois.