Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Sur le Balet du Roy, pour Mgr le duc de Montmorency

SUR LE BALET DU ROY.
Pour monseigneur le duc de Montmorency.


Celle pour qui je veux mourir
Me fait un mal si favorable
Que, si l’on me venoit guérir,
Un me rendroit bien misérable.
Ln roy pour des tourmens si doux
Quitteroit toutes ses délices,
Et, me voyant, seroit jaloux
De mes fers et de mes supplices.
Aussi, pour mieux favoriser
Le divin secret de ma flame.
Mon front s’est voulu déguiser,
De peur de descouvrir mon ame.
C’est ainsi que le roy des Dieux,
Picqué de quelque beau visage,
Prenoit, en dévalant des cieux,
Tousjours un masque à son usage ;
Et, desguisant sa majesté,
Pour complaire à sa frénésie,
Il avoit pour chaque beauté
Une forme à sa fantaisie.
Pour moy, si mes vœux avoient lieu,
On verroit ma figure humaine
Bien tost se changer en un dieu,
Non pas pour moins souffrir de peine,
Mais plustost pour sçavoir ainsi
Conserver le mal qui me presse.
Et pour estre plus digne aussi
De l’amitié d’une Déesse.
Pleust au ciel qu’un jour seulement

Jupiter m’eust donné sa faoe,
Et qu’il voulust pour un moment
Me laisser régner en sa place !
J’ordonnerois que les autels
Que par tout l’univers on dresse
Pour les Dieux ou pour les mortels
Ne seroient que pour ma maistresse.
Le Temps, serf de ses volontez,
Comme moy luy rendant hommage,
Laisseroit vivre ses beautez
Sans leur faire jamais outrage.
Je commanderois aux zephirs
De produire une fleur nouvelle.
Toute de flame et de souspirs,
Où je serois peint avec elle.
Quelque si cher contentement
Dont Jupiter nous fasse envie,
La terre seroit l’élément
Où nous voudrions passer la vie.
Paris seroit notre séjour,
Et, dans ceste joye infinie,
Rien que moy, la paix et l’amour
Ne seroit en sa compagnie.