Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Ode (Cloris, pour ce petit moment)

ODE.


Cloris, pour ce petit moment
D’une volupté frénétique,
Croys-tu que mon esprit se picque
De t’aimer éternellement ?
Lors que mes ardeurs sont passées,
La raison change mes pensées,
Et, perdant l’amoureuse erreur.
Je me trouve dans des tristesses
Qui font que tes délicatesses
Commencent à me faire horreur.
A voir tant fuir ta beauté,
Je me lasse de la poursuivre,
Et me suis résolu de vivre
Avec un peu de liberté.
Il ne me faut qu’une disgrâce,
Qu’encore un traict de ceste audace
Qui t’a fait tant manquer de foy.
Après, tiens-moy pour un infâme
Si jamais mes yeux ny mon ame
Songent à s’approcher de toy.
Je me trouve prest à te voir
Avec beaucoup d’indifférence,

Et te faire une révérence
Moins d’amitié que de devoir.
Toutes les complaisances feintes
Où tes affections mal peintes
Ont troublé mes sens hebetez,
Je les tiens pour foibles feintises
Et n’appelle plus que sottises
Ce que je nommois cruautez.
Je ne veux point te descrier
Après l’avoir loué moy-mesme :
Ce seroit tacher d’un blasphème
L’autel où l’on m’a veu prier.
T’ayant prodigué des louanges
Que je ne devois qu’à des anges,
Je ne te les veux point ravir :
Je les donne à ta tyrannie
Pour déguiser l’ignominie
Que j’ay souffert à te servir.
Je ne veux point mal à propos
Mes vers ny ton honneur destruire ;
Mon dessein n’est pas de te nuire :
Je ne songe qu’à mon repos.
Encore auras-tu ceste gloire
Que, si la voix de la mémoire
Parle à quelqu’un de mes douleurs,
On dira que ma servitude
Respecta ton ingratitude
Jusqu’au dernier de mes malheurs.
J’ay souffert autant que j’ay peu ;
Je n’ay plus de nerf pour tes gesnes
Ny goutte de sang dans mes veines
Qui ne se brusle à petit feu.
Je me sens honteux de mes larmes :
Amour n’a desjà plus de charmes.
Je suis pressé de toutes parts,

Et bientost, quoy que tu travailles,
Je ra-arracheray des entrailles
Tout le venin de tes regards.
Sçachant bien que je meurs d’amour,
Que je brusle d’impatience,
As-tu si peu de conscience
Que de m abandonner un jour !
Après ton ingratte paresse,
Si tu n’as que ceste caresse,
Fatale à ma crédulité,
Puisses-tu périr d’un tonnerre,
Ou que le centre de la terre
Cache ton infidélité !
Non, je ne sçaurois plus souffrir
Ceste liberté de ta vie :
Tout me blasme et tout me convie
De me plaindre et de me guérir.
Aussi bien ta beauté se passe,
Mon amitié change de face ;
L’ardeur de mes premiers plaisirs
Perd beaucoup de sa violence :
Ma raison et ta nonchalance
Ont presque amorty mes désirs.
Je sçay bien que la vanité
Qui te fait plaire en mes supplices
Cherche encore dans tes malices
De quoy trahir ma liberté ;
Encores tes regards perfides
Préparent à mes sens timides
L’effort de leur esclat pipeur,
Et, malgré le plus noir outrage.
S’imaginent que mon courage
Devant eux n’est qu’une vapeur.
Mais je fay le plus grand serment
Que peut faire une ame bouillante

De la fureur la plus sanglante
Qui peut tourmenter un amant:
Je jure l’air, la terre et l’onde,
Je jure tous les Dieux du monde,
Que ny force, ny trahison,
Ny m’outrager, ny me complaire,
N’empescheront point ma cholere
De me donner ma guerison.
Mon tourment ne t’esmeut en rien;
Ta fierté rit de ma mollesse:
Je ne croy point qu’une Déesse
Eust un orgueil comme le tien.
C’en est fait, je sens que mon ame
Souspire sa dernière flame;
Tous ces regards sont superflus :
Je ne voy rien, rien ne me touche.
Laisse-moy, ne me parle plus.