Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/Le Matin

Œuvres complètes de Théophile, Texte établi par Charles Alleaume de CugnonJannetTome 1 (p. 174-175).

LE MATIN.

ODE.


L’aurore sur le front du jour
Seme l’azur, l’or et l’ivoire,
Et le soleil, lassé de boire,
Commence son oblique tour.

Ses chevaux, au sortir de l’onde,
De flamme et de clarté couverts,
La bouche et les naseaux ouverts,
Ronflent la lumiere du monde.

La lune fuit devant nos yeux ;
La nuict a retiré ses voiles ;
Peu à peu le front des estoilles
S’unit à la couleur des cieux.

Desjà la diligente avette
Boit la marjolaine et le thyn,
Et revient riche du butin
Qu’elle a pris sur le mont Hymette.

Je voy le genereux lion
Qui sort de sa demeure creuse,
Herissant sa perruque affreuse,
Qui faict fuir Endimion.

Sa dame, entrant dans les boccages,
Compte les sangliers qu’elle a pris,
Ou devale chez les esprits
Errant aux sombres marescages.

Je voy les agneaux bondissans
Sur ces bleds qui ne font que naistre ;
Cloris, chantant, les meine paistre
Parmy ces costaux verdissans.

Les oyseaux, d’un joyeux ramage,
En chantant semblent adorer

La lumière qui vient dorer
Leur cabinet et leur plumage.

La charue escorche la plaine ;
Le bouvier, qui suit les seillons,
Presse de voix et d’aiguillons
Le couple de bœufs qui l’entraine.

Alix appreste son fuseau ;
Sa mère, qui luy fait la tasche,
Presse le chanvre qu’elle attache
À sa quenouille de roseau.

Une confuse violence
Trouble le calme de la nuict,
Et la lumiere, avec le bruit,
Dissipe l’ombre et le silence.

Alidor cherche à son resveil
L’ombre d’Iris qu’il a baisée,
Et pleure en son ame abusée
La fuitte d’un si doux sommeil.

Les bestes sont dans leur taniere,
Qui tremblent de voir le soleil.
L’homme, remis parle sommeil,
Reprend son œuvre coustumiere.

Le forgeron est au fourneau ;
Oy comme le charbon s’alume !
Le fer rouge, dessus l’enclume,
Estincelle sous le marteau.

Ceste chandelle semble morte,
Le jour la faict esvanouyr ;
Le soleil vient nous esblouyr :
Voy qu’il passe au travers la porte !

Il est jour : levons-nous, Philis ;
Allons à nostre jardinage,
Voir s’il est, comme ton visage,
Semé de roses et de lys.