Œuvres complètes de Theophile (Jannet)/À Mademoiselle de Rohan, sur la mort de madame la duchesse de Nevers

À MADAMOISELLE DE ROHAN

Sur la mort de madame la duchesse de Nevers.[1]


Je vous donne ces vers pour nourrir vos douleurs
Puisque ceste princesse est digne de vos pleurs
Et ne veux point reprendre un deuil si legitime
Pour elle vos regrets prennent un juste cours,
Et de les arrester je croirois faire un crime
Aussi bien que la mort en arrestant ses jours.

Je sçay bien que vostre ame, assez robuste et saine,
Avecques son discours a combattu sa peine,
Et qu’elle a vainement cherché sa guerison.
Y tascher après vous, on ne le peut sans blasme,
Car je ne pense pas qu’on trouve en la raison
Ce que vous ne pouvez trouver dedans vostre ame.

Les plus cuisans mal-heurs trouvent allegement,
Après que le devoir a rendu sagement
Tout ce que l’amitié demande à la nature ;
Mais lors que mon esprit songe à vous consoler
Contre les sentimens d’une perte si dure
Plus je suis preparé, moins j’ay dequoy parler.

Tandis que la memoire à vos sens renouvelle
L’esclat de la vertu qui reluysoit en elle,
Vous nourrissez en vain quelque espoir de guerir ;
Et quand le souvenir d’une amitié si ferme
Pour guerir vostre ennuy se laissera mourir,

Croyez que vostre vie est proche de son terme.

Aussy, ceste princesse estant loing de vos yeux,
Le jour de tous vos maux est le plus odieux ;
La mort, de vos langueurs, est la moins inhumaine ;
Quelque part de la terre où vous faciez sejour,
Il ne vous reste plus que des objects de haine,
Après avoir perdu l’object de vostre amour.

De moy, si la rigueur d’un accident semblable
M’avoit osté le fruit d’un bien si desirable,
Je croirois que pour moy tout n’auroit que du mal ;
Mes pieds ne s’oseroient asseurer sur la terre,
Le jour m’offenceroit, l’air me seroit fatal,
Et la plus douce paix me seroit une guerre.

Aigrissez-vous tousjours d’un chagrin plus recent ;
Que vostre ame, en flattant l’ennuy qu’elle ressent,
Pour si chere compagne incessamment souspire ;
Jamais son entretien ne vous sera rendu,
Et le Ciel, reparant vos pertes d’un empire,
Vous donneroit bien moins que vous n’avez perdu.


  1. Catherine de Lorraine, duchesse de Nevers. — On assure que la duchesse de Nevers, ennemie déclarée de la maréchale d’Ancre, versa des larmes en la voyant marcher au supplice. Ces larmes sont tout un éloge.
    Il y a des Vers de mademoiselle de Rohan sur la mort de madame la duchesse de Nevers. 1618, in-4, pièce.