Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/041

Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 251-252).
XLI
A M. PROSPER DUGAS.
Paris, 11 mars 1849.

Mon cher ami,

Les années s’écoulent sans qu’on s’écrive, et cependant ces occupations excessives qui empêchent d’écrire font précisément qu’on en aurait plus besoin que jamais. Je n’ai jamais su me passer de mes amis, mais leur souvenir m’est infiniment plus précieux depuis que les révolutions séparent tant de gens qui s’étaient aimés : Pour moi, en présence des formidables questions que la Providence nous pose et des obscurités qui nous environnent, je ne comprends pas que, pour les avoir comprises et résolues différemment, on se refroidisse et qu’on se sépare : Ce que je sais d’histoire me donne lieu de croire que la démocratie est le terme naturel du progrès politique, et que Dieu y mène le monde. Mais j’avoue qu’il l’y mène par de rudes chemins, et que si je crois à la démocratie, c’est malgré des excès qui seraient capables d’en dégoûter les gens de bien. Entre tous les journaux, mes vœux sont encore pour l’Ère Nouvelle, quoique je n’y travaille plus depuis quelques mois à cause d’un livre que je dois finir avant le 31 mars, et qui, avec mon cours, dévore tous mes moments. Je n’ai donc pas rompu avec ce journal, bien qu’il y arrive souvent, comme dans tous les journaux auxquels on ne travaille pas assidûment, qu’on insère des articles qui ne me plaisent pas toujours.

Adieu : croyez que je vous aime tendrement, et souvenez-vous toujours devant Dieu et devant les hommes de votre ami dévoué.