Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/073

Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 421-423).
LXXIII
À M. L...
Château du Vernay, près Lyon, 28 juin 1841.

Mon cher ami,

Les grandes choses auxquelles s’intéressait votre affection se sont accomplies. Mercredi dernier 25 juin, à dix heures du matin, dans l’église de Saint-Nixier, votre ami était à genoux ; à faute ! était son frère aîné élevant ses mains sacerdotales, et au pied son jeune frère répondant aux prières liturgiques. A ses côtés vous auriez vu une jeune fille, blanche et voilée, pieuse comme un ange, et déjà, elle me permet de le dire, attendrie et affectueuse comme une amie. Plus heureuse que moi, ses parents l’entouraient, et cependant, tout ce que le ciel m’a laissé de famille ici s’y était donné rendez-vous ; et mes anciens camarades, mes frères de Saint-Vincent de Paul, de nombreuses connaissances, remplissaient le chœur et peuplaient la nef. C’était beau, et des étrangers que le hasard amenait s’en sont trouvés profondément émus. Quant à moi, je ne sais plus

où j’étais. Je retenais à peine de grosses mais délicieuses larmes, et je sentais descendre sur moi la bénédiction divine avec les paroles consacrées. Ah mon cher L. vous le compagnon des temps laborieux, vous le consolateur des mauvais jours, que n’étiex z-vous là ! Je vous aurais prié vous aussi, comme le bon Pessonneaux, de donner votre signature à l’acte commémoratif de cette grande fête ; vous aussi, je vous aurais présenté a la charmante épouse qui m’était donnée vous aussi elle vous aurait salué de ce gracieux sourire qui enchantait tout le monde. Et depuis, depuis cinq jours que nous sommes ensemble, quel calme, quelle sérénité dans cette âme que vous connaissiez si inquiète et si ingénieuse à se faire souffrir !

Je me laisse être heureux. Je ne compte plus les moments, ni les heures. Le cours du temps n’est plus pour moi. Que m’importe l’avenir ? le bonheur dans le présent, c’est l’éternité. Je comprends le ciel. Aidez-moi à être bon et reconnaissant. Chaque jour, en me découvrant de nouveaux mérites dans celle que je possède, augmente ma dette envers la Providence. Quelle différence d’avec ces jours où vous me vîtes si triste à Paris ! On m’a pardonné à demi de vous avoir montré alors une certaine lettre ; on me pardonnera tout à fait quand on aura le plaisir de vous connaître. Vous êtes invité pour pendre la crémaillère au mois de novembre. Adieu, mes respects à madame L. ; à vous un embrassement fraternel.