Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/070

Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 394-395).
LXX
À M. L...
Paris, 10 octobre 1840
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Mon cher ami,

Je suis obligé de me refuser un plaisir qui devait être aussi doux que désiré, celui de vous voir au passage. Chargé de suppléer M. Fauriel, et de faire un cours de littérature allemande au moyen âge, à commencer par les Nibelungen et le Livre des Héros, j’ai cru nécessaire pour mes besoins d’imagination et pour la satisfaction de ma conscience, de voir au moins en courant les bords du Rhin, théâtre de toute cette poésie barbare, germanique, franque, à l’étude de laquelle je vais me livrer. Je rentrerai à Lyon par Strasbourg ; et après cinq semaines d’affaires et de travail je reviendrai à Paris pour m’y fixer et devenir votre voisin. Dans les premiers jours de décembre, je m’arrêterai chez vous en passant alors je pourrai vous dire, mieux qu’en ce moment de hâte, combien votre petite lettre m’a été bonne et utile, combien votre suffrage d’ami a raffermi mes résolutions, que l’avis de ma famille est venu ratifier ensuite. Voici une circonstance bien grave et bien solennelle pour moi : l’entrée dans une nouvelle et périlleuse carrière ; une vie à recommencer, une vocation enfin ! Quoique je n’aie pas à faire de sacrifice de la nature de celui que vous sembliez soupçonner, il y en a d’autres pourtant : il y a des séparations douloureuses, et jusqu’à des difficultés d’affaires et d’intérêts. Il y a des dangers de toute sorte qui m’attendent au lendemain de mon installation : en un mot il y en, a plus qu’il en faut pour effrayer un esprit de médiocre énergie. Heureux si ce sentiment de faiblesse fait lever les yeux vers Celui qui donne la force jusqu’ici je lui ai demandé la lumière pour connaître sa volonté, maintenant qu’il semble me l’avoir manifestée par des signes raisonnablement reconnaissables, il reste à m’accorder le courage de l’accomplir....