Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 04/Chapitre 2

Lecoffre (Œuvres complètes volume 4, 1872p. 21-59).


CHAPITRE II
LE CHRISTIANISME DEVANT LES INVASIONS


Espérances et dangers du christianisme

Les invasions pouvaient venir : l’Église était en mesure de les recevoir. Elle avait des évêques à toutes les portes de l’empire, et des prêtres sur le chemin de tous les barbares. Ses basiliques étaient ouvertes, ses baptistères préparés : elle n’avait plus qu’à attendre que les chefs lui amenassent leurs peuples. Il semble que les plus farouches devaient se rendre à la majesté de ses institutions ; et c’est l’opinion commune, que la conversion des Germains fut prompte et facile. Elle coûta cependant plus qu’on ne pense. L’Église allait être en présence d’une nouvelle race : elle y trouvait deux périls. D’un côté c’était la barbarie, le goût du sang et de la destruction, la haine du nom romain, et en même temps un paganisme nouveau, fort de sa grossièreté même, qui semblait ne pas laisser de jour à la raison ni d’ouverture à la controverse. D’un autre côté, et surtout parmi les chefs, parmi les mercenaires engagés à la solde des Césars, il y avait l’attrait prématuré d’une civilisation trop savante pour eux, et, dont ils comprenaient les désordres mieux que les bienfaits : il était aisé de prévoir qu’ils partageraient les vices et les erreurs de la société ancienne aussi bien que ses dépouilles en sorte qu’on avait autant à craindre de leur corruption que de leur violence.

Il y avait longtemps que ces deux passions contraires, celle de jouir et celle de détruire, poussaient les peuples du Nord vers les provinces romaines, quand, la garde des frontières fléchissant, trois routes s’ouvrirent devant eux. À l’orient, les Goths trouvaient la vallée du Danube, par où ils se jetèrent sur la Thrace et l’Asie Mineure. Au midi, la vallée de l’Inn livrait aux Hérules et aux Lombards les gorges des Alpes et l’entrée de l’Italie. À l’occident, la vallée du Rhin frayait aux Bourguignons, aux Alemans, aux Francs, le chemin des Gaules. Il faut voir comment le christianisme pénétra chez les barbares par tous les passages qui les vomissaient sur l’empire.

Le Christianisme chez les Germains orientaux. Les Goths.

Les Goths étaient les plus puissants des Germains par l’autorité de leurs traditions, par la vigueur de leur constitution civile, religieuse, militaire, par l’étendue de leur territoire et le grand nombre de peuples qu’ils avaient rangés sous leurs lois. Des rivages de la Scandinavie, où les navigateurs grecs les trouvaient quatre siècles avant notre ère, ils s’étaient avancés jusqu’au Danube, soumettant les Vandales, les Marcomans et les Quades, et réduisant l’empire à les traiter comme les nations qu’il craignait, c’est-à-dire à les prendre à son service. Ils avaient le titre et la solde d’alliés lorsque, l’empereur Philippe ayant refusé de subir plus longtemps l’affront du tribut annuel qu’ils exigeaient sous ce nom, ils forcèrent la ligne romaine et envahirent la Mésie. Bientôt après, on voit leurs bandes couvrir les plaines de la Thrace : les cent mille habitants de Philippopolis meurent sous les ruines de leur ville. Dèce périt en voulant les venger (252). Durant vingt ans les Goths ravagèrent la Grèce, l’Illyrie, la Troade, la Cappadoce ; ils brûlèrent le temple d’Éphèse, saccagèrent Trébisonde, Nicée, Athènes, ramenant leurs chariots chargés de butin, et laissant derrière eux la peste et la famine. Rien n’égale l’horreur de ces temps désastreux : les lettres mêmes semblent s’éteindre, et il y a une interruption de vingt années dans les historiographes des empereurs[1].

Ulphila. Mais, parmi les captifs que les vainqueurs chassaient devant eux, plusieurs portèrent le christianisme aux foyers de leurs maîtres. D’ailleurs, comment les Goths, enrôlés sous les aigles de l’empire, auraient-ils résisté aux progrès d’une doctrine qui avait gagné les légions, surtout quand ils virent la croix sur les drapeaux, quand enfin quarante mille d’entre eux combattirent pour Constantin dans la fameuse journée qui renversa tout ensemble la fortune de Licinius et le règne du paganisme ? L’Église des Goths grandit dans l’ombre ; on l’a vue déjà à représentée par l’évêque Théophile au concile de Nicée. Bientôt après parait Ulphilas, qui tient un moment dans ses mains toutes les destinées religieuses de son peuple. On ne sait rien des commencements de cet homme extraordinaire, sinon qu’il descendait d’un famille chrétienne enlevée de la petite ville de Sadagolthina en Cappadoce par les Goths, qui la saccagèrent en 266, et que ce fils adoptif des barbares, le fils de la louve (Wulfilas), comme ils l’appelaient, était compatriote et peut-être parent de l’historien grec Philostorge. Il évangélisait les Visigoths de la Mésie, de la Dacie et de la Thrace, quand il devint leur évêque vers 348, et se rendit en cette qualité au concile tenu en 360 à Constantinople par les ariens, qui surprirent son adhésion, sans le détacher néanmoins de l’orthodoxie[2]. C’est alors que, frappé de la majesté des Césars, il put concevoir le dessein de donner à son apostolat le dangereux appui de leur épée. Deux partis divisaient les Visigoths. L’un obéissait à Athanaric, l’autre à Fritigern. Après une lutte inégale, Fritigern invoqua l’intervention de l’empire ; Ulphilas semble en avoir négocié les conditions. Les tribus menacées se soumirent au baptême, reçurent des secours, marchèrent contre Àthanaric et furent victorieuses. Depuis ce jour, rien ne résista plus à la prédication d’Ulphilas. Il acheva son œuvre par la traduction des saintes Écritures, monument célèbre et resté jusqu’à nous. C’était fixer le christianisme dans la nation, que de le fixer dans la langue. L’évêque s’en rendit maître, et la força d’obéir à la pensée chrétienne ; il contraignit cette parole sanguinaire à répéter les psaumes de David, les paraboles évangéliques, la théologie de saint Paul. Mais il ne traduisit point les livres des Rois, de peur que, la lettre tuant l’esprit, les récits sacrés ne servissent qu’à réveiller les passions guerrières de ses barbares. L’alphabet runique, usité chez les Goths, avait suffi à tracer des présages sur des baguettes superstitieuses ou des inscriptions sur les sépultures : il fallut le compléter pour un usage plus savant, et le nombre des lettres fut porté de seize à vingt-quatre. La langue gothique, façonnée de la sorte, prit un singulier caractère de douceur et de majesté. On put voir que les grandes qualités des idiomes classiques ne périraient pas avec eux ; et la traduction de la Bible, ce livre éternel, commença la première des littératures modernes. Quand Ulphilas parut, peut-être après une longue retraite, radieux de sainteté, apportant l’Ancien et le Nouveau Testament au peuple campé dans les plaines de la Mésie, on crut qu’il descendait du Sinaï ; les Grecs l’appelèrent le Moïse de son temps, et c’était l’opinion des barbares « que le fils de la louve ne pouvait faire mal[3]. »


Les martyrs

des Goths

et

leur Eglise

Cependant Athanaric vaincu s’était vengé sur L. ceux de ses sujets qui faisaient profession de christianisme. L’idole nationale fut conduite sur un char de triomphe parmi les tribus établies au bord du Dniester ; des sacrifices et des banquets célébrèrent son passage, et l’on ordonna que tous participassent aux viandes immolées. Ceux qui s’y refusèrent furent brûlés dans leurs tentes. Plusieurs, dont on a conservé les noms, périrent par les flammes, avec le pavillon qui leur servait d’oratoire. Toute la foi et toute là magnanimité des anciens martyrs revivaient chez ces barbares, qui commençaient à fixer sur eux l’attention du monde. L’Église des Goths adressa à celle de Cappadoce, qu’elle honorait comme sa métropole, une lettre comparable a celle des chrétiens de Lyon aux chrétiens de Smyrne « L’Eglise de Dieu qui est chez les Goths, à l’Église de-Dieu qui est en Cappadoce, et à tous les chrétiens en quelque lieu qu’ils habitent. Que la paix, la miséricorde et la charité de Dieu le Père et de Jésus-Christ Notre-Seigneur abondent en vous Cette parole du bienheureux Pierre n’a pas cessé d’être vraie, que dans toute nation Dieu a pour agréables ceux qui le craignent et qui pratiquent la justice. C’est ce qui vient d’éclater en la personne du bienheureux Sabas, martyr de Dieu, qui, étant Goth de naissance et vivant au milieu d’une race perverse, à imité les saints de. telle sorte qu’il a brillé comme une étoile nouvelle levée sur le monde. » Sabas avait, soutenu de sa parole et de ses exemples les chrétiens persécutés. Il venait de célébrer la fête de Pâques au près du prêtre Sansala, quand les hommes d’un chef de guerre nommé Atharid l’arrêtèrent pendant la nuit ; et, lui présentant des viandes immolées « Voici, lui dirent-ils, ce que vous envoie Atharid votre seigneur. Sabas répondit « Il n’y a qu’un Seigneur, qui est au ciel. » Et comme il refusait de toucher aux viandes idolâtriques, après qu’on l’eut traîné sur les pierres et les épines, on le conduisit sur le bord du fleuve pour y être précipité. Mais lui, levant les yeux, déclarait qu’il voyait sur l’autre bord les anges venus pour le recevoir. Le récit de cette mort héroïque a toute la simplicité des actes authentiques des martyrs, et la lettre s’achève par ces courts et fraternels adieux qui terminent les épîtres des premiers chrétiens « Saluez a tous les saints. Ceux qui souffrent la persécution « avec nous vous saluent encore. » Les Grecs inscrivent dans leurs ménologes les noms de Sabas et de ses compagnons. L’Asie admira que le Christ se fût choisi des confesseurs parmi ces peuples dont elle avait éprouvé la férocité. L’Occident les connut, et des témoins oculaires de leur supplice en firent le récit aux chrétiens de Carthage[4].

Une chrétienté fondée sur de si glorieux souvenirs ne pouvait tomber. Tandis que plus tard les Goths de l’invasion se laissaient gagner par l’arianisme, on voit une autre partie de ce peuple, restée sédentaire au nord de la mer Noire persévérer dans l’orthodoxie. Deux de ses prêtres, Sounia et Fretila, écrivent à saint Jérôme, et le consultent sur les variantes de la Vulgate et de la version alexandrine. Le solitaire de Bethléem admire ce zèle des Écritures : il ne voit pas sans émotion les blondes armées des Gètes portant avec elles leurs sanctuaires mobiles, et les dressant comme le tabernacle au milieu du camp d’Israël. Saint Jean Chrysostome pressait de ses efforts le grand ouvrage de la conversion des barbares, dont le spectacle le ravissait : il y voyait les prophéties accomplies, et, selon la parole d’Isaïe, les loups devenus dociles et les lions domptés. Par ses soins, les Goths eurent à Constantinople leur Église nationale, et les saints mystères y furent célébrés en leur langue. Ceux qui campaient au nord de l’empire lui envoyaient un diacre chargé des lettres de leur chef, et voulaient recevoir un évêque de ses mains. C’est vers le même temps qu’il faut placer l’apostolat de saint Nicétas. Il était venu du fond de la Dacie visiter à Nole le tombeau de saint Félix ; il avait trouvé. l’hospitalité auprès de saint Paulin, autrefois sénateur et poëte, maintenant retiré dans la solitude et voué au service de Dieu. Au moment du départ, Paulin adresse à son hôte des adieux poétiques, où l’on voit retracée avec complaisance l’image des Églises naissantes du Nord. « Tu traverseras sans effort les mers soumises la croix du salut armant l’antenne de ton navire, tu défieras les vents et les flots. Les joyeux matelots changeront en hymnes leurs chants accoutumés, et leurs voix pieuses entraîneront les brises favorables à leur suite. Avant tous, Nicétas entonnera le cantique du Christ avec l’éclat de la trompette, et David, psalmodié à deux choeurs, retentira d’un bout à l’autre des mers. Les bêtes des eaux tressailliront à l’amen des chrétiens, et les monstres, attentifs au chant du prêtre, se joueront autour du navire. –Oh ! qui me donnera les ailes de la colombe pour me mêler aux choeurs que tu formes à célébrer mon Dieu d’une voix qui va jusqu’au ciel ?– Les plages hyperboréennes te nomment leur père, le Scythe s’apaise à tes accents, et, infidèle à lui-même, il apprend de toi à dépouiller son humeur farouche. Les Gètes accourent, et avec eux les deux peuples des Daces , celui qui habite l’intérieur des terres, et celui des frontières, fier de se montrer couvert du cuir de ses nombreux troupeaux.-Dans ces con«  trées silencieuses de l’univers, les barbares ont appris à louer le Christ avec la fidélité d’un cœur romain, et à mener en paix une chaste vie »[5]. Ainsi le christianisme aima de bonne heure les barbares, et les servit avant qu’ils fussent devenus maîtres du monde. Ils s’en souvinrent dans leur victoire. Quand Alaric, en 4JO, saccagea Rome, un de ses guerriers qui avait forcé la demeure d’une vierge avancée en âge y trouva des vases d’or et d’argent. Mais ta chrétienne lui déclara qu’ils appartenaient au trésor de l’apôtre saint Pierre ; et’ le barbare, retirant la main, envoya demander au roi ce qu’il devait faire de cet argent et de cet or. Alaric commanda que les vases fussent reconduits avec respect dans la basilique du Vatican. Les barbares les portèrent un à un sur leurs têtes, tandis que d’autres les environnaient l’épée nue. La trompette pacifique retentit ; les Romains sortirent rassurés des retraites où ils n'attendaient plus que la mort ou la servitude ; les vainqueurs et les vaincus se mêlèrent, et leurs voix se confondirent dans les mêmes cantiques. C’est alors que saint Augustin croyait voir. les barbares entrer à flots précipités dans cette cité mystique de l’Église dont il traçait le dessin, et qu’il s’écriait « La dernière table de la proscription de Sylla fit périr plus de sénateurs que les Goths n’en dépouillèrent. Tout ce qui s’est vu de meurtres, d’incendies et de pillage dans ce récent désastre de Rome est arrivé selon la loi ordinaire des combats. Mais ce qui est nouveau et sans exemple, c’est que. la férocité barbare se soit adoucie jusqu’à ce point, que nos basiliques soient devenues des asiles où nul n’a été frappé, d’où nul n’a été enlevé, où l’on a conduit tout ce qu’épargnait la fureur de l’ennemi. Celui-là, est aveugle qui ne reconnaît point ici la puissance du Christ et le bienfait des temps chrétiens[6].  »

Mais déjà la mobilité des barbares avait détruit ces espérances. Parmi le grand nombre d’aventuriers, de transfuges et. de proscrits que le hasard des événements poussait chez les peuples du Nord, les hérésies dont le christianisme était déchiré trouvaient des propagateurs. Dès le règne de Constantin, un évêque syrien nommé Audaeus, qui enseignait les erreurs des quatuordécimans et des anthropomorphites, exilé pour sa résistance au concile de Nicée, s’était enfoncé dans le pays des Goths où il avait fondé des églises et des monastères. On louait la piété et l’innocence de ses disciples mais, en prêchant un Dieu corporel et semblable à l’homme, il flattait la grossièreté des barbares et si son enseignement se perpétua, il ne faut pas s’étonner de voir plus tard des prêtres qui sacrifient à Odin et baptisent au nom du Christ. Toutefois les erreurs d’Audaeus ne firent que des prosélytes obscurs une chute plus éclatante devait entraîner toute la nation [7].

En 376, les Huns, traversant les Palus-Méotides, s’étaient précipités sur l’empire, et refoulaient devant eux les flots pressés des peuples germaniques. Les Visigoths de Fritigern, qui avaient éprouvé la puissance de l’empire d’Orient, lui demandèrent un asile. Ulphilas fut leur médiateur, et, accompagné des principaux d’entre eux, se rendit à Constantinople. Il y trouva les ariens tout-puissants, et leur évêque Eudoxius d’Antioche gouvernant le faible esprit de l’empereur Valens. Valens accorda aux Goths une avare hospitalité sur la rive romaine du Danube, à condition de livrer leurs armes en gage de paix éternelle, et leurs enfants pour recruter les légions. Eudoxius proposa d’ajouter qu’ils embrasseraient la communion de l’empereur. Les députés barbares répondaient que rien ne les détacherait de la foi qu’ils avaient reçue. Mais Ulphilas, circonvenu par les ariens, touché de la douceur de leurs paroles et de la richesse de leurs présents, se laissa persuader que la querelle, indifférente au dogme, n’intéressait que l’orgueil des Latins et des Grecs. Ce grand homme fléchit et les Goths, qui tenaient sa parole pour la loi de Dieu, passèrent à l’hérésie[8].

Ainsi les Visigoths devinrent ariens par la défection de leur maître dans la foi. Pendant quarante ans de dévastations, les soldats d’Alaric et d’Astaulfe traînèrent l’erreur avec eux, et l’établirent enfin dans le royaume qu’ils fondèrent au pied des Pyrénées. En même temps ils la communiquaient aux Ostrogoths, demeurés en arrière ; et réservés pour d’autres conquêtes. Ceux-ci la portèrent en Italie, et jusqu’au cœur même de la chrétienté, quand ils y pénétrèrent à la suite de Théodoric. Jamais à la cour de Byzance l’arianisme n’avait paru plus puissant que sous le patronage de ce grand prince, en qui Rome saluait le réparateur du vieil empire, et les barbares le fondateur d’un empire nouveau. En même temps qu’il rendait au sénat ses prérogatives, aux magistratures leurs pouvoirs, aux écoles leurs dotations, on le vit donner des lois à ses barbares, faire entrer, dans son alliance et sous sa tutelle les rois des Visigoths, des Thuringiens, des Burgondes ; et, devançant de trois cents ans l’oeuvre de Charlemagne, réunir les nations germaniques en ~une seule famille, pour les faire entrer dans l’héritage de la civilisation romaine. Les soins du gouvernement n’étouffaient point en lui le zèle de la secte. À côté de son palais de Ravenne, il avait élevé à son culte la basilique de Saint-Apollinaire le Neuf et le baptistère de Sainte-Marie in Cosmedin, enrichi de mosaïques dont le temps n’a pas effacé l’éclat. La tolérance qu’il avait montrée d’abord à toutes les communions fit place à un prosélytisme persécuteur, aussitôt qu’il eut donné à l’arien Eutharic la main de sa fille et le premier rang dans ses conseils. Ce fut le signal d’une persécution qui se déclara en interdisant aux Romains de porter les armes, en renversant à Vérone l’oratoire de Saint-Étienne, et plus tard en ordonnant le supplice de Boëce et de Symmaque. Le jour était déjà fixé ou les églises des orthodoxes devaient être livrées aux sectaires et il parut un moment que les invasions s’étaient faites pour remettre à l’arianisme les, destinées du genre humain [9].

L’avenir n’en décida pas ainsi., La foi seule, fausse ou vraie, fait les sociétés durables. Les peuples ne restent pas longtemps au service des systèmes où ils ne voient que l’autorité des hommes. Or l’arianisme était une doctrine déiste, qui n’avait pas le courage de s’enfoncer dans les obscurités fécondes du dogme ; c’était une transaction misérable de la théologie avec la philosophie païenne la Trinité d’Arius renouvelait celle de Platon. En niant la divinité du Christ, il ôtait le mystère, il diminuait la foi. Du même coup, il détruisait toute la grandeur du sacrifice de la Rédemption~ et, en ne mettant plus qu’un homme sur la croix, il diminuait l’amour. C’était pourtant de~la foi et de l’amour, c’était de ce dogme de l’Homme-Dieu que devaient sortir la science sacrée, la société catholique et tout ce qu’elle fit de grand. Les nations naissantes avaient besoin d’une éducation qui les, rendît fortes, d’une tutelle qui les protégeât contre leurs princes. Mais le clergé arien, nourri dans les palais, dans la faveur des eunuques et des impératrices, n’était pas en mesure de former les hommes. On trouve des évêques à la suite des rois, jamais en lutte avec eux. Au milieu des grands événements dont ils sont témoins, ils n’entrent que trois fois en scène dans les conférences de Vienne, de Carthage, de Tolède, contre les catholiques ; ils y donnent toujours le spectacle de leur impuissance. Il fallait d’autres mains pour conduire les siècles violents du moyen âge. Enfin, les doctrines se perdent aussi par leurs fautes. Celle-ci, dont on a vanté la douceur, mit en feu tout l’Occident. Il ne faut pas, comme on a coutume de le faire, justifier la persécution de Théodorie comme une représaille de l’édit de l’empereur Justin contre l’arianisme ; elle le précéda, et rien n’absoudra jamais le supplice de Boèce[10]. Les Ostrogoths d’Italie avaient l’exemple des Visigoths, leurs aînés dans l’arianisme, dont les violences désolèrent la Gaule et l’Espagne. Sidoine Apollinaire décrit les emportements du roi Euric à Toulouse, les édits de proscription, les évêques chassés, et l’herbe croissant dans les églises désertes. La fille de Clovis, devenue l-’épouse d’Amalaric, envoie à ses frères ses vêtements trempés du sang que les mauvais traitements de son mari lui ont fait verser. Léovigitd n’épargne pas Herménégild son fils, et le fait décapiter pour avoir refusé la communion des ariens. Cette succession de crimes est le signe des puissances qui finissent ; et l’empire des Goths périt pour avoir refusé de la société romaine ce qui en faisait la-force morale, je veux dire l’orthodoxie.

Le Christianisme

du midi de la Germanie
. Les
Alemans et

les Hérules.

En même temps que le christianisme entrait en Germanie par l’orient avec les premiers apôtres des Goths, il s’y introduisait au midi par les riches provinces de la Rhétie et du Norique, qui s’étendaient du pied des Alpes au Danube, et qui formaient comme le boulevard de l’Italie. La vallée de l’Inn s’ouvrait au milieu, et deux routes militaires, celle de Vérone et celle d’Aquilée, conduisaient aux portes de Rome. C’était le chemin le plus court des, invasions ; ce fut celui de Radagaise.et d’Attila. Après eux, une partie des peuples qui les suivaient s’établit dans ce beau pays. Nulle part la conquête du sol ne fut plus complète ; les bandes germaniques y effacèrent jusqu’au souvenir des populations primitives si difficilement soumises par les Romains, et en firent deux provinces allemandes, l’Autriche et. la Bavière. Nulle part la conquête des âmes ne fut plus laborieuse, .ni la lutte plus soutenue entre l’orthodoxie, maîtresse des villes romaines, et les croyances des barbares attachés au paganisme de leurs pères, ou gagnés par l’arianisme de leurs voisins. Un seul document contemporain éclaire l’histoire de la Germanie méridionale à une époque si décisive c’est la vie de saint Severin par son disciple Eugippius, à laquelle il faut s’arrêter, à cause du jour inattendu qu’elle jette sur les peuplés et les chefs barbares qui précipitèrent la chute du dernier empereur d’Occident [11].

La mort d’Attila avait laissé le désordre parmi les nations qu’entraînait sa fortune. Des restes de cette formidable armée, trois corps principaux occupaient le Norique les Hugiens sur le Danube, entre Lauriacum (Lorch) et Faviana, qui fut Vienne les Alemans au confluent du fleuve avec l’Inn, où un ancien camp (Batava Castra) marquait la place de Passau ; les Hérules à Juvava, aujourd’hui Salzbourg, sur la route de l’Italie, ouverte à leurs armes. Les habitants des villes, décimés par la guerre et la famine, suivaient du haut de leurs murailles les rapides chevauchées de ces barbares qu’ils voyaient enlevant les moissons, et chassant devant eux des troupeaux de captifs. Les garnisons. délaissées, sans solde et souvent sans armes, finissaient par abandonner leurs postes. Le clergé même n’était plus maître des esprits effrayés ; et beaucoup de chrétiens, ne sachant plus de quels dieux conjurer la colère, allaient prier à l’église et ensuite sacrifier aux idoles[12] (1).

St Severin, apôtre du Norique.

C’est au milieu de l’épouvante universelle que parut un anachorète nommé Severin, dont personne ne connut jamais ni la naissance ni la première vie. Son langage était celui d’un latin mais ses habitudes et ses discours trahissaient un long séjour en Orient, où il avait cherché la perfection chrétienne chez les saints des déserts. Du monastère qu’il s’était bâti aux portes de Vienne, le bruit de ses vertus n’avait pas tardé à se répandre dans tout le Norique ; et les villes les plus menacées l’appelaient dans leurs murs. A la vue de cet homme sans patrie, supérieur aux faiblesses de la terre, qui venait pieds nus par des chemins glacés, jeûnant jusqu’au coucher du soleil, et dormant sur un cilice, les peuples commençaient à se croire visités de Dieu. Pour lui, il leur prêchait la pénitence, ordonnait des prières et des aumônes, raffermissait.les liens relâchés de la foi et de la discipline, et s’attachait à vaincre d’abord le désordre des consciences, premier péril d’une société qui se dissout. Mais sous le zèle du moine éclatait l’habileté de l’homme public : les dîmes levées par ses soins pourvoyaient au rachat des captifs, l’entretien’ des pauvres, à l’insuffisance du commerce qui enrichissait autrefois les deux rives du Danube, et dont les rares transports ne se faisaient plus maintenant qu’avec le sauf-conduit des barbares. Il s’occupait enfin de la défense militaire avec le calme d’un vieux capitaine, organisant l’attaque et la retraite, recueillant d’abord les populations des campagnes dans les villes avec leurs troupeaux et leurs récoltes, abandonnant ensuite les villes mal fermées, pour réunir ses forces derrière des remparts plus sûrs. Les soldats sans ordres reprenaient les armes sur sa parole, et les cités sans magistrats obéissaient. avec joie à ce prophète, dont les avertissements ne les avaient jamais trompées. Les habitants de Salzbourg et de Passau, qu’il pressait inutilement de quitter leurs demeures, étaient tombés au pouvoir des ennemis. Le reste des Romains, rassemblé par sessoins dans Lauriacum, fit une longue résistance. Severin lui-même les exhortait à veiller, à entretenir les feux sur les tours, jusqu’à ce qu’enfin, le roi des Rugiens s’étant approché avec une armée nombreuse, toute défense parut inutile, et les assiégés n’eurent plus à choisir qu’entre la mort et l’esclavage. Alors le serviteur de Dieu se rendit au camp, et, au nom du Christ son maître, il stipula que le roi retirerait ses troupes ; que les Romains réfugiés dans Lauriacum en sortiraient libres respectés désormais dans leurs personnes et dans leurs biens. Et sur sa foi les réfugiés sortirent ; ils commencèrent à repeupler les campagnes, à rebâtir les cités, et à vivre en paix avec les conquérants. C’est par là que les mœurs, les institutions, les souvenirs d’une société policée, se conservèrent dans les provinces du Danube. Passau, Salzbourg, Vienne, sortirent de leurs ruines ces villes restèrent comme autant de forteresses du christianisme au milieu des peuples barbares qui se succédèrent pendant deux cents ans autour d’elles, qui les soumirent à leurs lois, mais qu’elles soumirent à leurs lumières[13].


C’est ce que Severin avait prévu et cet homme si occupé de sauver les villes romaines ne l’était pas moins de gagner les âmes des Germains. Les plus farouches, les plus gâtés par l’arianisme ou par l’idolâtrie, ne pouvaient s’empêcher d’honorer un vieillard pauvre comme eux, exempt des délicatesses et des vices qui leur rendaient la civilisation méprisable. Comment eussent-ils considéré comme un ennemi celui qui bénissait leurs enfants, guérissait leurs malades, se faisait livrer ceux d’entre eux qu’on amenait prisonniers, leur servait à manger et à boire, et les renvoyait libres ? ’Eux aussi recherchaient ses entretiens comme ceux d’un prophète, et visitaient sa solitude comme un lieu de pèlerinage. Une troupe de ceux qu’on recrutait pour la garde des empereurs se pressait un jour à sa porte ; et, parmi eux, un jeune homme d’une haute stature baissait la tête pour entrer : « Va, lui dit Severin, tu n’es vêtu que de misérables peaux ; mais le temps vient où tu feras de grandes largesses. » Ce jeune homme fut Odoacre devenu maître de l’Italie, il se souvint du présage de l’anachorète, et, lui accorda la grâce d’un condamné. Une autre fois, comme les Alemans ravageaient le territoire de Passau, du il se trouvait alors, Gibold, leur roi, souhaita de le voir. L’homme de Dieu alla donc trouver le roi, et lui tint un langage si ferme, que le " barbare, troublé, promit de rendre ses captifs et d’épargner le pays on l’entendit ensuite déclarerà ses compagnons que jamais, en aucun péril de guerre, il n’avait tremblé si fort. Mais c’est surtout du fond de son monastère de Vienne qu’on voit Severin exercer son apostolat parmi les Rugiens, attirer leurs chefs dans sa cellule, s’appliquant à les détacher de l’hérésie, s’occupant aussi de leurs intérêts et de leurs dangers, leur conseillant d’aimer la paix et de ménager les faibles. Rien n’est plus beau que le récit de ses derniers moments, quand, averti de sa fin prochaine, il mande auprès de lui le roi Fléthée et la reine Gisa, fougueuse arienne dont il avait plus d’une fois combattu les violences. Après avoir exhorté le roi à se souvenir de Dieu et à traiter doucement ses sujets, il mit la main sur le cœur du barbare, et se tournant vers la reine : « Gisa, lui dit-il, aimes-tu cette âme plus que l’or et l’argent ? Et comme Gisa protestait qu’elle préférait son époux à tous les trésors : «Eh bien donc, reprit-il, cesse d’opprimer les justes, de peur que leur oppression ne soit votre ruine. Je vous supplie tous deux, en ce moment où je retourne à mon maître, de vous abstenir du mal, et d’honorer votre vie par des actions bienfaisantes. » L’histoire des invasions a bien des scènes pathétiques. Je n’en connais pas de plus instructive que l’agonie de ce vieux Romain expirant entre deux barbares, et moins touché de la ruine de l’empire que du péril de leurs âmes[14].

L’anachorète qui, défendit le Norique veillait en même temps dans l’intérêt de toute la chrétienté. Si le débordement des invasions se fût précipité d’un seul coup, il aurait submergé la civilisation. L’empire était ouvert, mais les peuples n’y devaient entrer qu’un à un ; et le sacerdoce chrétien se mit sur la brèche, afin de les retenir jusqu’au moment marqué, et, pour ainsi dire, jusqu’à l’appel de leur nom. Attila trouva saint Léon au passage du Mincio, comme saint Aignan sur les murs d’Orléans, et saint-Loup aux portes de Troyes. Saint Germain d’Auxerre arrêta Eocharich, roi des Alemans au cœur de la Gaule, comme sainte Severin avait contenu leurs bandes sur les chemins de l’Italie. La postérité ne sait pas assez ce qu’elle doit à ces grands serviteurs de la Providence, qui eurent la gloire peu commune, non de presser leur siècle, mais de le retarder. En des temps si désastreux, dix ans de délai pouvaient être le salut du monde. Peut-être si Odoacre, maître de Rome, usa de clémence s’il épargna les monuments, les lois, les écoles, et ne détruisit que le vain nom de l’empire, c’est qu’il se souvint, comme on l’a vu, du moine romain qui avait prédit sa victoire et béni sa jeunesse.

L’arianisme

chez les

Lombards.

Cependant ces grands effets de l’apostolat de Severin ne parurent pas d’abord. Six ans après sa mort, en 488, ses disciples persécutés chargèrent son corps sur leurs épaules, et allèrent chercher la. paix au delà des Alpes. Les Hérùles et les Rugiens demeurèrent hérétiques, et les Alemans païens. Quatre-vingts ans plus tard, quand les Lombards traversèrent ces contrées pour se jeter sur l’Italie, tel était leur attachement au paganisme, qu’ils se vantaient encore de vaincre par la protection de Freia et -de Woden. Les premiers pas de leur conquête furent marqués par le pillage des églises, le massacre des prêtres, et le martyre d’un grand nombre de chrétiens qui-refusèrent d’adorer une tête de chèvre ou de manger des viandes immolées. A la fin du septième siècle, les Lombards de Bénévent honoraient encore un dragon doré ; et, plus tard, le clergé de Milan ne put corriger le peuple du culte de la vipère, qu’en transportant l’image dans l’église, où elle représenta le serpent d’airain des Hébreux. Cependant les rois faisaient profession d’arianisme ; les lois d’Autharis défendaient de donner aux Lombards le baptême des catholiques; les évêques de l’hérésie envahissaient à main armée les basiliques des orthodoxes et si le zèle de saint Grégoire, la piété de Théodelinde et la sagesse du roi Aripert achevèrent la conversion des Lombards, cette nation ne se défit jamais d’un vieux levain de barbarie. Elle continua de trahir le vice de son origine par sa haine des Francs et sa haine des papes : c’est ainsi qu’elle devait arriver à cette inévitable ruine réservée aux peuples qui furent, les obstacles de la civilisation, au lieu d’en être les instruments[15] (1)

La prédication chrétienne n’avait plus qu’à tenter un dernier effort du côté de l’Occident : c’était par là, par ces Églises du Rhin, si inférieures a celles de Grèce et d’Italie en lumières, en richesse, en puissance, que la foi devait pousser-ses entreprises les plus hardies, pénétrer au delà des fleuves qui avaient arrêté les Romains, cerner la Germanie, et n’y plus laisser une forêt où le paganisme pût cacher ses mystères.

Là aussi, l’apostolat n’avait pas attendu la victoire des barbares pour aller au-devant d’eux. Dès l’an 396, Victricius, évêque de Rouen, prêchait sur les bords de l’Escaut, dans le voisinage de ces farouches tribus des Frisons qui, trois siècles plus tard, devaient faire encoredes martyrs. SaintPaulin de Nole écrit à Victricius ; il le félicite d’avoir ouvert au Christ la terré des Morini, reléguée aux dernières extrémités de l’univers, battue des flots d’un océan barbare. Au lieu des bandes ennemies qui infestaient les forêts et les plages désertes, maintenant des chœurs d’hommes angéliques peuplaient d’églises et de monastères les villes et les bourgades, et faisaient retentir de pieux concerts les îles et les’profondeurs des bois. Vers le même temps, les Marcomans, ces vieux ennemis de l’empire, établis dans le —pays qui fut la Souabe, embrassèrent le christianisme. Frigitil, leur reine, entendit raconter par un chrétien d’Italie les actions de saint Ambroise ; et elle voulut connaître le Dieu qui avait de si grands serviteurs. Elle envoya donc au saint des messagers et des présents, afin qu’il lui fit savoir comment elle devait croire et prier.Il répondit par une lettre admirable, où il résumait tous les dogmes et toutes les preuves de la foi. La reine, reconnaissante, persuada son époux et son peuple ; et les Marcomans convertis ne troublèrent plus le repos du monde. Tel était le pouvoir d’un nom dans un siècle où tous les pouvoirs humains périssaient. Arbogaste, ce Franc mercenaire qui fit un empereur, mangeant un jour avec plusieurs chefs de sa nation, ils lui demandèrent s’il connaissait Ambroise ; et comme il répondit qu’il en était aimé, et que souvent ils s’asseyaient tous deux à la même table : « Nous ne nous étonnons plus, s’écrièrent-ils, que tu battes tes ennemis, si tu es l’ami d’un homme qui dit au soleil : Arrête-toi et le soleil s’arrête». La foi pure et forte de l’Église des Gaules pénétrait peu à peu parmi ce grand nombre de barbares auxiliaires qui remplissaient les terres, les légions, les dignités de l’empire. Il semble que le christianisme, en s’assurant ainsi des héritiers présomptifs de la puissance romaine, avait pris enfin des garanties suffisantes, et que l’avenir ne pouvait lui échapper. Mais l’erreur devait encore le lui disputer longtemps[16] .

Ravages

de l'invasion.

Légende

de

sainte Ursule

Quand Radagaise,en 406, se précipita sur l’Italie à la tête d’une multitude innombrable qui alla périr misérablement dans les montagnes de la Toscane, ce ne fut pas, comme on l’a cru, l’emportement furieux d’un barbare, ce fut la résolution concertée de plusieurs peuples toute la Germanie était derrière lui, et pensait à ce coup en finir avec Rome. A la nouvelle du désastre de leur chef, les Suèves, les Alains et les Vandales, qui les suivaient de loin, tournèrent vers le Rhin, forcèrent le passage, et se répandirent sur la rive gauche, brûlant les villes, réduisant les citoyens en esclavage : au pillage des basiliques on reconnaît encore le plus grand nombre des conquérants pour des idolâtres. Une bande s’empara de Mayence, surprit les chrétiens rassemblés dans l’église au nombre de plusieurs milliers, et les passa au fil de l’épée. Jamais peut-être le paganisme ne parut plus près de venger ses humiliations qu’au moment où les Huns vinrent s’abattre sur les villes chrétiennes de la Gaule. A l’aspect de ces fils du désert conçus, disait-on, dans les embrassements des sorcières et des mauvais génies, qui l’on ne connaissait pas d’autre dieu qu’une épée plantée en terre ni d’autre culte que l’effusion du sang, les cœurs les plus fermes purent regretter les temps de Dèce et de Dioclétien. Les églises disparaissaient, et les dernières traces de culture s’effaçaient comme l’herbe sous les pieds des trois cent mille hommes qu’Attila traînait après lui. Besançon, Strasbourg, Worms, Mayence, Langres, Reims, Cambrai, Toul et Trèves, furent emportés il ne resta de Metz qu’une chapelle dédiée à saint Étienne ; les prêtres périrent au pied des autels qu’ils paraient ce jour-là pour célébrer la fête de Pâques[17]. Les Huns succombèrent dans les plaines de Châlons, mais cette lutte sanglante prolongea la terreur de leur passage. C’est au milieu de ces redoutables spectacles que la postérité encore émue plaça la belle légende de sainte Ursule. Ursule, fille d’un roi chrétien de la Grande-Bretagne, est demandée en mariage par un prince idolâtre : elle donne son consentement afin de sauver son père, mais on lui accordera trois ans pour jouir de sa virginité, et, pour présent de fiançailles, dix jeunes filles, de la plus pure noblesse des deux royaumes : chacune de ces dix sera, comme elle, suivie de mille compagnes. Alors elle fait équiper onze galères, et chaque jour elle exerce sa jeune troupe à déployer les voiles, à soulever les rames. Les courses de la flotte virginale charment la multitude rassemblée sur le rivage : ce sont les derniers jeux de ces filles de navigateurs. Un soir, le vent du nord s’élève ; les onze galères fuient sur l’Océan, arrivent aux bouches du Rhin, et le remontent jusqu’à Baie. Là, averties par un ange, les voyageuses prennent terre, et passent les Alpes pour accomplir le pèlerinage de Rome. Elles revenaient joyeuses et redescendaient le Rhin sur leurs navires ; déjà elles reconnaissaient des clochers de Cologne quand elles aperçurent les tentes des Huns campés autour de la ville. Enveloppées de toutes parts, brebis parmi les loups, entre le déshonneur et la mort, elles moururent jusqu’à la dernière. Ursule, menée aux pieds d’Attila, refusa de partager son trône et, percée d’un trait, la reine de cette blanche armée rejoignit ses compagnes dans le ciel. Voilà le poétique récit du moyen âge. Ces légions de vierges entourées par les païens, et tombant sous les flèches, n’étaient-elles pas l’image des jeunes chrétientés de Germanie étouffées dans leur fleur par l’invasion [18] ?

L’arianisme des Visigoths et des Vandales

Le même flot de barbares qui ramenait le paganisme en Occident y portait aussi l’hérésie. Ces fidèles Églises qui avaient persévéré dans la foi de Nicée, malgré les anathèmes des faux conciles et les édits des empereurs, virent reparaître l’arianisme plus menaçant que jamais, avec les bandes des Visigoths et des Vandales. Nous connaissons déjà les violences des Visigoths, et comment Euric leur roi poussa l’emportement jusqu’à ce point qu’il semblait, selon la parole de Sidoine, plutôt le chef d’une secte que celui d’un grand peuple. Mais aucune persécution n’égala celle des Vandales, quand Genseric, maître de Carthage, commença à bannir les évéques ; quand Huneric son fils fit enlever, en une seule fois, quatre mille neuf cents prêtres et laïques pour les jeter dans les déserts, et qu’enfin l’Église africaine compta quarante mille martyrs. Du reste, les Vandales comme les Goths et les Lombards éprouvèrent les effets de cette hérésie, fatale à la durée des nations. Leur empire périt au bout de quatre-vingts ans, sans laisser d’autres vestiges que le désordre des croyances, le relâchement des liens politiques, la diminution du peuple, et tous les maux qui livrèrent l’Afrique sans défense à l’épée des Sarrasins[19].

Les Bourguignons.

Les premiers conquérants des Gaules n’avaient passé le Rhin que pour s’enfoncer vers le midi. Les Bourguignons s’établirent au bord du fleuve et dans le pays de Worms, où le poëme national des Nibelungen place le séjour de leurs rois. Il semble que l’Église avait droit d’espérer mieux de ces vieux alliés de l’empire, qui faisaient gloire de se dire issus du sang romain. Dès l’an 417, le gros de la nation avait reçu des prêtres catholiques ; et les Gaulois vantaient la douceur de ces nouveaux maîtres, qui vivaient avec eux comme des frères. Quelque temps après, une dernière bande, encore païenne, franchit la frontière à son tour, se présenta devant l’évêque de la cité la plus proche, et, après sept jours de jeûne, reçut le baptême (450).

Mais la joie de ces conversions fut courte : sous le règne de Gondebaud (490), les Bourguignons devinrent ariens. Tel fut durant- longtemps le pouvoir de l’erreur dans la Gaule orientale, qu'en 452, s’il en faut croire les plus anciennes traditions de Mayence, les hérétiques égorgèrent Aureus, évêque de cette ville, pendant qu’il célébrait les saints mystères ; et qu’au sixième siècle.-Catulinus d’Embrun, chassé de son siège par les sectaires, se réfugiait à Vienne[20].

Au milieu du cinquième siècle, Salvien achevait d’écrire son livre du Gouvernement de Dieu. Il regardait autour de lui, et, parmi tant de nations qui couvraient le territoire de l’empire, il n’apercevait que des païens et des hérétiques. Du côté de l’idolâtrie, il voyait, les Saxons, les Francs, les Gépides ; les Alains, le reste, Visigoths, Ostrogoths, Hérules, Rugiens, Suèves et Vandales, appartenaient ou allaient appartenir à l’arianisme[21] (2). C’était donc vainement que l’Église avait compté sur les Germains. Elle s’était beaucoup promis de la simplicité de ces peuples, qui n’avaient encore abusé ni des lois, ni des arts, ni de la science, ni d’aucune des ressources de la nature humaine. Elle s’était efforcée de leur faire oublier par des bienfaits les exactions des proconsuls, les conquêtes meurtrières des empereurs, et tout ce qui avait rendu haïssable le nom romain. Dans ses conciles, elle avait résolu d’avance les difficultés du dogme, et réglé la discipline des mœurs, comme pour épargner à ces esprits inexpérimentés les dangers du doute. Elle avait pourvu à leur tutelle et leur éducation, en recueillant les traditions politiques et littéraires de l’antiquité. Enfin, le moment venu, elle les pressait par l’Orient et l’Occident, elle les visitait par ses évêques, ses moines, ses vierges sacrées. Et cependant elle n’avait réussi qu’à sauver les misérables ruines de l’antiquité. La civilisation lui restait ; mais elle voyait échapper l’une après l’autre les races qu’elle y devait faire entrer : le christianisme se conservait encore, mais la chrétienté ne se constituait pas.

Pressentiments

de Salvien


et de Paul Orose

Tant d’impuissance après tant d’efforts accusait la politique de l’Église, et les païens lui reprochèrent d’avoir appelé les invasions. Les sages purent blâmer l’opiniâtreté de ce dogme qui ne savait pas céder aux exigences des temps : les Ariens se seraient chargés de sauver le monde. D’autres s’en prenaient à la Providence ; et, dans ce grand désordre où tombèrent les choses humaines, quand Rome eut cessé d’en être maîtresse, on put douter qu’une autre sagesse les gouvernât. Le christianisme ne douta point ; il ne désespéra pas des barbares, il ne se repentit point d’avoir pris leur parti dès le commencement, -lorsqu’ils ne servaient encore qu’à pourvoir les marchés d’esclaves et les tueries de gladiateurs. Saint Paul les avait déclarés égaux aux Grecs ; Salvien les mit au-dessus des Romains de son temps : « Vous pensez être meilleurs que les barbares ; ils sont hérétiques, dites-vous, et vous êtes orthodoxes. Je réponds que par la foi nous sommes meilleurs ; mais par notre vie, je dis avec larmes que nous sommes pires. Vous connaissez la loi, et vous la violez ; ils sont hérétiques, et ne le savent pas. Les Goths sont perfides, mais pudiques ; les Alains, voluptueux, mais fidèles ; les Francs, menteurs, mais hospitaliers ; la cruauté des Saxons fait horreur, mais on loue leur chasteté. Et nous nous étonnons que Dieu ait livré nos provinces aux barbares, quand leur pudeur purifie la terre encore toute souillée des débauches romaines[22].  » En même temps Paul Orose, disciple de saint Augustin, tout pénétré des rassurantes doctrines de la Cité de Dieu, écrivait ces paroles prophétiques : « Si les conquêtes d’Alexandre vous semblent glorieuses à cause de cet héroïsme qui lui soumit tant de ;si vous ne détestez point en lui le perturbateur des nations, plusieurs loueront aussi le temps présent, vanteront les vainqueurs, et tiendront nos malheurs pour .des bienfaits. Mais on dira «Les barbares sont les ennemis de l’Etat. » Je répondrai que tout l’Orient pensait de même d’Alexandre et les Romains ne parurent pas meilleurs aux peuples ignorés dont ils allèrent troubler le repos. « Mais, dites-vous, les Grecs établissaient des empires : les Germains les renversent. » Autres sont les ravages de la guerre, autres les conseils qui suivent la victoire. Les Macédoniens commencèrent par dompter les peuples qu’ils policèrent ensuite. Les Germains bouleversent maintenant toute la terre ; mais si (ce qu’à Dieu ne plaise !) ils finissaient par en demeurer maîtres et par la gouverner selon leurs mœurs, peut-être un jour la postérité saluerait elle du titre de grands rois ceux en qui nous ne savons encore voir que des ennemis[23] . Tout le génie chrétien est dans ce passage ; et la restriction même qu’on y surprend est admirable comme le dernier cri du patriotisme antique qui ne peut se contenir, mais qui ne se refuse pas aux nouveaux desseins de Dieu sur l’univers. La lumière se fait, et, du milieu des invasions, on voit sortir un monde qui s’achèvera quand il aura trouvé ses maîtres. Mais il fallait les trouver.

Vocation des Francs. Baptême de Clovis

Le jour de Noël 496, l’évêque Remi attendait sur la porte de la cathédrale de Reims. Des voiles peints, suspendus aux maisons voisines, ombrageaient le parvis. Les portiques étaient tendus de blanches draperies. Les fonts étaient préparés et les baumes versés sur le marbre. Les cierges odorants étincelaient de toutes parts ; et tel fut le sentiment de piété qui se répandit dans le saint lieu, que les barbares se crurent au milieu des parfums du paradis. Le chef d’une tribu guerrière descendit dans le bassin baptismal : trois mille compagnons l’y suivirent. Et quand ils en sortirent chrétiens, on aurait pu voir en sortir avec eux quatorze siècles d’empire, toute la chevalerie, les croisades, la scolastique ; c’est-à-dire tout l’héroïsme, la liberté, les lumières —modernes. Une grande nation commençait dans le monde : c’étaient les Francs[24]

L’Église le comprit. Ces illustres évêques des Gaules, qui veillaient depuis cent cinquante ans, pour attendre l’heure de Dieu, sentirent qu’elle était venue. Saint Remi reconnut dans son néophyte un nouveau Constantin. Saint Avitus de Vienne écrivit : « L’Occident a trouvé sa lumière. »

Le pape Anastase, peu de jours après son élection, adressa une lettre à Clovis « Nous nous félicitons, notre glorieux fils de votre avénement à la foi chrétienne, qui s’est rencontré avec le nôtre au souverain pontificat  ; car le siége de Pierre, en une si grande occasion, ne peut point ne pas tressaillir de joie quand il voit la plénitude des nations accourir à lui à pas pressés et se remplir, a dans l’espace des temps, le filet mystérieux que le pêcheur d’hommes a jeté en pleine eau, sur la parole du Christ[25].

  1. Jornandès, de Rebus Geticis, 16, 17, 18, 20.
  2. Sozomène. VI, 37 Ἀπερισκέπτος οἶμαι μέτασχών τοῖς ἀμφὶ Εὐδὸξιον καὶ Ἀκάκιον τῆς εν Κονσταντινουπόλει συνόδου διεμέινε κοινω νῶν τοἶς ἰερεῦσι τῶν εν Νικαίᾳ συνελθόντων.
  3. Philostorge, II, 5. Socrate, lib. II !, cap. XLI. Sozomène, lib. VI. Metaphraste, ad diem 15 Sept. Jornandès, de Rebus Geticis, cap. LI. Cf. Baronius, ad ann. 370. Bolland., Act. SS. Septemb. 15. Ulphilas, herausgegeben von J. Ch. Zühn (Weissenfels, 1805). M. Waitz (Ueber das Leben und die Lehre des Ulfila) a publié les fragments inédits d’un discours prononcé au concile d’Aquilée, en 581, par Auxentius, arien, et disciple d’Utphilas. Auxentius y loue son maître dans les termes les plus magnifiques, le comparant à tout ce que l’Ancien Testament a de plus grand, à Joseph, à Moïse, à David, au prophète Élisée. Il le vante d’avoir prêché la doctrine d’Arius dans toute sa rigueur, en repoussant également ceux qui font le Fils consubstantiel au Père, et ceux qui le font semblable. Selon lui, Ulphilas, après être resté lecteur jusqu’à l’âge de trente ans, aurait été ordonné évêque en 548 sept ans après, une persécution violente l’aurait contraint de se réfugier avec son peuple sur le territoire de l’empire, où l’empereur Constance leur assigna des terres. Il y serait demeuré trente-trois ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort. Auxentius ajoute qu’Ulphilas écrivit et prêcha dans les trois langues des Goths, des Grecs et des Latins. M. Waitz, dans la savante dissertation qui accompagne ces fragments, ne peut dissimuler combien le témoignage d’Auxentius est suspect en ce qui touche aux intérêts de l’arianisme. Sozomène et Théodoret s’accordent complètement à représenter Ulphilas attaché premièrement à la foi de Nicée, et plus tard entraîné à l’hérésie par les évêques ariens. La difficulté est plus grande en ce qui touche l’époque de sa chute. Si l’on s’attache à Auxentius, il semble qu’Ulphilas dut embrasser la communion de Constance en 355, quand il se serait réfugié sur les terres de l’empire mais aucun autre historien n’a mentionné un établissement des Goths dans l’empire d’Orient à cette époque. Selon Socrate, les Goths de Fritigern seraient devenus ariens quand ils reçurent les secours de Valens ; et Tillemont, VI, ’798, démontre que cette guerre civile des Goths et l’intervention des Romains précédèrent l’invasion des Huns, qui rejeta définitivement une partie de la nation gothique au delà du Danube, en 376. Enfin, c’est à cette dernière époque que Sozomène et Théodoret placent l’apostasie d’Ulphilas, avec les’circonstances qu’on verra plus bas, et qui prètent une extrême vraisemblance à leurs récits. Du reste, M. Waitz reconnait avec nous que les Goths professèrent d’abord l’orthodoxie.
  4. Métaphraste, ad d. 15 Sept. Bolland., Acta SS. Martii . Parmi les noms des martyrs de ce jour que les menées grecques ont conservés et défigurés, il en est plusieurs dont il est facile de reconnaitre l’étymologie toute germanique : Bathusis, Verkas, Sigitxat, Sverilas, Svimblas. Acta S. Nicetae, ap. Bolland., Septembr. 15. Acta S.Sabae , Boll. April 12. Sozomène, lib. VI, cap. XXXVII; Saint Epiphane,Haeres., 70. S. Ambroise, In Lucam, 2 . Saint Augustin, de Civitate Dei, lib. XVIII, 52. « Rex Gothorum in ipsa Gothia persecutus est Christianos crudelitate mirabili, cum ibi non essent nisi catholici, quorum plurimi martyrio coronati sunt, sicut a quibusdam fratribus qui hinc ibi fuerant et se vidisse incunctanter recordabantur, audivimus.»
  5. S. Hieronym., Quaest. hebraic. in Genes. et Epistol. 2 « Getarum rutilus et flavus exercitus ecclesiarum circumfert tentoria.» S. J. Chrysost., Epist. 69. Saint Paulin, carmen 30 :

    Ibis illabens pelago jacenti,
    Et rate armata titulo salutis,
    Victor antenna crucis ibis, undis
    Tutus et austris.
    Navitae laeti solitum celeusma
    Concinent versis modulis in hymnos,
    Et piis ducent comites in aequor
    Vocibus auras, etc.

  6. Paul Orose, VII, 28. « Hymnus Romanis barbarisque concinentibus publice canitur. Personat late, in excidio urbis, salutis tuba, omnesque etiam in abditis latentes invitât ac pulsat. Concurrunt ad vasa Petri vasa Christi. Plurimi pagani christianis,, professione, si non fide, admiscentur, et per hoc tamen ad tempus, quo magis confundantur, evadunt. » Cf. saint Augustin, de Civit. Dei, I, 7;IV, 29.
  7. Epiphan., Haereses-, 70.
  8. Théodoret, IV, 37 : Τοῦτον ϰαὶ λόγοις ϰαταϰηλήσας Εὐδόξιος ϰαὶ χρήμασι δελελεάσας πεῖσαι παρεσϰεύασε τοὺς βαρϐάρους τήν βασιλέως ϰοινωνίαν ἀσπάσασθαι… ϰαὶ γὰρ Οὐλφίλας Εὐδοξίῳ ϰαὶ Οὐάλεντι ϰοινωνῆσαι πείθων αὐτοὺς, οὐϰ εἶναι δογμάτων ἔφη διαφοράν, ἀλλὸ παταίαν, ἔριν ἐργάσασθαι τὴν διάστασιν. Cf Sozomène, VI, 37.
  9. Parmi les admirables églises de Ravenne, il y en a trois qu’on croit bâties par les ariens : Saint-Apollinaire le Neuf, Saint Esprit et le baptistère de Sainte-Marie in Cosmedin, dont on attribue les mosaïques a l’archevèque saint Agnctius, après qu’il eut rendu cet édifice au culte catholique. Mais les catholiques avaient déjà un baptistère, le même qu’on admire aujourd’hui auprès de la cathédrale et la discipline de ce temps ne permettait pas de baptiser en deux endroits. Les mosaïques de Sainte-Marie in Cosmedin se rapportant toutes l'idee du baptême, il faut donc les reconnaitre pour l'œuvre des ariens, qui seuls y ont administre le sacrement. Au sommet de la voûte on a représenté le baptême du Sauveur dans le Jourdain. Le fleuve y est figuré à la manière des anciens, par un vieillard versant une urne. Au-dessous, les douze apôtres, séparés par des palmiers, et tenant des couronnes, à l’exception de saint Pierre et de saint Paul dont le premier porte des clefs, et le second des livres. Entre ces deux apôtres, la croix est placée sur un trône couvert de tapis précieux.
  10. En ce qui touche les véritables causes de la persécution de Theodoric, il faut consulter l’Anonyme de Valois « Qui Eutharicus nimis asper fuit, et contra fidem catholicam inimicus. Exeo enim invenit diabolus locum, quemadmodum hominem bene rempublicam sine querela gubernantem, subreperet. Nam mox jussit ad fonticulos in proastio civitatis Veronensis oratorium S. Stephani, idem situm altarium subverti. Item ut nullus Romanus arma usque ad cultellum uteretur vetuit. » « Symmachus, scholasticus Judœus, jubente non rege sed tyranno dictavit praecepta die IV° feria sept. kalend. Septembr. indict.IV, ut die dominica adveniente, ariani basilicas catholicas invaderent».
  11. Bolland., Acta SS. 8 Januar.Pez, Script. rer. Austr., I, p 96.Hansitz, German. Sacra, I, 69. Aucun doute ne peut s’élever sur l’authenticité de cette Vie, dont l’auteur est connu et cité par Isidore de Séville, de Vir. illust. ca. XIII. Honor. Augustodun., de Luminar. eccles., 13. L’un des traits les plus frappants de la vie de saint Severin, son entrevue avec Odoacre, se trouve aussi dans l’Anonyme de Valois. Cf : Rettberg, Kirchengeschichte, I, 227. Muchar,Noricum II.
  12. Vita ap. Bolland., cap. i « Tempore quo Attila, rei Hunnorum, defunctus est, utraque Pannonia et cetera Danubii confinia rebus turbabantur ambiguis. » Cf. cap. ii, vi, vii. – Les Rugiens étaient inquiétés par les incursions des Thuringiens et par les Goths, qui leur fermaient l’entrée de l’Italie cap. ii et vi. Sur l’abandon des garnisons, cap. ii et vii. Sur l’opiniâtreté des pratiques païennes, cap. IV.
  13. Sur la naissance et ta patrie de saint Severin, voyez les doutes de son disciple Eugippius, dans l’épitre dédicatoire qui précède la Vie. Sa prédication, ses austérités, ses miracle, cap. I, II, IV, VII, VIII, X.. Levée des dimes, organisation des secours publics, cap. VI et VIII. Actions militaires, cap.II, VIII, IX. Traité avec le roi des Rugiens, cap. IX.
  14. Sur les rapports de saint Severin avec les barbares, cap. II et passim. Odoacre, cap. II et IX. Gibold, cap. VI. Fléthée et Gisa, cap. III, IX.
  15. ’Le Norique après la mort de saint Severin, translation de ses reliques, Vit. ap. Bolland., cap. XII.–Les Lombards, Paul diacre, I Saint Grégoire, Dialog.III, 22, 27, Acta SS., Febr.3. Vita S. Barbati.
  16. Baronius, ad ann. 396. Saint Paulin, epist. 28, ad Vitricium Rothomagensem. Vita S.Ambrosii : auctore Paulino. Arbogastes... cum in convivio a regibus gentis suae interrogaretur utrum sciret Ambrosium, et respondisset nosse se virum et diligi ab eo, atque fréquenter cum illo convivari solitum, audivit : « Inde hoc vincis omnes, quia ab illo viro diligeris qui dicit soli : Sta, et stat. »
  17. Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale, I. Paul Orose. VII, 26. Cf. Prosper. Aquit. Nicolai Serarii,Rerum Moguntinensium, lib. V. Werner, der Dom von Mainz. Gregor. Turonens., lib. Il, 6.
  18. J’ai suivi l’une des plus anciennes versions de la légende, celle de Sigebert de Gembloux (Chronic. ad ann. 453). On la trouvera plus développée et sous les plus vives couleurs poétiques dans le récit recueilli par Surius. La première trace de cette tradition, inconnue aux martyrologes d’Adon, de Rhabanus Manrus, et de Notker, se trouve dans celui de Wandelberg au neuvième siècle, apud d’Achery, Spicilegium, Il, 54.

    Tum numerosa simul Rheni per littora fulgent
    Christo virgineis erecta tropaea maniplis, y
    Agrippinae urbi, quarum furor impius olim
    Millia mactavit ductricibus inclyta sanctis.

    Ce n’est pas ici le lieu de chercher le fondement historique de cette légende. Elle pourrait trouver son explication dans cette mention d’un ancien missel cité par Grandidier, Histoire de l’Église de Strasbourg I, p.147 « Ursula ; et Undecimillae, et sociarum virginum et martyrum ». Mais j’inclinerais plutôt à y reconnaître la fausse interprétation de ces initiales latines XI. M. V. « Undecim Martyres Virgines. » Je trouvé en effet dans un calendrier de l’église de Cologne au neuvième siècle, publié par Binterim (Colon., 1824), les noms d’Ursule et de dix compagnes, Ursula, Sancia, Gregoria, Pinosa, Martha, Saula, Britula, Santina, Rabacia, Saturia, Palladia.Cf. Bolland., Acta SS., Junii, t. VI, p. 22. Coelnische Rheim Chronik, V, 152 et suiv. Rettberg, Kirchengeschichte, t I, piij. Binterim, Erzdiocese Coeln. I, 66.

  19. Sidon. Apollinar., Epist. Victor Vitensis, Hist. persec. Vandal. Vita S. Fulgentii apud Biblioth. Patr. Max., t. IX.
  20. Oros., lib. VII, c. XXXII. Socrat., Hist. eccles., VII, 30. Ammian., XXVIII, 5 « Jam inde temporibus priscis soholem se esse Romanam Burgundii sciunt. » Aviti Viennensis Epist. Saint Aureus est mentionné au martyrologe de Rhabanus Maurus, ap. Canisil Lectiones antiq., II, 2, p. 331. Cf. Serarius, Rerum Moguntin. II. Werner, Der Dom von Mainz.
  21. Salvien, de Gubernatione Dei, lib. IV « Duo enim genera in omni gente barbarorum sunt, id est aut haereticorum aut paganorum.»
  22. Salvien, de Gubernatione Dei, lib. IV. «  Certe, inquit aliquis peccator et malignissimus, meliores barbaris sumus et hoc utique manifestum est quod non respicit res humanas Deus. An meliores barbaris simus jam videbimus. » Ibid., V, VII. Cf. saint Augustin, de Civitate , I, 7; IV, 29.
  23. Paul Orose, lib.III; cf. lib. VII.
  24. Gregor.Turon.II… « Talemque ibi gratiam astantibus Deus tribuit, ut aestimarent s e paradisi odoribus collocari ». Grégoire de Tours réduit le nombre des Francs baptisés à trois mille : Frédégaire les porte à six mille. Hincmar les concilie en comptant trois mille guerriers, leurs femmes et leurs enfants.
  25. Epist. 41 Aviti Viennensis.« Vestra fides nostra victoria est....Gaudeat quidem Graecia habere se principem legis nostrœ Si quidem et in Occidentis partibus in rege non novo novi jubaris lumen effulgurat.» Greg. Tur., II, 31. - Epist. Anastasii papae apud d’Achery,Spici. III,304.pist. 41 Aviti Viennensis. « Vestra fides nostra Victoria est.