Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Introduction/4

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome Ip. 273-311).



IV

LA MATIÈRE SES PROPRIÉTÉS ET SON ÉVOLUTION. IDÉES DE BUFFON. IDÉES MODERNES.


On ne saurait faire un grand reproche à Buffon de n’avoir eu que des idées très peu nettes relativement à la constitution et aux propriétés de la matière. À l’époque où il vivait, la physique et la chimie, cette dernière science surtout, n’avaient encore fait que bien peu de progrès. On n’avait analysé qu’un tout petit nombre de corps ; on ne connaissait que très imparfaitement ceux qu’il est le plus indispensable de bien connaître, pour saisir les rapports des substances matérielles. L’oxygène, le carbone, l’hydrogène, l’azote n’avaient été pour ainsi dire qu’entrevus. On peut dire que les bases mêmes de la chimie n’étaient pas encore posées. Quant à la physique, quoique plus avancée, elle n’avait encore résolu aucun des vastes problèmes avec lesquels nous nous jouons presque à l’heure actuelle. Newton avait montré les effets puissants de l’attraction, Descartes avait plongé un regard indiscret dans les mystères du magnétisme, on connaissait assez bien quelques unes des lois de la chaleur, de la lumière et du son ; mais on considérait encore la chaleur, la lumière, l’électricité comme des substances matérielles.

Nature de la lumière, de la chaleur et de l’électricité d’après Buffon. Buffon parle encore des « atomes » de la lumière, et les représente comme « les plus petits que nous connaissions »[1].

Il dit encore[2] que « la lumière, la chaleur et le feu ne sont pas des matières particulières, des matières différentes de toute autre matière ; ce n’est toujours que la même matière qui n’a subi d’autre altération, d’autre modification qu’une grande division de parties, et une direction de mouvement en sens contraire par l’effet du choc et de la réaction. »

Puis il ajoute : « Ce qui prouve assez évidemment que cette matière du feu et de la lumière n’est pas une substance différente de toute autre matière, c’est qu’elle conserve toutes les qualités essentielles, et même la plupart des attributs de la matière commune : 1o la lumière, quoique composée de particules presque infiniment petites, est néanmoins encore divisible, puisque avec le prisme on sépare les uns des autres les rayons, ou, pour parler plus clairement, les atomes différemment colorés ; 2o la lumière, quoique douée en apparence d’une qualité tout opposée à celle de la pesanteur, c’est-à-dire d’une volatilité qu’on croirait lui être essentielle, est néanmoins pesante comme toute autre matière, puisqu’elle fléchit toutes les fois qu’elle passe auprès des autres corps, et qu’elle se trouve à portée de leur sphère d’attraction ; je dois même dire qu’elle est fort pesante, relativement à son volume qui est d’une petitesse extrême, puisque la vitesse immense avec laquelle la lumière se meut en ligne directe ne l’empêche pas d’éprouver assez d’attraction près des autres corps pour que sa direction s’incline et change d’une manière très sensible à nos yeux ; 3o la substance de la lumière n’est pas plus simple que celle de toute autre matière, puisqu’elle est composée de parties d’inégale pesanteur, que le rayon rouge est beaucoup plus pesant que le rayon violet, et qu’entre ces deux extrêmes elle contient une infinité de rayons intermédiaires qui approchent plus ou moins de la pesanteur du rayon rouge ou de la légèreté du rayon violet : toutes ces conséquences dérivent nécessairement des phénomènes de l’inflexion de la lumière et de sa réfraction, qui, dans le réel, n’est qu’une inflexion qui s’opère lorsque la lumière passe à travers les corps transparents ; 4o on peut démontrer que la lumière est massive, et qu’elle agit, dans quelques cas, comme agissent tous les autres corps ; car, indépendamment de son effet ordinaire qui est de briller à nos yeux, et de son action propre accompagnée d’éclat et souvent de chaleur, elle agit par sa masse lorsqu’on la condense en la réunissant ; et elle agit au point de mettre en mouvement des corps assez pesants placés au foyer d’un bon miroir ardent ; elle fait tourner une aiguille sur un pivot placé à son foyer ; elle pousse, déplace et chasse les feuilles d’or ou d’argent qu’on lui présente avant de les fondre ; et même avant de les échauffer sensiblement. Cette action produite par sa masse est la première, et précède celle de la chaleur ; elle s’opère entre la lumière condensée et les feuilles de métal, de la même façon qu’elle s’opère entre deux autres corps qui deviennent contigus, et par conséquent la lumière a encore cette propriété commune avec toute autre matière ; 5o enfin, on sera forcé de convenir que la lumière est un mixte, c’est-à-dire une matière composée comme la matière commune, non seulement de parties plus grosses et plus petites, plus ou moins pesantes, plus ou moins mobiles, mais encore différemment figurées ; quiconque aura réfléchi sur les phénomènes que Newton appelle les accès de facile réflexion et de facile transmission de la lumière, et sur les effets de la double réfraction du cristal de roche, et du spath appelé cristal d’Islande, ne pourra s’empêcher de reconnaître que les atomes de la lumière ont plusieurs côtés, plusieurs faces différentes, qui, selon qu’elles se présentent, produisent constamment des effets différents. »

Plus loin[3] : « Toute matière peut devenir lumière dès que, toute cohérence étant détruite, elle se trouvera divisée en molécules suffisamment petites, et que ces molécules étant en liberté seront déterminées par leur attraction mutuelle à se précipiter les unes contre les autres : dans l’instant du choc la force répulsive s’exercera, les molécules se fuiront en tous sens avec une vitesse presque infinie, laquelle néanmoins n’est qu’égale à leur vitesse acquise au moment du contact… Et de même, que toute matière peut se convertir en lumière par la division et la répulsion de ses parties excessivement divisées lorsqu’elles éprouvent un choc des unes contre les autres, la lumière peut aussi se convertir en toute autre matière par l’addition de ses propres parties, accumulées par l’attraction des autres corps. Nous verrons, dans la suite, que tous les éléments sont convertibles ; et si l’on a douté que la lumière, qui paraît être l’élément le plus simple, pût se convertir en substance solide, c’est que d’une part, on n’a pas fait assez d’attention à tous les phénomènes, et que d’autre part on était dans le préjugé, qu’étant essentiellement volatile, elle ne pouvait jamais devenir fixe. Mais n’avons-nous pas prouvé que la fixité et la volatilité dépendent de la même force, attractive dans le premier cas, devenue répulsive dans le second ? Et dès lors ne sommes-nous pas fondés à croire que ce changement de la matière fixe en lumière, et de la lumière en matière fixe, est une des plus fréquentes opérations de la nature ? »

Il considère la lumière, la chaleur et le feu comme « trois choses différentes ». « Dans le point de vue général, dit-il[4], la lumière, la chaleur et le feu ne font qu’un seul objet, mais dans le point de vue particulier ce sont trois objets distincts, trois choses qui, quoique se ressemblant par un grand nombre de propriétés, diffèrent néanmoins par un petit nombre d’autres propriétés assez essentielles pour qu’on puisse les regarder comme trois choses différentes, et qu’on puisse les comparer une à une. »

Il s’élève contre l’opinion qui considère la chaleur comme « un attribut de la lumière et du feu[5] » ; il veut que la chaleur soit une substance matérielle ; et il dit : « Quoique les molécules de la chaleur soient excessivement petites, puisqu’elles pénètrent les corps les plus compacts, il me semble néanmoins que l’on peut démontrer qu’elles sont bien plus grosses que celles de la lumière ; » l’argument qu’il invoque à l’appui de cette opinion, c’est que « on fait de la chaleur avec la lumière en la réunissant en grande quantité », et que « d’ailleurs, la chaleur agissant sur le sens du toucher, il est nécessaire que son action soit proportionnée à la grossièreté de ce sens, comme la délicatesse des organes de la vue paraît l’être à l’extrême finesse des parties de la lumière. »

Le passage suivant est fort curieux : « Le principe de toute chaleur, dit Buffon[6], paraît être l’attrition des corps ; tout frottement, c’est-à-dire tout mouvement en sens contraire entre des matières solides, produit de la chaleur, et si ce même effet n’arrive pas dans les fluides, c’est parce que leurs parties ne se touchent pas d’assez près pour pouvoir être frottées les unes contre les autres, et qu’ayant peu d’adhérence entre elles, leur résistance au choc des autres corps est trop faible pour que la chaleur puisse naître ou se manifester à un degré sensible ; mais dans ce cas, on voit souvent de la lumière produite par ce frottement d’un fluide sans sentir de la chaleur. Tous les corps, soit en petit ou en grand volume, s’échauffent dès qu’ils se rencontrent en sens contraire : la chaleur est donc produite par le mouvement de toute matière palpable et d’un volume quelconque, au lieu que la production de la lumière qui se fait aussi par le mouvement en sens contraire, suppose de plus la division de la matière en parties très petites ; et comme cette opération de la nature est la même pour la production de la chaleur et celle de la lumière, que c’est le mouvement en sens contraire, la rencontre des corps qui produisent l’un et l’autre, on doit en conclure que les atomes de la lumière sont solides par eux-mêmes, et qu’ils sont chauds au moment de leur naissance ; mais on ne peut pas également assurer qu’ils conservent leur chaleur au même degré que leur lumière, ni qu’ils ne cessent pas d’être chauds avant de cesser d’être lumineux. Des expériences familières paraissent indiquer que la chaleur de la lumière du soleil augmente en passant à travers une glace plane, quoique la quantité de la lumière soit diminuée considérablement par la réflexion qui se fait à la surface extérieure de la glace, et que la matière même du verre en retienne une certaine quantité. D’autres expériences plus recherchées semblent prouver que la lumière augmente de chaleur à mesure qu’elle traverse une plus grande épaisseur de notre atmosphère. »

Un autre fait l’a frappé et lui sert à distinguer la chaleur de la lumière : « Ce qui mettrait encore, dit-il[7], une différence bien essentielle entre ces deux modifications de la matière, c’est que la chaleur qui pénètre tous les corps ne parait se fixer dans aucun et ne s’y arrêter que peu de temps, au lieu que la lumière s’incorpore, s’amortit et s’éteint dans tous ceux qui ne la réfléchissent pas, ou qui ne la laissent pas passer librement. »

Il distingue encore le feu de la chaleur : « Le feu qui ne paraît être à première vue, dit-il[8], qu’un composé de chaleur et de lumière, ne serait-il pas encore une modification de la matière qu’on doive considérer à part, quoiqu’elle ne diffère pas essentiellement de l’une ou de l’autre, et encore moins des deux prises ensemble ? »

Enfin il suppose que tous les corps qui ont reçu de la chaleur, de la lumière ou du feu augmentent de poids, puisque les « particules de lumière et de chaleur » se sont mêlées à leur matière.

En résumé, pour Buffon, la chaleur et la lumière représentent un état particulier de la matière, caractérisé par une division plus ou moins grande des parties constituantes. Quant à l’électricité et au magnétisme, il en parle tantôt comme de « forces de la nature », tantôt comme de « fluides ». Je lis en un point[9] : « En général la force magnétique n’agit que sur le fer ou sur les matières qui en contiennent ; de même la force électrique ne se produit que dans certaines matières, telles que l’ambre, les résines, les verres et les autres substances qu’on appelle électriques par elles-mêmes, quoiqu’elle puisse se communiquer à tous les corps. » Mais à la même page, il dit : « Les phénomènes électriques que nous pouvons produire augmentent en effet ou diminuent de force, et même sont quelquefois totalement supprimés, suivant qu’il y a plus ou moins d’humidité dans l’air, que le fluide électrique est plus ou moins répandu dans l’atmosphère, et que les nuages orageux y sont plus ou moins accumulés. De même les barres de fer, que l’on veut aimanter par la seule exposition aux impressions du magnétisme général, acquièrent plus ou moins promptement la vertu magnétique, suivant que le fluide électrique est plus ou moins abondant dans l’atmosphère ; et les aiguilles des boussoles éprouvent des variations, tant périodiques qu’irrégulières, qui ne paraissent dépendre que du plus ou moins de force de l’électricité de l’air. »

Tout cela manque singulièrement de précision. « Fluide magnétique, fluide électrique, vertu magnétique, force électrique ou magnétisme » sont des termes vagues et contradictoires ; « une force et une vertu » ne peuvent pas être un « fluide » ; et réciproquement un « fluide » qui est un corps matériel ne peut être ni une « vertu » ni une « force. »

Si j’ai tant insisté sur l’opinion de Buffon relativement à ces questions, c’est parce qu’elle est de nature à nous donner une idée exacte de l’état de la science à son époque. La lumière, la chaleur, l’électricité, n’avaient été encore étudiées que dans leurs manifestations extérieures les plus faciles à percevoir. Il était réservé à la science moderne d’en pénétrer les mystères et d’en dévoiler la nature.

L’attraction d’après Buffon. Parmi les propriétés vraies ou prétendues de la matière, il en est une sur laquelle Buffon insiste d’une façon toute particulière, c’est celle qui a reçu le nom d’attraction. Pour lui comme pour Newton l’attraction est une « propriété générale » de la matière, une qualité sans laquelle la matière ne serait pas concevable.

Buffon critique vivement Euler qui, après avoir admis avec Descartes l’existence d’une « matière magnétique plus subtile que tout autre matière subtile[10] » circulant dans « les conduits et les pores de l’aimant », a « cru pouvoir démontrer la cause de l’attraction universelle par l’action du même fluide qui selon lui produit le magnétisme. » Et il ajoute : « Cette prétention quoique vaine et mal conçue n’a pas manqué de prévaloir dans l’esprit de quelques physiciens ; et cependant si l’on considère sans préjugés la nature et ses effets et si l’on réfléchit sur les forces d’attractions et d’impulsions qui l’animent, on reconnaîtra que leurs causes ne peuvent ni s’expliquer, ni même se concevoir par cette mécanique matérielle, qui n’admet que ce qui tombe sous nos sens et rejette, en quelque sorte, ce qui n’est aperçu que par l’esprit ; et de fait, l’action de la pesanteur ou de l’attraction peut-elle se rapporter à des effets mécaniques, et s’expliquer par des causes secondaires puisque cette attraction est une force générale, une propriété primitive et un attribut essentiel de la matière ? Ne suffit-il pas de savoir que toute matière s’attire et que cette force s’exerce non seulement dans toutes les parties de la masse du globe terrestre, mais s’étend même depuis le soleil jusqu’aux corps les plus éloignés dans notre univers, pour être convaincu que la cause de cette attraction ne peut nous être connue, puisque son effet étant universel et s’exerçant généralement dans toute matière, cette cause ne nous offre aucune différence, aucun point de comparaison, ni par conséquent, aucun indice de connaissance, aucun moyen d’explication. En se souvenant donc que nous ne pouvons rien juger que par comparaison, nous verrons clairement qu’il est non seulement vain, mais absurde de vouloir rechercher et expliquer la cause d’un effet général et commun à toute matière, tel que l’attraction universelle, et qu’on doit se borner à regarder cet effet général comme une vraie cause à laquelle on doit rapporter les autres forces, en comparant leurs différents effets ; et si nous comparons l’attraction magnétique à l’attraction universelle, nous verrons qu’elles diffèrent très essentiellement. L’aimant est, comme toute autre matière, sujet aux lois de l’attraction générale, et en même temps, il semble posséder une force attractive particulière et qui ne s’exerce que sur le fer ou sur un autre aimant. »

La « force attractive » de l’aimant à laquelle il ajoute une « force directive » lui paraît être « extérieure » à l’aimant lui-même ; « elle existe à part, et n’en existerait pas moins quand il n’y aurait point de fer ni d’aimant dans le monde ; mais il est vrai qu’elle ne produirait pas les mêmes effets qui, tous, dépendent du rapport particulier que la matière ferrugineuse se trouve avoir avec l’action de cette force[11]. »

Je ne veux pas insister davantage sur ce sujet. Malgré l’obscurité qui règne dans les opinions de Buffon, nous possédons maintenant les éléments nécessaires pour en dégager les traits principaux. Pour le savant naturaliste, la chaleur, la lumière, le feu, sont des matières divisées en particules plus ou moins petites ; l’électricité et le magnétisme sont des « forces » particulières, extérieures aux corps magnétiques ou électrisés ; enfin, l’attraction est une « propriété générale » de la matière, ce qu’il appelle une « vraie cause ».

Je reviendrai plus tard à la chaleur, à la lumière et à l’électricité. Je veux d’abord examiner la question de « l’attraction universelle » qui est la plus importante et dont la solution entraîne celle de tous les grands problèmes physiques.

On sait que Newton expliquait les rapports fixes qui existent entre les corps célestes et les mouvements dont ces corps sont doués par une force d’attraction qui tendrait à les faire tomber les uns sur les autres comme une pierre tombe sur le sol, faisant équilibre à la force d’impulsion dont ils sont doués. Tous les faits naturels pouvant être expliqués à l’aide des lois de l’attraction, les physiciens n’hésitèrent pas à admettre l’existence d’une force d’attraction, inhérente à toutes les particules matérielles, sans cesse en jeu dans l’univers et régissant d’une façon souveraine les rapports de tous les corps grands et petits les uns avec les autres. C’est cette doctrine que Buffon expose dans les lignes suivantes[12] : « Il n’y a dans la nature qu’une seule force primitive : c’est l’attraction réciproque entre toutes les parties de la matière. Cette force est une puissance émanée de la puissance divine, et seule elle a suffi pour produire le mouvement et toutes les autres forces qui animent l’univers. Car, comme son action peut servir en deux sens opposés en vertu du ressort qui appartient à toute matière, et dont cette même puissance d’attraction est la cause, elle repousse autant qu’elle attire. On doit donc admettre deux effets généraux, c’est-à-dire l’attraction et l’impulsion qui n’est que la répulsion : la première également répartie est toujours subsistante dans la matière, et la seconde variable, occasionnelle et dépendante de la première. Autant l’attraction maintient la cohérence et la dureté des corps, autant l’impulsion tend à les désunir et à les séparer. Ainsi, toutes les fois que les corps ne sont pas brisés par le choc, et qu’ils sont seulement comprimés, l’attraction qui fait le lien de la cohérence, rétablit les parties dans leur première situation, en agissant en sens contraire, par répulsion, avec autant de force que l’impulsion avait agi en sens direct ; c’est ici, comme en tout, une réaction égale à l’action : on ne peut donc pas rapporter à l’impulsion les effets de l’attraction universelle ; mais c’est, au contraire, cette attraction générale qui produit, comme première cause, tous les phénomènes de l’impulsion. »

En résumé, que deux corps ou deux parties d’un corps se rapprochent ou s’éloignent l’un de l’autre, c’est toujours l’attraction qui agit, soit directement en les attirant l’un vers l’autre, soit indirectement en les repoussant ou plutôt en les attirant en sens contraire.

Buffon s’empresse d’ajouter que l’attraction n’a par elle-même rien de matériel et qu’il en est de même de toutes les forces. « L’on ne connaît les forces qui animent l’univers que par le mouvement et par ses effets : ce mot même de force ne signifie rien de matériel et n’indique rien de ce qui peut affecter nos organes, qui cependant sont nos seuls moyens de communication avec la nature. Ne devons-nous pas renoncer dès lors à vouloir mettre au nombre des substances matérielles ces forces générales de l’attraction et de l’impulsion primitive en les transformant, pour aider notre imagination, en matières subtiles, en fluides élastiques, en substances réellement existantes, et qui comme la lumière, la chaleur, le son et les odeurs devraient affecter nos organes : car ces rapports avec nous sont les seuls attributs de la matière que nous puissions saisir, les seuls que l’on doive regarder comme des agents mécaniques, et ces agents eux-mêmes, ainsi que leurs effets, ne dépendent-ils pas, plus ou moins, et toujours, de la force primitive[13] dont l’origine et l’essence nous seront à jamais inconnues, parce que cette force, en effet, n’est pas une substance mais une puissance qui anime la matière ? Tout ce que nous pouvons concevoir de cette puissance primitive d’attraction, et de l’impulsion ou répulsion qu’elle produit, c’est que la matière n’a jamais existé sans mouvement, car l’attraction étant essentielle à tout atome matériel, Le mouvement d’après Buffon. cette force a nécessairement produit des mouvements toutes les fois que les parties de la matière se sont trouvées séparées ou éloignées les unes des autres ; elles ont dès lors été forcées de se mouvoir et de parcourir l’espace intermédiaire pour se rapprocher et se réunir. Le mouvement est donc aussi ancien que la matière, et l’impulsion ou répulsion est contemporaine de l’attraction ; mais, agissant en sens contraire, elle tend à éloigner tout ce que l’attraction a rapproché. »

On remarquera l’insistance avec laquelle Buffon affirme que « le mouvement est aussi ancien que la matière », que « la matière n’a jamais existé sans mouvement. » Nous verrons tout à l’heure de quelle importance est ce fait.

Il fait suivre la page que je viens de citer de quelques lignes dans lesquelles se trouve une vue véritablement géniale et qu’il importe de noter ici parce qu’elle contredit ou explique (il me paraît difficile de se prononcer entre ces deux hypothèses) une opinion de Buffon exposée plus haut. On a vu qu’il considérait le feu, la chaleur et la lumière comme des substances matérielles. Dans un autre passage il ne les envisage plus, avec beaucoup de raison, que comme des effets du mouvement. « Le choc, dit-il[14], et toute violente attrition entre les corps, produit du feu en divisant et repoussant les parties de la matière ; et c’est de l’impulsion primitive que cet élément a tiré son origine ; élément lequel seul est actif et sert de base et de ministre à toute force impulsive, générale et particulière, dont les effets sont toujours opposés et contraires à ceux de l’attraction universelle. Le feu se manifeste dans toutes les parties de l’univers, soit par la lumière, soit par la chaleur ; il brille dans le soleil et dans les astres fixes ; il tient encore en incandescence les grandes planètes ; il échauffe plus ou moins les autres planètes et les comètes ; il a aussi pénétré, fondu, enflammé la matière de notre globe, lequel, ayant subi l’action de ce feu primitif, est encore chaud ; et, quoique cette chaleur s’évapore et se dissipe sans cesse, elle est néanmoins très active et subsiste en grande quantité, puisque la température de l’intérieur de la terre, à une médiocre profondeur, est de plus de dix degrés. C’est de ce feu intérieur ou de cette chaleur propre du globe que provient le feu particulier de l’électricité. »

Dégageons ce passage des erreurs de détail qu’il renferme, erreurs déjà signalées et combattues plus haut, et résumons-les : la matière n’a jamais existé sans le mouvement le mouvement est dû à l’attraction ; l’attraction produit le choc ; le choc produit la chaleur ; la chaleur détermine la répulsion dont les effets sont contraires à l’attraction ; enfin, la chaleur se transforme en lumière et produit l’électricité. Là se trouvent les bases de la théorie moderne dite de « l’unité des forces physiques » dont nous parlerons dans un instant, théorie d’après laquelle la chaleur, la lumière, l’électricité, ne sont que des formes diverses d’une seule et même propriété de la matière, le mouvement, et sont susceptibles de se transformer l’une dans l’autre.

Mais revenons à l’attraction. Pour Buffon comme pour Newton, si les corps s’attirent ou se repoussent, c’est-à-dire, si on les voit, eux-mêmes ou leurs particules, se rapprocher ou s’écarter, De l’affinité d’après Buffon. cela est dû à ce que la matière est douée dans toutes ses parties d’une propriété générale, essentielle, l’attraction. Buffon confond « l’affinité » des chimistes avec l’attraction[15]. « Les lois d’affinité par lesquelles les parties constituantes de ces différentes substances se séparent des autres pour se réunir entre elles et former des matières homogènes, sont les mêmes que la loi générale par laquelle tous les corps célestes agissent les uns sur les autres ; elles s’exercent également et dans les mêmes rapports des masses et des distances ; un globule d’eau, de sable ou de métal, agit sur un autre globule comme le globe de la terre agit sur celui de la lune : et si jusqu’à ce jour l’on a regardé ces lois d’affinité comme différentes de celles de la pesanteur, c’est faute de les avoir bien conçues, bien saisies, c’est faute d’avoir embrassé cet objet dans toute son étendue. »

Cette vue est absolument juste. Si l’on admet l’attraction comme cause des mouvements et des rapports des corps célestes, on doit l’admettre aussi comme cause des mouvements et des rapports des particules matérielles les plus minimes ; et l’affinité chimique, c’est-à-dire la prétendue force en vertu de laquelle les atomes et les molécules se rapprochent et se combinent pour former les divers corps composés ne doit être considérée que comme une forme de l’attraction.

Figure des molécules d’après Buffon. Un peu plus loin, cherchant à expliquer la différence de densité qui existe entre les corps, Buffon ajoute quelques considérations qu’il me paraît utile de reproduire. Il suppose que les molécules des corps sont de formes différentes et que la densité est d’autant moindre que plus d’intervalles existent entre les molécules, les intervalles dépendant eux-mêmes de la forme des molécules. « Newton, dit-il[16], a bien soupçonné que les affinités chimiques, qui ne sont autre chose que les attractions particulières dont nous venons de parler, se faisaient par des lois assez semblables à celles de la gravitation ; mais il ne paraît pas avoir vu que toutes ces lois particulières n’étaient que de simples modifications de la loi générale, et qu’elles n’en paraissaient différentes que parce qu’à une très petite distance la figure des atomes qui s’attirent fait autant et plus que la masse pour l’expression de la loi, cette figure entrant alors pour beaucoup dans l’élément de la distance.

Rapport de la figure des molécules avec la densité des corps, d’après Buffon. » C’est cependant à cette théorie que tient la connaissance intime de la composition des corps bruts ; le fond de toute matière est le même, la masse des molécules et le volume, c’est-à-dire la forme, serait aussi la même, si la figure des parties constituantes était semblable. Une substance homogène ne peut différer d’une autre qu’autant que la figure de ses parties primitives est différente ; celle dont toutes les molécules sont sphériques doit être spécifiquement une fois plus légère qu’une autre dont les molécules seraient cubiques, parce que les premières ne pouvant se toucher que par des points, laissent des intervalles égaux à l’espace qu’elles remplissent, tandis que les, parties supposées cubiques peuvent se réunir toutes sans laisser le moindre intervalle, et former par conséquent une matière une fois plus pesante que la première. Et quoique les figures puissent varier à l’infini, il paraît qu’il n’en existe pas autant dans la nature que l’esprit pourrait en concevoir ; car elle a fixé les limites de la pesanteur et de la légèreté : l’or et l’air sont les deux extrêmes de toute densité ; toutes les figures admises, exécutées par la nature, sont donc comprises entre ces deux termes, et toutes celles qui auraient pu produire des substances plus pesantes ou plus légères ont été rejetées.

» Au reste, lorsque je parle des figures employées par la nature, je n’en tends pas qu’elles soient nécessairement ni même exactement semblables aux figures géométriques qui existent dans notre entendement c’est par supposition que nous les faisons régulières, et par abstraction que nous les rendons simples. Il n’y a peut-être ni cubes exacts, ni sphères parfaites dans l’univers ; mais comme rien n’existe sans forme, et que selon la diversité des substances les figures de leurs éléments sont différentes, il y en a nécessairement qui approchent de la sphère ou du cube et de toutes les autres figures régulières que nous avons imaginées : le précis, l’absolu, l’abstrait, qui se présentent si souvent à notre esprit, ne peuvent se trouver dans le réel, parce que tout y est relatif, tout s’y fait par nuances, tout s’y combine par approximation. De même, lorsque j’ai parlé d’une substance qui serait entièrement pleine, parce qu’elle serait composée de parties cubiques et d’une autre substance qui ne serait qu’à moitié pleine, parce que toutes ses parties constituantes seraient sphériques, je ne l’ai dit que par comparaison, et je n’ai pas prétendu que ces substances existassent dans la réalité : car l’on voit par l’expérience des corps transparents, tels que le verre, qui ne laisse pas d’être dense et pesant, que la quantité de matière y est très petite en comparaison de l’étendue des intervalles ; et l’on peut démontrer que l’or, qui est la matière la plus dense, contient beaucoup plus de vide que de plein. » Nous reviendrons tout à l’heure sur ces considérations.

Il reste à décider si l’attraction existe réellement en tant que « propriété générale » de la matière. On l’a admis pendant de nombreuses années avec Newton et Buffon, et quelques savants l’admettent encore, mais je m’empresse d’ajouter que ces derniers deviennent chaque jour de moins en moins nombreux.

Explication moderne de l’attraction. Depuis le commencement du siècle, on a commencé à rechercher quelle pourrait être la cause réelle de l’attraction. Dire avec Newton et Buffon que les corps ou leurs molécules se rapprochent ou s’écartent parce qu’ils sont doués d’une propriété attractive ou répulsive, c’était pour tous les savants réfléchis, imiter le médecin de Molière : opium facit dormire quia proprietatem dormitivam habet. On voulait une explication plus scientifique des phénomènes de l’attraction, et cette explication était d’autant plus nécessaire que l’attraction ne suffisait pas à résoudre tous les phénomènes physiques, chimiques ou astronomiques ; or, ainsi que je l’ai dit plus haut, la tendance de la science moderne est de chercher des causes aussi générales, et, en même temps, aussi simples que possible.

L’éther. C’est cette préoccupation qui a fait imaginer par les physiciens l’existence d’une matière très subtile, impondérable, c’est-à-dire échappant à l’action de l’attraction ou plutôt déterminant tous les phénomènes qui ont été mis sur le compte de cette dernière.

D’après cette manière de voir, aujourd’hui admise, dans ses traits généraux, par tous les physiciens et tous les chimistes, la matière pondérable serait composée d’atomes séparés les uns des autres par cette matière impondérable, à laquelle on a donné le nom d’éther. La gravité et l’affinité seraient « un effet des atomes éthérés qui environnent de toutes parts la matière pondérable et qui la choquent incessamment dans tous les sens : si l’action de ces chocs n’est pas symétrique, c’est-à-dire également énergique dans tous les sens, autour d’une molécule ou d’un corps pondérable, le corps en question se mettra en mouvement dans la direction de la résultante des chocs qui ont la plus grande somme d’énergie ; cette condition se trouve réalisée, quand deux corps pondérables sont en présence l’un de l’autre, et l’inégalité d’intensité des chocs auxquels ils sont alors soumis est dirigée précisément de façon à opérer le rapprochement de ces corps[17]. »

L’attraction expliquée de l’éther. Quand donc nous voyons un corps, jeté en l’air, retomber sur le sol en suivant une ligne qui, prolongée, passerait par le centre de la terre, nous devons conclure, d’après la théorie que nous venons d’exposer, que ce corps subit de la part de l’éther une somme de chocs dont la résultante est une ligne perpendiculaire à la surface du sphéroïde terrestre. Quand nous voyons la terre se mouvoir autour du soleil suivant une ellipse déterminée, nous devons admettre que cette ellipse est la résultante des chocs inégalement énergiques et dirigés en tous sens que la terre subit de la part de l’éther dont elle est environnée. On peut encore, à l’aide de l’éther, expliquer sans difficulté les changements d’état des corps, c’est-à-dire leur passage successif, suivant les conditions auxquelles ils sont exposés, de l’état solide à l’état liquide et gazeux, et inversement de l’état gazeux à l’état liquide et solide. Dans l’état solide, les atomes pondérables sont très énergiquement pressés les uns contre les autres par l’éther qui les environne ; c’est ce que l’on nomme la cohésion des corps solides ; si une force artificielle écarte les molécules de ces corps, ils sont rapprochés de nouveau par la pression de l’éther, dès que cette force cesse son action ; c’est ce que l’on nomme l’élasticité. Dans les corps liquides, la pression exercée par l’éther sur les molécules pondérables pour les rapprocher étant beaucoup moindre, la cohésion est également moins grande ; il en est de même de l’élasticité qui n’est qu’une conséquence de la cohésion. Étant moins pressées, les molécules de corps liquides glissent les unes sur les autres et prennent la forme des vases qui contiennent le liquide, mais la surface de ce dernier se maintient horizontale, parce que la pression de l’éther sur les molécules est plus forte dans le sens de leur rapprochement que dans celui de leur écartement. C’est le contraire qui existe dans les gaz. L’action de l’éther interposé aux atomes gazeux étant plus grande que celui de l’éther extérieur, ces atomes sont écartés les uns des autres dans tous les sens avec assez de violence pour que les gaz prennent toujours la forme des vases dans lesquels ils sont contenus, et pour qu’ils exercent une pression énergique contre les parois, que ces dernières soient situées au-dessus ou au-dessous de l’horizontale. Il ne faut pas oublier cependant que cette faculté, à laquelle on a donné le nom d’expansibilité, de force d’expansion, etc., a des limites, et que les gaz abandonnés à eux-mêmes dans un espace suffisamment grand et rempli d’air atmosphérique n’occupent pas tout cet espace ; la pression de l’éther qui tend à écarter les molécules est alors combattue par celle de l’atmosphère. Mais si l’espace est vide, c’est-à-dire dépourvu de toute matière pondérable, l’écartement des molécules produit par la pression de l’éther intermédiaire est assez grand pour que le gaz occupe tout l’espace.

Comment expliquer que l’éther interposé aux atomes d’un même corps pondérable puisse exercer des pouvoirs assez différents pour que ce corps se montre successivement gazeux, liquide et solide ; en d’autres termes quelle est la cause qui fait varier l’intensité de la pression exercée par l’éther sur les atomes de la matière pondérable ? La chaleur, répond-t-on immédiatement. Fort bien ; il suffit, en effet, de chauffer un corps solide, la glace par exemple, c’est-à-dire de lui donner de la chaleur pour le faire passer d’abord à l’état liquide, puis à l’état gazeux. Mais, qu’est-ce que la chaleur elle-même ? La théorie de l’éther répond : une forme particulière du mouvement des atomes. Ceci demande explication.

Les mouvements des atomes. Nous avons vu plus haut que les atomes de la matière pondérable s’entrechoquent sans eux. La conséquence nécessaire de ces chocs est le déplacement ou, pour employer un terme plus scientifique, un mouvement de translation à la fois de l’atome qui a reçu le choc et de celui qui l’a donné ; l’un et l’autre ne peuvent manquer de choquer à leur tour soit d’autres atomes pondérables, soit l’éther qui les entoure, éther qui lui-même transmettra le choc aux atomes pondérables et à d’autres atomes éthérés. Il suffit donc qu’un seul atome d’éther ou de matière pondérable soit mis en mouvement pour que ce mouvement se transmette de proche en proche à l’univers tout entier. D’où nous pouvons conclure, en présence de la multiplicité des mouvements que nous observons, que toute la matière constituante de l’univers, matière pondérable ou matière éthérée, est dans un mouvement incessant, que tout atome de matière est doué d’un mouvement de translation incessant. Mais ce mouvement n’existe pas seul. Le choc des atomes a pour résultat nécessaire de leur imprimer un mouvement de rotation autour d’un axe passant par le centre de leur masse. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que le choc eût lieu dans la direction absolument exacte de la ligne droite joignant les centres de leurs masses, ce qui ne peut être qu’un cas tout à fait spécial. Tout mouvement de translation des atomes a donc fatalement pour corollaire un mouvement de rotation et chaque atome de matière peut être comparé, par la nature de ses mouvements, aux astres gigantesques qui circulent dans l’immensité du ciel en tournant sur eux-mêmes. Il est facile de conclure de cela que plus les atomes pondérables d’un corps seront écartés les uns des autres et plus leur mouvement de translation sera étendu. Leur mouvement de rotation devra de son côté être moins rapide puisque les chocs seront moins fréquents

Les états divers des corps. Ainsi, dans les corps gazeux, où l’écartement atteint son maximum, le mouvement de translation est très étendu, et le mouvement de rotation très faible.

On admet que dans ces corps, les atomes de la matière pondérable suivent dans leur mouvement de translation une trajectoire ouverte, « serpentant indéfiniment dans l’intérieur des corps. La molécule passe librement d’un groupe à l’autre, pénétrant tantôt celui-ci, tantôt celui-là ; subissant des réflexions positives ou négatives, changeant de direction à chaque instant, ayant, en un mot, un mouvement comparable à celui que certains astronomes attribuent aux comètes hyperboliques qui passent d’un système stellaire à un autre[18]. » M. Crookes a montré récemment que quand on raréfie beaucoup un gaz, c’est-à-dire quand on diminue le nombre d’atomes contenus dans un volume déterminé, le mouvement des atomes est modifié ; étant moins nombreux, ils se heurtent moins fréquemment, et lorsqu’ils sont réduits à un nombre suffisamment faible, ils suivent une ligne tout à fait droite, avec une vitesse excessive. « On considère dit Crookes[19], les gaz comme composés d’un nombre presque infini de petites particules ou molécules, lesquelles sont mises en mouvement et animées de vitesse de toutes les grandeurs imaginables. Comme le nombre de ces molécules est extrêmement grand, il s’ensuit qu’une molécule ne peut avancer dans aucune direction sans se heurter presque aussitôt à une autre. Mais si nous retirons d’un vase clos une grande partie de l’air ou du gaz qu’il contient, le nombre des molécules diminue, et la distance qu’une molécule donnée peut parcourir sans se heurter contre une autre s’accroît, la longueur moyenne de la course libre étant en raison inverse du nombre des molécules restantes. Plus le vide devient parfait, plus s’accroît la distance moyenne qu’une molécule parcourt avant d’entrer en collision ; ou, en d’autres termes, plus la longueur moyenne de la course libre augmente, plus les propriétés physiques du gaz se modifient. Dans les tubes où le vide est presque parfait, les molécules du résidu gazeux peuvent s’élancer d’un bout à l’autre en subissant un nombre de chocs relativement faible, et en rayonnant du pôle avec une vitesse énorme ; elles présentent des propriétés nouvelles et assez caractéristiques pour justifier tout à fait l’appellation de matière radiante que nous empruntons à Faraday. »

Si les atomes d’un gaz se rencontrent d’autant moins fréquemment et parcourent des routes d’autant plus rectilignes que le gaz est plus raréfié, il est bien évident qu’en condensant le gaz, c’est-à-dire en diminuant son volume on déterminera la multiplication des chocs et on rendra plus irrégulière la course des atomes. Lorsque le gaz sera passé à l’état liquide, ses atomes ne parcourront plus que des courbes fermées, en frappant tangentiellement un grand nombre d’atomes voisins, très rapprochés. Le mouvement de translation sera ralenti par les chocs, mais, par contre, les chocs accroîtront la rapidité du mouvement de rotation des atomes. « Ainsi cessera, dit M. Félix Marco[20] cette force expansive propre à l’état gazeux, qui est due, ainsi que nous l’avons vu, au mouvement libre des particules ; et ce ne sera qu’à la surface, où les molécules ne sont point entourées de tous les côtés, que nous verrons persister une tendance de ces mêmes molécules à abandonner les autres, en vertu de la force vive de translation qui leur est restée. »

Quand les atomes pondérables d’un corps se rapprochent assez pour que toute translation véritable de chacun parmi les autres devienne impossible, le corps est à l’état solide. Le mouvement de translation a atteint son minimum, mais, en même temps, le mouvement de rotation a atteint son maximum. Il est bien certain cependant que les atomes pondérables des corps solides ne sont pas directement en contact les uns avec les autres ; la propriété que possèdent la plupart de ces corps de laisser passer les gaz ou les liquides, en est une preuve suffisante. Mais il est important de noter que quand on les chauffe, leur porosité augmente considérablement. Cela a été bien démontré pour les métaux. On a constaté aussi, que les métaux deviennent transparents sous l’influence de la chaleur ; le fer chauffé au rouge reste transparent jusqu’à l’épaisseur de plus d’un demi centimètre. Il faut conclure de ces faits que la chaleur détermine l’écartement des molécules pondérables. D’où il résulte encore : 1o que c’est en déterminant un écartement de plus en plus considérable des atomes pondérables que la chaleur détermine le passage de l’état solide à l’état liquide et à l’état gazeux ; 2o qu’en augmentant l’écartement des atomes pondérables, la chaleur augmente l’étendue et la rapidité du mouvement de translation tandis qu’elle diminue la rapidité du mouvement de rotation.

Mais il nous reste encore à expliquer de quelle façon la chaleur produit l’écartement en question, et quelle est la nature de la chaleur elle même.

Composition de la matière. Afin de résoudre cette question, nous devons pénétrer plus avant que nous l’avons fait encore dans l’étude de la constitution intime et des propriétés essentielles de la matière.

Corps simples. On admet généralement, à l’heure actuelle, que toutes les substances qui entrent dans la constitution de l’univers sont formées d’un petit nombre (une soixantaine environ) de corps dits simples, c’est-à-dire incapables d’être décomposés en éléments dissemblables, mais susceptibles, au contraire, de se mélanger, de s’associer, de se combiner les uns avec les autres, pour former des corps dits composés qui sont en nombre pour ainsi dire illimité. Les corps composés sont toujours formés d’un petit nombre de corps simples, mais ils peuvent eux-mêmes se mélanger et se combiner pour former des corps plus complexes.

D’abord observés dans la matière qui compose notre globe, les corps simples furent ensuite découverts, à l’aide des procédés spectroscopiques, dans les divers astres incandescents, ainsi que nous l’avons exposé plus haut.

Les corps dits simples ne le sont probablement pas. Dans ces derniers temps, les recherches spectroscopiques ont conduit à un autre résultat plus important encore. Elles ont permis d’émettre comme très plausible l’opinion que la plupart des corps considérés autrefois comme simples sont, en réalité, des corps composés ; et elles promettent de nous conduire à la vérification d’une hypothèse émise depuis bien longtemps déjà, mais restée jusqu’à ce jour sans fondement, hypothèse d’après laquelle les corps dits simples ne seraient que des états moléculaires différents d’un corps unique qui, seul, serait véritablement simple. Ces recherches sont dues à un savant anglais, M. Norman Lockyer. Je crois bon d’en dire ici quelques mots.

Expériences de Lockyer. En règle générale, lorsqu’on veut établir le spectre d’une substance, il faut la volatiliser dans une flamme gazeuse, ou bien lui faire produire des étincelles à l’aide d’un appareil à induction, et faire tomber les rayons lumineux sur la fente du spectroscope. On obtient alors généralement un spectre dont les lignes occupent le champ entier de la bande ; mais en interposant une lentille entre la flamme et la fente du spectroscope, M. Lockyer a pu étudier les diverses régions de la vapeur incandescente et établir le fait déjà noté, mais auquel on n’avait guère prêté attention, que toutes les lignes du spectre de la substance volatilisée ne s’étendent pas à égale distance à partir des pôles. Il a montré ensuite, à l’aide de cette méthode d’observation, que dans le cas d’alliage contenant différentes proportions de deux métaux, si l’un des métaux constituants est en très petite quantité son spectre est réduit à sa forme la plus simple ; les lignes qui sont les plus longues lorsque la substance est pure apparaissent seules. Si l’on augmente la proportion de ce métal, les autres lignes se montrent graduellement dans l’ordre de la longueur relative qu’elles présentent dans le spectre de la substance pure. Des observations semblables furent faites avec des corps composés. On constata ainsi que les lignes fournies par une substance déterminée varient non seulement en longueur et en nombre, mais aussi en éclat et en épaisseur suivant la proportion relative de cette substance.

Armé de ces faits et se proposant de déterminer exactement les éléments qui entrent dans la composition du soleil, M. Lockyer prit environ deux mille photographies de spectres de substances métalliques diverses et observa directement plus de cent mille de ces spectres. Comme il est à peu près impossible d’obtenir des substances pures, les photographies furent soigneusement comparées, dans le but d’éliminer de chacune les lignes dues aux impuretés ; l’absence d’un élément particulier à l’état d’impureté étant considérée comme démontrée lorsque ses lignes les plus longues et les plus fortes étaient absentes de la photographie. Le résultat de tout ce travail fut de démontrer à M. Lockyer qu’il existe des lignes identiques dans les spectres de métaux différents sans qu’on puisse mettre cette coexistence sur le compte d’impuretés ; en effet, des spectres de métaux dont la pureté absolue était démontrée lui offrirent cependant des lignes qu’ils n’auraient pas dû contenir si le métal était réellement un corps simple. M. Lockyer fut conduit par des observations spectroscopiques sur le soleil et d’autres astres à admettre que les corps dits simples sont en réalité composés. Il constata que plus un astre est chaud, plus son spectre est simple. Les astres les plus brillants et les plus chauds, comme Sirius, donnent un spectre dans lequel on ne trouve que les lignes très larges de l’hydrogène et un petit nombre d’autres lignes très fines, caractéristiques d’éléments d’un poids atomique très faible ; tandis que des astres moins chauds, comme le soleil, fournissent un spectre indiquant un plus grand nombre d’éléments métalliques. Ces faits paraissent faciles à expliquer, d’après M. Lockyer, si l’on suppose qu’à mesure que la température s’élève les corps sont de plus en plus divisés en éléments d’un poids atomique plus faible.

Il n’existe probablement qu’un seul corps simple. Ces observations donnent, je le répète, un certain fondement à l’hypothèse d’après laquelle les corps dits simples ne seraient en réalité que des corps composés, l’univers entier n’étant formé que d’un seul corps véritablement simple, dont tous les autres ne seraient que des états particuliers corps d’agrégation atomique et moléculaire. En 1864, M. Berthelot avait déjà émis l’idée que les atomes des corps simples pourraient bien être tous constitués d’une même matière ne différant que par la nature de ses mouvements.

L’éther est le seul corps simple de l’univers. Il devait venir à l’esprit des chimistes et des physiciens que ce corps simple unique n’est autre que la substance impondérable à laquelle on a donné le nom d’éther, et dont il a déjà été si longuement question plus haut. Mais, comment expliquer la formation des atomes de la matière pondérable à l’aide des atomes impondérables de l’éther ? Un calcul célèbre de Helmholtz mit sur la voie de cette explication. L’illustre physicien avait démontré que quand une partie d’un fluide est animée d’un mouvement rotatoire, elle conserve tous les caractères de ce mouvement, quels que soient les déplacements qu’on lui fasse subir dans la masse totale du fluide, et il avait donné à cette partie en rotation le nom de tourbillon. Ce tourbillon jouit d’une sorte d’individualité propre qui permet de le distinguer du fluide environnant par les vibrations qu’il présente et par les raies spectrales qu’il fournit. Appliquant ce fait à la matière tout entière, un physicien italien très distingué, dont j’ai déjà cité le nom, M. Félix Marco[21], se demande si Les atomes de la matière pondérable sont des tourbillons d’atomes éthérés. « les atomes de la matière pondérable ne pourraient pas être constitués par de très petits tourbillons existant dans le milieu éthéré, ainsi que nous voyons continuellement s’en produire dans l’eau, et surtout dans l’air, où ils voyagent pendant plusieurs milles sans se perdre » ? Et il ajoute : « En général les trombes sont toujours douées d’un mouvement en tourbillon ; et les observations météorologiques des temps modernes ont mis ce fait en lumière : que les tempêtes sont pareillement toujours le résultat de mouvements en tourbillons qui s’établissent dans l’atmosphère et s’y transportent. Tyndall, dans ses célèbres expériences optiques sur les matières gazeuses[22], voyait se produire avec la plus grande facilité des tourbillons par de petites différences de température des différentes parties des colonnes gazeuses contenues dans ses tubes.

» Or, si ces tourbillons se produisent avec tant de facilité et se conservent dans les liquides pondérables, c’est-à-dire dans les liquides et les gaz, ne pourrait-il pas aussi advenir qu’ils se fussent formés dans des conditions déterminées de chaleur, et qu’ils se conserveront dans cette matière impondérable répandue par tout l’univers, et qu’on appelle éther, pour constituer précisément les éléments de la matière pondérable ? Ainsi l’univers sensible ne serait que le résultat des mouvements vibratoires et en tourbillon qui existent dans la matière unique appelée éther. Les mouvements vibratoires engendrent la lumière et la chaleur, et le mouvement en tourbillon produit la matière pondérable avec toutes ses modifications électriques et magnétiques.

» L’indivisibilité que les chimistes sont forcés d’admettre dans les atomes, appartient évidemment à ces atomes tourbillonnants qu’on ne peut diviser sans les défaire. Plusieurs tourbillons réunis dans une atmosphère raréfiée commune, c’est-à-dire dans un tourbillon plus grand, ainsi qu’il arrive parfois dans les tourbillons aériens, ou bien simplement réunis en vertu de leurs mouvements rotatoires et de la pression de l’éther environnant, constitueraient les molécules. » « Cette théorie, ajoute M. F. Marco, est évidemment d’accord avec celle de Gaudin, qui rend merveilleusement raison de la constitution atomique des molécules et de leur disposition dans les formes cristallines. Il considère les atomes comme des sphéroïdes, tels qu’ils doivent être dans la théorie des atomes tourbillons. »

Je m’empresse d’ajouter que M. Félix Marco n’est pas le seul physicien admettant aussi nettement que les atomes des corps pondérables ne sont que des tourbillons d’atomes éthérés. L’illustre astronome Secchi se prononce d’une manière positive pour l’identité de l’éther et de la matière pondérable. « Pour nous, dit-il[23], l’éther sera constitué par les atomes primitifs de la matière ordinaire. » Il dit ailleurs[24] : « L’étude de la lumière et de l’électricité nous a conduit à regarder comme infiniment probable que l’éther n’est autre chose que la matière elle-même, parvenue au plus haut degré de ténuité, à cet état de rareté extrême que l’on nomme état atomique. Par suite, tous les corps ne seraient en réalité que des agrégats des atomes mêmes de ce fluide. » Il admet, d’autre part, que les molécules des corps pondérables sont formées par des agrégations tourbillonnantes d’atomes. « Chacun de ces tourbillons[25], que nous pouvons nommer infinitésimaux, constituent ou renferment une molécule des corps, suspendue, en quelque sorte, dans le reste de l’éther environnant. » Et il ajoute, dans une note, plus significative encore que le texte lui-même : « M. Thomson est arrivé aussi, lui, à cette idée, que les molécules des corps ne seraient que de simples tourbillons éthérés. C’est déjà un résultat intéressant que de nous être rencontré avec cet illustre savant. »

L’illustre physicien anglais Thomson prononça, en 1870, dans son discours à l’Association britannique pour l’avancement des sciences (Session d’Édimbourg) les paroles suivantes : « L’exquise théorie de Helmholtz, les mouvements en tourbillon dans un liquide incompressible et sans frottement, a surgi comme un poteau indicateur, montrant la voie qui peut conduire à une pleine intelligence des propriétés des atomes, en mettant en pratique la grande conception de Lucrèce, qui n’admet ni éthers subtils ni variétés d’éléments avec principes de feu ou d’eau, de lumière ou de pesanteur ; qui ne suppose pas la lumière une chose, le feu une autre, l’électricité un fluide, le magnétisme un principe vital, mais qui traite tous ces phénomènes comme de simples propriétés ou accidents de la matière pure. Je prends ce passage dans un admirable travail sur la théorie atomique de Lucrèce, publié dans le Nord British Review (mai 1868) et contenant un très intéressant et très instructif sommaire des doctrines anciennes et modernes concernant les atomes. Permettez-moi de vous lire de cet article un autre court passage, décrivant parfaitement l’aspect naturel de la théorie atomique : L’existence de l’atome chimique, qui est presque tout un petit monde complexe, semble très probable. Nous ne sommes pas tout à fait sans espoir que l’on puisse connaître un jour le poids réel de chaque atome de ce genre, non seulement les poids relatifs des divers atomes, mais leur nombre sous un volume donné de matière ; on pourra calculer la forme et le mouvement des parties de chaque atome et les distances qui les séparent ; par le moyen de diagrammes géométriques exacts, on parviendra à mettre en évidence les mouvements par lesquels ils produisent la chaleur, l’électricité et la lumière ; enfin, il y aura possibilité d’arriver aux propriétés fondamentales du milieu intermédiaire et probablement constituant. Alors le mouvement des planètes et la musique des sphères seront négligés un instant, dans le transport d’admiration que nous inspirera la vue du dédale où se précipitent les atomes légers. »

Lucrèce et la théorie atomique. Avant les hommes de notre époque, il serait facile de citer, parmi les partisans de la théorie atomique, plus d’un nom illustre. Je me borne à rappeler ici la théorie des atomes tourbillons de Descartes malgré les railleries dont elle a été longtemps l’objet. Mais je ne veux citer parmi les fondateurs de cette doctrine que le plus ancien de tous, l’illustre poète latin qui a écrit, dans une langue admirable ce poème de l’univers matériel, De natura rerum. Voulant donner une idée de la constitution intime du monde et du mouvement de la matière : « Regarde, dit-il, ce qui se passe lorsqu’un rayon de soleil se glisse dans les ténèbres de ta maison : tu verras dans la lumière de ce rayon une multitude de petits corps se mêler de mille façons à travers le vide, se livrer des assauts et des combats incessants, se disperser et se réunir sans prendre aucun repos. Par là tu pourras concevoir l’agitation incessante, dans le vide infini, des éléments primordiaux de la matière, autant qu’un petit fait peut servir à faire concevoir les grands et à nous mettre sur les traces de la vérité. L’observation des corpuscules qui s’agitent dans un rayon de soleil doit d’autant plus frapper ton esprit que leur agitation rend manifeste à tes yeux les mouvements cachés des éléments de la matière. Tu y verras, en effet, des milliers de ces corpuscules frappés par des agents invisibles, changer de route, retourner en arrière, s’en aller de-ci de-là dans toutes les directions. Ce trouble est produit par les éléments primordiaux de la matière, qui jouissent eux-mêmes d’un mouvement propre. Ce sont eux qui donnent l’impulsion par des chocs invisibles, aux corpuscules de petite taille, dont les masses sont peu différentes des leurs ; puis, ces corpuscules ébranlés transmettent leur mouvement à des corps un peu plus volumineux. Le mouvement, parti des éléments primordiaux, devient ainsi, par transmission, peu à peu sensible à nos sens par les corpuscules que nous observons dans un rayon de soleil ; et cependant nous ne pouvons distinguer nettement les choses qui déterminent l’agitation de ces derniers. »

Lucrèce admet, on le voit, deux sortes d’éléments : les éléments visibles et les éléments invisibles, « primordiaux », ces derniers naturellement doués de mouvement et déterminant par leurs chocs le mouvement des premiers. Faut-il voir dans cette doctrine la première idée de la distinction que nous établissons aujourd’hui entre les atomes de la matière pondérable et ceux de la matière impondérable ? Ce serait peut-être aller bien loin ; mais il est manifeste qu’elle est l’expression aussi nette que possible de la théorie atomique, c’est-à-dire de la théorie qui considère la matière comme constituée par des atomes extrêmement petits, se réunissant afin de former les corps assez volumineux pour tomber sous nos sens. La doctrine de Lucrèce est même remarquable à ce point de vue qu’elle considère le mouvement comme une propriété essentielle, inséparable de la matière, propriété dont cette dernière a toujours été douée, en sorte qu’il n’y a pas plus de mouvement sans matière que de matière sans mouvement, ou bien encore, pour parler comme Buffon : « La matière n’a jamais existé sans mouvement ; le mouvement est aussi ancien que la matière. » Cette doctrine, Lucrèce en avait hérité des matérialistes de l’ancienne Grèce : Épicure, Démocrite et son maître Leucippe. Il l’a transmise à Descartes et à Buffon, aux physiciens et aux naturalistes modernes.

La matière
et le mouvement.
La question de la coexistence éternelle de la matière et du mouvement a soulevé trop de discussions pour que je ne me considère pas comme obligé de lui donner ici la place qui lui convient. Frappés de ce fait que les corps dont nous sommes entourés ne se mettent jamais en mouvement d’eux-mêmes, spontanément comme disent les philosophes, les mécaniciens et les physiciens ont été presque irrésistiblement conduits à considérer la matière comme naturellement immobile et ils ont fait de l’inertie l’une de ses propriétés les plus essentielles, voulant dire par là qu’elle avait été primitivement mise en mouvement par un agent d’impulsion extérieur à elle, de même que la pierre qui roule a été mise en mouvement par le choc d’un corps extérieur.

Malgré son apparence de rectitude, cette hypothèse me paraît tout à fait inadmissible. Quel motif avons-nous, en effet, de supposer que la matière a jamais été inerte, alors que nous la constatons dans un état de mouvement incessant et indestructible ? Quel motif avons-nous de supposer l’existence d’un agent impulseur, extérieur à la matière, alors que les propriétés manifestées par cette dernière nous suffisent pour expliquer tous les phénomènes dont nous constatons en elle la production ?

Si l’on admet qu’à un moment quelconque de son existence la matière a été absolument immobile, il faut supposer que l’agent auquel elle a dû sa mise en mouvement était lui-même en mouvement. Il faut aussi supposer que cet agent avait de toute éternité été en mouvement et aussi qu’il était matériel. En effet, un agent immatériel n’aurait pu posséder la mobilité, c’est-à-dire la faculté de changer de position dans l’espace, et il aurait encore moins pu agir sur les corps matériels pour les mettre en mouvement. Secchi reconnaît, indirectement, il est vrai, mais très formellement, la valeur de cet argument quand il dit, en parlant de l’éther : « Sa matérialité est démontrée par l’échange de travail qui s’accomplit entre lui et la matière pesante[26]. » L’agent extérieur qui aurait imprimé le mouvement à la matière n’aurait donc pu détruire l’inertie première et supposée de l’univers qu’à la condition d’être lui-même matériel, c’est-à-dire d’être une portion de la matière universelle.

Si, pour éviter cette déduction nécessaire, on admet avec Buffon que la matière a toujours été en mouvement, « qu’elle n’a jamais existé sans mouvement », toute force extérieure à la matière devient inutile. Nous devons donc renoncer à parler plus longtemps de l’inertie de la matière. Cependant il n’en reste pas moins exact que tout corps matériel, et que même les atomes impondérables ou les atomes tourbillons de la matière pondérable, sont soumis à des chocs incessants qui modifient, activent ou ralentissent leurs mouvements ; il est vrai encore que tout corps comme tout atome ne peut être déplacé que par une action extérieure à lui-même. Mais, ainsi que le fait remarquer très justement un mathématicien de grande valeur, M. Kretz[27] : « Si une action est nécessaire pour déplacer un atome, cela tient entièrement à la présence du milieu. »

M. Kretz ajoute : « La matière doit alors être considérée non comme inerte, mais comme passive ; si on la conçoit isolée de son milieu, elle ne peut pas évidemment se mettre en mouvement sans cause externe, mais on la déplace sans effort et quand on l’abandonne à elle-même, elle reste où on l’a mise ; son inertie apparente est due uniquement à l’action de l’éther. »

M. Kretz, on le voit, n’admet pas plus l’inertie que nous ; il attribue l’inertie « apparente » de la matière pondérable à la résistance de l’éther ; il admet un état passif de la matière pondérable, c’est-à-dire comme il le dit, « l’absence de toute propriété »[28]. Mais il admet, avec tous les physiciens, que la matière pondérable peut être mise en mouvement par la matière impondérable, c’est-à-dire par l’éther. Ce qui suppose que l’éther lui-même est en mouvement et qu’il est matériel. Or, si nous admettons la théorie dès tourbillons de Thomson, de Secchi, de Marco, etc., la matière pondérable n’est qu’une forme particulière de la matière impondérable, et une forme due autant à la nature des mouvements des atomes qu’à leur agrégation, d’où il résulte que malgré sa passivité apparente la matière, tant pondérable qu’impondérable, est douée d’un mouvement atomique incessant, sans lequel on peut dire qu’elle n’est pas concevable.

C’est par ces mouvements atomiques que l’on a pu, enfin, après de longues et patientes recherches, après mille hésitations et discussions stériles, expliquer les phénomènes de gravitation, de chaleur, de lumière, d’électricité, de magnétisme dont la matière est le siège.

Résumé de la théorie atomique. Avant d’aborder l’explication de ces phénomènes, résumons, au point de vue physique et chimique, la théorie atomique. Au point de vue physique, la matière est composée d’une seule substance, l’éther, formée d’atomes sans cesse en mouvement ; ces atomes éthérés, impondérables, s’associent en tourbillons qui représentent les molécules de la matière pondérable, ou atomes tourbillons de Marco, molécules douées : d’un mouvement de rotation autour de leur axe, d’un mouvement de translation dans l’espace et, enfin, d’un mouvement de vibration. Tous les intervalles qui séparent les molécules de la matière pondérable et tous les espaces intersidéraux sont remplis par l’éther. Par suite de la constitution et des mouvements des atomes et molécules de la matière impondérable et de la matière pondérable, il se produit incessamment : 1o des chocs des atomes pondérables les uns contre les autres ; 2o des chocs entre les atomes tourbillons de la matière pondérable et les atomes de la matière impondérable ou éther ; 3o des chocs entre les atomes de la matière impondérable ; 4o enfin, toute vibration des atomes tourbillons doit nécessairement se transmettre aux atomes voisins de l’éther et, par leur intermédiaire, aux autres atomes tourbillons.

Tout mouvement d’un seul atome de la matière, soit pondérable, soit impondérable, est nécessairement transmis à toute la matière constituante de l’univers, suivant des lois immuables qu’il appartient à la physique de déterminer. C’est à l’aide de ces mouvements et de leur transmission à travers les milieux pondérables ou impondérables, que l’on explique, de nos jours, le son, la chaleur, la lumière, l’électricité, la pesanteur, etc.

Le son. Parlons d’abord du son. Il est aisé de démontrer que sa transmission ne peut s’effectuer que dans un milieu pondérable et que, par conséquent, il consiste dans un mouvement des atomes tourbillons transmis directement d’un de ces atomes à un second, puis à un troisième, etc., jusqu’à l’organe de l’audition. Quand on agite une clochette dans un ballon de verre dont tout l’air a été retiré à l’aide de la machine pneumatique, on voit le battant de la clochette frapper contre les parois du ballon, mais on n’entend aucun bruit ; qu’on laisse pénétrer de l’air dans le ballon, et aussitôt on entend le son. L’air, corps pondérable, est donc indispensable à la transmission du son ; l’éther qui, seul, restait dans le ballon après qu’on a fait le vide, est incapable de servir à cette transmission. Mais l’air n’est pas le seul corps pondérable qui puisse servir à transmettre le son ; tous les corps solides, tous les liquides, tous les gaz, en un mot, tous les corps pondérables, jouissent de la même propriété. Nous devons conclure de ces faits, que le son est le résultat d’un mouvement des atomes pondérables, de nature telle, qu’il ne peut pas faire entrer en mouvement les atomes de l’éther, ou que s’il produit cet effet, ce qui paraît plus que probable, il imprime aux atomes de l’éther un mouvement différent de celui qui caractérise le son, et par conséquent incapable de produire ce dernier mouvement dans les atomes de la matière pondérable. Personne n’ignore que les sons sont produits par des vibrations longitudinales ou transversales des corps dits sonores, que ces vibrations déterminent des vibrations analogues dans l’air interposé entre le corps sonore et notre tympan, et enfin dans cette membrane et dans les autres parties de notre oreille jusqu’aux terminaisons du nerf auditif ; mais je ne crois pas qu’aucun physicien ait encore cherché à déterminer la nature intime du mouvement de la matière pondérable, qui produit en nous la sensation désignée sous le nom de son. Il y a là un sujet fort intéressant de recherches, car ce mouvement est peut-être le seul qui, en traversant l’éther, se transforme au point de n’être plus perceptible à nos sens si une couche même minime d’éther ne contenant pas d’atomes pondérables est interposée entre le corps pondérable qui produit le son et les autres corps pondérables capables de transmettre les vibrations sonores jusqu’à notre oreille.

La chaleur. La chaleur se distingue du son en ce qu’elle se transmet à la fois par la matière pondérable et par la matière impondérable. La meilleure preuve qu’on en puisse donner est la transmission de la chaleur du soleil à la terre, à travers l’espace immense, dépourvu d’air et de tout autre matière pondérable, qui nous sépare de cet astre. C’est même, en grande partie, pour expliquer ce fait, que les physiciens ont été obligés de recourir à l’hypothèse de l’éther.

La chaleur est due au mouvement vibratoire des atomes. Nous avons dit plus haut que l’on est obligé d’admettre dans les molécules pondérables auxquelles M. Marco donne le nom d’atomes tourbillons trois sortes de mouvements un mouvement rotatoire autour de leur axe, un mouvement de translation et un mouvement vibratoire résultant de toute nécessité du choc des atomes les uns contre les autres. C’est dans le mouvement vibratoire que les physiciens cherchent la cause des phénomènes caloriques.

Les atomes constituants de la molécule pondérable étant mis en vibration radiaire par les chocs qu’ils donnent et reçoivent, devront faire vibrer dans la même direction les atomes d’éther dont ils sont entourés. Ceux-ci transmettront les vibrations à d’autres molécules pondérables, et, finalement le mouvement vibratoire sera transmis aux extrémités de nos nerfs qui, les conduiront jusqu’aux centres nerveux capables de les transformer en la sensation dite de chaleur.

Le mouvement vibratoire résultant des chocs des atomes, et ce dernier n’étant que la conséquence du mouvement rotatoire et translatoire, il est facile d’en conclure que le mouvement vibratoire caractéristique de la chaleur pourra être produit par tous les mouvements de rotation et de translation dont les atomes pondérables ou impondérables sont le siège, et que d’autre part, il pourra lui-même donner naissance à des mouvements rotatoires et de translation. En d’autres termes, il est aisé de conclure de la nature même des mouvements qui caractérisent la chaleur que ces mouvements pourront naître de toutes les autres formes de mouvements des atomes, et qu’ils pourront eux-mêmes se transformer en d’autres mouvements. Ainsi se trouve expliquée la transformation, aujourd’hui mise hors de doute par d’innombrables expériences, de la chaleur en lumière, en électricité, en mouvement de déplacement des corps, etc., et réciproquement, la transformation de la chaleur, de l’électricité, du mouvement, du déplacement des corps, en chaleur.

À l’aide de cette théorie, on explique non moins facilement l’action que la chaleur exerce sur les changements d’état des corps. Il serait trop long d’analyser ici le mécanisme de chacun de ces phénomènes. Je ne veux pas cependant quitter ce sujet sans en avoir donné une idée suffisante. Je ne puis mieux faire pour cela que de citer les paroles très concises et très nettes de M. Félix Marco. « La théorie mécanique de la chaleur nous enseigne, dit-il[29] : 1o qu’il existe une température relative directement proportionnelle à la quantité de chaleur actuellement libre dans un corps[30] ; 2o que la chaleur d’un corps ne peut diminuer indéfiniment ; mais qu’il existe une température dite zéro absolu, au delà de laquelle, la température ne peut plus diminuer ; 3o qu’à la température du zéro absolu le volume des corps n’est point nul, mais qu’il a une valeur déterminée, laquelle, comme la température, n’est plus susceptible de diminution[31].

» Si la chaleur est un mouvement vibratoire des particules éthérées des atomes tourbillons, qui prend sa source dans leurs chocs réciproques en conséquence de leur mouvement de translation, on comprend parfaitement : 1o qu’il doit y avoir une température relative, proportionnelle à la quantité de chaleur libre actuellement contenue dans le corps, c’est-à-dire à la quantité de mouvement vibratoire de ses atomes tourbillons ; 2o que, dès que tout mouvement de translation cesse dans les atomes tourbillons, quand leur mouvement rotatoire devient très grand, il n’y aura plus de chocs, et par conséquent, plus de mouvement vibratoire, c’est-à-dire plus de chaleur ; que lorsque le mouvement de translation et le mouvement vibratoire des atomes tourbillons seront nuls, et leur mouvement rotatoire très grand, ces atomes devront se trouver en contact, et, conséquemment, le volume du corps étant réduit à la somme des volumes de ses atomes tourbillons, c’est-à-dire de ses molécules, il ne pourra plus diminuer ; 4o enfin, ainsi que Hirn le fait observer (loc. cit.), la distance relativement petite (−273°) du zéro absolu de notre zéro conventionnel, nous prouve que les corps solides sont très près du volume minimum qu’ils atteignent au zéro absolu. »

M. Félix Marco fournit ensuite l’explication de tous les principaux phénomènes caloriques. Cette explication est assez intéressante, elle marque assez bien l’état de la science, pour qu’il me paraisse utile d’en reproduire ici les traits principaux. On sait : 1o que quand on comprime un gaz il y a un dégagement de chaleur, ou si l’on veut transformation du travail compressif en chaleur ; 2o que quand un gaz se dilate, il produit un travail en perdant de sa chaleur utile, c’est-à-dire qu’il y a transformation de la chaleur en travail ; voici d’après notre physicien ce qui se produit alors[32] : « La manifestation de chaleur qui accompagne la compression d’un gaz est une transformation du mouvement de la masse qui produit la compression en mouvement vibratoire des éléments éthérés constituant les atomes tourbillons moléculaires qui composent la masse gazeuse, et, par conséquent, de l’éther libre environnant auquel le mouvement vibratoire est communiqué.

» Vice versa, le travail mécanique d’un gaz qui se dilate par l’effet du réchauffement est une transformation du mouvement de l’éther libre constituant la chaleur que le gaz reçoit du dehors en mouvement de translation des molécules gazeuses, et, par conséquent, en mouvement de la masse qui est déplacée par l’expansion du gaz ; c’est en cela que consiste son travail. L’abaissement de température qui accompagne l’expansion du gaz est évidemment dû à ce que les molécules gazeuses qui s’éloignent de celles qui restent, ne restituent plus à ces dernières le mouvement qu’elles en ont reçu. »

M. Marco explique de la façon suivante les effets thermiques de la chaleur[33]. « L’effet thermique de la chaleur peut être entendu mécaniquement de la manière suivante : le mouvement vibratoire de l’éther en pénétrant dans l’intérieur du corps, fait naître le mouvement de translation de ses molécules, lesquelles, par conséquent, s’entre-choqueront avec une intensité croissante, ce qui augmentera le mouvement vibratoire de leurs masses éthérées, c’est-à-dire la chaleur du corps à quelque état que ce corps se trouve, solide, liquide ou gazeux. » Mais l’accroissement du mouvement de translation des molécules du corps aura nécessairement pour effet de détruire les liens qui les retenaient, de sorte que si le corps est à l’état solide il passera bientôt à l’état liquide ; que de nouvelles vibrations lui soient communiquées par l’éther qui l’environne, le mouvement de translation de ses molécules sera encore augmenté, leurs liens de nouveau relâchés, et le corps passera de l’état liquide à l’état gazeux. On sait encore que quand un corps passe de l’état solide à l’état liquide ou de l’état liquide à l’état de vapeur ou de gaz, sa température n’augmente pas puisqu’il absorbe de la chaleur ; il en est ainsi « parce que les molécules qui changent d’état reçoivent le mouvement de translation qui est propre au nouvel état sans plus heurter les autres molécules qu’elles abandonnent, et conséquemment sans plus faire croître le mouvement vibratoire des molécules des corps. La chaleur de fusion et de vaporisation démontre que, dans l’état liquide, la force vive totale des atomes tourbillons doit être plus grande que dans l’état solide, et dans l’état gazeux plus grande que dans l’état liquide ; aussi a-t-on une restitution de chaleur dans les phénomènes inverses, c’est-à-dire dans la condensation des vapeurs et dans la solidification des liquides. »

On explique non moins facilement à l’aide de la même théorie, le pouvoir absorbant et le pouvoir émissif des corps, c’est-à-dire la propriété qu’ont les corps pondérables d’absorber et d’émettre inégalement de la chaleur, le pouvoir émissif de chacun étant toujours égal à son pouvoir absorbant. « Les particules éthérées de chaque atome tourbillon, dit M. F. Marco[34], peuvent évidemment vibrer quand elles sont heurtées dans l’acte de la combinaison chimique, ou bien quand elles sont frappées par des ondes éthérées lumineuses ou caloriques ; elles peuvent alors produire de nouvelles ondes, c’est-à-dire la lumière et la chaleur émises par les corps. L’absorption de la chaleur n’est qu’une communication du mouvement vibratoire de l’éther libre aux atomes tourbillons. Ainsi, il est évident que le pouvoir émissif doit être égal au pouvoir absorbant. De même, on comprend facilement pourquoi les corps réduits en poussière ont un pouvoir absorbant et émissif plus grand que celui des corps compacts tels que les métaux, si l’on considère que les corps réduits en poussière présentent une grande quantité de surface moléculaire en contact avec l’éther libre, tandis que le contraire advient avec les corps compacts tels que les métaux. Cette raison vaut pareillement pour un même corps ; et, partant, l’argent bruni possède un pouvoir émissif et absorbant moindre que l’argent dépuré chimiquement. »

La lumière. Je ne veux pas insister davantage sur cette question ; les faits que je viens de citer suffisent amplement pour montrer de quel secours est la théorie de l’éther dans l’explication des phénomènes caloriques. Je n’insisterai pas non plus sur les faits relatifs à la lumière. Il me suffira de rappeler que la lumière, de même que la chaleur, se transmet à travers l’éther pour montrer l’analogie qu’il doit y avoir entre les phénomènes intimes auxquels elle donne lieu et ceux de la chaleur. Tous les faits connus démontrent que la lumière doit être attribuée à la vibration des atomes éthérés, comme les vibrations caloriques, les vibrations lumineuses se transmettent sous la forme d’ondes comparables à celles du son, mais ayant leur siège dans l’éther. Quant à la coloration des différents rayons du prisme, elle doit être attribuée, de même que la variété des sons, à la nature différente des vibrations lumineuses. L’analogie dans la nature intime des phénomènes explique encore pourquoi la chaleur et la lumière sont si souvent émises en même temps par un même corps, quoique cependant on ne puisse pas confondre les deux sortes de phénomènes.

Il est également facile d’expliquer avec la théorie des atomes les phénomènes chimiques déterminés par la chaleur et la lumière, si l’on réfléchit que les corps composés sur lesquels elles agissent sont formés d’atomes dont il suffit de modifier les mouvements vibratoires et par suite les mouvements rotatoires et translatoires pour modifier leurs rapports, c’est-à-dire pour les rapprocher ou les séparer.

Électricité et magnétisme. L’ordre de phénomènes qui est le plus vivement éclairé par la théorie de l’éther et par celle des atomes tourbillons est celui des phénomènes électriques et magnétiques. J’ai à peine besoin de rappeler que jusqu’à ces dernières années, la plupart des physiciens admettaient avec plus ou moins de confiance l’existence soit d’un, soit de deux ou plusieurs fluides électriques et magnétiques, de même qu’au siècle dernier on croyait à l’existence d’un fluide calorique et d’un fluide lumineux. Tous ces fluides hypothétiques sont rendus absolument inutiles par la théorie de l’éther. Sans entrer dans l’analyse de la nature intime de tous les phénomènes électriques et magnétiques, analyse qui dépasserait beaucoup les limites de ce travail, je crois utile de montrer par quelques exemples la façon dont on peut expliquer ces phénomènes avec la théorie qui déjà nous a permis de projeter une si vive lumière sur l’étude de la chaleur. Je prends encore pour guide M. F. Marco qui a fait de l’électricité et du magnétisme une étude très complète au point de vue qui nous occupe ici.

Cherchant à expliquer la production de l’électricité qui a lieu au contact des corps hétérogènes, il écrit[35] : « J’ai établi qu’un corps solide est un système d’atomes tourbillons, chacun desquels a sa vitesse, sa densité, et exerce une pression déterminée sur l’éther libre, pression dépendante du mouvement rotatoire dont il est animé, et que l’augmentation de la vitesse de rotation fait aussi la pression et la densité des atomes tourbillons et vice versa. Dans cette théorie, la vitesse de rotation, et par conséquent la densité et la pression des atomes tourbillons doivent être autant de fonctions des différentes propriétés des corps ; et comme ces propriétés varient d’un corps à un autre, dans de certaines limites, nous devons également admettre que ces fonctions varient, dans de certaines limites, d’un corps à un autre. Cela posé, lorsqu’on place en contact deux corps différents, chez lesquels la vitesse de rotation, et, par suite, la densité et la pression extérieure des atomes tourbillons est différente, les atomes tourbillons les plus rapides doivent accélérer les plus lents, et, vice versa, ces derniers devront retarder les premiers. Ainsi, les atomes tourbillons dont la vitesse de rotation diminue se trouveront en défaut de pression et de densité, à l’état électrique, et ceux dont la vitesse de rotation augmente se trouveront en excès de pression et de densité ; mais, par l’effet du contact, il y aura passage d’éther des atomes tourbillons qui sont en excès à ceux qui sont en défaut de densité, il s’établira ainsi un équilibre entre la densité et pression des atomes tourbillons qui se trouvent en contact. Cet équilibre durera tant que durera le contact. Lorsqu’ensuite les divers corps seront séparés, celui dont les atomes tourbillons ont reçu de l’éther, se trouvera dans l’état électrique positif, et, vice versa, celui dont les atomes tourbillons ont perdu de l’éther se trouvera dans l’état électrique négatif. Voilà en quoi consiste l’état électrique positif et négatif, et quelle est l’origine de l’électricité qui se manifeste dans le contact des corps hétérogènes. »

En d’autres termes, un corps électrisé positivement par rapport à un autre avec lequel il a été mis en contact, est un corps dont les atomes tourbillons ou molécules pondérables ont reçu du corps avec lequel il a été mis en contact des particules d’éther, et qui, par suite, a vu augmenter sa pression sur l’éther ambiant ; tandis que le corps électrisé négativement est celui qui a cédé aux atomes tourbillons ou molécules pondérables de l’autre une partie de ses atomes d’éther : la perte ou le gain en éther étant déterminé par la vitesse de rotation des atomes tourbillons avant le contact.

Ce que produit le contact de divers corps solides hétérogènes, le contact d’un liquide et d’un solide le produira plus énergiquement encore ; là est l’explication de l’électricité produite par le contact des liquides avec les métaux, celle des piles, celle qui résulte du frottement, etc. M. Marco explique aussi par ces phénomènes la production d’électricité qui accompagne les actions chimiques et le mécanisme des actions chimiques elles-mêmes. Il rappelle que d’après la théorie de Gaudin chaque molécule d’un corps composé est constituée par un système d’atomes tourbillons en équilibre dynamique et il ajoute[36] : « Dès que la vitesse de rotation de l’un quelconque des atomes tourbillons qui constituent une molécule est accélérée ou retardée au delà d’une certaine limite, par le contact d’autres atomes tourbillons d’une substance différente, l’équilibre est rompu. Les atomes tourbillons dont la vitesse s’accroît, se trouveront en excès de densité et de pression et partant à l’état électropositif. Vice versa, les atomes tourbillons dont la vitesse de rotation diminue seront en défaut de densité et de pression et partant dans l’état électro-négatif. Grâce au passage d’éther des atomes tourbillons en excès de densité à ceux qui sont en défaut de densité, l’équilibre de densité se rétablira parmi les atomes tourbillons dont les vitesses de rotation se seront égalisées pour former de nouvelles molécules. Les ondulations caloriques et lumineuses peuvent produire des actions chimiques en modifiant la vitesse de rotation des atomes tourbillons qui sont associés et constituent les molécules précisément en vertu de leurs mouvements rotatoires. » Il faut remarquer que Bunsen et Roscoë ont démontré que quand la lumière détermine une action chimique elle diminue d’intensité, d’où il faut conclure « qu’elle doit évidemment, ou engendrer un mouvement ou modifier celui qui préexiste dans les atomes qui se combinent » et que « la combinaison chimique elle-même est un travail mécanique ». Afin de donner une idée de la cause intime des phénomènes électriques qui se produisent dans les combinaisons et décompositions chimiques, M. Marco prend pour exemple l’oxygène. L’électricité constamment positive de ce corps quand il entre en combinaison signifie pour M. Marco que la vitesse du mouvement rotatoire de ses atomes tourbillons s’accroît constamment par le contact avec les atomes tourbillons des substances avec lesquelles il se combine, tandis que les atomes tourbillons de ces dernières se trouvent à l’état électro-négatif parce que leur vitesse de rotation diminue. Au contraire, au moment des décompositions, la vitesse de rotation des atomes tourbillons de l’oxygène diminuant pour rentrer dans l’état naturel, l’oxygène devient électro-négatif ; les atomes tourbillons de la substance avec laquelle l’oxygène était combiné augmentent au contraire de vitesse en revenant à leur état primitif et deviennent électropositifs.

Les changements de vitesse du mouvement rotatoire permettent encore d’expliquer les phénomènes électriques dus au changement d’état des corps, à la variation de leurs volumes et généralement à toutes les modifications moléculaires dont ils peuvent être le siège, soit sous l’influence de la chaleur ou de la lumière, soit sous celle des actions chimiques.

Après avoir exposé tous ces faits, M. Marco conclut : « L’électricité n’est donc pas un pur mouvement de la matière ainsi qu’on l’admet ordinairement, par une extension conforme de la théorie mécanique de la chaleur, mais une altération de l’équilibre quantitatif et dynamique de l’éther qui constitue les atomes des corps dans l’état naturel. Si cette altération se propage difficilement, elle donne lieu aux phénomènes de l’électricité statique ; si, au contraire, elle se propage facilement, moyennant le passage d’éther d’un atome à l’autre, elle donne lieu aux phénomènes de l’électricité dynamique[37]. »

Je ne suivrai pas M. Marco dans l’étude qu’il fait des applications de cette théorie aux divers phénomènes de l’électricité dynamique et statique. Il me suffit d’avoir montré la base sur laquelle il s’appuie pour les expliquer.

J’agirai de la même façon pour ce qui concerne les phénomènes magnétiques. Quelques expériences fort curieuses et récentes ont mis les physiciens sur la voie d’une explication rationnelle de ces phénomènes en apparence si mystérieux. Je me bornerai à citer les trois ou quatre plus importantes. L’une des plus remarquables est due à M. de la Rive[38]. Plaçant une masse de fer cylindrique, pesant 10 kilogrammes et ayant 10 centimètres de diamètre, dans l’intérieur d’une grosse hélice de solénoïde parcouru par un courant intermittent, il entendit la masse de fer produire un son musical très clair. Des fils de fer bien recuits, ayant 1 à 2 millimètres de diamètre, longs de 1 à 2 mètres, tendus sur une table d’harmonie, ayant été placés dans l’axe des bobines dont les fils étaient parcourus par un courant intermittent, M. de la Rive entendit des sons tout à fait comparables à ceux de plusieurs cloches d’église vibrant harmoniquement au loin. Si l’on se rappelle que le son est produit par une vibration des molécules pondérables des corps, on est conduit à conclure de ces premières expériences que le passage du courant électrique dans le solénoïde détermine un changement de position dans les molécules du fer qui rend les sons. Les expériences suivantes confirment pleinement cette interprétation. De la Rive introduit dans une bobine électro-magnétique verticale, un disque de carton suspendu à un fil passant par son centre et couvert de limaille de fer. Dès que le courant passe dans le fil de la bobine, les morceaux de limaille se disposent en petites pyramides allongées dans le sens de l’axe de la bobine ; quand le courant cesse de passer, les pyramides s’écroulent, pour se reconstituer quand il passe de nouveau. Une autre expérience due à Grove, rend évidente la tendance qu’ont les parcelles de métal à se rapprocher les unes des autres, en se disposant dans l’axe du courant. Grove remplit d’eau un tube de verre dans lequel il introduit une poussière très fine d’oxyde magnétique de fer, puis il ferme les deux extrémités du tube à l’aide de rondelles en verre. Il a soin d’introduire assez de poussière pour qu’à l’état ordinaire la lumière ne puisse pas traverser le tube dans le sens de sa longueur. Plaçant ensuite ce tube dans une bobine, il constate qu’au moment du passage du courant, la lumière traverse longitudinalement le tube avec une grande aisance parce que les granules de poussière se sont rapprochés, en files parallèles à l’axe du courant. Enfin Joule a constaté qu’une barre de fer magnétisée par un courant s’allonge, tandis que son diamètre diminue, ce qui ne peut avoir lieu que si ses molécules se rapprochent, parallèlement à l’axe du courant. De toutes ces expériences, il est permis de conclure que les molécules pondérables des corps changent de position sous l’influence des courants électriques. Le changement de position détermine le son constaté par de la Rive, et les corps dits magnétiques seraient ceux dont les atomes offriraient cette faculté de changement de position à un degré assez prononcé pour qu’elle soit facilement mise en jeu. Si nous appliquons ces données à la théorie des atomes tourbillons, nous pouvons admettre facilement avec M. Marco[39] que « la magnétisation consiste dans l’orientation des axes de rotation des atomes tourbillons des corps magnétiques, dans la direction parallèle à l’axe de la spirale magnétique ; de sorte qu’un aimant serait un corps dont les atomes tourbillons ont une orientation commune telle que leurs axes sont parallèles à l’axe de l’aimant et que leurs rotations se font dans le sens des courants moléculaires d’Ampère. Ces fameux courants moléculaires se réduiraient donc à des atomes tourbillons. Le caractère des métaux magnétiques consisterait donc en ce que leurs atomes tourbillons sont susceptibles d’une orientation très prononcée. Je dis très prononcée parce que le magnétisme est une propriété générale des corps, laquelle, ainsi qu’il en est de toutes les propriétés de la matière est plus saillante chez quelques-uns d’entre eux. » M. Marco ajoute : « Une telle hypothèse rend compte de tous les phénomènes du magnétisme aussi bien que celle d’Ampère, sans avoir les difficultés que cette dernière nous présente. De plus, elle rend une raison claire d’une foule d’autres phénomènes qui deviennent autant de preuves concluantes de la vérité. » Il montre alors qu’elle fournit l’explication des sons produits par le fer magnétisé et celle de l’allongement de la barre de fer de Grove. Elle explique aussi pourquoi ni réchauffement, ni la pression, ni la tension, ni aucune autre action mécanique ne peuvent produire la magnétisation, tandis que ces actions la diminuent ou la détruisent en modifiant l’orientation magnétique des axes des tourbillons. Elle montre que si la tension diminue le magnétisme des barres magnétiques, cela est dû à ce qu’elle altère l’orientation des axes des tourbillons, tandis que la magnétisation diminue la tension d’un fil de fer ou d’acier en rendant parallèles les axes d’orientation des atomes tourbillons, etc.

Mais il importe d’expliquer pourquoi la magnétisation rend les axes de rotation des tourbillons de la barre magnétisée parallèles à l’axe de cette barre et pourquoi elle imprime aux tourbillons une rotation dans le sens des courants d’Ampère.

Un premier fait peut servir de base à cette recherche. On sait que quand on fait passer un courant électrique à travers un fil de fer, ce dernier rend un son analogue à ceux que nous avons signalés à propos des barres ou des fils de fer doux que l’on magnétise par le solénoïde. Il est naturel d’en conclure que le passage du courant à travers le fil de fer modifie la position de ses molécules. Cette modification moléculaire est encore démontrée par ce fait que les fils dans lesquels on fait passer les courants, ne tardent pas à devenir plus cassants qu’ils ne l’étaient auparavant. Une expérience de de la Rive[40] peut nous donner une idée de la position que prennent les molécules sous l’influence du courant : plaçant de la limaille sur un fil de fer parcouru par un courant, il a vu les grains se disposer transversalement par rapport à l’axe longitudinal du fil et même former des anneaux tout autour de lui. Cette disposition perpendiculaire à la direction du courant nous permet de supposer avec quelque fondement que les atomes tourbillons du fil parcouru par le courant se disposent de façon à ce que leurs axes de rotation soient perpendiculaires à la direction du courant. C’est, en prenant cette position pendant le passage du courant et en l’abandonnant pendant l’interruption du passage, qu’ils déterminent les vibrations sonores signalées plus haut.

Dans un solénoïde, le fil étant enroulé en spirale, les axes des atomes tourbillons, en prenant une direction perpendiculaire à celle du fil, se trouvent devenir parallèles à la barre de fer doux que l’on place au centre du solénoïde pour la magnétiser. Par l’intermédiaire de l’éther qui les sépare des atomes tourbillons de la barre, ils agissent de façon à imprimer à ces derniers une direction semblable à la leur et une rotation dans le même sens. C’est, en effet, un principe admis par tous les physiciens que les axes de rotation des atomes tendent toujours, en tous cas, à devenir parallèles, de même que la rotation tend à se faire dans le même sens. Cette loi se trouve vérifiée dans des proportions infiniment étendues au sein de l’univers. Rappelons que tous les globes constituant le monde solaire ont leurs axes dirigés de la même façon et tournent dans le même sens. Il en est probablement ainsi de tous les astres qui entrent dans la composition de l’univers.

Résumons maintenant la théorie de l’électricité et du magnétisme que nous venons d’exposer : le courant électrique est déterminé par la différence de vitesse des atomes tourbillons des corps mis en contact ; le courant électrique n’est pas autre chose qu’un mouvement des atomes tourbillons, mouvement transmis par l’éther intermédiaire, déterminant un changement de position des atomes tel que leurs axes deviennent tous parallèles entre eux et perpendiculaires à la direction dans laquelle se propage le courant ; quand le courant cesse, c’est-à-dire quand on interrompt le contact des corps qui lui donne naissance, les atomes tourbillons reprennent leur position primitive. Rien de plus facile que d’expliquer l’action des courants sur les courants, des aimants sur les courants, des courants et des aimants entre eux ; ces actions ne sont que des transmissions du mouvement des atomes tourbillons d’un corps à un autre par l’intermédiaire de l’éther dans lequel ils sont plongés.

Quant aux phénomènes sonores, caloriques, lumineux, chimiques, qui accompagnent les phénomènes électriques et magnétiques, ils sont bien faciles à interpréter si l’on songe que toute modification dans la position et le mouvement rotatoire des atomes tourbillons est nécessairement accompagnée de chocs de ces atomes soit les uns contre les autres, soit contre les atomes de l’éther, et par conséquent de vibrations caloriques qui elles-mêmes modifient le mouvement de translation des atomes, les écartent ou les rapprochent, les choquent, les disjoignent ou les associent.

Il résulte de ce qui précède que tous les prétendus fluides ou forces des anciens physiciens, la chaleur, la lumière, le son, l’électricité, le magnétisme, se réduisent à des mouvements de la matière, mouvements susceptibles de se transformer les uns dans les autres, mais aussi indestructibles que la matière elle-même.

Gravité et attraction. Il nous reste à parler de la gravité ou pesanteur et de l’affinité chimique et des autres prétendues « forces attractives » des physiciens et des chimistes.

Avec la théorie de l’éther et des atomes tourbillons rien n’est plus facile à expliquer que les prétendues attractions des corps.

Supposons qu’il n’existe dans l’univers qu’un seul atome tourbillon A, environné d’éther ; il déterminera nécessairement par sa rotation autour de son axe une agitation de l’éther, un refoulement des atomes éthérés libres, se propageant à l’infini autour de son centre et décroissant du centre à la périphérie avec le carré des distances, de telle sorte que la densité de la masse agitée va en décroissant de la périphérie au centre. Supposons maintenant qu’un deuxième atome tourbillon, B, existe dans la masse de l’éther ; comme la sphère d’action du premier est illimitée, le deuxième atome tourbillon se trouvera nécessairement situé dans cette sphère. La quantité de matière et par suite la résistance que rencontre l’atome tourbillon B, étant moindre du côté de A, qui est à une distance finie, que de tous les autres côtés où la matière s’étend à l’infini, l’atome B subira une pression extérieure le poussant vers l’atome A. Les deux atomes se rapprocheront ainsi jusqu’à ce qu’ils soient arrivés au contact, ou plutôt jusqu’à ce qu’il se produise un choc qui imprimera à l’un et à l’autre un mouvement de translation dans l’espace. « De cette analyse, dit Secchi[41], à qui j’ai emprunté l’exemple ci-dessus, il ressort que deux atomes ou deux molécules en mouvement au sein d’un milieu constitué comme il a été dit (formé d’éther) ont une tendance réciproque au rapprochement, non en vertu d’une force intérieure, mais à cause de l’inégale résistance au mouvement que présente le milieu dans les divers sens dès l’instant où le centre agissant n’est plus unique. Dans ces conditions, il se produit ce que l’on appelle une attraction. Toutes les causes capables d’augmenter l’intensité du mouvement modifieront nécessairement les effets de cette attraction apparente. »

Passons de ce fait à celui d’une pierre qui tombe sur le sol, l’explication en est aussi facile. La terre détermine autour d’elle, par sa rotation, un refoulement à l’infini de l’éther dans lequel elle se meut, en sorte qu’elle se trouve placée au centre d’une sphère dont la densité diminue du centre à la périphérie ; qu’une pierre soit abandonnée à elle-même dans cette sphère, comme elle recevra du côté des espaces infinis du ciel une pression beaucoup plus forte que du côté de la terre, puisque tous les atomes de l’éther jusqu’à l’infini pèsent sur elle, elle tombera vers la terre, c’est-à-dire vers le point d’où lui vient la moindre pression. De la même façon, nous expliquerons sans peine pourquoi la terre est attirée vers le soleil, pourquoi la lune est attirée vers la terre, pourquoi tout astre céleste est attiré vers un autre. Quant au motif qui empêche la terre de tomber sur le soleil, et la lune de tomber sur la terre, il faut le chercher dans le mouvement de translation de ces astres, mouvement qui lancerait la terre et la lune en droite ligne dans l’espace si la pression de l’éther ne les maintenait, la terre dans la sphère d’action du soleil, et la lune dans la sphère d’action de la terre. Sans doute aussi la pression de l’éther agit pour maintenir les astres à une certaine distance les uns des autres, de même que la pression atmosphérique agissant sur un ballon de bas en haut et aussi de haut en bas le maintient à une distance fixe de la terre ; de même aussi que la pression de l’eau s’exerçant dans les deux sens maintient entre deux eaux les navires sous-marins. On peut ainsi appliquer la loi célèbre d’Archimède à tous les corps suspendus dans l’éther, c’est-à-dire à tous les corps pondérables, qu’ils aient les dimensions gigantesques du soleil ou de la terre, ou la taille infime de l’atome tourbillon. À tous ces corps aussi on pourra probablement appliquer les lois qui ont été assignées par les astronomes à la marche des sphères célestes, de même que la forme sphéroïde appartient probablement aux atomes tourbillons comme aux astres qui peuplent l’immensité du ciel.

Mouvements musculaires. Il n’est pas jusqu’aux corps vivants qu’on ne puisse considérer comme formés élémentairement d’atomes, tourbillons semblables à ceux de la matière brute. Toutes les observations relatives aux phénomènes électriques ou caloriques dont les animaux et les végétaux sont le siège tendent à montrer l’identité de structure fondamentale de ces êtres et des autres corps pondérables. Les cellules ont offert à M. Dubois Raymond une zone équatoriale positive et deux zones polaires négatives, c’est-à-dire exactement ce qui existerait si chaque cellule était formée d’atomes tourbillons ayant leurs axes de rotation parallèles les unes aux autres et parallèles au grand axe de la cellule, de telle sorte que les pôles des plus superficiels correspondent aux extrémités de la cellule, tandis que leurs zones équatoriales répondraient à ses faces. Le mouvement musculaire lui-même offre tous les caractères qu’il présenterait s’il consistait en un raccourcissement de l’axe polaire et en un allongement simultané du diamètre équatorial des atomes tourbillons au moment de la contraction, tandis qu’après celle-ci les diamètres polaires s’allongeraient de nouveau, en même temps que les diamètres équatoriaux se raccourciraient. Cette explication de la contraction musculaire, émise par M. Félix Marco, paraît d’autant plus admissible que les atomes tourbillons étant formés par l’agrégation d’atomes éthérés, on comprend facilement que ceux-ci puissent se mouvoir de façon à modifier la forme de la molécule pondérable représentée par l’atome tourbillon. Ces raccourcissements et allongements alternatifs du diamètre de l’atome tourbillon musculaire ne seraient que peu différents des mouvements vibratoires qui caractérisent la chaleur et la lumière.

On peut donc attribuer aux atomes tourbillons les divers mouvements suivants, à l’aide desquels seraient expliqués tous les phénomènes naturels : 1o un mouvement de rotation provoquant les phénomènes dits d’attraction et les phénomènes électriques ; 2o des mouvements de translation destinés à activer les mouvements de rotation et à les provoquer ; 3o les mouvements vibratoires qui produisent la lumière et la chaleur ; 4o un mouvement de déplacement des axes déterminant le magnétisme ; 5o un mouvement de raccourcissement et d’allongement alternatifs des axes déterminant les contractions musculaires ; mouvements capables de se transformer les uns en les autres, mais ne s’éteignant jamais, aussi impossibles à concevoir en dehors de la matière qu’il est impossible de concevoir la matière sans eux ; mouvements éternels comme la matière, déterminant ses transformations incessantes, et donnant à ce corps unique, illimité dans son étendue, éternel dans sa durée, l’éther, les formes variables à l’infini des corps pondérables qui tombent sous nos sens.

Si l’on admet la théorie de l’éther et celle des atomes tourbillons que nous venons d’exposer, il est facile d’expliquer la différence de caractères des différents corps chimiques qui entrent dans la composition de l’univers par les différences qui peuvent exister dans le volume, la forme, la vitesse et la direction des mouvements des molécules pondérables ou atomes tourbillons, de même que les combinaisons et les décompositions chimiques trouvent une explication facile dans les mouvements de rotation ou de translation qui dissocient ou rapprochent les atomes tourbillons de différentes sortes.

Formation de la matière pondérable par l’éther.
Évolution de la matière.
Il ne sera pas inutile de jeter un coup d’œil sur les procédés à l’aide desquels l’éther a pu former les éléments chimiques si nombreux qui entrent dans la composition des corps pondérables.

En admettant que l’évolution de la matière ait été ascendante, il est permis de supposer que l’univers a d’abord été constitué uniquement par de l’éther, dont les atomes se sont agrégés en certains points pour former des molécules pondérables. Celles-ci, en s’unissant, ont formé les corps que les chimistes considèrent comme simples. Ces derniers, en se mélangeant, donnèrent d’abord naissance à des corps complexes ; puis, en se combinant, ils produisirent des corps chimiquement composés. Ce qui est incontestable, c’est que nous pouvons à volonté, d’une part, produire, à l’aide des corps dits simples, un nombre extrêmement considérable de corps plus ou moins complexes ; d’autre part, modifier les propriétés physiques des corps simples ou composés, en changeant leur état moléculaire, par soustraction ou addition de calorique.

La simple modification de l’état moléculaire et le mélange ne produisent que des corps peu distincts par leurs propriétés de ceux qui leur ont donné naissance, tandis que les propriétés des corps produits par combinaison chimique sont toujours très différentes de celles des éléments qui ont servi à les former. Mélangeons, par exemple, de l’oxygène et de l’hydrogène dans une éprouvette, nous obtiendrons un corps gazeux dont les propriétés rappelleront encore beaucoup celles des deux gaz, sans cependant être tout à fait identiques. Mais si nous déterminons la combinaison chimique des deux gaz par le passage d’une étincelle électrique à travers l’éprouvette qui les contient, nous obtenons un corps liquide, l’eau, dont les propriétés sont totalement différentes de celles des gaz qui entrent dans sa composition. Nous pouvons encore mélanger ou combiner cette eau avec d’autres corps pour obtenir des substances nouvelles. En combinant, par exemple, un certain nombre de molécules d’eau avec des atomes de carbone, nous obtiendrons des substances dites ternaires, c’est-à-dire contenant trois corps simples : l’oxygène, l’hydrogène et le carbone. Ces corps ternaires eux-mêmes nous servent à faire avec l’azote des corps quaternaires, ou à quatre éléments simples, etc.

Nous pouvons même, ainsi que j’ai dit plus haut, modifier profondément les propriétés des corps simples ou composés sans altérer leur composition chimique, en leur enlevant ou en leur donnant de la chaleur, c’est-à-dire en modifiant leur état moléculaire. En voici un exemple bien connu : le soufre en bâton est dur, cassant, coloré en jaune clair, et formé de cristaux octaédriques. Quand on le fait fondre au feu, il se transforme d’abord en un liquide jaune clair, très fluide ; mais, continuons à chauffer ce liquide, nous le verrons bientôt s’épaissir et se colorer en brun. À 250 degrés, il sera assez épais pour qu’on puisse retourner le vase qui le contient sans qu’il s’en échappe. Chauffons encore, et un quatrième état se montrera : le soufre redeviendra liquide. Versons ce liquide dans l’eau, il s’épaissit rapidement, reste mou et peut être étiré en longs fils minces. Abandonné à lui-même à la température des appartements, le soufre mou change encore une fois d’état ; il se durcit peu à peu et prend à peu près les caractères extérieurs qu’il avait avant la série d’expériences que nous venons de faire, mais il perd de la chaleur et se montre formé de prismes. Il diffère donc par sa structure intime du soufre dur qui lui a donné naissance ; cependant, au bout d’un temps plus ou moins long, il aura perdu une nouvelle quantité de chaleur et il se montrera formé de cristaux octaédriques ; enfin, nous pouvons, en lui donnant une grande quantité de chaleur, l’obtenir à l’état de vapeur. Je pourrais passer en revue autant de corps simples ou composés qu’il me plairait de choisir, on les verrait acquérir des propriétés différentes en changeant d’état moléculaire sous l’influence d’une soustraction ou d’une addition de chaleur.

N’est-il pas permis de conclure de ces faits que la différence des propriétés n’est pas un motif suffisant de conclure à la diversité de composition ? Et ne pouvons-nous pas logiquement en déduire qu’un même corps, l’éther, en associant ses atomes de diverses façons, a pu produire tous les corps regardés comme simples par les chimistes. Or, nous savons que par le mélange et la combinaison des corps simples, nous pouvons produire tous les corps composés de l’univers, corps se manifestant à nous par des propriétés physiques et chimiques différentes.

Faisons un pas de plus dans cette voie. En s’appuyant sur leurs propriétés ainsi que sur la nature et le nombre de leurs éléments constituants, on a divisé tous les corps composés que nous connaissons en deux grands groupes, sous les noms de corps inorganiques et corps organiques. Les premiers peuvent être dépourvus de carbone, les seconds en contiennent toujours ; les premiers sont relativement stables, c’est-à-dire qu’ils ne se décomposent que difficilement ; les seconds sont instables, ils se décomposent avec une très grande facilité. Les uns et les autres peuvent être formés de deux, de trois ou d’un nombre plus grand et très variable d’éléments simples ou composés. Dans les corps organiques cependant, il n’entre, en général, qu’un petit nombre de corps simples ; le carbone et l’hydrogène, qui ne font jamais défaut, suffisent, avec l’azote et l’oxygène (auxquels s’ajoutent parfois le fer, le soufre et le phosphore), pour former un nombre indéfini de corps organiques qui diffèrent les uns des autres, soit par la quantité d’atomes de chacun d’eux, soit par le mode d’arrangement de ces atomes.

Les propriétés de ces corps sont d’autant plus variées et leur tendance à subir des modifications est d’autant plus grande que le nombre des atomes constituant la molécule est plus considérable et que leur arrangement est plus complexe. Ainsi, les propriétés d’un corps organique binaire, dont la molécule contient seulement des atomes de carbone et d’hydrogène, sont moins nombreuses et moins variées que celles d’un corps ternaire dont la molécule renferme du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène ; la stabilité de la molécule ternaire est également moindre que celle de la molécule binaire. De même les corps formés des quatre éléments : carbone, hydrogène, oxygène et azote, corps parmi lesquels figurent les substances organiques les plus complexes, celles qui ont reçu le nom de matières albuminoïdes, les substances quaternaires, dis-je, sont encore moins stables que toutes les précédentes et jouissent de propriétés en apparence plus complexes. Les matières albuminoïdes ont une instabilité telle qu’on n’a pu encore déterminer leur formule chimique.

Si nombreux et si différents que soient les corps organiques, ils ne sont formés, on le voit, que des mêmes corps simples qui entrent dans la composition des corps inorganiques ; ils ne se distinguent donc de ces derniers par aucun caractère primordial.

En résumé, par l’évolution d’un seul corps simple, l’éther, nous pouvons concevoir la genèse de tous les corps qui entrent dans la constitution de l’univers.




  1. Introduction à l’histoire des minéraux, t. II, p. 216.
  2. Ibid., t. II, p. 217.
  3. Introduction à l’histoire des minéraux, t. II, p. 219.
  4. Ibid., t. II, p. 220.
  5. Introduction à l’histoire des minéraux, t. II, p. 221.
  6. Ibid., t. II, p. 221.
  7. Introduction à l’histoire des minéraux, t. II, p. 224.
  8. Ibid., t. II, p. 227.
  9. Traité de l’aimant et de ses usages, t. IV, p. 89.
  10. Traité de l’aimant et de ses usages, t. IV, p. 107.
  11. Traité de l’aimant et de ses usages, t. IV, p. 122.
  12. Ibid., t. IV, p. 76.
  13. On remarquera que dans cette phrase Buffon place la chaleur, la lumière et le son sous la dépendance de l’attraction.
  14. Introduction à l’histoire des minéraux, t. IV, p. 78.
  15. Vues de la nature, première vue, t. II, p. 208.
  16. Ibid., t. II, p. 209.
  17. Wundt, Traité élémentaire de physique médic., p. 67.
  18. Secchi, L’unité des forces physiques, p. 66.
  19. Revue scientifique, 1878.
  20. L’unité dynamique des forces et des phénomènes de la nature, p. 12.
  21. L’unité dynamique, p. 5.
  22. Voyez Les Mondes, t. XXII (1871), p. 574.
  23. L’unité des forces physiques, 2e édit., p. 118.
  24. Ibid., p. 518.
  25. Ibid., p. 542.
  26. L’unité des forces physiques, 2e édit., p. 514.
  27. Matière et éther, indication d’une méthode pour établir les propriétés de l’éther, p. 28.
  28. Ibid., p. 30.
  29. Loc. cit., p. 26.
  30. Hirn, Théorie mécanique de la chaleur, p. 100.
  31. Hirn, Annales de chimie et de physique, 1867, t. XI, p. 45.
  32. Hirn, Annales de chimie et de physique, 1867, t. XI, p. 27.
  33. Ibid., p. 28.
  34. Hirn, Annales de chimie et de physique, 1867, t. XI, p. 29.
  35. Hirn, Annales de chimie et de physique, 1867, t. XI, p. 47.
  36. Hirn, Annales de chimie et de physique, 1867, t. XI, p. 56.
  37. Hirn, Annales de chimie et de physique, 1867, t. XI, p. 73.
  38. Traité de l’électricité, t. Ier, p. 300.
  39. Traité de l’électricité, t. Ier, p. 109.
  40. Traité de l’électricité, t. Ier, p. 310.
  41. L’unité des forces physiques, p. 539.