Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire et théorie de la Terre/Preuves de la théorie de la Terre/Article XVII
ARTICLE XVII
DES ÎLES NOUVELLES, DES CAVERNES, DES FENTES PERPENDICULAIRES, ETC.
Les îles nouvelles se forment de deux façons, ou subitement par l’action des feux souterrains, ou lentement par le dépôt du limon des eaux. Nous parlerons d’abord de celles qui doivent leur origine à la première de ces deux causes. Les anciens historiens et les voyageurs modernes rapportent à ce sujet des faits, de la vérité desquels on ne peut guère douter. Sénèque assure que, de son temps, l’île de Thérasie[1] parut tout à coup à la vue des mariniers. Pline rapporte qu’autrefois il y eut treize îles dans la mer Méditerranée qui sortirent en même temps du fond des eaux, et que Rhodes et Délos sont les principales de ces treize îles nouvelles ; mais il paraît, par ce qu’il en dit et par ce qu’en disent aussi Ammien Marcellin, Philon, etc., que ces treize îles n’ont pas été produites par un tremblement de terre, ni par une explosion souterraine : elles étaient auparavant cachées sous les eaux, et la mer en s’abaissant a laissé, disent-ils, ces îles à découvert ; Délos avait même le nom de Pelagia, comme ayant autrefois appartenu à la mer. Nous ne savons donc pas si l’on doit attribuer l’origine de ces treize îles nouvelles à l’action des feux souterrains ou à quelque autre cause qui aurait produit un abaissement et une diminution des eaux dans la mer Méditerranée ; mais Pline rapporte que l’île d’Hiéra, près de Thérasie, a été formée de masses ferrugineuses et de terres lancées du fond de la mer ; et, dans le chapitre lxxxix, il parle de plusieurs autres îles formées de la même façon nous avons sur tout cela des faits plus certains et plus nouveaux.
Le 23 mai 1707, au lever du soleil, on vit de cette même île de Thérasie ou de Santorin, à deux ou trois milles en mer, comme un rocher flottant ; quelques gens curieux y allèrent et trouvèrent que cet écueil, qui était sorti du fond de la mer, augmentait sous leurs pieds, et ils en rapportèrent de la pierre ponce et des huîtres que le rocher, qui s’était élevé du fond de la mer, tenait encore attachées à sa surface. Il y avait eu un petit tremblement de terre à Santorin deux jours auparavant la naissance de cet écueil : cette nouvelle île augmenta considérablement jusqu’au 14 juin sans accident, et elle avait alors une demi-mille de tour et 20 à 30 pieds de hauteur ; la terre était blanche et tenait un peu de l’argile ; mais après cela la mer se troubla de plus en plus, il s’en éleva des vapeurs qui infectaient l’île de Santorin, et le 16 juillet on vit 17 ou 18 rochers sortir à la fois du fond de la mer ; ils se réunirent. Tout cela se fit avec un bruit affreux qui continua plus de deux mois, et des flammes qui s’élevaient de la nouvelle île ; elle augmentait toujours en circuit et en hauteur, et les explosions lançaient toujours des rochers et des pierres à plus de sept milles de distance. L’île de Santorin elle-même a passé chez les anciens pour une production nouvelle, et, en 726, 1427 et 1573, elle a reçu des accroissements, et il s’est formé de petites îles auprès de Santorin. (Voyez l’Hist. de l’Acad., 1708, p. 23 et suiv.) Le même volcan qui du temps de Sénèque a formé l’île de Santorin a produit, du temps de Pline, celle d’Hiéra ou de Volcanelle, et de nos jours a formé l’écueil dont nous venons de parler.
Le 10 octobre 1720, on vit auprès de l’île de Tercère un feu assez considérable s’élever de la mer : des navigateurs s’en étant approchés par ordre du gouverneur, ils aperçurent le 19 du même mois une île qui n’était que feu et fumée, avec une prodigieuse quantité de cendres jetées au loin, comme par la force d’un volcan, avec un bruit pareil à celui du tonnerre. Il se fit en même temps un tremblement de terre qui se fit sentir dans les lieux circonvoisins, et on remarqua sur la mer une grande quantité de pierres ponces, surtout autour de la nouvelle île : ces pierres ponces voyagent, et on en a quelquefois trouvé une grande quantité dans le milieu même des grandes mers. (Voyez Trans. Phil. Abr., v. VI, part. ii, p. 151.) L’Histoire de l’Académie, année 1721, dit, à l’occasion de cet événement, qu’après un tremblement de terre dans l’île de Saint-Michel, l’une des Açores, il a paru à 28 lieues au large, entre cette île et la Tercère, un torrent de feu qui a donné naissance à deux nouveaux écueils. (Page 26.) Dans le volume de l’année suivante, 1722, on trouve le détail qui suit.
« M. de L’Isle a fait savoir à l’Académie plusieurs particularités de la nouvelle île, entre les Açores, dont nous n’avions dit qu’un mot en 1721, p. 26 : il les avait tirées d’une lettre de M. de Montagnac, consul à Lisbonne.
» Un vaisseau où il était mouilla, le 18 septembre 1721, devant la forteresse de la ville de Saint-Michel, qui est dans l’île du même nom, et voici ce qu’on apprit d’un pilote du port.
» La nuit du 7 au 8 décembre 1720, il y eut un grand tremblement de terre dans la Tercère et dans Saint-Michel, distantes l’une de l’autre de 28 lieues, et l’île neuve sortit : on remarqua en même temps que la pointe de l’île de Pic, qui en était à 30 lieues, et qui auparavant jetait du feu, s’était affaissée et n’en jetait plus ; mais l’île neuve jetait continuellement une grosse fumée, et effectivement elle fut vue du vaisseau où était M. de Montagnac, tant qu’il en fut à portée. Le pilote assura qu’il avait fait dans une chaloupe le tour de l’île en l’approchant le plus qu’il avait pu. Du côté du sud il jeta la sonde et fila 60 brasses sans trouver fond ; du côté de l’ouest, il trouva les eaux fort changées : elles étaient d’un blanc bleu et vert, qui semblait du bas-fond, et qui s’étendait à deux tiers de lieue ; elle paraissait vouloir bouillir ; au nord-ouest, qui était l’endroit d’où sortait la fumée, il trouva 15 brasses d’eau fond de gros sable ; il jeta une pierre à la mer et il vit, à l’endroit où elle était tombée, l’eau bouillir et sauter en l’air avec impétuosité ; le fond était si chaud, qu’il fondit deux fois de suite le suif qui était au bout du plomb ; le pilote observa encore de ce côté-là que la fumée sortait d’un petit lac borné d’une dune de sable ; l’île est à peu près ronde et assez haute pour être aperçue de 7 à 8 lieues dans un temps clair.
» On a appris depuis, par une lettre de M. Adrien, consul de la nation française dans l’île de Saint-Michel, en date du mois de mars 1722, que l’île neuve avait considérablement diminué, et qu’elle était presque à fleur d’eau ; de sorte qu’il n’y avait pas d’apparence qu’elle subsistât encore longtemps. » (Page 12.)
On est donc assuré par ces faits et un grand nombre d’autres semblables à ceux-ci, qu’au-dessous même des eaux de la mer les matières inflammables renfermées dans le sein de la terre agissent et font des explosions violentes. Les lieux où cela arrive sont des espèces de volcans qu’on pourrait appeler sous-marins, lesquels ne diffèrent des volcans ordinaires que par le peu de durée de leur action et le peu de fréquence de leurs effets ; car on conçoit bien que le feu s’étant une fois ouvert un passage, l’eau doit y pénétrer et l’éteindre : l’île nouvelle laisse nécessairement un vide que l’eau doit remplir, et cette nouvelle terre, qui n’est composée que des matières rejetées par le volcan marin, doit ressembler en tout au Monte-di-Cenere et aux autres éminences que les volcans terrestres ont formées en plusieurs endroits ; or, dans le temps du déplacement causé par la violence de l’explosion, et pendant ce mouvement, l’eau aura pénétré dans la plupart des endroits vides, et elle aura éteint pour un temps ce feu souterrain. C’est apparemment par cette raison que ces volcans sous-marins agissent plus rarement que les volcans ordinaires, quoique les causes de tous les deux soient les mêmes, et que les matières qui produisent et nourrissent ces feux souterrains puissent se trouver sous les terres couvertes par la mer en aussi grande quantité que sous les terres qui sont à découvert.
Ce sont ces mêmes feux souterrains ou sous-marins qui sont la cause de toutes ces ébullitions des eaux de la mer, que les voyageurs ont remarquées en plusieurs endroits, et des trombes dont nous avons parlé ; ils produisent aussi des orages et des tremblements qui ne sont pas moins sensibles sur la mer que sur la terre. Ces îles, qui ont été formées par ces volcans sous-marins, sont ordinairement composées de pierres ponces et de rochers calcinés, et ces volcans produisent, comme ceux de la terre, des tremblements et des commotions très violentes.
On a aussi vu souvent des feux s’élever de la surface des eaux ; Pline nous dit que le lac Trasimène a paru enflammé sur toute sa surface. Agricola rapporte que, lorsqu’on jette une pierre dans le lac de Denstat en Thuringe, il semble, lorsqu’elle descend dans l’eau, que ce soit un trait de feu.
Enfin, la quantité de pierres ponces que les voyageurs nous assurent avoir rencontrées dans plusieurs endroits de l’Océan et de la Méditerranée prouve qu’il y a au fond de la mer des volcans semblables à ceux que nous connaissons, et qui ne diffèrent ni par les matières qu’ils rejettent ni par la violence des explosions, mais seulement par la rareté et par le peu de continuité de leurs effets : tout, jusqu’aux volcans, se trouve au fond des mers comme à la surface de la terre.
Si même on y fait attention, l’on trouvera plusieurs rapports entre les volcans de terre et les volcans de mer : les uns et les autres ne se trouvent que dans les sommets des montagnes. Les îles des Açores et celles de l’Archipel ne sont que des pointes de montagnes dont les unes s’élèvent au-dessus de l’eau, et les autres sont au-dessous. On voit, par la relation de la nouvelle île des Açores, que l’endroit d’où sortait la fumée n’était qu’à 15 brasses de profondeur sous l’eau, ce qui, étant comparé avec les profondeurs ordinaires de l’océan, prouve que cet endroit même est un sommet de montagne. On en peut dire tout autant du terrain de la nouvelle île auprès de Santorin : il n’était pas à une grande profondeur sous les eaux, puisqu’il y avait des huîtres attachées aux rochers qui s’élevèrent. Il paraît aussi que ces volcans de mer ont quelquefois, comme ceux de terre, des communications souterraines, puisque le sommet du volcan du pic de Saint-Georges, dans l’île de Pic, s’abaissa lorsque la nouvelle île des Açores s’éleva. On doit encore observer que ces nouvelles îles ne paraissent jamais qu’auprès des anciennes, et qu’on n’a point d’exemple qu’il s’en soit élevé de nouvelles dans les hautes mers : on doit donc regarder le terrain où elles sont comme une continuation de celui des îles voisines ; et, lorsque ces îles ont des volcans, il n’est pas étonnant que le terrain qui en est voisin contienne des matières propres à en former, et que ces matières viennent à s’enflammer, soit par la seule fermentation, soit par l’action des vents souterrains.
Au reste, les îles produites par l’action du feu et des tremblements de terre sont en petit nombre, et ces événements sont rares ; mais il y a un nombre infini d’îles nouvelles produites par les limons, les sables et les terres que les eaux des fleuves ou de la mer entraînent et transportent en différents endroits. À l’embouchure de toutes les rivières, il se forme des amas de terre et des bancs de sable dont l’étendue devient souvent assez considérable pour former des îles d’une grandeur médiocre. La mer, en se retirant et en s’éloignant de certaines côtes, laisse à découvert les parties les plus élevées du fond, ce qui forme autant d’îles nouvelles ; et de même, en s’étendant sur certaines plages, elle en couvre les parties les plus basses, et laisse paraître les plus élevées qu’elle n’a pu surmonter, ce qui fait encore autant d’îles ; et on remarque en conséquence qu’il y a fort peu d’îles dans le milieu des mers, et qu’elles sont presque toutes dans le voisinage des continents où la mer les a formées, soit en s’éloignant, soit en s’approchant de ces différentes contrées.
L’eau et le feu, dont la nature est si différente et même si contraire, produisent donc des effets semblables, ou du moins qui nous paraissent être tels, indépendamment des productions particulières de ces deux éléments, dont quelques-unes se ressemblent au point de s’y méprendre, comme le cristal et le verre, l’antimoine naturel et l’antimoine fondu, les pépites naturelles des mines et celles qu’on fait artificiellement par la fusion, etc. Il y a dans la nature une infinité de grands effets que l’eau et le feu produisent, qui sont assez semblables pour qu’on ait de la peine à les distinguer. L’eau, comme on l’a vu, a produit les montagnes et formé la plupart des îles ; le feu a élevé quelques collines et quelques îles ; il en est de même des cavernes, des fentes, des ouvertures, des gouffres, etc. : les unes ont pour origine les feux souterrains, et les autres les eaux, tant souterraines que superficielles.
Les cavernes se trouvent dans les montagnes, et peu ou point du tout dans les plaines ; il y en a beaucoup dans les îles de l’Archipel et dans plusieurs autres îles, et cela parce que les îles ne sont, en général, que des dessus de montagnes. Les cavernes se forment, comme les précipices, par l’affaissement des rochers, ou, comme les abîmes, par l’action du feu ; car, pour faire d’un précipice ou d’un abîme une caverne, il ne faut qu’imaginer des rochers contre butés et faisant voûte par-dessus, ce qui doit arriver très souvent lorsqu’ils viennent à être ébranlés et déracinés. Les cavernes peuvent être produites par les mêmes causes qui produisent les ouvertures, les ébranlements et les affaissements des terres, et ces causes sont les explosions des volcans, l’action des vapeurs souterraines et les tremblements de terre ; car ils font des bouleversements et des éboulements qui doivent nécessairement former des cavernes, des trous, des ouvertures et des anfractuosités de toute espèce.
La caverne de Saint-Patrice, en Irlande, n’est pas aussi considérable qu’elle est fameuse ; il en est de même de la grotte du Chien en Italie, et de celle qui jette du feu dans la montagne de Beni-Guazeval, au royaume de Fez. Dans la province de Darby, en Angleterre, il y a une grande caverne fort considérable et beaucoup plus grande que la fameuse caverne de Bauman, auprès de la forêt Noire, dans le pays de Brunswick. J’ai appris, par une personne aussi respectable par son mérite que par son nom (milord comte de Morton), que cette grande caverne, appelée Devel’s-Hole, présente d’abord une ouverture fort considérable, comme celle d’une très grande porte d’église ; que par cette ouverture il coule un gros ruisseau ; qu’en avançant, la voûte de la caverne se rabaisse si fort qu’en un certain endroit on est obligé pour continuer sa route de se mettre sur l’eau du ruisseau dans des baquets fort plats, où on se couche pour passer sous la voûte de la caverne, qui est abaissée dans cet endroit au point que l’eau touche presque à la voûte ; mais, après avoir passé cet endroit, la voûte se relève et on voyage encore sur la rivière jusqu’à ce que la voûte se rabaisse de nouveau et touche à la superficie de l’eau, et c’est là le fond de la caverne et la source du ruisseau qui en sort ; il grossit considérablement dans de certains temps, et il amène et amoncelle beaucoup de sable dans un endroit de la caverne qui forme comme un cul-de-sac dont la direction est différente de celle de la caverne principale.
Dans la Carniole, il y a une caverne auprès de Potpéchio, qui est fort spacieuse et dans laquelle on trouve un grand lac souterrain. Près d’Adelsperg, il y a une caverne dans laquelle on peut faire deux milles d’Allemagne de chemin, et où on trouve des précipices très profonds. (Voyez Act. erud. Lips., an. 1689, p. 558.) Il y a aussi de grandes cavernes et de belles grottes sous les montagnes de Mendipp en Galles ; on trouve des mines de plomb auprès de ces cavernes, et des chênes enterrés à quinze brasses de profondeur. Dans la province de Glocester, il y a une très grande caverne qu’on appelle Pen-park-hole, au fond de laquelle on trouve de l’eau à trente-deux brasses de profondeur ; on y trouve aussi des filons de mine de plomb.
On voit bien que la caverne de Devel’s-Hole et les autres, dont il sort de grosses fontaines ou des ruisseaux, ont été creusées et formées par les eaux, qui ont emporté les sables et les matières divisées qu’on trouve entre les rochers et les pierres, et on aurait tort de rapporter l’origine de ces cavernes aux éboulements et aux tremblements de terre.
Une des plus singulières et des plus grandes cavernes que l’on connaisse est celle d’Antiparos, dont M. de Tournefort nous a donné une ample description : on trouve d’abord une caverne rustique d’environ trente pas de largeur, partagée par quelques piliers naturels ; entre les deux piliers qui sont sur la droite il y a un terrain en pente douce, et ensuite jusqu’au fond de la même caverne une pente plus rude d’environ vingt pas de longueur ; c’est le passage pour aller à la grotte ou caverne intérieure, et ce passage n’est qu’un trou fort obscur par lequel on ne saurait entrer qu’en se baissant, et au secours des flambeaux. On descend d’abord dans un précipice horrible à l’aide d’un câble que l’on prend la précaution d’attacher tout à l’entrée ; on se coule dans un autre bien plus effroyable dont les bords sont fort glissants, et qui répondent sur la gauche à des abîmes profonds. On place sur les bords de ces gouffres une échelle au moyen de laquelle on franchit, en tremblant, un rocher tout à fait coupé à plomb ; on continue à glisser par des endroits un peu moins dangereux ; mais dans le temps qu’on se croit en pays praticable, le pas le plus affreux vous arrête tout court, et on s’y casserait la tête, si on n’était averti ou arrêté par ses guides ; pour le franchir, il faut se couler sur le dos le long d’un gros rocher, et descendre une échelle qu’il faut y porter exprès ; quand on est arrivé au bas de l’échelle, on se roule quelque temps encore sur des rochers, et enfin on arrive dans la grotte. On compte trois cents brasses de profondeur depuis la surface de la terre ; la grotte paraît avoir quarante brasses de hauteur sur cinquante de large : elle est remplie de belles et grandes stalactites de différentes formes, tant au-dessus de la voûte que sur le terrain d’en bas. (Voyez le Voyage du Levant, pages 188 et suiv.)
Dans la partie de la Grèce appelée Livadie (Achaia des anciens), il y a une grande caverne dans une montagne, qui était autrefois fort fameuse par les oracles de Trophonius, entre le lac de Livadia et la mer voisine, qui, dans l’endroit le plus près, en est à quatre milles : il y a quarante passages souterrains à travers le rocher, sous une haute montagne, par où les eaux du lac s’écoulent. (Voyez Géographie de Gordon, édit. de Londres, 1733, page 179.)
Dans tous les volcans, dans tous les pays qui produisent du soufre, dans toutes les contrées qui sont sujettes aux tremblements de terre, il y a des cavernes : le terrain de la plupart des îles de l’Archipel est caverneux presque partout ; celui des îles de l’Océan Indien, principalement celui des îles Moluques, ne paraît être soutenu que sur des voûtes et des concavités. Celui des îles Açores, celui des îles Canaries, celui des îles du cap Vert, et en général le terrain de presque toutes les petites îles, est à l’intérieur creux et caverneux en plusieurs endroits, parce que ces îles ne sont, comme nous l’avons dit, que des pointes de montagnes où il s’est fait des éboulements considérables, soit par l’action des volcans, soit par celle des eaux, des gelées et des autres injures de l’air. Dans les Cordillères, où il y a plusieurs volcans et où les tremblements de terre sont fréquents, il y a aussi un grand nombre de cavernes, de même que dans le volcan de l’île de Banda, dans le mont Ararat, qui est un ancien volcan, etc.
Le fameux labyrinthe de l’île de Candie n’est pas l’ouvrage de la nature toute seule : M. de Tournefort assure que les hommes y ont beaucoup travaillé, et on doit croire que cette caverne n’est pas la seule que les hommes aient augmentée ; ils en forment même tous les jours de nouvelles en fouillant les mines et les carrières, et, lorsqu’elles sont abandonnées pendant un très long espace de temps, il n’est pas fort aisé de reconnaître si ces excavations ont été produites par la nature ou faites de la main des hommes. On connaît des carrières qui sont d’une étendue très considérable, celle de Maëstricht, par exemple, où l’on dit que 50 000 personnes peuvent se réfugier, et qui est soutenue par plus de mille piliers qui ont vingt ou vingt-quatre pieds de hauteur ; l’épaisseur de terre et de rocher qui est au-dessus est de plus de vingt-cinq brasses : il y a dans plusieurs endroits de cette carrière de l’eau et de petits étangs où on peut abreuver du bétail, etc. (Voyez Trans. Phil. Abr., vol. II, p. 463.) Les mines de sel de Pologne forment des excavations encore plus grandes que celle-ci ; il y a ordinairement de vastes carrières auprès de toutes les grandes villes, mais nous n’en parlerons pas ici en détail ; d’ailleurs, les ouvrages des hommes, quelque grands qu’ils puissent être, ne tiendront jamais qu’une bien petite place dans l’histoire de la nature.
Les volcans et les eaux, qui produisent les cavernes à l’intérieur, forment aussi à l’extérieur des fentes, des précipices et des abîmes. À Cajéta, en Italie, il y a une montagne qui autrefois a été séparée par un tremblement de terre, de façon qu’il semble que la division en a été faite par la main des hommes. Nous avons déjà parlé de l’ornière de l’île de Machian, de l’abîme du mont Ararat, de la porte des Cordillères et de celle des Thermopyles, etc. ; nous pouvons y ajouter la porte de la montagne des Troglodytes, en Arabie, celle des Échelles en Savoie, que la nature n’avait fait qu’ébaucher, et que Victor-Amédée a fait achever ; les eaux produisent, aussi bien que les feux souterrains, des affaissements de terre considérables, des éboulements, des chutes de rochers, des renversements de montagnes dont nous pouvons donner plusieurs exemples.
« Au mois de juin 1714, une partie de la montagne de Diablerets, en Valais, tomba subitement et tout à la fois entre deux et trois heures après midi, le ciel étant fort serein ; elle était de figure conique ; elle renversa cinquante-cinq cabanes de paysans, écrasa quinze personnes et plus de cent bœufs et vaches, et beaucoup plus de menu bétail, et couvrit de ses débris une bonne lieue carrée ; il y eut une profonde obscurité causée par la poussière ; les tas de pierres amassés en bas sont hauts de plus de trente perches, qui sont apparemment des perches du Rhin de dix pieds ; ces amas ont arrêté des eaux qui forment de nouveaux lacs fort profonds ; il n’y a dans tout cela nul vestige de matière bitumeuse, ni de soufre, ni de chaux cuite, ni par conséquent de feu souterrain : apparemment, la base de ce grand rocher s’était pourrie d’elle-même et réduite en poussière. » (Hist. de l’Acad. des Scienc., p. 4, an. 1715.)
On a un exemple remarquable de ces affaissements dans la province de Kent, auprès de Folkstone ; les collines des environs ont baissé de distance en distance par un mouvement insensible et sans aucun tremblement de terre. Ces collines sont à l’intérieur de rochers de pierre et de craie ; par cet affaissement, elles ont jeté dans la mer des rochers et des terres qui en étaient voisines : on peut voir la relation de ce fait bien attesté dans les Transactions philosoph. abr., vol. IV, p. 250.
En 1618, la ville de Pleurs en Valteline fut enterrée sous les rochers, au pied desquels elle était située. En 1678, il y eut une grande inondation en Gascogne, causée par l’affaissement de quelques morceaux de montagnes dans les Pyrénées, qui firent sortir les eaux qui étaient contenues dans les cavernes souterraines de ces montagnes. En 1680, il en arriva encore une plus grande en Irlande, qui avait aussi pour cause l’affaissement d’une montagne dans des cavernes remplies d’eau. On peut concevoir aisément la cause de tous ces effets ; on sait qu’il y a des eaux souterraines en une infinité d’endroits ; ces eaux entraînent peu à peu les sables et les terres à travers lesquelles elles passent, et par conséquent elles peuvent détruire peu à peu la couche de terre sur laquelle porte une montagne, et cette couche de terre qui lui sert de base, venant à manquer plutôt d’un côté que de l’autre, il faut que la montagne se renverse, ou si cette base manque à peu près également partout, la montagne s’abaisse sans se renverser.
Après avoir parlé des affaissements, des éboulements et de tout ce qui n’arrive, pour ainsi dire, que par accident dans la nature, nous ne devons pas passer sous silence une chose qui est plus générale, plus ordinaire et plus ancienne : ce sont les fentes perpendiculaires que l’on trouve dans toutes les couches de terre. Ces fentes sont sensibles et aisées à reconnaître non seulement dans les rochers, dans les carrières de marbre et de pierre, mais encore dans les argiles et dans les terres de toute espèce qui n’ont pas été remuées, et on peut les observer dans toutes les coupes un peu profondes des terrains, et dans toutes les cavernes et les excavations ; je les appelle fentes perpendiculaires, parce que ce n’est jamais que par accident lorsqu’elles sont obliques, comme les couches horizontales ne sont inclinées que par accident. Woodward et Ray parlent de ces fentes, mais d’une manière confuse, et ils ne les appellent pas fentes perpendiculaires, parce qu’ils croient qu’elles peuvent être indifféremment obliques ou perpendiculaires, et aucun auteur n’en a expliqué l’origine ; cependant il est visible que ces fentes ont été produites, comme nous l’avons dit dans le Discours précédent, par le dessèchement des matières qui composent les couches horizontales ; de quelque manière que ce dessèchement soit arrivé, il a dû produire des fentes perpendiculaires ; les matières qui composent les couches n’ont pas pu diminuer de volume sans se fendre de distance en distance dans une direction perpendiculaire à ces mêmes couches. Je comprends cependant, sous ce nom de fentes perpendiculaires, toutes les séparations naturelles des rochers, soit qu’ils se trouvent dans leur position originaire, soit qu’ils aient un peu glissé sur leur base, et que par conséquent ils se soient un peu éloignés les uns des autres ; lorsqu’il est arrivé quelque mouvement considérable à des masses de rochers, ces fentes se trouvent quelquefois posées obliquement, mais c’est parce que la masse est elle-même oblique, et avec un peu d’attention il est toujours fort aisé de reconnaître que ces fentes sont, en général, perpendiculaires aux couches horizontales, surtout dans les carrières de marbre, de pierre à chaux, et dans toutes les grandes chaînes de rocher.
L’intérieur des montagnes est principalement composé de pierres et de rochers dont les différents lits sont parallèles ; on trouve souvent entre les lits horizontaux de petites couches d’une matière moins dure que la pierre, et les fentes perpendiculaires sont remplies de sable, de cristaux, de minéraux, de métaux, etc. Ces dernières matières sont d’une formation plus nouvelle que celle des lits horizontaux dans lesquels on trouve des coquilles marines. Les pluies ont peu à peu détaché les sables et les terres du dessus des montagnes, et elles ont laissé à découvert les pierres et les autres matières solides, dans lesquelles on distingue aisément les couches horizontales et les fentes perpendiculaires ; dans les plaines, au contraire, les eaux des pluies et les fleuves ayant amené une quantité considérable de terre, de sable, de gravier et d’autres matières divisées, il s’en est formé des couches de tuf, de pierre molle et fondante, de sable et de gravier arrondi, de terre mêlée de végétaux ; ces couches ne contiennent point de coquilles marines, ou du moins n’en contiennent que des fragments qui ont été détachés des montagnes avec les graviers et les terres : il faut distinguer avec soin ces nouvelles couches des anciennes, où l’on trouve presque toujours un grand nombre de coquilles entières et posées dans leur situation naturelle.
Si l’on veut observer l’ordre et la distribution intérieure des matières dans une montagne composée, par exemple, de pierres ordinaires ou de matières lapidifiques calcinables, on trouve ordinairement sous la terre végétale une couche de gravier : ce gravier est de la nature et de la couleur de la pierre qui domine dans ce terrain, et sous le gravier on trouve de la pierre ; lorsque la montagne est coupée par quelque tranchée ou par quelque ravine profonde, on distingue aisément tous les bancs, toutes les couches dont elle est composée ; chaque couche horizontale est séparée par une espèce de joint qui est aussi horizontal, et l’épaisseur de ces bancs ou de ces couches horizontales augmente ordinairement à proportion qu’elles sont plus basses, c’est-à-dire plus éloignées du sommet de la montagne ; on reconnaît aussi que des fentes à peu près perpendiculaires divisent toutes ces couches et les coupent verticalement. Pour l’ordinaire, la première couche, le premier lit qui se trouve sous le gravier, et même le second, sont non seulement plus minces que les lits qui forment la base de la montagne, mais ils sont aussi divisés par des fentes perpendiculaires, si fréquentes qu’ils ne peuvent fournir aucun morceau de longueur, mais seulement du moellon ; ces fentes perpendiculaires qui sont en si grand nombre à la superficie, et qui ressemblent parfaitement aux gerçures d’une terre qui se serait desséchée, ne parviennent pas toutes, à beaucoup près, jusqu’au pied de la montagne ; la plupart disparaissent insensiblement à mesure qu’elles descendent, et au bas il ne reste qu’un certain nombre de ces fentes perpendiculaires qui coupent encore plus à plomb qu’à la superficie les bancs inférieurs, qui ont aussi plus d’épaisseur que les bancs supérieurs.
Ces lits de pierre ont souvent, comme je l’ai dit, plusieurs lieues d’étendue sans interruption ; on retrouve aussi presque toujours la même nature de pierre dans la montagne opposée, quoiqu’elle en soit séparée par une gorge ou par un vallon, et les lits de pierre ne disparaissent entièrement que dans les lieux où la montagne s’abaisse et se met au niveau de quelque grande plaine. Quelquefois entre la première couche de terre végétale et celle de gravier on en trouve une de marne, qui communique sa couleur et ses autres caractères aux deux autres : alors les fentes perpendiculaires des carrières qui sont au-dessous sont remplies de cette marne, qui y acquiert une dureté presque égale en apparence à celle de la pierre ; mais en l’exposant à l’air, elle se gerce, elle s’amollit, et elle devient grasse et ductile.
Dans la plupart des carrières, les lits qui forment le dessus ou le sommet de la montagne sont de pierre tendre, et ceux qui forment la base de la montagne sont de pierre dure : la première est ordinairement blanche, d’un grain si fin qu’à peine il peut être aperçu ; la pierre devient plus grenue et plus dure à mesure qu’on descend, et la pierre des bancs les plus bas est non seulement plus dure que celle des lits supérieurs, mais elle est aussi plus serrée, plus compacte et plus pesante ; son grain est fin et brillant, et souvent elle est aigre et se casse presque aussi net que le caillou.
Le noyau d’une montagne est donc composé de différents lits de pierre, dont les supérieurs sont de pierre tendre et les inférieurs de pierre dure, le noyau pierreux est toujours plus large à la base et plus pointu ou plus étroit au sommet ; on peut en attribuer la cause à ces différents degrés de dureté que l’on trouve dans les lits de pierre ; car, comme ils deviennent d’autant plus durs qu’ils s’éloignent davantage du sommet de la montagne, on peut croire que les courants et les autres mouvements des eaux, qui ont creusé les vallées et donné la figure aux contours des montagnes, auront usé latéralement les matières dont la montagne est composée, et les auront dégradées d’autant plus qu’elles auront été plus molles ; en sorte que les couches supérieures étant les plus tendres, auront souffert la plus grande diminution sur leur largeur, et auront été usées latéralement plus que les autres ; les couches suivantes auront résisté un peu davantage, et celles de la base étant plus anciennes, plus solides, et formées d’une matière plus compacte et plus dure, auront été plus en état que toutes les autres de se défendre contre l’action des causes extérieures, et elles n’auront souffert que peu ou point de diminution latérale par le frottement des eaux : c’est là l’une des causes auxquelles on peut attribuer l’origine de la pente des montagnes ; cette pente sera devenue encore plus douce à mesure que les terres du sommet et les graviers auront coulé et auront été entraînés par les eaux des pluies, et c’est par ces deux raisons que toutes les collines et les montagnes, qui ne sont composées que de pierres calcinables ou d’autres matières lapidifiques calcinables, ont une pente qui n’est jamais aussi rapide que celle des montagnes composées de roc vif et de caillou en grande masse, qui sont ordinairement coupées à plomb à des hauteurs très considérables, parce que dans ces masses de matières vitrifiables les lits supérieurs, aussi bien que les lits inférieurs, sont d’une très grande dureté, et qu’ils ont tous également résisté à l’action des eaux qui n’a pu les user qu’également du haut en bas, et leur donner par conséquent une pente perpendiculaire ou presque perpendiculaire.
Lorsque au-dessus de certaines collines dont le sommet est plat et d’une assez grande étendue, on trouve d’abord de la pierre dure sous la couche de terre végétale, on remarquera, si l’on observe les environs de ces collines, que ce qui paraît en être le sommet ne l’est pas en effet, et que ce dessus de colline n’est que la continuation de la pente insensible de quelque colline plus élevée ; car, après avoir traversé cet espace de terrain, on trouve d’autres éminences qui s’élèvent plus haut, et dont les couches supérieures sont de pierre tendre et les inférieures de pierre dure ; c’est le prolongement de ces dernières couches qu’on retrouve au-dessus de la première colline.
Lorsqu’au contraire on ouvre une carrière à peu près au sommet d’une montagne et dans un terrain qui n’est surmonté d’aucune hauteur considérable, on n’en tire ordinairement que de la pierre tendre, et il faut fouiller très profondément pour trouver la pierre dure ; ce n’est jamais qu’entre ces lits de pierre dure que l’on trouve des bancs de marbres ; ces marbres sont diversement colorés par les terres métalliques que les eaux pluviales introduisent dans les couches par infiltration, après les avoir détachées des autres couches supérieures ; et on peut croire que dans tous les pays où il y a de la pierre on trouverait des marbres si l’on fouillait assez profondément pour arriver aux bancs de pierre dure ; quoto enim loco non suum marmor invenitur ? dit Pline ; c’est en effet une pierre bien plus commune qu’on ne le croit, et qui ne diffère des autres pierres que par la finesse du grain, qui la rend plus compacte et susceptible d’un poli brillant, qualité qui lui est essentielle et de laquelle elle a tiré sa dénomination chez les anciens.
Les fentes perpendiculaires des carrières et les joints des lits de pierre sont souvent remplis et incrustés de certaines concrétions, qui sont tantôt transparentes, comme le cristal, et d’une figure régulière, et tantôt opaques et terreuses ; l’eau coule par les fentes perpendiculaires et elle pénètre même le tissu serré de la pierre ; les pierres qui sont poreuses s’imbibent d’une si grande quantité d’eau que la gelée les fait fendre et éclater. Les eaux pluviales en criblant à travers les lits d’une carrière et pendant le séjour qu’elles font dans les couches de marne, de pierre, de marbre, en détachent les molécules les moins adhérentes et les plus fines, et se chargent de toutes les matières qu’elles peuvent enlever ou dissoudre. Ces eaux coulent d’abord le long des fentes perpendiculaires, elles pénètrent ensuite entre les lits de pierre, elles déposent entre les joints horizontaux aussi bien que dans les fentes perpendiculaires les matières qu’elles ont entraînées, et elles y forment des congélations différentes, suivant les différentes matières qu’elles déposent : par exemple, lorsque ces eaux gouttières criblent à travers la marne, la craie ou la pierre tendre, la matière qu’elles déposent n’est aussi qu’une marne très pure et très fine qui se pelotonne ordinairement dans les fentes perpendiculaires des rochers sous la forme d’une substance poreuse, molle, ordinairement fort blanche et très légère, que les naturalistes ont appelé Lac lunæ ou Medulla saxi.
Lorsque ces filets d’eau chargée de matière lapidifique s’écoulent par les points horizontaux des lits de pierre tendre ou de craie, cette matière s’attache à la superficie des blocs de pierre et elle y forme une croûte écailleuse, blanche, légère et spongieuse ; c’est cette espèce de matière que quelques auteurs ont nommée Agaric minéral, par sa ressemblance avec l’Agaric végétal. Mais si la matière des couches a un certain degré de dureté, c’est-à-dire si les lits de la carrière sont de pierre dure ordinaire, de pierre propre à faire de la bonne chaux, le filtre étant alors plus serré, l’eau en sortira chargée d’une matière lapidifique plus pure, plus homogène, et dont les molécules pourront s’engrainer plus exactement, s’unir plus intimement, et alors il s’en formera des congélations qui auront à peu près la dureté de la pierre et un peu de transparence, et l’on trouvera dans ces carrières, sur la superficie des blocs, des incrustations pierreuses disposées en ondes, qui remplissent entièrement les joints horizontaux.
Dans les grottes et dans les cavités des rochers, qu’on doit regarder comme les bassins et les égouts des fentes perpendiculaires, la direction diverse des filets d’eau qui charrient la matière lapidifique donne aux concrétions qui en résultent des formes différentes : ce sont ordinairement des culs-de-lampe et des cônes renversés qui sont attachés à la voûte, ou bien ce sont des cylindres creux et très blancs formés par des couches presque concentriques à l’axe du cylindre, et ces congélations descendent quelquefois jusqu’à terre et forment dans ces lieux souterrains des colonnes et mille autres figures aussi bizarres que les noms qu’il a plu aux naturalistes de leur donner : tels sont ceux de stalactites, stélegmites, ostéocolles, etc.
Enfin, lorsque ces sucs concrets sortent immédiatement d’une matière très dure, comme des marbres et des pierres dures, la matière lapidifique que l’eau charrie étant aussi homogène qu’elle peut l’être, et l’eau en ayant, pour ainsi dire, plutôt dissous que détaché les petites parties constituantes, elle prend en s’unissant une figure constante et régulière, elle forme des colonnes à pans, terminées par une pointe triangulaire, qui sont transparentes et composées de couches obliques : c’est ce qu’on appelle Sparr ou Spalt. Ordinairement cette matière est transparente et sans couleur, mais quelquefois aussi elle est colorée lorsque la pierre dure ou le marbre dont elle sort contient des parties métalliques. Ce sparr a le degré de dureté de la pierre, il se dissout, comme la pierre, par les esprits acides, il se calcine au même degré de chaleur. : ainsi on ne peut pas douter que ce ne soit de la vraie pierre, mais qui est devenue parfaitement homogène ; on pourrait même dire que c’est de la pierre pure et élémentaire, de la pierre qui est sous sa forme propre et spécifique.
Cependant la plupart des naturalistes regardent cette matière comme une substance distincte et existante indépendamment de la pierre, c’est leur suc lapidifique ou cristallin qui, selon eux, lie non seulement les parties de la pierre ordinaire, mais même celles du caillou. Ce suc, disent-ils, augmente la densité des pierres par des infiltrations réitérées, il les rend chaque jour plus pierres qu’elles n’étaient, et il les convertit enfin en véritable caillou ; et lorsque ce suc s’est fixé en sparr, il reçoit par des infiltrations réitérées de semblables sucs encore plus épurés qui en augmentent la densité et la dureté ; en sorte que cette matière ayant été successivement sparr, verre, ensuite cristal, elle devient diamant : ainsi toutes les pierres, selon eux, tendent à devenir caillou, et toutes les matières transparentes à devenir diamant.
Mais si cela est, pourquoi voyons-nous que dans de très grands cantons, dans des provinces entières, ce suc cristallin ne forme que de la pierre, et que dans d’autres provinces il ne forme que du caillou ? Dira-t-on que ces deux terrains ne sont pas aussi anciens l’un que l’autre, que ce suc n’a pas eu le temps de circuler et d’agir aussi longtemps dans l’un que dans l’autre ? cela n’est pas probable. D’ailleurs, d’où ce suc peut-il venir ? S’il produit les pierres et les cailloux, qu’est-ce qui peut le produire lui-même ? Il est aisé de voir qu’il n’existe pas indépendamment de ces matières, qui seules peuvent donner à l’eau qui les pénètre cette qualité pétrifiante, toujours relativement à leur nature et à leur caractère spécifique : en sorte que dans les pierres elle forme du sparr, et dans les cailloux du cristal ; et il y a autant de différentes espèces de ce suc qu’il y a de matières différentes qui peuvent le produire et desquelles il peut sortir. L’expérience est parfaitement d’accord avec ce que nous disons ; on trouvera toujours que les eaux gouttières des carrières de pierres ordinaires forment des concrétions tendres et calcinables comme ces pierres le sont ; qu’au contraire celles qui sortent du roc vif et du caillou forment des congélations dures et vitrifiables, et qui ont toutes les autres propriétés du caillou, comme les premières ont toutes celles de la pierre ; et les eaux qui ont pénétré des lits de matières minérales et métalliques donnent lieu à la production des pyrites, des marcassites et des grains métalliques.
Nous avons dit qu’on pouvait diviser toutes les matières en deux grandes classes et par deux caractères généraux : les unes sont vitrifiables, les autres sont calcinables ; l’argile et le caillou, la marne et la pierre, peuvent être regardés comme les deux extrêmes de chacune de ces classes, dont les intervalles sont remplis par la variété presque infinie des mixtes, qui ont toujours pour base l’une ou l’autre de ces matières.
Les matières de la première classe ne peuvent jamais acquérir la nature et les propriétés de celles de l’autre : la pierre, quelque ancienne qu’on la suppose, sera toujours aussi éloignée de la nature du caillou, que l’argile l’est de la marne : aucun agent connu ne sera jamais capable de les faire sortir du cercle de combinaisons propres à leur nature ; les pays où il n’y a que des marbres et de la pierre, n’auront jamais que des marbres et de la pierre, aussi certainement que ceux où il n’y a que du grès, du caillou, du roc vif, n’auront jamais de la pierre ou du marbre.
Si l’on veut observer l’ordre et la distribution des matières dans une colline composée de matières vitrifiables, comme nous l’avons fait tout à l’heure dans une colline composée de matières calcinables, on trouvera ordinairement sous la première couche de terre végétale un lit de glaise ou d’argile, matière vitrifiable et analogue au caillou, et qui n’est, comme je l’ai dit, que du sable vitrifiable décomposé ; ou bien on trouve sous la terre végétale une couche de sable vitrifiable : ce lit d’argile ou de sable répond au lit de gravier qu’on trouve dans les collines composées de matières calcinables ; après cette couche d’argile ou de sable on trouve quelques lits de grès qui, le plus souvent, n’ont pas plus d’un demi-pied d’épaisseur, et qui sont divisés en petits morceaux par une infinité de fentes perpendiculaires, comme le moellon du 3e lit de la colline composée de matières calcinables. Sous ce lit de grès on en trouve plusieurs autres de la même matière, et aussi des couches de sable vitrifiable, et le grès devient plus dur et se trouve en plus gros blocs à mesure que l’on descend. Au-dessous de ces lits de grès on trouve une matière très dure que j’ai appelée du roc vif, ou du caillou en grande masse : c’est une matière très dure, très dense, qui résiste à la lime, au burin, à tous les esprits acides, beaucoup plus que n’y résiste le sable vitrifiable et même le verre en poudre, sur lesquels l’eau-forte paraît avoir quelque prise. Cette matière frappée avec un autre corps dur, jette des étincelles, et elle exhale une odeur de soufre très pénétrante : j’ai cru devoir appeler cette matière du caillou en grande masse ; il est ordinairement stratifié sur d’autres lits d’argile, d’ardoise, de charbon de terre et de sable vitrifiable d’une très grande épaisseur, et ces lits de cailloux en grande masse répondent encore aux couches de matières dures et aux marbres qui servent de base aux collines composées de matières calcinables.
L’eau, en coulant par les fentes perpendiculaires et en pénétrant les couches de ces sables vitrifiables, de ces grès, de ces argiles, de ces ardoises, se charge des parties les plus fines et les plus homogènes de ces matières, et elle en forme plusieurs concrétions différentes, telles que les talcs, les amiantes et plusieurs autres matières qui ne sont que des productions de ces stillations de matières vitrifiables, comme nous l’expliquerons dans notre Discours sur les minéraux.
Le caillou, malgré son extrême dureté et sa grande densité, a aussi, comme le marbre ordinaire et comme la pierre dure, ses exsudations, d’où résultent des stalactites de différentes espèces, dont les variétés dans la transparence, les couleurs et la configuration, sont relatives à la différente nature du caillou qui les produit, et participent aussi des différentes matières métalliques ou hétérogènes qu’il contient : le cristal de roche, toutes les pierres précieuses, blanches ou coloriées, et même le diamant, peuvent être regardés comme des stalactites de cette espèce. Les cailloux en petite masse, dont les couches sont ordinairement concentriques, sont aussi des stalactites et des pierres parasites du caillou en grande masse, et la plupart des pierres fines opaques ne sont que des espèces de caillou ; les matières du genre vitrifiable produisent, comme l’on voit, une aussi grande variété de concrétions que celles du genre calcinable ; et ces concrétions produites par les cailloux sont presque toutes des pierres dures et précieuses, au lieu que celles de la pierre calcinable ne sont que des matières tendres et qui n’ont aucune valeur.
On trouve les fentes perpendiculaires dans le roc et dans les lits de caillou en grande masse, aussi bien que dans les lits de marbre et de pierre dure : souvent même elles y sont plus larges, ce qui prouve que cette matière, en prenant corps, s’est encore plus desséchée que la pierre : l’une et l’autre de ces collines dont nous avons observé les couches, celle de matières calcinables et celle de matières vitrifiables, sont soutenues tout au-dessous sur l’argile ou sur le sable vitrifiable, qui sont les matières communes et générales dont le globe est composé, et que je regarde comme les parties les plus légères, comme les scories de la matière vitrifiée dont il est rempli à l’intérieur ; ainsi toutes les montagnes et toutes les plaines ont pour base commune l’argile ou le sable. On voit par l’exemple du puits d’Amsterdam, par celui de Marly-la-Ville, qu’on trouve toujours, au plus profond, du sable vitrifiable : j’en rapporterai d’autres exemples dans mon Discours sur les minéraux.
On peut observer dans la plupart des rochers découverts que les parois des fentes perpendiculaires se correspondent aussi exactement que celles d’un morceau de bois fendu, et cette correspondance se trouve aussi bien dans les fentes étroites que dans les plus larges. Dans les grandes carrières de l’Arabie, qui sont presque toutes de granit, ces fentes ou séparations perpendiculaires sont très sensibles et très fréquentes, et quoiqu’il y en ait qui aient jusqu’à vingt et trente aunes de large, cependant les côtés se rapportent exactement et laissent une profonde cavité entre les deux. (Voyez Voyage de Shaw, vol. II, page 83.) Il est assez ordinaire de trouver dans les fentes perpendiculaires des coquilles rompues en deux, de manière que chaque morceau demeure attaché à la pierre de chaque côté de la fente : ce qui fait voir que ces coquilles étaient placées dans le solide de la couche horizontale lorsqu’elle était continue, et avant que la fente s’y fût faite. (Voyez Woodward, page 298.)
Il y a de certaines matières dans lesquelles les fentes perpendiculaires sont fort larges, comme dans les carrières que cite M. Shaw ; c’est peut-être ce qui fait qu’elles y sont moins fréquentes ; dans les carrières de roc vif et de granit les pierres peuvent se tirer en très grandes masses : nous en connaissons des morceaux, comme les grandes obélisques et les colonnes qu’on voit à Rome en tant d’endroits, qui ont plus de 60, 80, 100 et 150 pieds de longueur sans aucune interruption ; ces énormes blocs sont tous d’une seule pierre continue. Il paraît que ces masses de granit ont été travaillées dans la carrière même, et qu’on leur donnait telle épaisseur que l’on voulait, à peu près comme nous voyons que dans les carrières de grès qui sont un peu profondes on tire des blocs de telle épaisseur que l’on veut. Il y a d’autres matières où ces fentes perpendiculaires sont fort étroites ; par exemple, elles sont fort étroites dans l’argile, dans la marne, dans la craie ; elles sont au contraire plus larges dans les marbres et dans la plupart des pierres dures. Il y en a qui sont imperceptibles et qui sont remplies d’une matière à peu près semblable à celle de la masse où elles se trouvent, et qui cependant interrompent la continuité des pierres, c’est ce que les ouvriers appellent des poils ; lorsqu’ils débitent un grand morceau de pierre et qu’ils le réduisent à une petite épaisseur, comme à un demi-pied, la pierre se casse dans la direction de ce poil : j’ai souvent remarqué, dans le marbre et dans la pierre, que ces poils traversent le bloc tout entier ; ainsi ils ne diffèrent des fentes perpendiculaires que parce qu’il n’y a pas solution totale de continuité. Ces espèces de fentes sont remplies d’une matière transparente, et qui est du vrai sparr. Il y a un grand nombre de fentes considérables entre les différents rochers qui composent les carrières de grès ; cela vient de ce que ces rochers portent souvent sur des bases moins solides que celles des marbres ou des pierres calcinables, qui portent ordinairement sur des glaises, au lieu que les grès ne sont le plus souvent appuyés que sur du sable extrêmement fin : aussi y a-t-il beaucoup d’endroits où l’on ne trouve pas les grès en grande masse ; et dans la plupart des carrières où l’on tire le bon grès, on peut remarquer qu’il est en cubes et en parallélipipèdes posés les uns sur les autres d’une manière assez irrégulière, comme dans les collines de Fontainebleau, qui de loin paraissent être des ruines de bâtiments. Cette disposition irrégulière vient de ce que la base de ces collines est de sable, et que les masses de grès se sont éboulées, renversées et affaissées les unes sur les autres, surtout dans les endroits où on a travaillé autrefois pour tirer du grès, ce qui a formé un grand nombre de fentes et d’intervalles entre les blocs ; et si on y veut faire attention, on remarquera dans tous les pays de sable et de grès qu’il y a des morceaux de rochers et de grosses pierres dans le milieu des vallons et des plaines en très grande quantité, au lieu que dans les pays de marbre et de pierre dure, ces morceaux dispersés et qui ont roulé du dessus des collines et du haut des montagnes sont fort rares, ce qui ne vient que de la différente solidité de la base sur laquelle portent ces pierres, et de l’étendue des bancs de marbre et des pierres calcinables, qui est plus considérable que celle des grès.
ADDITIONS
À L’ARTICLE QUI A POUR TITRE : DES CAVERNES.
Sur les cavernes formées par le feu primitif.
Je n’ai parlé, dans ma Théorie de la Terre, que de deux sortes de cavernes, les unes produites par le feu des volcans et les autres par le mouvement des eaux souterraines : ces deux espèces de cavernes ne sont pas situées à de grandes profondeurs ; elles sont même nouvelles, en comparaison des autres cavernes bien plus vastes et bien plus anciennes qui ont dû se former dans le temps de la consolidation du globe ; car c’est dès lors que se sont faites les éminences et les profondeurs de sa superficie, et toutes les boursouflures et cavités de son intérieur, surtout dans les parties voisines de la surface. Plusieurs de ces cavernes produites par le feu primitif, après s’être soutenues pendant quelque temps, se sont ensuite fendues par le refroidissement successif qui diminue le volume de toute matière ; bientôt elles se seront écroulées, et, par leur affaissement, elles ont formé les bassins actuels de la mer, où les eaux, qui étaient autrefois très élevées au-dessus de ce niveau, se sont écoulées et ont abandonné les terres qu’elles couvraient dans le commencement : il est plus que probable qu’il subsiste encore aujourd’hui dans l’intérieur du globe un certain nombre de ces anciennes cavernes, dont l’affaissement pourra produire de semblables effets, en abaissant quelques espaces du globe, qui deviendront dès lors de nouveaux réceptacles pour les eaux ; et, dans ce cas, elles abandonneront en partie le bassin qu’elles occupent aujourd’hui pour couler par leur pente naturelle dans ces endroits plus bas. Par exemple, on trouve des bancs de coquilles marines sur les Pyrénées jusqu’à 1 500 toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer actuelle. Il est donc bien certain que les eaux, dans le temps de la formation de ces coquilles, étaient de 1 500 toises plus élevées qu’elles ne le sont aujourd’hui ; mais, lorsqu’au bout d’un temps les cavernes qui soutenaient les terres de l’espace où gît actuellement l’Océan Atlantique se sont affaissées, les eaux qui couvraient les Pyrénées et l’Europe entière auront coulé avec rapidité pour remplir ces bassins, et auront par conséquent laissé à découvert toutes les terres de cette partie du monde. La même chose doit s’entendre de tous les autres pays : il paraît qu’il n’y a que les sommets des plus hautes montagnes auxquels les eaux de la mer n’aient jamais atteint, parce qu’ils ne présentent aucun débris des productions marines et ne donnent pas des indices aussi évidents du séjour des mers ; néanmoins comme quelques-unes des matières dont ils sont composés, quoique toutes du genre vitrescible, semblent n’avoir pris leur solidité, leur consistance et leur dureté que par l’intermède et le gluten de l’eau, et qu’elles paraissent s’être formées, comme nous l’avons dit, dans les masses de sable ou de poussière de verre qui étaient autrefois aussi élevées que ces pics de montagnes, et que les eaux des pluies ont, par succession de temps, entraînées à leur pied, on ne doit pas prononcer affirmativement que les eaux de la mer ne se soient jamais trouvées qu’au niveau où l’on trouve des coquilles ; elles ont pu être encore plus élevées, même avant le temps où leur température a permis aux coquilles d’exister. La plus grande hauteur à laquelle s’est trouvée la mer universelle ne nous est pas connue ; mais c’est en savoir assez que de pouvoir assurer que les eaux étaient élevées de 1 500 ou 2 000 toises au-dessus de leur niveau actuel, puisque les coquilles se trouvent à 1 500 toises dans les Pyrénées, et à 2 000 toises dans les Cordillères.
Si tous les pics des montagnes étaient formés de verre solide ou d’autres matières produites immédiatement par le feu, il ne serait pas nécessaire de recourir à l’autre cause, c’est-à-dire au séjour des eaux, pour concevoir comment elles ont pris leur consistance ; mais la plupart de ces pics ou pointes de montagnes paraissent être composés de matières qui, quoique vitrescibles, ont pris leur solidité et acquis leur nature par l’intermède de l’eau. On ne peut donc guère décider si le feu primitif seul a produit leur consistance actuelle, ou si l’intermède et le gluten de l’eau de la mer n’ont pas été nécessaires pour achever l’ouvrage du feu et donner à ces masses vitrescibles la nature qu’elles nous présentent aujourd’hui. Au reste, cela n’empêche pas que le feu primitif, qui d’abord a produit les plus grandes inégalités sur la surface du globe, n’ait eu la plus grande part à l’établissement des chaînes de montagnes qui en traversent la surface, et que les noyaux de ces grandes montagnes ne soient tous des produits de l’action du feu, tandis que les contours de ces mêmes montagnes n’ont été disposés et travaillés par les eaux que dans des temps subséquents ; en sorte que c’est sur ces mêmes contours, et à de certaines hauteurs, que l’on trouve des dépôts de coquilles et d’autres productions de la mer.
Si l’on veut se former une idée nette des plus anciennes cavernes, c’est-à-dire de celles qui ont été formées par le feu primitif, il faut se représenter le globe terrestre dépouillé de toutes ses eaux et de toutes les matières qui en recouvrent la surface jusqu’à la profondeur de 1 000 ou 1 200 pieds. En séparant par la pensée cette couche extérieure de terre et d’eau, le globe nous présentera la forme qu’il avait à peu près dans les premiers temps de sa consolidation. La roche vitrescible, ou, si l’on veut, le verre fondu, en compose la masse entière ; et cette matière, en se consolidant et se refroidissant, a formé, comme toutes les autres matières fondues, des éminences, des profondeurs, des cavités, des boursouflures dans toute l’étendue de la surface du globe. Ces cavités intérieures formées par le feu sont les cavernes primitives, et se trouvent en bien plus grand nombre vers les contrées du Midi que dans celles du Nord, parce que le mouvement de rotation qui a élevé ces parties de l’équateur avant la consolidation y a produit un plus grand déplacement de la matière, et, en retardant cette même consolidation, aura concouru avec l’action du feu pour produire un plus grand nombre de boursouflures et d’inégalités dans cette partie du globe que dans toute autre. Les eaux venant des pôles n’ont pu gagner ces contrées méridionales, encore brûlantes, que quand elles ont été refroidies ; les cavernes qui les soutenaient s’étant successivement écroulées, la surface s’est abaissée et rompue en mille et mille endroits. Les plus grandes inégalités du globe se trouvent par cette raison dans les climats méridionaux : les cavernes primitives y sont encore en plus grand nombre que partout ailleurs ; elles y sont aussi situées plus profondément, c’est-à-dire peut-être jusqu’à cinq et six lieues de profondeur, parce que la matière du globe a été remuée jusqu’à cette profondeur par le mouvement de rotation dans le temps de sa liquéfaction. Mais les cavernes qui se trouvent dans les hautes montagnes ne doivent pas toutes leur origine à cette même cause du feu primitif : celles qui gisent le plus profondément au-dessous de ces montagnes sont les seules qu’on puisse attribuer à l’action de ce premier feu ; les autres, plus extérieures et plus élevées dans la montagne, ont été formées par des causes secondaires, comme nous l’avons exposé. Le globe, dépouillé des eaux et des matières qu’elles ont transportées, offre donc à sa surface un sphéroïde bien plus irrégulier qu’il ne nous paraît l’être avec cette enveloppe. Les grandes chaînes de montagnes, leurs pics, leurs cornes ne nous présentent peut-être pas aujourd’hui la moitié de leur hauteur réelle ; toutes sont attachées par leur base à la roche vitrescible qui fait le fond du globe et sont de la même nature. Ainsi, l’on doit compter trois espèces de cavernes produites par la nature : les premières, en vertu de la puissance du feu primitif ; les secondes, par l’action des eaux ; et les troisièmes, par la force des feux souterrains ; et chacune de ces cavernes, différentes par leur origine, peuvent être distinguées et reconnues à l’inspection des matières qu’elles contiennent ou qui les environnent.
- Notes de Buffon.
- ↑ Aujourd’hui Santorin.