À pied, la nuit, en voyage,
Je m’étais mis à l’abri
Contre le vent et l’orage,
Dans la tour de Montlhéri.
Je chantais, lorsqu’un long rire
D’épouvante m’a glacé ;
Puis tout haut j’entends dire :
Notre règne est passé.
Des follets brillent dans l’ombre,
Et la voix que j’entendais
Se mêle aux cris d’un grand nombre
De lutins, de farfadets.
Au bruit d’une aigre trompette
Le sabbat a commencé.
Plus haut la voix répète :
Notre règne est passé.
« Non, dit la voix, plus de fêtes !
« Esprits, vite délogeons.
« La Raison, par ses conquêtes,
« Nous bannit des vieux donjons.
« Le monde a changé d’oracles ;
« Nos prodiges ont cessé.
« L’homme fait les miracles ;
« Notre règne est passé.
« Nous donnâmes à la Grèce
« Ces dieux créés pour les sens,
« Dont l’éternelle jeunesse
« Vivait de fleurs et d’encens.
« Dans la Gaule encor sauvage
« Pour nous le sang fut versé.
« Hélas ! même au village
« Notre règne est passé.
« On nous vit, sous vos trophées,
« Paladins et troubadours,
« Enchaîner aux pieds des fées
« Les rois, les saints, les Amours.
« La magie à notre empire
« Soumit le ciel courroucé,
« Des sorciers j’entends rire ;
« Notre règne est passé.
« La Raison nous exorcise ;
« Esprits, fuyons sans retour. »
La voix se tait… Ô surprise !
J’ai cru voir crouler la tour.
De leur retraite chérie
Tous ont fui d’un vol pressé.
Au loin la voix s’écrie :
Notre règne est passé.