Œuvres complètes de Béranger/Les Feux follets

Pour les autres éditions de ce texte, voir Les Feux follets.


LES FEUX FOLLETS


Air : Faut l’oublier, disait Colette (Air noté )


Ô nuit d’été, paix du village,
Ciel pur, doux parfums, frais ruisseau,
Vous embellissiez mon berceau ;
Consolez-moi dans un autre âge.
Las du monde, ici je me plais ;
Tout y retrace mon enfance,
Oui, tout, jusqu’à ces feux follets.
Jadis leur éclat et leur danse
M’auraient fait fuir à pas pressés.
J’ai perdu ma douce ignorance.
Follets, dansez, dansez, dansez.

On racontait aux longues veilles
Qu’ils étaient moqueurs et méchants ;
Que ces feux gardaient dans nos champs
Bien des trésors, bien des merveilles.
Revenants, lutins, noirs esprits,
Sorciers, malignes influences,
À tout croire on m’avait appris.
Je voyais des dragons immenses
Sur les donjons des temps passés.
L’âge a soufflé sur mes croyances.
Follets, dansez, dansez, dansez.


Un soir, j’avais dix ans à peine,
Égaré, couvert de sueur,
Je vois de loin cette lueur.
C’est la lampe de ma marraine.
Chez elle un gâteau m’attendant,
Je cours, je cours, l’âme ravie.
Un berger me crie : « Imprudent !
« La lumière par toi suivie
« Éclaire un bal de trépassés. »
Ainsi devait s’user ma vie.
Follets, dansez, dansez, dansez.

À seize ans, je vis même flamme
Sur la tombe du vieux curé ;
Soudain m’écriant : Je prierai,
Monsieur le curé, pour votre âme ;
Je m’imagine qu’il me dit :
« Faut-il que la beauté te rende
« Déjà rêveur, enfant maudit ! »
Ce soir-là, tant ma peur fut grande,
Je crus à des cieux courroucés.
Parlez encore et que j’entende.
Follets, dansez, dansez, dansez.

Quand j’aimai Rose au cœur candide,
Un peu d’or eût comblé nos vœux.
Devant moi passe un de ces feux :
Vers des trésors qu’il soit, mon guide.
J’ose le suivre, mais, hélas !
Dans l’étang que ce ruisseau creuse,
Je tombe, et je ne péris pas !
A-t-il ri de ta chute affreuse ?

Disent encor des insensés.
Non, mais sans moi Rose est heureuse.
Follets, dansez, dansez, dansez.

De mille erreurs l’âme affranchie,
Me voilà vieux avant le temps.
Vapeurs qui brillez peu d’instants,
Voyez-vous ma tête blanchie ?
Des sages m’ont ouvert les yeux ;
Mais j’admirais bien plus l’aurore
Quand je connaissais moins les cieux.
Du savoir le flambeau dévore
Les sylphes qui nous ont bercés.
Ah ! je voudrais vous craindre encore.
Follets, dansez, dansez, dansez.



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


LES FEUX FOLLETS.

Faut l’oublier, disait Colette.
No 290.



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\addlyrics {
Ô nuit d’é -- té paix du vil -- la -- ge
Ciel pur doux par -- fums frais ruis -- seau
Vous em -- bel -- lis -- siez mon ber -- ceau
Con -- so -- lez- moi dans un autre â -- ge
Las du monde i -- ci je me plais
Tout y re -- tra -- ce mon en -- fan -- ce
Oui tout jus -- qu’à ces feux fol -- lets
Ja -- dis leur é -- clat et leur dan -- se
M’au -- raient fait fuir à pas pres -- sés
J’ai per -- du ma douce i -- gno -- ran -- ce
Fol -- lets dan -- sez dan -- sez dan -- sez.
}

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