Œuvres complètes de Béranger/Le Dieu des bonnes gens

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LE DIEU DES BONNES GENS


Air : Vaudeville de la Partie carrée (Air noté )


Il est un Dieu ; devant lui je m’incline,
Pauvre et content, sans lui demander rien.
De l’univers observant la machine,
J’y vois du mal, et n’aime que le bien.
Mais le plaisir à ma philosophie
Révèle assez des cieux intelligents.
Le verre en main, gaîment je me confie
                Au Dieu des bonnes gens.

Dans ma retraite où l’on voit l’indigence,
Sans m’éveiller, assise à mon chevet,
Grâce aux amours, bercé par l’espérance,
D’un lit plus doux je rêve le duvet.
Aux dieux des cours qu’un autre sacrifie !
Moi, qui ne crois qu’à des dieux indulgents,
Le verre en main, gaîment je me confie
                Au Dieu des bonnes gens.

Un conquérant, dans sa fortune altière,
Se fit un jeu des sceptres et des lois,
Et de ses pieds on peut voir la poussière
Empreinte encor sur le bandeau des rois.

Vous rampiez tous, ô rois qu’on déifie !
Moi, pour braver des maîtres exigeants,
Le verre en main, gaîment je me confie
                Au Dieu des bonnes gens.

Dans nos palais, où, près de la Victoire,
Brillaient les arts, doux fruits des beaux climats,
J’ai vu du Nord les peuplades sans gloire
De leurs manteaux secouer les frimas.
Sur nos débris Albion nous défie[1] ;
Mais les destins et les flots sont changeants :
Le verre en main, gaîment je me confie
                Au Dieu des bonnes gens.

Quelle menace un prêtre fait entendre !
Nous touchons tous à nos derniers instants :
L’éternité va se faire comprendre ;
Tout va finir, l’univers et le temps.
Ô chérubins à la face bouffie,
Réveillez donc les morts peu diligents.
Le verre en main, gaîment je me confie
                Au Dieu des bonnes gens.


Mais quelle erreur ! non, Dieu n’est point colère ;
S’il créa tout, à tout il sert d’appui :
Vins qu’il nous donne, amitié tutélaire,
Et vous, amours, qui créez après lui,
Prêtez un charme à ma philosophie
Pour dissiper des rêves affligeants.
Le verre en main, que chacun se confie
                Au Dieu des bonnes gens.



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


LE DIEU DES BONNES GENS.

Air : Vaudeville de la Partie carrée.
No 113

\relative c'' {
  \time 2/2
  \key c \major
  \tempo "Andante."
  \autoBeamOff
  \set Score.tempoHideNote = ##t
    \tempo 4 = 100
  \set Staff.midiInstrument = #"piccolo"
\partial 2 e,4 e8 f
  g4. g8 a c f, a
  g[ (f)] e4 g c8 g \break
a4. g8 a b c d
  c4 (b) e, e8 f
  g4. g8 a c f, a \break
g[ (f)] e4 g8[ (c)] c c
  c[ (b)] a[ (g)] b a g fis
  g2 g4 d'8 c \break
c4 b8[ (a)] g g a b
  c4 g8 r g4 f8 e
  a4. g8 g f f e \break
e4 (d) e e8 f
  g4. g8 a b c d
  e4 e8 d c b a gis \break
a4 d c8 c b b 
  c4 d c8 c b b
  c4 r \bar "||"
}

\addlyrics {
Il est un Dieu de -- vant lui je m’in -- cli -- ne
Pauvre et con -- tent sans lui de -- man -- der rien
De l’u -- ni -- vers ob -- ser -- vant la ma -- chi -- ne
J’y vois du mal et n’ai -- me que le bien
Mais le plai -- sir à ma phi -- lo -- so -- phi -- e
Ré -- vèle as -- sez des cieux in -- tel -- li -- gents
Le verre en main gaî -- ment je me con -- fi -- e
Au Dieu des bon -- nes gens
Au Dieu des bon -- nes gens
Au Dieu des bon -- nes gens.
}

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  1. Des critiques anglais, très bienveillants d’ailleurs pour notre auteur, lui ont reproché les traits plaisants ou graves dirigés contre leur nation. Ils auraient dû se rappeler que ces attaques remontent au temps de l’occupation de la France par les armées étrangères, qui avaient fait la Restauration ; à ce temps où sir Walter Scott venait chez nous écrire les Lettres de Paul : lâche et cruel outrage à un peuple aussi malheureux qu’il avait été grand. L’idée d’entretenir la haine entre deux nations a toujours été loin du cœur de celui qui, à l’évacuation de notre territoire, fut le premier à appeler tous les peuples à une sainte alliance.