Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Résumé de la discussion

Œuvres de M. de FontanesL. Hachettetome 2 (p. 375-383).


RÉSUMÉ


DE LA DISCUSSION SUR LE PROJET DE LOI


RELATIF AUX ÉLECTIONS,


Séance du 28 juin 1820.




Messieurs,


Votre commission avait soigneusement évité, dans son rapport, tout ce qui pouvait aigrir les passions ; quelques-uns des orateurs qui lui ont répondu n’ont pas toujours suivi son exemple : elle ne changera point de langage en vous présentant avec brièveté ses dernières observations.

Elle avait indiqué, sans aucune application particulière, le vice essentiel de la loi du 5 février, c’est-à-dire son influence trop visiblement démocratique ; elle avait dû croire que cette influence était assez reconnue ; elle aurait craint d’en chercher des preuves dans les registres des collèges électoraux : c’eût été marquer les noms, pour ainsi dire, et nous avions résolu de ne blesser personne. Cependant, si plusieurs de ces noms, honorables sous d’autres rapports, étaient devenus fameux à des époques funestes ; s’ils étaient, pour certains partis, des signes de ralliement, votre commission aurait pu caractériser avec plus d’énergie les dangers de notre état politique. Elle ne l’a pas voulu, quoiqu’elle fût certaine alors d’obtenir plus d’intérêt et de fortifier ses raisonnements par vos propres émotions. Toutes les fois que dans la Chambre des Pairs on exprime, avec quelque vraisemblance, des inquiétudes pour le trône, on est sûr d’attacher tous les cœurs. Votre commission a rejeté ce moyen d’un effet prompt et communicatif ; elle s’est persuadée qu’on approuverait son silence, et que surtout on entendrait ce qu’elle n’a pas dit.

Heureusement, la discussion a mis au jour tous les vices de la loi du 5 février mieux que je n’aurais osé le faire. Cette loi, nous a-t-on dit, est fidèle à son principe : elle a donné ce qu’on doit attendre d’elle.

La naïveté de cet aveu jette une grande lumière sur la délibération. Il suit de là que, si le principe de cette loi n’était pas changé, il aurait eu son entier développement dans la session de 1821. Je m’arrête ici, Messieurs ; c’est à votre prévoyance à deviner le reste. D’une part, on combat pour des espérances déjà prêtes à se réaliser ; d’une autre part, à l’approche du dernier orage, le gouvernement se réveille et combat pour sa propre existence. C’est là, Messieurs, oui, c’est là qu’est toute la question.

Si je veux en croire quelques orateurs, la magistrature héréditaire dont vous êtes revêtus serait une barrière toute-puissante contre les efforts des factions populaires ; mais, dans un moment de crise, car il faut tout prévoir, si, par hasard, ceux qu’on affecte encore d’appeler les représentants du peuple, persuadaient à ce peuple, en lui restituant le titre de souverain, que de lui seul émanent tous les pouvoirs, croyez-vous, Messieurs, que vos dignités, à peine naissantes, fussent bien respectées ? Gardiens du trône. vous seriez en butte aux premières attaques dirigées contre le trône. Tout votre zèle pour la monarchie, tout votre courage, doivent inspirer sans doute une juste confiance ; mais le courage et le zèle seraient-ils sûrs de triompher ?

Parmi ceux qui nient le danger, plusieurs, je n’en doute pas, sont très sincères ; mais, parmi ceux qui le reconnaissent, en est-il un seul dont il soit permis de soupçonner la bonne foi ?

Le mal est évident ; il faut un remède : tel est l’objet de la loi qu’on vous propose.

Celle du 5 février 1817 avait coûté peu de combinaisons : elle était fort simple ; mais l’expérience fait connaître que, dans une loi de ce genre, la simplicité n’était point un mérite. Plus on variera le mécanisme et le jeu du système électoral, plus la chambre élective, dans ses diverses nuances, sera propre à connaître les divers besoins de la société. Ce vœu, de ma part, n’est pas nouveau ; je l’avais exprimé à cette même tribune, quand M. le marquis Barthélemy développa sa proposition.

Je ne répéterai point les arguments épuisés. Les ennemis de la loi nouvelle ont poussé les objections jusqu’aux plus minutieuses chicanes ; mais je persiste à croire, en dépit d’eux, que cet art, où je les reconnais maîtres, laisse dans l’esprit, après d’interminables débats, plus de subtilités que de justesse, et plus d’illusions que de lumières.

C’est en vain qu’on invoque la Charte, et qu’on dénonce à grands cris sa violation. La Charte a fixé des conditions pour être électeur et pour être éligible : la loi n’y change rien. Tous les droits acquis sont conservés. On tient à l’élection directe ; l’élection directe est maintenue.

Tout le monde a dit, et même les partisans de la loi du 5 février, que l’intrigue avait mille moyens d”établir son théâtre dans les chefs-lieux de département, où cette loi rassemblait au hasard des milliers d’électeurs étrangers les uns aux autres, et par leur éducation, et par leurs habitudes. Tout le monde a dit que les nouveaux-venus recevaient des listes préparées d’avance, et jetaient dans l’urne des noms qu’ils entendaient prononcer pour la première fois.

Eh bien ! cet abus est corrigé. Les électeurs, rapprochés dans les collèges d’arrondissement, se connaîtront mieux. Ils n’écouteront que leur conscience. Ils feront des choix raisonnés, et les influences locales prédomineront sur les influences étrangères. Quelques orateurs des deux partis, dans l’une et dans l’autre Chambre, ont approuvé ces dispositions.

Toute l’attaque s’est dirigée contre ces hauts collèges de département, où la nouvelle loi confère le droit d’une seconde élection au quart des propriétaires les plus imposés.

Quel monstrueux privilège ! ont dit nos adversaires. Mais qu’est-ce qu’un privilège qui finit au dixième jour, qui ne se renouvelle que tous les cinq ans, qui ne peut se transmettre, et qu’on peut acquérir et perdre tous les jours par les caprices de la fortune ?

Ce n’est pas tout. On nous accuse de vouloir sacrifier les droits de la nation aux prééminences de la richesse. Là-dessus, on fait le plus sinistre tableau des classes élevées. On remonte jusqu’à la décadence de la race Carlovingienne pour retracer leurs attentats. On leur oppose avec art les vertus qu’on place ordinairement dans les conditions médiocres. Je connais les avantages de la médiocrité. Je sais que les poëtes et les moralistes en ont fait la plus touchante peinture, et je suis loin de les contredire. Mais un traité de morale n’est pas une discussion politique.

Quand le législateur veut élever l’édifice social, il en cherche autour de lui les matériaux, il les combine avec plus ou moins d’habileté dans leur ensemble et leurs rapports. Il associe des intérêts communs pour y trouver les forces politiques dont il a besoin ; il attache certaines fonctions à certaines supériorités sociales, sans croire, assurément, que ces supériorités soient le gage de toutes les vertus. En circonscrivant le droit de cité, le droit de suffrage, il ne prétend point condamner au mépris les citoyens qui ne remplissent pas les conditions imposées.

Non, certes ; le degré de richesse n’ajoute rien à l’estime, mais il ajoute aux moyens d’influence, et c’est pourquoi on donne un double vote aux propriétaires les plus imposés.

Si l’évaluation de la fortune était celle de la vertu, la Charte aurait donc insulté la nation presque tout entière ; car enfin on trouve des mœurs, de la probité, des lumières au-dessous des électeurs à trois cents francs. Il y a du bien et du mal dans tous les états de la société : voilà ce qui est vrai ; tout le reste est une vaine déclamation.

Un auteur célèbre, ami des doctrines du siècle, avait écrit un livre contre les grands, les riches et les puissants de la terre. Il n’avait pas manqué, suivant l’usage, de vouer ces oppresseurs du peuple à l’exécration universelle. Ce même homme fut témoin des premiers excès de la révolution française. Tout à coup il changea d’avis, il se réconcilia tout à fait avec ceux qu’il avait outragés, et devint le plus ardent ennemi de la classe populaire. Quand on lui demandait la raison d’un changement si bizarre, il répondait : « Je croyais connaître les grands, et je ne connaissais pas les petits. »

Évitons le double excès de cette fausse misanthropie. En estimant les petits quand ils en sont dignes, n’insultons point ceux qui furent grands et qui le sont toujours, même après la perte de leur fortune et de leurs honneurs, par le courage et la résignation qu’ils ont montrés dans l’infortune. Rien n’est plus noble assurément qu’une noble pauvreté. Mais si je voulais devant elle abaisser l’orgueil de l’opulence, je n’attesterais point l’esprit du siècle présent ; je remonterais jusqu’à l’auguste antiquité de ces siècles héroïques dont les souvenirs excitent tant d’amertume. Alors celui qui n’avait reçu pour héritage de ses aïeux qu’une épée de fer, effaçait par de grandes actions toute la magnificence de ceux qui se couvraient d’une armure d’or. Il marchait confondu avec les seigneurs les plus puissants, avec les princes les plus illustres, et les rois même s’honoraient en l’appelant leur compagnon d’armes.

La petite et la moyenne propriété ne sont donc point outragées par nos observations. Mais, dans le système social, on ne peut méconnaître l’importance de la grande propriété.

Au reste, un ministre du Roi vous a très bien dit, à cette tribune, dans la séance dernière, que par l’égalité des partages entre tous les enfants d’un même père, les fortunes, subdivisés en faibles portions dans toute la France, formaient rarement des masses considérables. Ainsi l’oligarchie des richesses est encore éloignée.

La propriété, telle qu’elle est parmi nous, est pourtant le seul intérêt auquel nous puissions rattacher l’ordre politique. Si, quand elle est investie d’une double fonction pour le choix des députés, elle allait s’armer contre elle-même, en appelant des hommes amis du trouble et des révolutions, il faudrait désespérer de nos destinées, et chacun se demanderait avec effroi si la forme du gouvernement actuel est propre au pays.

Ceux qui tiennent au texte de la Charte plus qu’à son esprit, n’ont pas moins vivement combattu l’augmentation du nombre des députés.

Il parait que cette augmentation prépare un autre changement. Votre commission l’avait pressenti ; mais elle n’avait point de caractère pour traiter une question qui n’était pas dans la loi présentée. D’autres ont été plus hardis : ils ont développé leur théorie avec une assurance qui impose : ils croient à l’infaillibilité de leurs doctrines ; ils veulent faire un parlement septennal comme en Angleterre ; ils placent en quelque sorte le siège et l’action du gouvernement tout entier dans la Chambre élective. Loin de redouter son influence, ils l’agrandissent encore. Mais tout l’art nécessaire en ce moment n’est-il pas de la contenir dans ses limites naturelles ? Quoi qu’il en soit, cette question est prématurée.

J’ai entendu professer dans cette tribune des principes qui m’ont causé bien plus d’étonnement. On nous a parlé de je ne sais quelle opinion qui doit tout soumettre, et les ministres et les rois. On nous a désigné les hommes qu’elle repousse, et ceux qu’elle protége ; et les derniers, comme on peut croire, doivent exclusivement diriger les affaires publiques. Cette opinion est une puissance irrésistible. Il faut que le gouvernement lui cède ou périsse. Elle est, en un mot, l’expression fidèle de la société. Mais est-il bien sûr qu’elle ne soit pas l’expression d’un parti ? Chacun voit la société comme il lui plait, chacun se la peint comme il la désire, chacun lui donne la couleur de ses passions. Les gouvernements doivent sans doute interroger l’opinion de leur siècle, mais pour la conduire avec sagesse, et non pour s’égarer à sa suite. Trop de résistance et trop de mollesse auraient le même danger.

L’esprit de sédition et l’orgueil des fausses doctrines attaquaient de toutes parts le trône de l’infortuné Louis XVI. Il fléchit sous leur ascendant. Il mit dans ses conseils les premiers auteurs de ses maux. Il crut que ces hommes, soi-disant populaires, seraient assez forts pour contenir la révolte après l’avoir déchaînée. Qu’arriva-t-il ? Vous le savez. Ces ministres, enfants d’une opinion mensongère, furent écrasés sous les débris de la monarchie, dont ils avaient abattu tous les soutiens.

Je ne prétends point connaître mon siècle aussi bien que nos adversaires. Je n’ai pas surtout le droit de parler en son nom ; mais ce qui me semble aujourd’hui marquer le caractère du siècle et du peuple, c’est la fatigue des révolutions, et l’ennui des sophismes qui les enfantent.

Il faut se résumer.

Nous répétons que la loi nouvelle est imparfaite. Mais elle peut soustraire la France aux dangers inévitables qu’amènerait un plus long développement de la loi du 5 février. Un système électoral n’est pas l’œuvre d’un jour. S’il est encore incomplet, il est du moins amélioré par cette loi que nous acceptons, à la même unanimité, comme le gage de la sécurité présente, comme l’augure d’un meilleur avenir.