Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Discours du Président du Corps législatif, 3 germinal an XII

DISCOURS


DU PRÉSIDENT DU CORPS LÉGISLATIF


EN RÉPONSE À CELUI DE FOURCROY,


orateur du gouvernement,


dans la séance du clôture de la session de l’an xii,


3 germinal (24 mars 1804)[1].





Citoyens Législateurs,


Une grande entreprise conçue vainement par Charlemagne lui-même est enfin terminée. Un Code uniforme va régir trente millions d’hommes. Tous les anciens peuples de la Gaule réunis en un seul peuple s’embrassent au nom des mêmes aïeux ; et, comme ils ont une origine commune, ils vivront sous les mêmes lois et partageront les mêmes destinées.

Jamais une plus grande nation ne reçut un plus grand bienfait.

De bonnes lois civiles sont le premier besoin de tous. Elles protègent l’homme depuis son berceau jusqu’à sa tombe, et leur prévoyance veille sur les intérêts de tous les âges de la vie. Les systèmes politiques peuvent, jusqu’à un certain point, être livrés aux caprices de l’opinion. Le principe qui constitue les diverses formes du gouvernement n’a pas toujours une influence marquée sur le bien-être des individus : mais le principe qui constitue la famille fait nécessairement le bonheur ou le malheur des membres qui la composent : d’ailleurs, pour créer l’esprit public, il faut d’abord créer l’esprit domestique : pour assurer les fondements de l’État, il faut bien assurer ceux de la famille.

Trop souvent les institutions politiques passent avec ceux qui les établissent ; elles cèdent au moins tôt ou tard à cette fatalité qui entraîne tous les empires. Les institutions civiles, si elles sont conformes à la morale, se transmettent d’âge en âge et de peuple en peuple, et peuvent se conserver en tous lieux avec les sentiments et les intérêts les plus chers au cœur humain.

C’est par là que se recommande encore la mémoire de Justinien, quoiqu’il ait mérité de graves reproches.

Les travaux des jurisconsultes qu’il rassembla autour de lui ont plus fait pour sa gloire que les triomphes de Bélisaire et de Narsès. Il n’avait pu, durant sa longue vie, dompter les nations barbares ; ses lois les soumirent après sa mort. L’empire romain s’écroula de toutes parts ; mais du milieu de ses ruines sortit, avec le code de Justinien, un esprit d’ordre et de sagesse, qui, en rétablissant les familles, prépara l’organisation des sociétés modernes.

La France était naguère semblable à l’Empire envahi par les Barbares. Ils n’étaient point cette fois accourus d’une contrée sauvage ; ils étaient nés au milieu de nous de l’excès de notre corruption. Toutes les volontés de l’anarchie étaient des lois ; et, pour me servir de l’expression énergique d’un historien de l’antiquité, nous étions alors plus opprimés par nos lois que par nos vices mêmes[2].

Enfin un homme paraît, et tout est changé. La science et la sagesse entrent dans les conseils ; les disputes orageuses finissent ; les mûres discussions commencent ; les vieux oracles de la sagesse humaine sont consultés de nouveau ; le génie de Rome parle encore à des interprètes dignes de lui ; l’esprit antique et l’esprit moderne se perfectionnent en s’unissant : l’un fait sans peine le sacrifice de quelques préjugés ; l’autre rougit enfin de ses premières imprévoyances et les répare.

Si ce grand ouvrage offre encore quelques imperfections, les sages sont là pour les réparer. Leur doctrine se perpétuera dans des écoles surveillées par eux-mêmes. L’épreuve de l’expérience va commencer : qu’ils ne craignent rien pour leur gloire ; tout ce qu’ils ont fait de juste et de raisonnable demeurera éternellement ; car la raison et la justice sont deux puissances indestructibles qui survivent à toutes les autres.

Le code de Justinien a fait régner mille ans les lois romaines sur les nations civilisées. Le code de Bonaparte, soutenu d’un plus grand nom, et riche de plus de lumières, aura encore une influence plus durable. Heureux tous ceux qui auront inscrit leur nom au pied de ce beau monument des lumières de notre siècle et de l’expérience des siècles passés !

Citoyens Législateurs, je parle ici de votre gloire : vous partagerez aussi la reconnaissance du peuple français, et bientôt vous allez en recueillir les témoignages dans les départements que vous représentez. Un regret se mêle à ces félicitations. Je songe avec peine qu’une partie du Corps législatif, où j’ai le bonheur de compter tant d’amis, ne paraîtra pas à la session prochaine. Ceux qui nous quittent seront toujours présents au souvenir de leurs collègues. Le gouvernement, qui connait leur zèle si souvent éprouvé, ne les oubliera pas ; et ils seront doublement récompensés en jouissant des bienfaits qu’ils auront préparés eux-mêmes.



  1. On ne donne, dans les discours prononcés par M. de Fontanes comme président du Corps législatif ou comme grand-maître, que ceux que le talent ou quelque circonstance remarquable désignait au choix. Il en était plusieurs qui, à titre de simples compliments, devaient être négligés. Le Moniteur d’ailleurs est toujours là. — Et, pour le dire quelque part, ajoutons ici dans notre scrupule d’éditeur, et par égard pour les curieux bibliographes, que, si l’on voulait à toute force compléter cette collection des œuvres de Fontanes sur les points qui nous ont paru à négliger, on aurait : 1° le Moniteur, toujours subsistant, pour les discours politiques ; 2° pour les articles de critique, le Spectateur français au XIXe siècle, 12 vol. in-8o (par Fabry) ; et 3° pour les vers, un recueil intitulé les Révélations indiscrètes du XVIIIe siècle, 1814, in-18 (par M. Auguis ; exemplaire intègre, car il y en a de tronqués). Ces trois sources suffiraient.
  2. Tacite.