Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Discours du Grand-Maître à la distribution des prix, 1814


DISCOURS


DU GRAND-MAITRE DE L’UNIVERSITÉ


PRONONCÉ


AVANT LA DISTRIBUTION DES PRIX


DU CONCOURS GÉNÉRAL,


Le 22 août 1814.




Jeunes Français,


Vous revoyez ce qu’ont vu vos pères, vous respecterez ce qui fut l’objet de leurs hommages ; vous aimerez ce qu’ils ont aimé : le présent et le passé ne sont plus ennemis. La France a repris le cours naturel de ses destinées.

Depuis vingt-cinq ans, les révolutions ont succédé aux révolutions. On a voulu tout détruire ; on a voulu tout renouveler. La force invincible des choses à tout remis dans l’état ancien.

Lorsque cet heureux et dernier changement vient terminer tous les autres, l’Université n’a pas besoin de changer d’esprit et d’opinion. Elle est amie des vieilles traditions ; elle doit en bénir le retour. Elle est heureuse d’assister à ce triomphe des temps et des souvenirs.

Avant sa renaissance, on avait tenté tous les plans d’éducation. Tant d’efforts infructueux n’avaient point épuisé la manie des systèmes. C’est toujours au bruit de la chute des empires que les imaginations déréglées s’occupent à régénérer le monde. C’est sur des ruines et des tombeaux qu’elles proclament un nouvel art d’instruire et de gouverner les hommes. Les siècles ont vu, plus d’une fois, se renouveler cette maladie de l’esprit humain qui tourmente les sociétés de je ne sais quel rêve de perfection, au moment même de leur décadence.

L’Université n’a point livré l’instruction au danger de ces fausses théories. Elle a marché dans les anciennes voies, qui sont les plus sûres ; elle a voulu qu’on enseignât aux enfants ce qu’on enseignait à leurs ancêtres.

Resserrée dans ses fonctions modestes, elle n’avait point le droit de juger les actes politiques ; mais les vraies notions du juste et de l’injuste étaient déposées dans ces ouvrages immortels dont elle interprétait les maximes. Quand le caractère et les sentiments français pouvaient s’altérer de plus en plus, par un mélange étranger, elle faisait lire les auteurs qui les rappellent avec le plus de grâce et d’énergie. L’auteur du Télémaque et Massillon prêchaient éloquemment ce qu’elle était obligée de taire devant le génie des conquêtes, impatient de tout perdre et de se perdre lui-même dans l’excès de sa propre ambition. En rétablissant ainsi l’antiquité des doctrines littéraires, elle a fait assez voir, non sans quelque péril pour elle-même, sa prédilection pour l’antiquité des doctrines politiques.

Elle s’honore même des ménagements nécessaires qu’elle a dû garder pour l’intérêt de la génération naissante ; et, sans insulter ce qui vient de disparaître, elle accueille avec enthousiasme ce qui nous est rendu.

Et combien la tâche qui lui est imposée devient aujourd’hui plus facile ! Pour inspirer les mœurs et les vertus, elle les montrera sur le trône. Le Dieu qu’annonça Bossuet, en déplorant les malheurs, jusqu’alors inouïs, d’une fille et d’une petite fille de Henri IV, le Dieu de nos pères semble déjà nous parler avec une nouvelle puissance, quand nous voyons, au pied de ses autels, cette auguste princesse qui, dans un âge plus tendre, éprouva les mêmes malheurs. La religion est sûre de son triomphe, quand les enfants de saint Louis abaissent devant elle un diadème révéré depuis neuf cents ans.

Ces bienfaits nous sont communs avec toute la France. Il en est d’autres, moins importants sans doute, qui ont aussi quelque intérêt, et qui nous sont particuliers.

Lorsqu’un empire s’étend au-delà des limites qui lui furent assignées par la nature, il reçoit dans son sein des populations nouvelles qui lui apportent d’autres langues et d’autres mœurs. L’esprit qui l’a fondé, l’esprit qui le conservait, se dénature et s’affaiblit ; car le sentiment de la patrie ne peut avoir de force que dans un territoire sagement circonscrit, où toutes les habitudes se correspondent. L’influence des idiomes étrangers corrompt insensiblement la pureté de l’idiome maternel ; le goût, les lettres et les arts sont menacés d’une barbarie prochaine.

Ces justes alarmes sont dissipées. Les lettres vont refleurir sous un Roi qui les aime, et qui, dans ses délassements, orna son esprit de ce qu’elles ont de plus aimable et de plus élevé.

Ce n’est donc plus à voix basse, c’est à haute voix que nous attesterons désormais, dans ces solennités annuelles, le beau siècle de Louis XIV, ce siècle de notre gloire littéraire. En attendant que les statues de ce grand roi soient relevées dans les places publiques, rallumons l’encens qu’il recevait autrefois dans le sanctuaire qui nous rassemble ; que son ombre glorieuse reparaisse encore au milieu de nous, escortée par celles des grands hommes dont son règne et son nom ne peuvent être séparés ! L’aspect de ces rives ne peut plus affliger ses regards. Les infortunes de sa race royale sont vengées. Son descendant est rentré dans son héritage.

Jeunes Français, vous partagez nos émotions et notre joie. Vous ne serez plus exposés comme nous aux essais hasardeux d’un gouvernement inconnu. C’est le gouvernement légitime qui renaît ; c’est en quelque sorte l’autorité paternelle qui reprend ses droits. Interrogez nos annales, vous y verrez la gloire et le bonheur de la France s’accroître de siècle en siècle, sous la sage administration de cette antique dynastie. Le Roi que nous recouvrons est formé de ce sang glorieux si cher à vos pères ; de ce sang tout français, où l’héroïsme se mêle à la bonté. Ce Roi, dont l’âme et les lumières se sont encore agrandies à l’école de l’adversité, se fera chérir comme le chef de sa maison, puisqu’il fut, comme lui, persécuté par la fortune. Son retour est un bienfait pour l’Europe comme pour la France. Un Bourbon seul pouvait donner la paix, et la paix revient avec lui. Réjouissez-vous donc, ô vous que la guerre moissonnait presque à l’entrée de la vie ! réjouissez-vous ! la paix ramène avec elles les longues espérances pour votre jeunesse, et la sécurité pour le cœur de vos mères ! elle assure enfin à vos travaux ce développement et ces fruits qui seront un jour les richesses de votre âge mûr et l’ornement de la patrie.