Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Éloge funèbre de Washington

ÉLOGE FUNÈBRE

DE WASHINGTON,


PRONONCÉ DANS LE TEMPLE DE MARS


(HÔTEL DES INVALIDES)


Le 20 pluviose an VIII (8 fèvrier 1800).


La France, qui fut toujours assez grande et assez généreuse pour accueillir sans crainte et sans jalousie les vertus et la gloire étrangères, décerne un hommage public aux mânes de Washington. Elle acquitte en ce moment la dette des deux mondes. Nul gouvernement, quelle que soit sa forme et son opinion. ne peut refuser du respect à ce fondateur de la liberté. Le peuple, qui naguère appelait Washington rebelle, juge lui-même l’affranchissement de l’Amérique comme un de ces événements consacrés par le suffrage des siècles et de l’histoire. Tel est le privilège des grands caractères. Ils semblent si peu appartenir aux âges modernes, qu’ils impriment, dès leur vivant même, je ne sais quoi d’auguste et d’antique à tout ce qu’ils osent exécuter. Leur ouvrage, à peine achevé, s’attire déjà cette vénération qu’on n’accorde volontiers qu’aux seuls ouvrages du temps. La révolution américaine dont nous sommes les contemporains, semble en effet affermie pour jamais. Washington la commença par l’énergie, et l’acheva par la modération. Il sut la maintenir en la dirigeant toujours vers la plus grande prospérité de son pays, et ce but est le seul puisse justifier au tribunal de l’avenir des entreprises aussi extraordinaires.

L’éloge de ce héros de l’Amérique, mériterait d’être prononcé par les bouches les plus éloquences. le songe, avec un sentiment mêlé d’admiration et de regrets, que ce temple, orné de tous les trophées de la valeur, s’éleva dans un siècle de génie, aussi fécond en grands écrivains qu’en illustres capitaines. Alors la mémoire des héros était confiée à des orateurs dont le génie donnait l’immortalité. Aujourd’hui la gloire militaire brille d’un plus vif éclat, et dans tous les pays la gloire des beaux-arts s’est presque éclipsée. Ma voix est trop faible sans doute pour se faire entendre au milieu d’une solennité si imposante, et si nouvelle pour moi. Mais du moins cette voix est pure, et, comme elle n’a jamais flatté aucune espèce de tyrannie, elle ne s’est pas rendue indigne de célébrer un moment l’héroïsme et la vertu.

D’ailleurs, cette cérémonie funèbre et guerrière porte d’avance au fond de tous les cœurs, et mieux que toutes les paroles, des émotions fortes et profondes. Le deuil que le premier Consul ordonne pour Washington, annonce à la France, que les exemples qu’donna ne sont point perdus. C’est moins pour le général illustre, que pour le bienfaiteur et l’ami d’un grand peuple, que des crêpes funèbres ont couvert les drapeaux de la victoire et l’habit de nos guerriers. Elles ne sont plus enfin ces pompes barbares, aussi contraires à la politique qu’à l’humanité, où l’on prodiguait l’insulte au malheur, le mépris à de grandes ruines, et la calomnie à des tombeaux. Toutes les pensées magnanimes, toutes les vérités utiles peuvent paraitre dans cette assemblée. Je loue avec honneur, devant des guerriers, un guerrier ferme dans les revers, modeste dans la victoire, et toujours humain dans l’une et l’autre fortune. Je loue, devant les ministres de la république française, un homme qui ne céda jamais aux mouvements de l’ambition, et qui se prodigua toujours aux besoins de sa patrie ; un homme, qui, par une destinée peu commune à ceux qui changent les empires, mourut en paix, et comme un simple particulier, dans sa terre natale, où il avait occupé le premier rang, et que ses mains avaient affranchie.

Quel Français, doué d’une imagination sensible, ne se rappelle avec transport le premier moment où la renommée nous annonça que la liberté relevait ses étendards chez les peuples de l’Amérique ? L’ancien monde, courbé sous le poids des vices et des calamités qui accablaient sa vieillesse, retrouva quelque enthousiasme, et tourna les yeux vers ces régions lointaines où semblait commencer une nouvelle époque pour le genre humain. Alors tous les vœux étaient pour la liberté ; et ces vœux mêmes se manifestèrent jusque dans les palais et sur les trônes. Les mers de l’Europe furent étonnées de porter des flottes royales qui volaient à la défense des républicains de l’Amérique.

Ô temps des plus douces espérances ! ô souvenirs de notre première jeunesse ! Avec quelle inquiétude nous interrogions alors tous les navigateurs qui arrivaient des ports de Charles-Town et de Boston ! Comme nous plaignions les revers de ces braves milices américaines que leurs désastres, leurs fatigués et leurs besoins ne découragèrent jamais ! Comme tous nos vœux s’associièrent aux premiers triomphes de Washington ! Le sage négociateur qui l’aida dans une si noble cause, Franklin ne fut-il pas environné de nos hommages, quand il vint montrer à Paris, et jusque dans Versailles, la noble simplicité des mœurs républicaines ? Il habita sur les rives du fleuve voisin, en face des lieux où nous sommes réunis. Plusieurs d’entre vous ont vu, comme moi, la physionomie vénérable de ce vieillard, qui ressemblait l’ancien législateur des Scythes, voyageant dans Athènes. Les opinions du négociateur et du héros des treize États unis furent quelquefois opposées ; mais leurs volontés se rencontrèrent toujours, lorsqu’il fallut travailler au bien commun de la patrie. Leurs deux noms, qui furent si souvent confondus dans les mêmes éloges pendant leur vie, ne doivent point être séparés après leur mort. Si l’âme de Franklin revient errer sur ces bords qu’il a chéris longtemps, elle applaudit sans doute aux honneurs que Washington reçoit de nous.

C’est aux guerriers qui m’environnent, c’est à eux seuls qu’il appartient de marquer la place qu’occupera Washington parmi les capitaines fameux. Ses succès parurent avoir plus de solidité que d’éclat, et le jugement domina plus que l’enthousiasme dans sa manière de commander et de combattre. D’ailleurs les prodiges militaires exécutés par les troupes françaises, ont affaibli la renommée de tout ce qui s’est illustré dans la même carrière. Aucun peuple ne peut donner désormais les leçons de l’héroïsme à celui qui en a dans son sein tous les modèles. Mais Washington nous offre d’autres exemples non moins dignes d’être imités. Au milieu de tous les désordres des camps et de tous les excès inséparables de la guerre civile, l’humanité se réfugia sous sa tente, et n’en fut jamais repoussée. Dans les triomphes et dans l’adversité, il fut toujours tranquille comme la sagesse, et simple comme la vertu. Les affections douces restèrent au fond de son cœur ; même dans ces moments où l’intérêt de sa propre cause semblait légitimer en quelque sorte les lois de la vengeance. C’est toi que j’en atteste, ô jeune Asgill, toi dont le malheur sut intéresser l’Angleterre, la France et l’Amérique. Avec quels soins compatissants Washington ne retarda-t-il pas un jugement que le droit de la guerre permettait de précipiter ! Il attendit qu’une voix alors toute-puissante[1] franchit l’étendue des mers, et demandât une grâce qu’il ne pouvait lui refuser. Il se laissa toucher sans peine par cette voix conforme aux inspirations de son cœur, et le jour qui sauva une victime innocente doit être inscrit parmi les plus beaux de l’Amérique indépendante et victorieuse.

Les mouvements d’une âme magnanime, n’en doutons point, achèvent et maintiennent les révolutions plus sûrement que les trophées et les victoires. L’estime qu’obtint le caractère du général américain contribua plus que ses armes à l’indépendance de sa patrie.

Quand un État ébranlé change de forme avec violence, tous les États voisins jettent sur lui des yeux d’inquiétude et de crainte : ils ne se rassurent que lorsqu’il a repris des mouvements réguliers et constants. Un peuple en révolution n’a plus d’alliés et d’amis. Il réclame vainement les anciens traités ; tous ses vieux liens sont rompus avec les autres, comme avec lui-même : il est isolé au milieu du monde qu’il épouvante. On s’éloigne de lui comme des volcans. Il faut ordinairement qu’à la suite de ces grandes crises politiques, survienne un personnage extraordinaire, qui, par le seul ascendant de sa gloire, comprime l’audace de tous les partis, et ramène l’ordre au sein de la confusion. Il faut, si je l’ose dire, qu’il ressemble à ce dieu de la fable, à ce souverain des vents et des mers, qui, lorsqu’il élevait son front sur les flots, tenait en silence toutes les tempêtes soulevées. C’est alors que les gouvernements plus tranquilles se rapprochent de celui dont ils avaient d’abord redouté les convulsions et les atteintes.

En effet, c’est lorsque Washington eut persuadé à ses ennemis qu’il avait assez de force pour gouverner tranquillement l’Amérique longtemps bouleversée, que la paix se conclut sous ses auspices, et que la liberté des États-Unis fut proclamée, des bords de la Delaware jusqu’aux bords de la Tamise. Ainsi tout est pour nous, dans son histoire, une suite d’instructions et d’espérances.

Les caractères de la révolution d’Amérique se retrouvèrent plus d’une fois dans celle de la France. Les colonies s’étaient soulevées contre leur métropole pour faire déclarer leur indépendance. Cette indépendance était reconnue, et cependant les colonies n’étaient point heureuses. Tous les partis étaient encore en présence ; toutes les ambitions subalternes, toutes les haines fermentaient au fond des cœurs. Tant que la guerre étrangère est allumée contre un État qui change sa constitution, l’intérêt commun réunit toute l’activité des passions populaires dans la défense du territoire. C’est le seul moment où leur propre sûreté les force à reconnaître quelque subordination. Leurs rugissements se taisent au milieu du fracas des armes et des chants de la victoire. Mais, au retour de la paix, elles ne sont plus enchaînées par les mêmes craintes ou le même respect. Leur fougue aveugle se tourne quelquefois contre celui même qui sauva la patrie menacée. Washington avait prévu les dangers ; mais il avait préparé tous les remèdes. Il ne crut point que la paix qu’il venait de conclure suffit pour assurer la tranquillité intérieure. Il avait triomphé de l’Angleterre : il entreprit contre la licence des partis une lutte non moins pénible et non moins glorieuse.

Cependant il ne voulut laisser aucun prétexte aux accusations de la calomnie. Sitôt que la paix fut signée, il remit au congrès tous les pouvoirs dont il était investi. Il ne voulut se servir, contre ses compatriotes égarés, que des armes de la persuasion. S’il n’eût été qu’un ambitieux vulgaire, il eût pu accabler la faiblesse de toutes les factions divisées, et lorsque aucune constitution n’opposait de barrière à l’audace, il se serait emparé du pouvoir avant que les lois en eussent réglé l’usage et les limites. Mais ces lois furent provoquées par lui-même avec une constance opiniâtre. C’est quand il fut impossible à l’ambition de rien usurper, qu’il accepta, du choix de ses concitoyens, l’honneur de les gouverner pendant sept années. Il avait fui l’autorité, quand l’exercice pouvait en être arbitraire : il n’en voulut porter le fardeau, que lorsqu’elle fut resserrée dans des bornes légitimes. Un tel caractère est digne des plus beaux jours de l’antiquité. On doute, en rassemblant les traits qui le composent, qu’il ait paru dans notre siècle. On croit retrouver une vie perdue de quelques-uns de ces hommes illustres dont Plutarque a si bien tracé le tableau.

Son administration fut douce et ferme au-dedans, noble et prudente au dehors. Il respecta toujours les usages des autres peuples, comme il avait voulu qu’on respectât les droits du peuple américain. Aussi, dans toutes les négociations, l’héroïque simplicité du président des États-Unis traitait sans jactance et sans abaissement avec la majesté des rois. Ne cherchez point, dans son administration, ces pensées que le siècle appelle grandes, et qu’il n’aurait cru que téméraires. Ses conceptions furent plus sages que hardies : il n’entraîna point l’admiration ; mais il soutint toujours l’estime au même degré, dans les camps et dans le sénat, au milieu des affaires et dans la solitude.

Il est des hommes prodigieux, qui apparaissent, d’intervalle en intervalle, sur la scène du monde avec le caractère de la grandeur et de la domination. Une cause inconnue et supérieure les envoie, quand il en est temps, pour fonder le berceau ou pour réparer les ruines des empires. C’est en vain que ces hommes, désignés d’avance, se tiennent à l’écart ou se confondent dans la foule : la main de la fortune les soulève tout à coup, et les porte rapidement d’obstacle en obstacle, et de triomphe en triomphe. jusqu’au sommet de la puissance. Une sorte d’inspiration surnaturelle anime toutes leurs pensées : un mouvement irrésistible est donné à toutes leurs entreprises. La multitude les cherche encore au milieu d’elle, et ne les trouve plus ; elle lève les yeux en haut, et voit, dans une sphère éclatante de lumière et de gloire, celui qui ne semblait qu’un téméraire aux yeux de l’ignorance et de l’envie. Washington n’eut point ces traits fiers et imposants qui frappent tous les esprits : il montra plus d’ordre et de justesse, que de force et d’élévation dans les idées. Il posséda surtout, dans un degré supérieur, cette qualité qu’on croit vulgaire, et qui est si rare, cette qualité non moins utile au gouvernement des États qu’à la conduite de la vie, qui donne plus de tranquillité que de mouvement à l’âme, et plus de bonheur que de gloire à ceux qui la possèdent, ou à ceux qui en ressentent les effets : c’est le bon sens dont je veux parler ; le bon sens, dont l’orgueil a trop rejeté les anciennes règles, et qu’il est temps de réhabiliter dans tous ses droits. L’audace détruit, le génie élève, le bon sens conserve et perfectionne. Le génie est chargé de la gloire des empires ; mais le bon sens peut assurer seul et leur repos et leur durée.

Washington était né dans une opulence qu’il avait noblement accrue, comme les héros de l’antique Rome, au milieu des travaux de l’agriculture. Quoiqu’il fût ennemi d’un vain faste, il voulait que les mœurs républicaines fussent environnées de quelque dignité. Nul de ses compatriotes n’aima plus vivement la liberté ; nul ne craignit plus les opinions exagérées de quelques démagogues. Son esprit, ami de la règle, s’éloigna constamment de tous les excès : il n’osait insulter à l’expérience des âges ; il ne voulait ni tout changer ni tout détruire à la fois ; il conservait, à cet égard, la doctrine des anciens législateurs.

En effet, quand ces grands hommes avaient créé des habitudes et des sentiments dans l’esprit et dans l’âme de leurs concitoyens, ils croyaient leur tâche presque achevée : ils faisaient des systèmes de mœurs plutôt que des systèmes de lois ; ils avaient même tant de respect pour la toute-puissance des habitudes qu’ils ménagèrent d’anciens préjugés peu compatibles en apparence avec un nouvel ordre de choses. La Grèce et Rome, en passant de l’empire des rois sous celui des archontes et des consuls, ne virent changer ni leurs différents cultes, ni le fond de leurs usages et de leurs mœurs. Les premiers chefs de ces républiques se persuadèrent, sans doute, qu’un mépris trop évident de l’autorité des siècles et des traditions affaiblirait la morale, en avilissant la vieillesse aux yeux de l’enfance. Ils craignirent de porter trop d’atteinte à la majesté des temps et à l’intèrêt des souvenirs[2].

Je ne m’écarte point de mon sujet, en rappelant la mémoire de ces fondateurs des anciennes républiques, auprès de qui la postérité placera Washington. Comme eux, il gouverna par les sentiments et par les affections, plutôt que par des ordres et des lois ; comme eux, il fut simple au faite des honneurs, comme eux, il resta grand au milieu de la retraite. Il n’avait accepté la puissance, que pour affermir la prospérité publique : il ne voulut pas qu’elle lui fût rendue, quand il vit que l’Amérique était heureuse et n’avait plus besoin de son dévouement. Il voulut jouir avec tranquillité, comme les autres citoyens, de ce bonheur qu’un grand peuple avait reçu de lui. Mais c’est en vain qu’il abandonna la première place : le premier nom de l’Amérique était toujours celui de Washington.

Quatre ans s’étaient écoulés à peine, depuis qu’il avait quitté l’administration. Cet homme, qui longtemps conduisit des armées, qui fut le chef de treize États, vivait sans ambition dans le calme des champs. au milieu de vastes domaines, cultivés par ses mains, et de nombreux troupeaux, que ses soins avaient multipliés dans les solitudes d’un nouveau monde. Il marquait la fin de sa vie par toutes les vertus domestiques et patriarcales, après l’avoir illustrée par toutes les vertus guerrières et politiques. L’Amérique jetait un œil respectueux sur la retraite habitée par son défenseur ; et de cette retraite, où s’était renfermée tant de gloire, sortaient souvent de sages conseils. qui n’avaient pas moins de force que dans les jours de son autorité : ses compatriotes se promettaient encore de l’écouter longtemps ; mais la mort l’a tout à coup enlevé au milieu des occupations les plus douces et les plus dignes de la vieillesse.

Un cri de douleur s’est fait entendre du fond de l’Amérique, qu’il avait délivrée. Il appartenait à la France de répondre la première à ce cri funèbre, qui doit retentir dans toutes les grandes âmes. Ces voûtes augustes ont été dignement choisies pour l’apothéose d’un héros. L’ombre de Washington, en descendant sur ce dôme majestueux, y trouvera celles de Turenne, de Catinat et du grand Condé, qui se plaisent à l’habiter encore. Si ces guerriers illustres n’ont pas servi la même cause pendant leur vie, la même renommée les réunit quand ils ne sont plus. Les opinions, sujettes aux caprices des peuples et des temps ; les opinions, partie faible et changeante de notre nature. disparaissent avec nous dans le tombeau : mais la gloire et la vertu restent éternellement. C’est par là que les grands hommes de tous les temps et de tous les lieux, deviennent, en quelque sorte, compatriotes et contemporains. Ils ne forment qu’une seule famille, dont les exemples se transmettent et se renouvellent de successeurs en successeurs. Ainsi, dans cette enceinte guerrière, la valeur de Washington mérite les regards de Condé : sa modération appelle ceux de Turenne : sa philosophie le rapproche encore plus de Catinat. Un peuple qui admettrait ce dogme antique et touchant de la transmigration des esprits, dirait sans doute que plus d’une fois l’âme de Catinat est revenue habiter dans celle de Washington

Mais les accents républicains et belliqueux que ces murs répètent de toutes parts, doivent plaire surtout au défenseur de l’Amérique. Pourrait-il ne pas aimer ces soldats qui repoussèrent, à son exemple, les ennemis de leur patrie ? Il s’approche avec plaisir de ces vétérans, dont les nobles cicatrices sont le premier ornement de cette fête, et dont quelques-uns ont peut-être combattu avec lui près des fleuves et dans les forêts de la Caroline et de la Virginie. Il se promène avec joie au milieu de ces drapeaux enlevés sur les barbares de l’Asie et de l’Afrique étonnées de notre audace. Les dépouilles de la barbarie décorent noblement les funérailles d’un capitaine qui aima les lumières et la liberté. Mais il est encore un hommage plus digne de lui : c’est l’union de la France et de l’Amérique ; c’est le bonheur de l’une et de l’autre ; c’est la pacification des deux mondes. Il me semble que des hauteurs de ce magnifique dôme, Washington crie à toute la France : « Peuple magnanime, qui sais si bien honorer la gloire, j’ai vaincu pour l’indépendance ; mais le bonheur de ma patrie fut le prix de cette victoire. Ne te contente pas d’imiter la première moitié de ma vie : c’est la seconde qui me recommande aux éloges de la postérité. »

Oui, tes conseils seront entendus, ô Washington ! ô guerrier ! ô législateur ! ô citoyen sans reproche ! Celui qui, jeune encore, te surpassa dans les batailles, fermera, comme toi, de ses mains triomphantes, les blessures de la patrie. Bientôt, nous en avons sa volonté pour gage, et son génie guerrier, s’il était malheureusement nécessaire, bientôt l’hymne de la paix retentira dans ce temple de la guerre ; alors le sentiment universel de la joie effacera le souvenir de toutes les injustices et de toutes les oppressions : déjà même les opprimés oublient leurs maux, en se confiant à l’avenir ; les acclamations de tous les siècles accompagneront enfin le héros qui donnera ce bienfait à la France, et au monde qu’elle ébranle depuis trop longtemps.

  1. Celle de la reine Marie-Antoinette.
  2. Fontanes avait prononcé ces mêmes paroles dans son discours pour la séance d’installation des Écoles centrales, quatre ans auparavant. Il jugea bon de les répéter ici, renouvelées, agrandies et précisées par la circonstance même.