Œuvres complètes (M. de Fontanes)/À la Fontaine du Vivier

Œuvres de M. de FontanesL. Hachettetome 1 (p. 164-166).


À LA FONTAINE DU VIVIER.


ODE.


1815.


Toi, dont l’urne féconde embellit ces prairies,
L’été quarante fois a brillé dans les cieux,
Depuis le dernier jour où tes Nymphes chéries
 Ont reçu mes adieux.

Elles n’ont point perdu leur riante parure,
Leurs bords sont aussi verts, leur cristal aussi frais ;
Et du temps destructeur l’inévitable injure
 N’a vieilli que mes traits.

La céleste Hygia, propice à ma naissance,
M’éleva près des lieux dont ta source est l’honneur ;
Ah ! rends-moi cet air pur où jadis mon enfance
 Respira le bonheur.

Ranime, s’il se peut, ma vie et mes pensées,
Comme, en ce frais vallon, cher à mon souvenir,
On voit l’herbe et les fleurs, de ton eau caressées,
 Tous les ans rajeunir.


Vains souhaits ! des beaux jours la fugitive image
N’est qu’un regret de plus pour mon cœur attristé ;
Là, mon frère autrefois, l’ami de mon jeune âge,
 Marchait à mon côté.

Il soutenait mes pas, et sa muse pensive
Suivait ces flots errants dans ces prés toujours verts ;
Les prés, et l’orme antique, et le flot et la rive
 Me répètent ses vers.

Quand mes faibles talents commencèrent d’éclore,
Il nourrissait mon goût de ses doctes leçons,
Et, dans mes jeunes mains, d’un luth timide encore
 Dirigeait tous les sons.

Il n’est plus ! il comptait quatre lustres à peine ;
De la gloire à ses vœux l’espoir était permis,
S’il eût pu désarmer la rigueur inhumaine
 Des astres ennemis.

Tel, quand il est couvert de son nouveau plumage,
Un jeune rossignol, pour la première fois
Suit l’instinct paternel, et d’un tendre ramage
 Fait retentir les bois.

Tout à coup, suspendant sa voix fraîche et brillante,
Il tombe, il est percé des ongles du vautour ;

Hélas ! il eût charmé, sans la griffe sanglante,
 Tous les lieux d’alentour.

Des bocages voisins jusqu’aux cieux parvenue,
Sa voix de ses rivaux eût vaincu les concerts ;
Mais, presque à sa naissance, elle expire inconnue
 Dans le fond des déserts.

Cher frère ! ô mon ami, mon maître, mon modèle,
Ô de mes premiers ans le tendre compagnon !
Puisse un jour l’amitié, sur ma lyre fidèle,
 Éterniser ton nom !

Il n’est point d’autre honneur où je veuille prétendre,
C’est le vœu de l’amour et non pas de l’orgueil ;
Puisse, en secret du moins, ma voix se faire entendre
 Au fond de ton cercueil !

Encor quelques moments, et la mort nous rassemble !
Quand mes derniers soleils vont bientôt expirer,
Aux bords de la fontaine où nous chantions ensemble
 Il m’est doux de pleurer.

Niort.