Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 050

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 56-57).

FABLE L.

LE LION ET SON SUCCESSEUR.


De ce mortel repos, l’affreuse léthargie,
Un lion fut atteint, on trembla pour sa vie,
Et chez son successeur messieurs les courtisans
Selon leurs intérêts ou tristes, ou rians,
En foule aussitôt arrivèrent,
Sur son rang le félicitèrent
Comme s’il eût été dès ce moment leur roi
Chacun déjà songeoit à briguer un emploi.
Loin du palais royal le prince héréditaire
Vivoit en philosophe et même en solitaire ;
Visitoit rarement la cour,
Soit prudence, soit goût, il fuyoit ce séjour.
Mais lorsqu’il s’agissoit d’événement, d’affaire,
Établissant pour ses courriers
Un jeune cerf, et deux bons levriers,
Il recevoit par eux fraîche et sûre nouvelle ;
Dans cette circonstance ils redoubloient de zèle ;
En apportant soir et matin
De l’état de leur souverain
Le bulletin.
Toujours on l’attendoit avec impatience :
Le dernier sur ses jours donna grande espérance.
Son premier médécin marquoit le roi va mieux,
Et même il est assez joyeux.
Par mon nouveau remède ignoré du vulgaire
J’ai provoqué la crise nécessaire :
Le monarque a repris connoissance, appétit.
Je lui permis hier un agneau fort petit,

Il voulut, malgré moi, manger aussi la mère ;
Contre ma défense il rugit :
Oh ! sa force revient, car je perds tout crédit.
Les plus fins courtisans prennent bientôt la fuite.
Le prince voit sa cour à la moitié réduite.
Il connoissoit les gens, étoit lion d’esprit.
À ceux qui lui restoient se moquant d’eux, il dit :
Messieurs, demain, si la nouvelle est bonne,
Si le monarque encor a bien dîné,
Grace à son appétit je n’aurai plus personne.
Ce prince resta seul, il avoit deviné.