Œuvres (Ferrandière)/Fables/Fable 003

Janet et Cotelle (Première partie : Fables — Seconde partie : Poésiesp. 5-7).

FABLE III.

LE MAÎTRE DE MAISON ET SON JARDINIER.


Comment ne pourrez-vous jamais vous rassembler,
Soit au château, soit au bocage,
Sans faire un aussi grand tapage ?
Où trouvez-vous toujours de quoi rire et parler ?
Disoit à ses valets maître brusque et sauvage,
Et chaque fête reproduit,
Ajouta-t-il, ce maudit bruit.
Oh ! que de plats bons mots aujourd’hui l’on va dire !
Son jardinier lui répondit,
À quoi sert, monsieur, tant d’esprit ?
Le bon sens pour nous doit suffire.
Si j’avois et soir et matin,
Comme vous un gros livre en main,
Que je voulusse enfin m’instruire,
Que deviendroit votre jardin ?
Défaut de soin peut tout détruire.
Adieu vos fruits, vos légumes, vos plants,
Vous verriez tout sécher en peu d’instans,
Et diriez, en grondant, vous ai-je pris pour lire ?
Ignorance et travail, voilà notre vrai lot ;
Mais la danse, les jeux, font oublier la peine
De la semaine,
Et n’oser s’amuser ce seroit par trop sot.
Au rebours des messieurs nous jasons sans médire :
Et la bêtise qui fait rire
A pour nous le prix d’un bon mot.

Ce Jardinier parloit librement, sans rien craindre.
Le maître étoit bourru, mais juste en même temps ;
De la gaîté, du bruit il cessa de se plaindre,
Et comprit le besoin des plaisirs innocens.