Études sur l’Inde ancienne et moderne/01

ÉTUDES
SUR
L’INDE ANCIENNE ET MODERNE

I.
LES BRAHMANES ET LES ROIS.


Un navigateur arabe qui se rendait de Bassorah en Chine raconte qu’il aperçut un jour sur la côte de Malabar, aux environs de Ceylan, un pénitent hindou assis dans l’attitude de la méditation, la face tournée vers le soleil, et n’ayant pour tout vêtement qu’une peau de panthère roulée autour des reins. « Seize ans après, ajoute le voyageur, je retournai dans le même pays, et je retrouvai cet homme dans la même situation. Ce qui m’étonna le plus, ce fut que son corps n’eût pas été fondu par la chaleur[1] ! » Ce pénitent immobile, plongé dans la contemplation durant tant d’années, offre une image parfaite de l’Inde elle-même, qui pendant près de trente siècles a médité sur l’essence et les attributs de la Divinité, comme aussi sur la nature et les destinées de l’homme. Elle a dogmatisé par la bouche de ses brahmanes, elle a chanté aussi les exploits de ses héros dans une langue savante et harmonieuse ; mais tandis que tout se modifiait autour d’elle, ceux qui l’étudiaient à mille ans d’intervalle la retrouvaient dans la même attitude, livrée aux mêmes pensées. Entraînée par son génie rêveur et mystique dans les sphères de la philosophie abstraite, elle semble avoir perdu jusqu’au souvenir de sa propre existence ; à qui l’interroge sur son histoire, elle répond par des récits fabuleux, par de merveilleuses légendes. Et pourtant l’Inde a vécu plus longtemps que tant d’autres nations qui paraissaient plus puissantes et plus fortement constituées. Le secret de sa durée et de sa force, il faut donc le chercher dans ses lois et dans son organisation sociale. Or, parmi les institutions qui lui sont propres, celle qui la caractérise le mieux, celle qui a le plus puissamment contribué à la maintenir stationnaire, mais toujours debout, c’est assurément le régime des castes.

Comment se sont formées les castes dans l’Inde ? à quelle époque a pris naissance cette division arbitraire en apparence, et si bien acceptée de la société hindoue, qu’elle n’a pas cessé de prévaloir depuis les temps anciens jusqu’à nos jours ? Ce double problème, impossible à résoudre d’une manière complète et satisfaisante, peut du moins être étudié dans son ensemble. Si les documens historiques font défaut, nous avons les ouvrages des législateurs avec leurs commentaires, les légendes semées à profusion dans les épopées et dans les pourânas. En rapprochant du texte de la loi brahmanique, nettement formulée, les faits qui se sont développés par la tradition et que la légende a consacrés, on arrive quelquefois à découvrir le sens caché de ces récits merveilleux et terribles rassemblés à dessein dans des poèmes immenses. La poésie devient alors comme le flambeau à l’aide duquel on cherche, à travers la poussière des siècles, les vestiges d’un passé dont la grandeur se révèle par des monumens de toute sorte, — les uns taillés dans la pierre et le marbre, debout encore ou mutilés, que, le voyageur interroge du regard avec émotion, — les autres tracés sur la feuille du palmier, avec la plume de bambou et sur lesquels s’est fixée pour toujours la pensée des anciens sages.

Ces sages des premiers temps étaient des brahmanes, c’est-à-dire des hommes appartenant à la classe éclairée des prêtres, chargée d’enseigner aux trois autres castes le texte des traditions religieuses dont elle gardait le dépôt. L’ensemble de ces traditions, — hymnes du Rig-Véda, rituel, croyances relatives à la création, à la nature de l’homme à ses destinées, — formait comme l’arche sainte de la nationalité aryenne[2]. À mesure cependant que les Aryens, établis sur le sol de l’Inde étendaient leurs conquêtes en domptant les peuples aborigènes, à mesure que ces peuples soumis et disciplinés apportaient dans le sein de la société hindoue des élémens étrangers, l’histoire se faisait. Des événemens considérables avaient lieu, de grands noms dominaient certaines époques ; il fallait tenir compte des faits et diriger dans sa marche future cette grande nation qui s’élançait en avant et débordait de toutes parts à la manière des grands fleuves grossis de mille affluens. De là deux sortes de monumens littéraires parmi ceux qui ne sont pas d’un ordre purement dogmatique ou spéculatif : les pourânas, poèmes religieux, au nombre de dix-huit, traitant de la création des mondes, et qui présentent à leur manière le tableau des premières familles humaines, la généalogie des anciens patriarches aryens et des rois de l’époque historique, — et les épopées, le Mahâbhârata, le Sâmâyana, le Maghouvança, etc., poèmes historiques écrits sous l’influence partout sensible de l’idée brahmanique, et même sous l’inspiration de l’esprit de secte. Dans ces deux genres de compositions, l’action principale du poème et la moralité de la légende reposent toujours sur un personnage qui est un guerrier, un kchattrya de race aryenne, devenu roi par l’onction sacrée. Il ne pouvait en être autrement : une société se personnifie dans ceux qui agissent et la font agir. Or, si les brahmanes représentent la vie de la société hindoue, s’ils en sont l’âme et l’esprit, les rois en ont été le cœur et le bras ; ils lui ont donné la vie extérieure, le mouvement, ce par quoi l’idée brahmanique, qui cherchait à la contenir et à la diriger, s’est révélée aux yeux du monde. Examiner la formation et le développement de la caste royale et militaire, c’est donc étudier l’ensemble de la société hindoue dans son principe et dans ses tendances ; mais avant de rechercher comment le pouvoir temporel a été exercé durant tant de siècles par les familles guerrières qui avaient conquis l’Inde sur des peuples barbares, il faut établir quel rang ont occupé les familles sacerdotales, dépositaires de la puissance spirituelle, et aussi ce qu’était, dans cette organisation toute théocratique, la population industrielle et agricole.


I

Il y a longtemps que le législateur hindou a fait entendre aux rois des vérités que l’on a crues modernes. En leur imposant des devoirs équivalens à leurs droits, en leur rappelant sans cesse qu’il y a deux écueils contre lesquels la royauté va trop souvent se heurter, — l’impiété née de l’orgueil et l’iniquité qui produit la désaffection des peuples, — le brahmanisme fait sentir aux princes qu’ils ne sont rien de plus que des hommes puissans chargés de faire respecter les lois divines et humaines. C’est au nom de la Divinité elle-même, c’est en leur qualité de prêtres et de légistes, que les brahmanes ont osé faire la leçon aux rois ; la connaissance qu’ils ont de la sainte écriture les élève au-dessus de l’humanité ; ils sont les voyans[3] par excellence. À leurs pieds s’échelonnent les castes comprenant toute la population hindoue, divisée en trois grandes catégories. L’hérédité appliquée à toutes les professions ayant éternisé au profit de la race aryenne la distinction des classes fondée sur le souvenir de la conquête, il s’est trouvé que la science, les vertus guerrières, la richesse et la servilité sont devenues le lot d’autant de castes séparées à jamais les unes des autres. La connaissance de la langue dans laquelle ont été écrits les livrés que l’on regarde comme révélés, l’étude de ces mêmes textes et le droit de les expliquer et de les commenter, tel est le triple apanage du brahmane, et dans cet héritage qu’il a reçu de ses aïeux réside tout le secret de sa puissance. Pour empêcher les castes inférieures de s’élever jusqu’à lui, le brahmanisme a formulé cet axiome devenu un article de foi, que la science ne peut être accordée aux hommes qu’en raison de la place qu’ils occupent dans l’échelle sociale. Le code de lois attribué à Manou[4], qui a toujours fait autorité dans l’Inde, a tracé les devoirs des quatre castes dans ces stances célèbres : « Il (Brahma) donna en partage aux brahmanes l’étude et l’enseignement des védas, l’accomplissement du sacrifice, la direction des sacrifices offerts par d’autres, le droit de donner et celui de recevoir ; — il imposa pour devoirs au kchaltrya ou guerrier de protéger le peuple, d’exercer la charité, de lire les livres sacrés, et de ne pas s’abandonner aux plaisirs des sens. — Soigner les bestiaux, donner l’aumône, sacrifier et étudier les livres saints (sous la direction d’un brahmane), faire le commerce, prêter à intérêt, labourer la terre, sont les fonctions allouées au vaïçya, laboureur et marchand. — Mais le souverain Maître n’assigna au çoûdra, homme de la caste servile, qu’un seul office, celui de servir les classes précédentes sans leur porter envie[5]. »

Ces quatre stances offrent en abrégé un tableau complet de la nation hindoue, civilisée, autant qu’elle le sera jamais, quelques siècles après son établissement dans les régions que l’on a nommées depuis l’Inde centrale, et mille ans au moins avant notre ère. Le premier et le plus important des privilèges conférés au brahmane par le Créateur sera l’étude et l’enseignement des védas, et par ce seul fait il prend place à la tête de la société à laquelle il communiquera la vie intellectuelle et spirituelle. Le guerrier étudiera aussi, mais sous la direction du prêtre, qui se constitue son précepteur et son guide. Il est également permis au marchand, au banquier, au laboureur, à l’artisan, de se faire lire et expliquer les saintes écritures ; mais les divers travaux de ces professions laisseront-ils à ceux qui les exercent le temps nécessaire pour devenir fort habiles ? L’homme de la troisième caste a le droit de s’instruire ; reste à savoir s’il en a les moyens et la possibilité. Quant au çoûdra, il a reçu en partage l’abjection, l’ignorance et aussi la résignation, dont le christianisme a su faire l’une des plus hautes vertus de l’humanité. On ne peut pas appeler le pauvre çoûdra un enfant déshérité de la grande famille indienne, car il n’en fait pas partie ; il lui est même défendu d’acquérir des richesses superflues, parce que « le çoûdra devenu riche, ne connaissant point les textes sacrés et cessant d’être docile aux instructions de ses maîtres spirituels, vexe les brahmanes par son insolence[6]. »

Il reste donc, à vrai dire, trois castes, toutes les trois héréditaires, reconnaissant toutes les trois la loi védique : au premier rang, le prêtre ; au dernier, le peuple actif et laborieux, l’industriel, le commerçant, le navigateur tous ceux qui font vivre et prospérer la nation ; au centre, le guerrier-roi, qui écoute la parole divine et administre la justice humaine. En principe, ces trois castes ne sont guère autre chose que les trois ordres de l’ancienne monarchie française, et pour condamner d’une façon absolue l’exclusion du çoûdra, il faudrait savoir si ceux que l’on a désignés par ce nom n’étaient pas, dans le principe, de véritables sauvages, grossiers, impossibles à civiliser, enclins à se cacher dans les forêts avec les bêtes fauves. Tout porte à croire que les serfs dont il est fait mention sous le nom de çoûdra furent les aïeux de ces barbares dont la race subsiste encore dans l’Inde, et qui se sont retirés jusque sur le sommet des montagnes pour se soustraire à la conquête et à l’influence civilisatrice des Aryens. Il y en eut qui acceptèrent le joug de la domesticité ; d’autres résistèrent, et prirent la fuite après avoir été vaincus.

Cette première distinction des castes est assez largement tracée ; elle semble plutôt exprimer un fait que l’imposer. Avec le temps cependant, elle devint une loi, et, qui plus est, une loi tyrannique, puis finalement un dogme. À mesure qu’on avance dans la lecture du code de lois de Manou, on voit les brahmanes se faire la part du lion dans le partage des droits. Ils regagnent en autorité morale, par l’exercice du pouvoir spirituel, tout ce qu’ils accordent aux rois de puissance temporelle. Quel naïf exemple de vanité et d’arrogance éclate dans ce distique où le législateur expose à grands traits encore, et comme en passant, la hiérarchie et la valeur des castes : « Que le nom du brahmane, par le premier des deux mots dont il se compose, exprime la faveur propice ; celui du kchattrya, la puissance ; celui du vaïçya, la richesse ; celui du çoûdra, l’abjection[7] ! » Ne semble-t-il pas qu’on entende un descendant des vieilles familles brahmaniques, dont la généalogie remonte au temps des védas, s’écrier du fond du sanctuaire : C’est moi qui protège le fort ; c’est par ma permission que l’homme intelligent et laborieux amasse des richesses, que le pauvre se prosterne devant ses maîtres et qu’il ne se montre qu’à genoux ! — Voilà l’orgueil de la caste dans toute sa crudité et poussé jusqu’à l’adoration de soi-même. On se demande comment des peuples intelligens ont pu subir une pareille doctrine : c’est que cette doctrine abaissait d’abord le pouvoir royal. En le subordonnant à la loi révélée, elle opposait une barrière aux emportemens de la force brutale ; enfin elle établissait l’égalité des hommes devant la justice divine, en les montrant tous sortis des divers membres du même Dieu. Pour exprimer clairement cette pensée, Manou a recours à l’allégorie et il dit : « Or, pour l’accroissement des mondes, de sa bouche, de son bras, de sa cuisse, de son pied, le souverain Maître tira le brahmane, le kchattrya, le vatçya et le çoûdra. »

La bouche du souverain Maître, c’est la parole révélée, et elle reste bien au-dessus du bras qui ne peut faire autre chose qu’exécuter l’action qui lui est commandée par la pensée ; la parole demeure libre insaisissable, d’essence divine comme l’âme dont elle exprime la volonté. Y a-t-il une aussi grande différence entre les membres qui composent le corps social représenté ici par l’image de Brahma ? Non, certes, et si on laisse de côté l’interprétation littérale de l’allégorie contenue dans la stance de Manou que nous venons de citer, une explication plus large et plus élevée se présente à l’esprit. On y reconnaît cette vérité : la pensée qui conçoit vaut plus que le bras qui exécute ; le courage et le dévouement à la patrie valent plus que la richesse ; la richesse produite par un travail intelligent et assidu l’emporte sur le travail machinal et qui n’exige aucun effort de pensée. Cette interprétation, qui dut être celle des anciens sages, ne convient ni à Manou, ni aux brahmanes, qui cherchent dans son code de lois la sanction de leurs privilèges exorbitans. L’image employée par le législateur n’a pas cessé d’être prise au propre. Ainsi le Vichnou-Pourâna, écrit sous l’influence du principe des trois qualités ou de la triade, explique d’une manière presque identique la création des castes : « Au commencement, comme Brahma, dont la méditation est la vérité, désirait créer le monde, alors s’élancèrent de sa bouche des êtres spécialement doués de la qualité de la bonté ; d’autres sortirent de son sein, pénétrés de la qualité de la passion ; d’autres de ses cuisses, dans lesquels la passion et les ténèbres dominaient, et d’autres de ses pieds, dans lesquels êtres les ténèbres prévalaient. Ce furent dans leur ordre successif les êtres des quatre castes[8]. »

Les pourânas, qui se répètent les uns les autres, en ce qui touche au dogme, avec de légères variantes avec cette différence surtout que la supériorité sur les autres dieux est attribuée à celui qui donne son nom à chacun de ces poèmes, les pourânas sont d’accord sur la création des castes. Ainsi dans le Matsya-Pourâna on lit : « Et Varnadéva (Civa), qui est le bienheureux, créa de sa bouche les deux-fois nés[9]. » Dans le système de la triade, Civa n’est rien moins qu’un créateur, puisqu’il est chargé de la destruction des mondes ; mais ne demandons point aux pourânas la logique ni la déduction rationnelle des idées. Vichnou, étant à son tour le dieu qui conserve ; le dieu qui s’incarne pour sauver l’humanité en péril, ne peut pas non plus avoir créé les mondes ni les castes : cependant la création des castes par Vichnou se trouve mentionnée en termes précis dans la Bhagavadguitâ, le plus mystique et le plus mélancolique de tous les textes sacrés de l’Inde. Au moment où Krichna, incarnation de Vichnou, conduisant le char d’Ardjouna, son disciple préféré et son ami de cœur, lui explique le dogme de l’inutilité des œuvres, qui est la base du djoguisme (c’est-à-dire de l’union intime avec la Divinité par la méditation), ces paroles orthodoxes sortent de sa bouche : « L’ensemble des quatre castes a été créé par moi avec les qualités et les devoirs qui concernent chacune en particulier. »

Toutes les sectes sont donc d’accord pour admettre et proclamer la distinction des castes. Le bouddhisme lui-même, qui reconnaissait l’égalité des hommes en les déclarant tous aptes à se fondre dans le grand tout, le bouddhisme, qui n’avait point l’orgueil de la nationalité ni le mépris des étrangers, n’attaque jamais ce principe, si contraire à sa doctrine. Nous en avons une preuve dans un passage de l’Introduction à l’Histoire du Bouddhisme indien[10], de ce livre qu’on aime à citer, car M. Eugène Burnouf y a mis toute sa science et toute la finesse de son rare esprit : « C’est là un point (le régime des castes) que, suivant la remarque de M. Hodgson[11], aucun auteur bouddhiste n’a jamais contesté. Les noms de ces castes sont cités à tout instant, et leur excellence est tellement bien établie, qu’elle est admise par Çâkya (Bouddha) lui-même, ainsi que par ses disciples, et qu’elle ne devient l’objet d’observations spéciales que quand elle fait obstacle à la prédication de Bouddha. »

Le régime des castes était donc devenu dans l’Inde un dogme incontesté, et qu’aucune secte, aucune réforme n’osait attaquer. À peine le fait avait-il été admis par la tradition, que les législateurs le consacrèrent à l’envi, et en tirèrent les conséquences les plus extrêmes Le code de lois attribué à Manou semble marquer le moment précis où s’accomplissait légalement cette division des classes du peuple hindou. L’auteur de cet ouvrage vénéré, qui pourrait bien être l’œuvre collective de la caste sacerdotale y s’applique à consolider par tous les moyens possibles la clé de voûte de l’édifice social, qui repose tout entier sur le brahmanisme. Les brahmanes, on le sait, tirent leur nom de Brahma, qui produisit la révélation et forma ensuite les mondes, comme il est dit dans le Bhagavat-Pourâna : « Les védas naquirent du dieu créateur aux quatre visages qui méditait un jour ainsi : Comment créerai-je l’ensemble des mondes ? — Tel qu’il existait autrefois[12]. » En leur qualité de premiers-nés du Créateur, les brahmanes sont donc les incarnations de la parole révélée, les fils du Verbe divin, ce verbe lui-même. C’est la le principe de leur supériorité ; Manou le dit formellement : « C’est la production du brahmane, et nulle autre, qui est le corps visible, la forme sensible et impérissable de la loi, car il a été formé pour la loi et pour l’identification avec Brahma[13]. »

De même que les védas ont été créés avant les mondes, de même aussi le brahmane, qui est le véda incarné, a été créé par la pensée du Dieu suprême avant les autres hommes et pour les conduire. Cette priorité de création deviendra le germe de toutes ses prérogatives, le point de départ de toutes ses usurpations. L’enseignement de la parole divine, pour lequel il a été mis au monde, ne sera plus le seul apanage du brahmane. Venu le premier sur la terre, il en sera déclaré le maître absolu, le souverain seigneur. Dans le fils aîné de Brahma, l’élément humain a disparu ; il ne reste plus que le dieu, le verbe personnifié dans une caste tout entière, se transmettant par l’hérédité ce caractère sacré et inviolable. Tel est le sens parfaitement clair du texte de Manou : « Parce qu’il est né du membre le plus noble, parce qu’il est l’aîné, et aussi parce qu’il possède la sainte écriture, le brahmane est, de par la loi et à l’exclusion de tout autre, le seigneur de cette création. — Le brahmane, en venant au monde, est placé au premier rang sur cette terre ; souverain seigneur de tous les êtres, il doit veiller à la conservation du trésor de la loi. » Pour veiller à la conservation du trésor de la loi, il n’était peut-être pas indispensable que le brahmane fût proclamé souverain seigneur du sol et des êtres qui l’habitent. On pourrait penser qu’il s’agit seulement de supériorité morale et de puissance spirituelle ; le distique suivant vient lever tous les doutes : « Tout ce que ce monde renferme est la propriété du brahmane ; par sa primogéniture et par sa naissance, il a droit à tout ce qui existe. »

Jamais le droit d’aînesse n’a été interprété d’une manière aussi large et aussi absolue. Les autres castes n’existent donc que sous le bon plaisir du brahmane, et les rois eux-mêmes ne sont que ses délégués. Les devoirs que lui impose sa haute, position ressemblent encore à des prérogatives : ce sont « l’étude et l’enseignement du véda, l’accomplissement du sacrifice, la direction des sacrifices offerts par d’autres… » Cependant on ne peut mettre en pratique des abstractions, et la parole même révélée, le texte le plus sacré, le plus respecté, ne peuvent empêcher que les sociétés ne se développent. Les fictions disparaissent, ou du moins pâlissent et s’effacent ; la réalité se montre. Maître et précepteur de la nation entière, guide spirituel des rois prêtre appelé dans les familles pour accomplir les cérémonies religieuses, le brahmane ne peut garder entre ses mains le pouvoir temporel. Si la terre lui appartient tout entière, les autres hommes en cueillent cependant les fleurs et les fruits ; ils en prennent possession librement, par contrat légal, sans sa permission. Il y a plus, les brahmanes qui recevaient des domaines en apanage ont pris soin de conserver, gravés sur des plaques de métal, les titres de ces concessions connues dans l’Inde anglaise sous le nom de grants of land, d’où il faut conclure que si les premiers-nés de la création sont légitimes possesseurs du sol, Brahma a chargé les rois de leur distribuer ses bienfaits.

L’art, qui exprime la tradition à sa manière, nous représente la véritable physionomie du brahmane dans l’image bien connue de Vrihaspati, qui exerce les fonctions de précepteur spirituel auprès des dieux, comme les deux-fois-nés auprès des rois. Vrihaspati est assis sur un lotus ; il a quatre bras : l’une des quatre mains tient un chapelet, symbole de la prière, l’autre un plat pour recevoir les aumônes ; la troisième porte une massue, la quatrième fait le geste d’enseigner. La massue que porte Vrihaspati n’est point celle d’Hercule : elle ne suffit pas à donner au brahmane l’aspect terrible d’un maître tout-puissant ; à peine représente-t-elle la justice divine menaçant l’impie qui s’écarte de la droite voie. Le pouvoir temporel ne réside donc point entre les mains du brahmane. Si, par l’influence de sa parole et de ses enseignemens, il exerce une action plus ou moins considérable sur la conduite des rois et sur la destinée des peuples, toujours est-il que le législateur ne lui a point confié le gouvernement de la nation hindoue. Quelles sont donc, hors de la légende et dans la vie pratique, ses fonctions réelles ? comment vit et à quoi s’occupe dans notre temps cette caste nombreuse, qui, s’accroissant de siècle en siècle, ne pouvait plus fournir à chacun de ses membres l’occasion d’exercer ses hautes prérogatives ?

L’Inde est fractionnée en une foule de petits états gouvernés par autant de princes qui tous ont une petite cour. Près de ces râdjas[14], les brahmanes remplissent plus d’une fonction importante ; ils sont chapelains, prêtres de famille, ministres, conseillers auliques (comme on dirait dans les petits états d’Allemagne), astrologues, empiriques, précepteurs, secrétaires. Partout où il y a place pour la pensée ou pour la parole, ils paraissent au premier rang. Ces hautes positions viennent-elles à manquer, la loi ancienne leur ouvre une foule de carrières secondaires qu’ils peuvent embrasser sans déroger. Le cas de détresse, c’est-à-dire les circonstances majeures qui mettent le brahmane dans l’impossibilité d’étudier et d’enseigner, de sacrifier ou de desservir les temples tout le temps de sa vie, a été prévu par Manou lui-même, et de nos jours la caste privilégiée en a été réduite à mettre bien souvent en action ce passage du texte sacré : « Mais si un brahmane ne peut vivre en s’acquittant de ses devoirs… » oh ! alors il sera soldat, marchand, laboureur même, tout ce qu’il pourra, excepté serviteur à gages. Il vendra toute sorte d’objets, excepté les sucs végétaux, les tissus de chanvre, le riz cuit, les graines de sésame, les pierres, le sel, le bétail, les étoffes rouges, les tissus de lin ou de laine ; les fruits les racines, les plantes médicinales, l’eau, les armes, le poisson la viande, etc., et l’énumération se poursuit ainsi à l’infini. En vérité, on ne voit guère ce qu’un brahmane peut exposer en vente dans sa boutique. Reste le commerce des métaux et des pierreries, et celui des étoffes de soie. Aussi rencontret-on beaucoup de brahmanes banquiers, changeurs, et même marchands de foulards. D’autres, prenant à la lettre ces mots de Manou : « que le brahmane, en cas de détresse,… vive en remplissant les devoirs d’un kchattrya ou guerrier, » endossent l’habit de cipaye et vont guerroyer sous les bannières de l’Angleterre, au son du fifre et du tambour. Ils savent que l’art militaire, enseigné aux anciens guerriers par des sages de la caste sacerdotale, était une science révélée, connue sous le nom de dhanour-veda, véda de l’arc. L’arc n’étant plus en usage, ils apprennent le maniement du mousquet, tant aux exercices que dans le Soldier’s Manual, rédigé en anglais et en hindi par un officier supérieur de l’armée britannique instruit et brave, mutilé au siège d’Agra[15]. Puis, comme le nom de cipaye s’applique aussi au gardien, armé ou non armé, d’une maison princière ou particulière, le brahmane, en quête d’une profession qui le fasse vivre, ira se réfugier dans la loge d’un concierge. Dès-lors ses fonctions sont bien simplifiées : il ouvre et ferme les deux battans d’une porte cochère, annonce les visites en frappant sur le gong, et salue les maîtres qui passent ; mais dans son humble condition, il est brahmane encore. Le cordon d’investiture, qu’il porte en sautoir et laisse flotter à dessein sous sa tunique, telles sont les armoiries qui témoignent de la noblesse de sa race. Dès le matin, avant qu’aucun importun, marchand de lait, porteur d’eau ou valet de chiens, soit venu heurter au portail, le brahmane concierge, retiré dans sa loge, fait ses ablutions en récitant les prières consacrées. S’élevant par la pensée jusqu’au Dieu créateur qui l’a fait sortir de sa propre bouche, il se console bien vite de la position inférieure ou le sort l’a jeté ; il n’accuse point la destinée, il ne porte point envie à la richesse de celui qui l’emploie. Dès que sa toilette est achevée, il redresse sa moustache et se tient fièrement debout, appuyé sur sa baguette, dans l’attitude de ces statues parfois si belles qui gardent l’entrée du sanctuaire dans les temples et portent, comme lui, le nom de gardien de la porte (dvara-pâla).

Le cipaye et le concierge par circonstance représentent les brahmanes pauvres qui n’ont pu pousser leurs études assez loin pour se servir de leur plume. L’honorable compagnie offre à ceux qui possèdent quelque instruction des emplois divers, parfois très lucratifs et avidement recherchés. Les plus habiles, attachés aux bibliothèques, relisent, corrigent et copient des manuscrits. D’autres, qui connaissent très bien la langue anglaise, même le français, travaillent dans les administrations publiques, dans les bureaux de poste ou bien chez les négocians, à l’état d’écrivains et de commis. Tout le jour ces derniers font courir leur calame sur les feuilles d’un registre ; contraints de vivre durant de longues heures éloignés du commerce des livres saints qui devraient faire l’objet de leur étude assidue, on les voit, dès que le signal du repos est donné, retourner en hâte dans leurs demeures pour reprendre le cours de leur existence hindoue et brahmanique.

Mais les plus heureux de toute la caste je dirais volontiers les plus heureux habitans de la plus belle partie de l’Asie, ce sont les brahmanes placés entre les conseillers de rois et les écrivains de bureaux, ceux qui vivent en pleine campagne autour de quelque magnifique pagode dont les revenus suffisent à leurs besoins[16]. Dans ces retraites charmantes, rien d’étranger, rien d’européen et d’hostile à leur croyance ne vient blesser leurs regards. Réunis en grand nombre aux pieds des idoles qu’ils desservent, égaux entre eux, imbus des mêmes idées et des mêmes préjugés, ils vivent avec leurs femmes et leurs enfans dans le plus tranquille far-niente, éclairés par un soleil de feu, rafraîchis par une ombre opaque et par les eaux de larges réservoirs. Les grandes fleurs odorantes qui s’épanouissent dans les jardins pour le service du culte, ils vont avant l’aurore les cueillir de leurs mains quand elles exhalent tous leurs parfums sous l’influence de la rosée des nuits. Les beaux fruits qui sont offerts chaque jour à la divinité de granit dans son sanctuaire mystérieux, ils se les partagent et les portent à leurs enfans, qui les saisissent avec avidité, comme l’oiseau qui donne la becquée à ses petits. À l’heure où le soleil vertical répand sur la terre des torrens de feu, quand il n’y a plus d’ombre autour des hauts portiques à sept rangs de bas-reliefs, ils descendent au bord des étangs en se glissant pour dormir sous les manguiers au feuillage épais. Tout humides encore du bain qu’ils ont pris en se plongeant dans l’eau des réservoirs marbrée de lotus bleus, ils rêvent au Dieu qui a créé toute cette puissante nature, au Dieu dont ils sont les premiers-nés, qui leur a donné en partage l’amour de la retraite et de la vie frugale, avec un immense orgueil pour s’admirer, une vanité à toute épreuve pour n’envier le sort de personne. Absorbés dans le doux sommeil de la contemplation, ils entendent la marche harmonieuse des mondes qui roulent dans l’immensité, s’unissant par la pensée à tous les êtres supérieurs parmi lesquels ils se rangent complaisamment. Au soir, quand la fraîcheur ranime la vie partout languissante, l’heure de l’offrande réunit les officians autour de l’idole. Alors aussi résonne la conque marine pareille au beuglement des taureaux, voix sonore et même terrible, qui semble celle des grands bœufs de pierre accroupis sous un reposoir en face du sanctuaire. Rien ne manque donc à ces brahmanes de campagne, dotés par l’état et insoucians de l’avenir. Ils ont le repos, premier des biens dans les climats dévorans où l’activité humaine perd le ressort de son énergie ; ils ont la satisfaction d’eux-mêmes, le libre exercice des facultés de l’âme et de l’esprit, et toutes les aises de la vie primitive. Non, rien ne leur manque en apparence, et pourtant, quand on les surprend dans l’intimité de leur existence païenne, on voit que dans ces âmes magnétisées et assoupies par le panthéisme, consumées par l’orgueil, il n’y a place que pour l’égoïsme. Le monde périrait autour d’eux, que leurs cœurs s’ouvriraient à peine à la pitié, car la charité est un mot vide de sens pour eux, et à la vue du christianisme, qui s’étend partout et envahit l’Asie, ils ne demandent pas même : Quid est veritas !

Le brahmane est donc partout dans la société hindoue ; mêlé à tous les rangs, à toutes les classes, mais demeurant toujours lui-même, il représente la tradition vivante, le culte ancien. La loi védique s’est personnifiée en lui ; par lui aussi, elle se perpétue immuable à travers les siècles. Jamais il n’exista chez aucun peuple une aristocratie aussi puissante ; la pauvreté ne lui fait rien perdre de sa noblesse, elle s’éternise en quelque sorte par l’hérédité, ne perdant rien de ses privilèges, qui sont consacrés par la loi civile et sanctionnés par la loi religieuse. Elle est le lien qui unit en une même nation les divers peuples de l’Inde. Qu’on la supprime, qu’elle vienne à disparaître, et les populations répandues des rives de l’Indus à celles du Gange, de l’Himalaya à Ceylan, cesseront tout à coup de marcher dans la voie qu’elles suivent depuis trois mille ans. La civilisation européenne fera des progrès rapides, et l’on verra, spectacle étrange assurément, les nations de l’Occident redonner la vie à cette race asiatique, ingénieuse, vive et sensible, avec laquelle elles ont tant d’affinités de langage qu’on en doit conclure une communauté d’origine.


II

Immédiatement au-dessous de la caste sacerdotale, qui est la tête et l’âme de la société indienne, se place la caste militaire, — celle des kchattryas, — qui en est le bras et le cœur. La loi écrite par les brahmanes n’a point confié à ceux-ci le gouvernement direct des peuples : le deux-fois-né, qui possède la toute-puissance spirituelle et morale, qui règne sur la création entière, n’a pas besoin d’exercer le pouvoir temporel pour rehausser la dignité de sa race ; il est né avec l’auréole au front, et c’est lui qui, pour faire respecter la loi dont il est l’emblème, met le sceptre dans la main du guerrier, devenu roi par l’onction sacrée. Le roi sera donc le délégué du brahmane, comme celui-ci est le délégué du Dieu créateur. Les devoirs du prince se trouvent d’ailleurs parfaitement et noblement résumés dans cette stance du code des lois de Manou : « À ce kchattrya le Créateur imposa pour devoirs de protéger les peuples, de faire l’aumône, d’offrir le sacrifice, de lire les saintes écritures[17]. »

Ces trois mots, protéger les peuples, doivent être pris dans l’acception la plus large. Ils signifient que le roi est tenu de rendre la justice, de châtier les méchans, de récompenser les bons, de s’appliquer à faire à propos la paix et la guerre, d’étendre aussi loin qu’il le pourra l’influence de l’idée brahmanique, d’écarter de ses états les peuples étrangers, les peuplades sauvages rebelles à toute civilisation, de sacrifier son repos et même sa vie pour assurer à ceux qui s’abritent sous son autorité l’entier et paisible accomplissement de leurs travaux et les pratiques de leur culte. Les rois seront donc les protecteurs de leurs peuples, comme le pasteur l’est de son troupeau. Possesseurs de grands biens, disposant de riches trésors, ils répandront des aumônes abondantes parmi tout ce peuple de brahmanes voués au service des temples ou à la vie contemplative, groupés autour du palais ou dispersés dans les campagnes, et qui, n’étant pas censés prendre souci des choses de ce monde, vivent des largesses royales. C’est ainsi qu’ils feront l’aumône, et ils offriront des sacrifices pour eux, pour le peuple, pour la prospérité du pays, donnant à leurs sujets l’exemple de la piété, et faisant de constans efforts pour que le culte se maintienne dans sa splendeur et dans sa dignité. Ils liront les saintes écritures où sont consignés les dogmes de la religion brahmanique, mais sans se permettre de les interpréter et sous la direction de leurs précepteurs spirituels : c’est par là surtout qu’ils manifesteront à l’égard de la caste supérieure la docilité qui leur est recommandée comme un acte de vertu.

Le dieu suprême n’a donc point conféré aux kchattryas le pouvoir royal pour faire d’eux des mortels livrés à la paresse, enivrés d’orgueil, toujours prêts à se placer au-dessus des lois. Ils n’ont point été mis sur le trône pour régner au milieu de la pompe et du luxe, pour absorber à leur profit les deniers de l’état, mais pour maintenir l’ordre au milieu de ce monde sans cesse troublé par la perversité des hommes. Leur origine est divine aussi, mais à un degré moins élevé que celle des brahmanes. Ceux-ci, nés de la bouche de Brahma, sont comme les émanations du dieu suprême, du dieu créateur qui a donné la vie aux êtres par sa parole ; les rois procèdent simplement des dévas, ou divinités secondaires. Mettant de côté l’image dont il s’est servi une première fois quand il a fait sortir les rois des bras du Créateur, Manou parle de leur nature en des termes vraiment admirables : « Ce monde, privé de rois, serait de tous côtés bouleversé par la crainte. Aussi, pour la conservation de tous les êtres, le Seigneur a créé le roi,— en prenant des particules éternelles de la substance des huit gardiens du monde, qui sont : Indra, le dieu de l’éther ; Anila, le dieu du vent ; Yama, dieu de la justice et juge des morts ; Soûrya, le soleil ; Agni, le dieu du feu ; Varouna, le dieu des eaux ; Tchandra, le dieu Lunus des Latins ; Koûvéra, le dieu des richesses. — Et c’est parce que le roi a été formé de particules tirées de l’essence des principaux dévas, qu’il surpasse en éclat tous les autres mortels[18]. »

On n’a jamais fait un plus magnifique portrait de la royauté. Celui qui en est revêtu prend place bien au-dessus des autres mortels, parmi les dieux qui protègent et gouvernent le monde, au milieu des dévas, ministres des volontés de la Divinité suprême, dont il résume en lui-même l’éclat et la puissance. Voilà bien le génie poétique de l’Inde, abusant du symbolisme et substituant à la nature humaine l’image qu’il a évoquée pour peindre et fixer sa pensée. Étant admise la fiction qui fait du brahmane le verbe vivant, on doit reconnaître qu’il y a dans cette peinture du guerrier devenu roi une corrélation d’idées parfaitement logique. Le kchattrya, armé de la puissance temporelle, représente Jupiter la foudre en main, tandis qu’à l’arrière-plan, et au-dessus de lui, plane le dieu invisible et immuable, le Destin, celui que les Hindous ont appelé Brahma qui existe par lui-même (svayambhoû). Cette comparaison, qu’il a prise au propre, Manou la poursuit avec une énergie croissante : « Un roi, même enfant, ne doit pas être méprisé par quelqu’un qui dirait : C’est un simple mortel ! car sous cette frêle enveloppe se cache une divinité terrible et douée d’une grande majesté. » Et la majesté royale devient, dans la pensée du législateur, une flamme divine et vengeresse qui sait reconnaître et atteindre le coupable : « Le feu ne brûle que l’homme qui s’en approche imprudemment ; mais le courroux d’un roi consume toute une famille, avec ses troupeaux et ses autres biens. »

Comment le kchattrya-roi manifestera-t-il la redoutable majesté qu’il recèle en lui-même ? Quelle arme les dieux dont il est formé ont-ils mise entre ses mains pour confondre l’iniquité et intimider les méchans ? Cette arme, Manou, le législateur inspiré, l’a nommée le châtiment, et il la décrit ainsi dans des stances pleines de vigueur et d’éclat : « Le châtiment est un roi plein d’énergie ; il est un administrateur habile, un juge dispensateur de la loi… Le châtiment gouverne le genre humain, le châtiment protège, le châtiment veille quand tout dort ; le châtiment est la justice, disent les sages. » Puis tout aussitôt, confondant en une même image le roi formé de la substance des huit gardiens du monde avec le châtiment, qui est en réalité la justice éternelle frappant les méchans pour mieux protéger les bons, le législateur ajoute : « Si le roi ne châtiait pas sans relâche ceux qui méritent d’être châtiés,… la corneille viendrait becqueter l’offrande du riz, le chien lécherait le beurre clarifié, il n’existerait plus de droit de propriété ; l’homme du rang le plus bas prendrait la place de l’homme de la classe la plus élevée. — Le châtiment régit tout le genre humain, car un homme naturellement vertueux se trouve difficilement. C’est par la crainte du châtiment que le monde peut se livrer aux jouissances qui lui sont allouées. » Les anciens sages de l’Inde ne croyaient donc point, comme quelques philosophes modernes, que l’homme en arrivant en ce monde est de sa nature essentiellement bon, et que la civilisation le déprave au lieu de l’améliorer.

Dans cette société indienne, où l’idée religieuse tient tant de place, le plus grand des désordres, le signe le plus manifeste de l’anarchie, c’est la profanation des choses saintes, représentée par deux animaux immondes, la corneille et le chien, s’approchant de l’offrande pour la souiller, ou, si l’on veut, les gens ignorans et dégradés s’ingérant dans les cérémonies du culte au mépris des lois anciennes. En effet, là où la loi religieuse cesse d’être respectée, là où il n’y a plus de foi, les lois civiles perdent toute leur efficacité ; le droit de propriété cessant d’exister, il n’y a plus de nation, mais seulement des hommes armés les uns contre les autres, toujours en guerre, se disputant leur proie comme les vautours et les chacals, qui ne vivent pas en société, quoiqu’ils volent et marchent par bandes nombreuses. Enfin les rangs sont confondus, l’état, privé de toute direction, ne tarde pas à périr, et le genre humain retourne à la barbarie. Voilà pourquoi le châtiment a été placé dans la main du roi, comme la foudre que lance du haut des cieux le Jupiter tonnant, et le châtiment s’exprime en sanscrit par le mot danda, qui signifie bâton. Sculpté avec art ou fait des métaux les plus précieux, et devenu le sceptre, emblème de la royauté, ce bâton n’en demeure pas moins le symbole de la répression. C’est donc le bâton qui régit le genre humain, et après l’avoir personnifié par une de ces images familières au génie indien, le législateur, oubliant celui qui le porte, en fait un être redoutable, une divinité revêtue d’un corps, plus puissante que le roi même dont il est l’attribut. Il l’appelle le châtiment, « à la couleur noire, à l’œil rouge, qui vient détruire les fautes des hommes,… doué de l’énergie la plus puissante qui existe en ce monde, difficile à soutenir pour ceux dont l’âme n’a pas été fortifiée par l’étude des lois, et capable de détruire avec toute sa race un roi qui s’écarterait de son devoir[19]… »

À la place du châtiment ainsi personnifié, mettez l’homme que la société charge de l’appliquer de sa propre main, et vous aurez à peu près la pensée fondamentale que l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg a si vigoureusement exprimée « dans son idéal mystique et moscovite du pouvoir absolu, » comme le disait naguère un illustre académicien. Il y a donc du mysticisme dans la législation des Hindous ? Cela n’est pas douteux ; c’est dans le silence des forêts, dans le calme de la vie contemplative, que les sages des temps primitifs ont préparé le code des lois qui régissent l’Inde. Cherchant à se rapprocher de Dieu par une constante méditation, ils n’ont vu dans la société tout entière qu’une agglomération de familles humaines qui doivent tendre par des moyens divers à un but unique, l’accomplissement des devoirs qui conduisent l’homme à la délivrance finale ; mais comme la raison ne suffit pas aux plus sages pour percer le mystère des destinées de l’humanité, comme les philosophes de l’Inde, cherchant à expliquer l’impossible, se prenaient eux-mêmes au mirage de leurs pensées, il en est résulté que l’allégorie a été présentée par eux sous une forme qui est devenue sensible, tant ils l’avaient fixée avec énergie, comme une ombre qui passe et qu’on craint de laisser échapper. Ainsi le châtiment, que le législateur nous a montré sous une forme si terrible et si menaçante, ressemble trait pour trait au dieu de la mort, Yama, nommé aussi le roi de la justice (dharmarâdja). Les poètes ont dépeint ce juge des morts sous l’apparence d’un homme grand, robuste, aux vêtemens rouges, au visage noir, à l’œil couleur de sang, plein d’un éclat pareil à celui du soleil, et tenant à la main un nœud coulant qui lui sert à lier et à emporter vers le sombre empire l’âme des mortels[20].

Cependant cette puissance cachée sous la forme du châtiment, qui peut s’insurger contre la main maladroite ou malintentionnée qui l’applique sans discernement, n’est pas un mythe ni une abstraction. Si le texte ne la fait pas toucher du doigt, les commentateurs la désignent clairement par un mot facile à comprendre. C’est la colère des sujets, nommée aussi la colère des pouvoirs de l’état. Ces pouvoirs de l’état, quand ils s’irritent, quand ils se sentent opprimés ou exposés à la tyrannie, font mourir le roi ; ils le tuent comme la foudre. Suit-il de là que le législateur, après avoir déifié la royauté, veuille glorifier l’insurrection et conseiller aux peuples la révolte ? Non pas précisément : il laisse entendre aux rois que la caste des brahmanes veille au maintien de la justice et à l’observation des lois, et qu’elle peut, quand il lui plaît, déchaîner contre eux la fureur populaire. Et dans ce cas le prince régnant n’est pas seul précipité du trône ; il ne meurt pas seul, sa déchéance et sa mort entraînent parfois la ruine et la destruction de toute sa race[21]. Cette théorie ne serait qu’une vaine menace si jamais elle n’avait été appliquée, mais les brahmanes l’ont maintes fois mise en pratique, et ils ont consigné ces preuves éclatantes de leur pouvoir sur les guerriers dans des légendes curieuses que la lutte des deux castes nous offrira l’occasion d’étudier.

Tout absolue qu’elle paraisse être au premier aperçu, la royauté, chez les Hindous, se trouve, on le voit, singulièrement tempérée par la loi brahmanique. Le prince qui nous a été montré d’abord comme une émanation des huit dieux gardiens de l’univers, comme un soleil radieux à l’éclat incomparable, se réduit peu à peu aux proportions d’un simple mortel exposé à la colère de ceux qu’il gouverne. Un conseil, composé en grande partie de brahmanes, siège à ses côtés, et le dirige en toute occasion. Entouré de séductions, le souverain devra s’appliquer à dompter ses passions, à réprimer les désirs des sens. Chargé de toutes les affaires de son royaume, il sera tenu de connaître tout ce qui se rapporte au commerce, aux arts, aux travaux de l’agriculture. L’emploi de sa journée a été réglé par la loi d’une façon rigoureuse ; il se lèvera matin, saluera les brahmanes dès le point du jour, travaillera avec son conseil, recevra les plaintes de ses sujets, inspectera les troupes, mangera modérément, et ne s’oubliera pas pendant de longues heures dans l’appartement de ses femmes. Il sera à la fois l’homme le plus instruit, le plus pieux de son royaume, le mieux réglé dans les détails de sa vie. Voilà pour les affaires du dedans ; mais dans celles du dehors, sa conscience prendra une singulière élasticité. Par ses ambassadeurs, il entretiendra avec les puissances voisines des relations suivies ; par ses espions, il saura ce qui se passe dans les cours étrangères, et essaiera par tous les moyens possibles d’y semer la division. Le roi, qui doit avoir toutes les vertus, ne négligera rien pour séduire les ministres de ses voisins. Il aura hors de chez lui et dans ses propres états des émissaires passés maîtres dans l’art de tromper, qui espionneront ses sujets de toutes les classes, et jusqu’aux espions eux-mêmes ; il s’étudiera à tirer parti des vices des hommes, à exploiter leur amour des richesses, leurs plus mauvais penchans, à flatter leur orgueil, à les corrompre enfin, de telle sorte que la grandeur de son royaume se compose de toutes les faiblesses et de toutes les dépravations des peuples ennemis ou alliés ; voilà ce que l’on nomme dans l’Inde la politique des princes. Voilà comment, tout en faisant les plus grands efforts pour arriver à la sagesse, je dirais presque à la sainteté, le souverain d’un royaume de l’Inde pratiquera le mensonge autour de lui, et poussera au mal, sans dégoût et sans remords, tous ceux dont les fautes lui seront profitables !

Cette doctrine de l’intérêt personnel, le code des lois de Manou l’expose avec une franchise que les commentateurs ont poussée jusqu’à l’impudence. Elle décèle un égoïsme effrayant, une absence complète de sympathie pour tout ce qui n’est pas soi, je ne sais quelle lâcheté morale formée de haine et d’envie. Combien est plus noble la physionomie du guerrier-roi, lorsque, sortant de sa capitale, où des conseillers éhontés l’entretenaient dans des habitudes d’intrigues et de mensonges, il s’avance à la tête de ses troupes pour marcher contre l’ennemi ! Il apparaît vraiment comme un souverain. Voyez-le déboucher dans la plaine au milieu des officiers qui portent le parasol et le chasse-mouche, emblèmes du pouvoir royal. Son armée est disposée en colonnes ; en tête un corps d’éclaireurs, à l’arrière-garde une troupe d’élite, au centre l’infanterie, sur les côtés les cavaliers, et aux deux points extrêmes des deux ailes les éléphans. Le roi se placera en personne vers le centre, avec ses principaux guerriers montés sur des chars. Le voilà maître de ses actions, libre d’agir et de suivre les inspirations de sa bravoure. Ne jamais fuir dans le combat, tel est le premier devoir du kchattrya qui entre en campagne. Qu’il combatte vaillamment : la mort, si elle l’atteint dans la mêlée, ne fera qu’ajouter à sa gloire en ce monde, et elle lui procurera dans l’autre un bonheur éternel, car le guerrier qui périt les armes à la main va droit au ciel. Ses soldats ne tourneront point le dos à l’ennemi sous peine de tomber en enfer. La loi a proclamé que le guerrier assez lâche pour prendre la fuite assume sur lui toutes les fautes de son chef, et cède à celui-ci ses bonnes actions. Tout en déployant le plus brillant courage, le kchattrya de race, roi ou simple guerrier, ne restera point sourd à la voix de l’humanité. Que jamais il n’emploie des armes perfides, flèches empoisonnées, barbelées, ou enflammées ; qu’il ne frappe jamais l’ennemi renversé de son char, ou celui qui joint les mains en criant merci, ni le vaincu qui délie sa chevelure et rend les armes, ni le soldat endormi, privé de cuirasse, ou désarmé, ni le combattant qui s’abstient d’agir un instant, ni celui qui est aux prises avec un autre. Il respectera aussi celui dont le glaive est brisé, celui qui est grièvement blessé, il laissera passer avec mépris, et comme indignes de ses coups, le lâche et le fuyard. Enfin sa colère s’arrêtera devant le guerrier accablé de chagrin qui pleure la mort d’un père, d’un fils ou d’un ami étendu à ses côtés.

Homère et Virgile nous ont appris à admirer, dans les héros antiques, la générosité et la grandeur d’âme ; voilà pourquoi nous aimons à retrouver dans une antiquité plus reculée encore ces sentimens d’humanité qui témoignent d’une civilisation avancée. Après la victoire, le roi triomphant se tiendra dans les limites de l’équité et de la modération. Inaccessible au ressentiment, il fera publier une amnistie générale propre à rassurer les peuples vaincus ; il dira : « À tous ceux qui m’ont offensé en portant les armes contre moi pour le service de leur maître, je pardonne ; qu’ils ne craignent rien et retournent tranquillement à leurs travaux. » Bien loin de poser sur sa tête la couronne du prince dont le sort des armes lui a livré la capitale et les états, il la donnera à quelqu’un de la famille de celui-ci, et se contentera de lui imposer des conditions de vassalité. Il distribuera même des largesses et des présens au peuple, au nouveau roi ou à ses conseillers ; les lois et les coutumes de la contrée continueront d’être en vigueur comme par le passé. Rien ne sera donc changé, si ce n’est le souverain contre qui la guerre a été entreprise, et la chute de celui-ci n’entraînera point la ruine de ses états. Il ne s’agit plus dans tout ceci d’une guerre de race, d’une guerre d’extermination. On ne voit point qu’il soit question de populations emmenées en esclavage ou réduites à l’état de servage par le vainqueur[22]. La conquête de l’Inde sur les aborigènes était définitivement accomplie au temps où ces lois ont été proclamées. Le sol appartenait sans retour à la race aryenne, qui ne formait plus qu’une grande famille, souvent divisée il est vrai, mais unie dans son ensemble par le lien d’une même croyance et d’un même culte. Dans ce monde indien constitué sur des bases solides, il y avait un but que les rois poursuivaient toujours avec énergie, et qui les poussait à lutter sans cesse les uns contre les autres : imposer leur domination aussi loin que s’étendent les royaumes hindous, et conquérir le titre glorieux de Prithivi-Râdja, roi de la terre, que portait encore le dernier souverain de Delhi, détrôné par Mahmoud le Gaznévide au commencement du XIe siècle.

La protection des peuples, qui est le premier devoir du kchattrya, s’accorde assez mal avec l’amour des combats. Aussi la guerre est-elle regardée comme un fléau par le législateur des Hindous, et il recommande de l’éviter par tous les moyens. — Dans les entreprises des mortels, remarque-t-il en passant, il faut toujours faire la part du destin. Et qui peut s’assurer d’avoir pour soi cette divinité inexorable ! — Mais il y a aussi dans toutes nos actions la part de la prudence et de l’habileté. Assurer la paix, affermir sa puissance par des négociations, agrandir son territoire et son influence, sans tirer l’épée, si cela est possible, telle doit être la constante préoccupation d’un roi. Des armées bien entretenues, bien disciplinées, le feront respecter des princes ses voisins ; il lui suffira de menacer pour être craint et de parler pour être obéi. Il aura soin de choisir des alliés moins puissans que lui et qui aient intérêt à sa propre élévation. Surtout qu’il se tienne en garde contre l’ambition, qu’il ne se laisse pas séduire par la soif des conquêtes, par un vain amour de la gloire. Est-ce en faisant couler à flots le sang de ses sujets qu’un roi protège ses peuples, et qu’il mérite d’être appelé leur père ? Mais s’ils sont attaqués par un ennemi redoutable, s’il s’agit de repousser une invasion, le guerrier-roi n’écoutera plus que son courage. Ici encore, il y a place pour la prudence, et la témérité ne doit pas être prise pour synonyme de bravoure. Supposons une guerre malheureuse, une succession de revers et de défaites. Salus populi suprema lex, disait-on à Rome ; dans l’Inde, l’axiome est différent : c’est le salut du souverain qui est la loi suprême. Au fond, la même idée se retrouve, puisque chez les peuples constitués en monarchie le souverain représente au plus haut degré la nationalité d’un pays : Le prince hindou doit sacrifier d’abord ses richesses pour sauver sa famille, puis sacrifier sa famille avec ses richesses pour sauver sa personne. Serré de près par ses ennemis, abandonné de ses alliés, il risquera sa vie pour le salut de ses sujets. Le moment est venu de se conduire en héros, mais toute chance encore n’est pas perdue. On a vu de grandes armées longtemps victorieuses subitement arrêtées et vaincues par une armée plus faible réduite au désespoir. Enfin, si les dieux se déclarent contre lui, si son heure est arrivée, que le roi combatte un beau combat[23], et qu’il meure. Sa récompense sera la vie éternelle promise au kchattrya qui périt les armes à la main en protégeant ses peuples.

III

Mourir en combattant, voilà finalement le seul droit incontesté qui reste à la royauté absolue, telle que l’a faite le brahmanisme. Présenté d’abord par le législateur sous les traits d’une divinité terrible, à l’éclat enflammé, capable de consumer tout ce qui l’entoure, le roi hindou est successivement dépouillé des rayons qui composent son auréole. Sa puissance pâlit devant celle du sceptre qu’il tient à la main, devant ce bâton du châtiment qui fait trembler le monde et dans lequel se cache le dieu de la justice. L’impôt prélevé sur ses peuples grossit ses trésors, mais il n’a pas le droit de le percevoir, s’il gouverne mal, s’il ne s’applique pas sans relâche à protéger ses sujets[24]. Que les ministres ou les employés subalternes chargés par lui de la perception des deniers de l’état oppriment la population des villes et des campagnes, et voilà que la colère du peuple va se déchaîner sur sa tête comme un ouragan qui peut le faire disparaître avec toute sa famille. La loi, qu’il n’a pas faite, et qu’il lui est interdit de modifier ou d’éluder, lui montre partout de difficiles obligations à remplir, des périls prochains ou des perspectives menaçantes. L’initiative lui est refusée dans les affaires du dedans et dans celles du dehors, et un conseil lui a été imposé tout exprès pour le diriger dans les délibérations quand il s’agit de la paix ou de la guerre. Les brahmanes l’entourent du matin au soir ; dès l’aurore, ils sont là, prêts à recevoir ses hommages ; ils l’obsèdent de leurs importunités afin d’obtenir des richesses pour eux-mêmes et pour leurs familles, qui s’établissent partout et réclament jusqu’au fond des forêts les plus reculées son appui et sa protection. On ne peut s’empêcher d’admirer le soin qu’a pris la caste brahmanique de rendre le roi assez fort pour lui procurer à elle-même le repos et la paix, et assez faible pour plier devant sa suprême autorité. Placé lui-même au-dessus de la loi commune, le brahmane peut braver la colère du souverain. Fût-il coupable du plus grand crime, — Manou l’a dit expressément, — le deux-fois-né ne peut jamais être puni de mort. Que le prince le renvoie hors du royaume sans le dépouiller de ses biens. C’est ainsi qu’après avoir emmaillotté la royauté dans un réseau de prescriptions contradictoires, après l’avoir faite menaçante pour les autres et docile devant eux, les premiers-nés de Brahma ont la prétention de vivre dans une sphère supérieure. Ils ont gardé les vertus de a l’âge de vérité (satya-youga), » — l’âge d’or des Grecs ; ils se sont conservés purs et inviolables à travers les révolutions qui ont amené la succession des trois autres âges, et resplendissent d’un éclat lumineux au milieu des ténèbres du temps présent[25].

Si les rois sont les gardiens et les protecteurs des peuples, les brahmanes peuvent être appelés les gardiens et les maîtres des rois ; mais ce rôle brillant a-t-il été toujours celui de l’aristocratie sacerdotale ? La caste privilégiée qui a dicté des lois aux populations hindoues a-t-elle, durant trente siècles, exercé sur la caste militaire une domination incontestée ? À cette question on peut répondre négativement. Et d’abord, lorsque la société aryenne commença à se constituer, le régime des castes n’existait pas. Les grandes familles qui avaient conduit sur le sol de l’Inde les tribus immigrantes fournissaient à la nation des sacrificateurs et des guerriers d’élite sortis d’une souche commune. Quand il y eut des temples, les sacrificateurs devinrent des prêtres voués exclusivement à l’exercice du culte, et le culte prit des développemens considérables à mesure que la mythologie inventait des dieux nouveaux. À mesure aussi que les populations s’accrurent, les tribus formèrent des peuples distincts, et les chefs de tribus s’appelèrent des rois. Les familles sacerdotales et les familles royales se dessinèrent donc nettement avec leurs attributions différentes et leurs privilèges héréditaires. Dans les premières se perpétuait la tradition védique, la science du passé ; elles conservaient les élémens et les principes de la civilisation indienne, dont le reste de la nation n’avait que l’instinct. Dans les secondes, ce qui dominait, c’était plutôt l’intérêt du présent et l’ambition de l’avenir ; la tradition ne pouvait avoir une bien grande importance aux yeux du guerrier qui sentait sa puissance s’affermir par la force des armes. Aussi, lorsque la noblesse militaire commença à manifester son pouvoir avec indépendance, lorsque la citadelle fortement assise sur la crête des rochers ne s’inclina plus devant le dôme des temples qui s’élevaient calmes et majestueux au sein des plaines, la noblesse sacerdotale s’efforça de réfréner l’orgueil des guerriers et d’établir son autorité au-dessus de celle des rois. Pour arriver à ses fins, elle donna à la tradition une forme nouvelle, et prenant comme point de départ la division des classes, qui tendaient naturellement à se séparer les unes des autres, elle proclama le régime des castes. L’allégorie qui représente les quatre castes sortant du corps de Brahma dut être la première expression de cette pensée, qui allait devenir la base d’un nouvel édifice social.

En se déclarant les aînés du genre humain, les gardiens et les interprètes infaillibles de la loi religieuse, les brahmanes avaient d’un seul coup abaissé les rois et relevé leur propre puissance. S’ils reconnaissaient en fait la grandeur et la majesté du pouvoir temporel incarné dans le souverain, s’ils exaltaient le respect dû à la royauté, ils lui refusaient leurs hommages, se réservant la faculté de contrôler ses actes et même de les annuler. Dieux eux-mêmes, qu’avaient-ils à redouter du guerrier fait roi et dépassant de toute la tête le reste des mortels ? Les rois à leur tour, satisfaits dans leur orgueil, admirent d’abord ce partage de la puissance, sans comprendre peut-être l’état d’infériorité auquel ils se condamnaient. Oubliant peu à peu le sens des allégories sous lesquelles le brahmanisme cachait ses instincts de domination et tenant peu de compte du traité que leurs pères avaient consenti à signer avec la classe sacerdotale constituée en caste, les descendans des anciens rois de pure race aryenne se laissèrent aller, avec le temps, à toute sorte d’extravagances et d’iniquités. L’Inde, à peine conquise et couverte encore de forêts épaisses, recelait un grand nombre de tribus indigènes dont la barbarie ne laissait pas d’exercer une certaine influence sur les Aryens eux-mêmes. Parmi les rois de l’époque la plus reculée, il y en eut qui, méprisant les brahmanes et les dogmes védiques, refusèrent de sacrifier, prétendant substituer le culte de leur personne à celui des dieux. D’autres, entraînés par la passion de la chasse, abandonnèrent le soin des affaires pour vivre dans les bois, et passèrent des années à poursuivre les bêtes fauves, à la manière des barbares dont ils prenaient les habitudes et les mœurs. Enfin, s’il faut en croire les légendes, on vit des princes hindous, devenus tout à fait sauvages, se livrer au cannibalisme. Alors les brahmanes s’émurent ; leurs malédictions atteignirent ces rois insensés, traîtres aux traditions de leur pays. La colère des peuples se déchaîna contre des tyrans qui menaçaient de détruire la civilisation aryenne, et ils furent tués avec leurs familles.

Plus les rois se plongeaient dans l’ignorance, plus les brahmanes exaltaient l’importance de la tradition écrite ; plus les rois se montraient indépendans, plus les brahmanes s’étudiaient à compléter le code de leurs lois, et l’autorité suprême passait de plus en plus du côté de la caste qui représentait le génie civilisateur et aussi l’esprit rêveur et poétique de la nation. Ce fut l’ère des législateurs, et ceux des habitans de l’Inde qui, portant aujourd’hui le titre de brahmanes, peuvent faire remonter leur généalogie jusqu’à ces sages des temps anciens ont quelque droit d’être fiers de leur noblesse, car cette époque correspond à peu près au xiiie et au xiie siècle avant Jésus-Christ.

Indépendamment des rois maudits pour leurs crimes et changés en bêtes, dont on retrouve la mention dans les vieilles légendes, il y en eut qui, sans s’élever contre le dogme, sans proscrire le culte, luttèrent hardiment contre l’autorité des brahmanes. Il s’en trouva aussi qui firent renaître sur la terré l’âge d’or si longtemps regretté, et on vit le rare spectacle des deux castes rivales oubliant leurs querelles pour vivre dans une paix parfaite. À travers ces luttes et ces réconciliations du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, on entrevoit aussi les discussions religieuses provoquant des scissions au sein de la caste brahmanique et les sectaires cherchant à entraîner les rois dans leur parti. Voici, à peu près et autant qu’on en peut juger à une si grande distance, comment s’altéra l’unité de doctrine chez ceux-là même qui en conservaient le dépôt.

Les premiers théologiens hindous avaient admis un Dieu unique, Brahma, qui a créé tous les êtres par émanation[26]. D’autres penseurs vinrent ensuite qui, voyant commencer le monde par le fait même de la création, appliquèrent leur esprit à en comprendre la durée et à en prévoir la destruction. Le Dieu créateur ayant été relégué dans les profondeurs du ciel, sans action directe sur les créatures, le principe de la conservation des êtres se personnifia dans Vichnou, le dieu qui s’incarne pour sauver les hommes, et le principe de la destruction revêtit la forme de Civa, le dieu terrible, toujours prêt à accorder à ses adorateurs des dons surnaturels qui les rendent invulnérables, ou des armes divines qui les rendent victorieux. L’idée consolante d’une Providence qui veille sur l’homme et lui tend d’en haut une main secourable se trouva aux prises avec celle d’un principe aveugle, fatal, poussant à la ruine finale tout ce qui a été créé, et jusqu’aux mondes même ; Brahma, nous venons de le dire, restait en dehors du débat, à l’état de dieu neutre, dont les fonctions se bornent à produire ce qui est. Avec le temps, Civa et Vichnou, — dont le nom est prononcé une seule fois par Manou et comme en passant, — prirent la forme de deux divinités qui eurent leurs temples particuliers, et les sectes qui portaient leurs noms se partagèrent le monde brahmanique. C’est à l’époque la plus brillante de la secte vichnaïte que se rattache l’histoire des pieux héros dont les vertus et les exploits ont fourni le sujet des grandes épopées. Le dieu qui conserve les êtres, Vichnou, — et ceci mérite d’être remarqué, — prend pour amis les guerriers ; il s’entretient avec eux, il leur communique la science révélée, il s’incarne même dans leur famille, au point que la classe sacerdotale semblerait éclipsée par celle des rois, si les brahmanes, en rédigeant ces poèmes, n’avaient pris soin de leur propre gloire.

À travers ces événemens, et sans qu’on puisse lui assigner sa véritable place dans l’ordre des faits, on voit poindre une autre légende très importante, celle de Parâçou-Râma (Râma à la hache), brahmane suscité par Vichnou pour exterminer jusqu’à vingt et une fois la race des kchattryas ou guerriers qui opprimaient la terre. Qu’il y ait dans cette donnée une allusion à des luttes sanglantes et souvent renouvelées entre les brahmanes et les guerriers, c’est ce qui ne fait aucun doute. Peut-être convient-il d’y voir aussi le souvenir des révoltes du peuple âryen, excité par ses prêtres, contre une race étrangère, d’origine scythique, qui avait envahi l’Inde, celle des Hayas, dont le nom s’est conservé parmi les tribus du Râdjasthan. Toujours est-il qu’un moment arriva où les brahmanes, devenus très nombreux et répandus par toute l’Inde, prétendirent réduire à néant la caste des rois, affaiblie par les combats, mais toujours redoutable par la force dont elle disposait. La destruction des kckattryas ou guerriers a donc été proclamée comme un fait historique par les brahmanes, et ce fait est désormais un article de foi. Il en résulte que sur la surface du monde indien deux castes seules sont demeurées en présence, celle des brahmanes et celle des vaïcyas, la première et la troisième. Quant à la quatrième, celle des çoûdras, nous avons vu quel rôle infime lui a été assigné ; on peut dire qu’elle n’a pas d’existence, puisque tous les droits lui sont refusés.

Pour exercer une plus grande, une plus complète influence sur la nation hindoue, les brahmanes ont supprimé toute la caste des rois : il n’est plus resté qu’une aristocratie religieuse, régnant sans conteste sur le menu peuple, qu’elle est censée avoir délivré de l’oppression. Tous les souverains de l’Inde ne sont donc, depuis bien des siècles, rien de plus que des banquiers ou des laboureurs arrivés par aventure au rang suprême, des parvenus. Le brahmane se trouve mêlé à toutes les affaires ; il circule à travers la société indienne comme le sang dans les veines d’un corps ; la noblesse d’épée, au contraire, a disparu. Vrai ou non, l’anéantissement des guerriers est entré dans le domaine des faits qui se racontent et s’écrivent encore. Admettons, s’il le faut, que la noblesse guerrière, toujours en armes, toujours en quête d’aventures, qui purgeait l’Inde de ses ogres et de ses dragons, ait été détruite ; admettons qu’elle se soit éteinte comme a disparu la chevalerie et par les mêmes causes. Quand un pays est décidément conquis par la race immigrante, la caste militaire, réduite à déposer la lance et à délier son armure, ne se distingue bientôt plus de la classe paisible des habitans de la campagne qui vivent des produits de la terre : elle rentre peu à peu dans la vie commune ; mais avant de rentrer dans le sein même de la nation, la caste des guerriers, qui l’avait défendue et gouvernée, a eu son éclat, son ère de splendeur, parce qu’elle avait eu durant des siècles sa raison d’être. Dans ses momens d’aberration et d’extravagance, elle s’éleva parfois jusqu’à l’orgueil grandiose des titans. Les kchattryas ont leur histoire dans les légendes et dans les épisodes des poèmes, et c’est là que nous voudrions l’aller prendre, pour montrer ce qu’étaient les chevaliers de l’Inde, félons ou loyaux, dans leurs palais et sur le champ de bataille, dans leurs rapports avec les brahmanes et dans leurs rencontres avec les monstres de la forêt.

Theodore Pavie.      
  1. Relation des Voyages faits par les Arabes et les Persans dans l’Inde et à la Chine, etc., par M. Reinaud, de l’Institut.
  2. On sait que les ancêtres des Hindous s’appelaient eux-mêmes âryas, les hommes respectables.
  3. En sanscrit vidvas.
  4. Les Hindous prétendent que ce code de lois a été révélé par Brahma, le dieu créateur, au premier des Manous, nommé aussi Svâyatribhouva, fils de celui qui existé par lui-même. Un saint des anciens temps, Bhrigou, passé pour l’avoir fait connaître aux hommes. Quelques savans admettent qu’il a pu être rédigé 1200 ans avant notre ère ; d’autres ne le font pas remonter au-delà du viiie siècle avant Jésus-Christ.
  5. Lois de Manou, liv. ier, stances 88-91.
  6. Lois de Manou, liv. x, texte et commentaire de la stance 129.
  7. Lois de Manou, livre ii, stance 31.
  8. Vichnou-Pourâna, traduction de M. le professeur Wilson, p. 44.
  9. C’est-à-dire les brahmanes, ainsi nommés parce qu’ils ont été régénérés par l’investiture du cordon sacré dans une cérémonie qui est en quelque sorte un baptême. Les trois premières castes ont droit de recevoir l’investiture, mais l’usage a consacré le mot de deux-fois-nés comme synonyme de brahmane, quoiqu’il puisse s’appliquer au kchattrya et au vaïçya.
  10. Page 138 et aussi page 144.
  11. Ancien résident au Népal et auteur de travaux importans sur le bouddhisme, M. Hodgson a procuré à l’Europe une magnifique collection de manuscrits népalais relatifs à la doctrine de Çakya-Mouni. Ces ouvrages, qui avaient été envoyés à M. Eugène Burnouf par M. Hogdson, ont été acquis par la Bibliothèque impériale.
  12. Livre iii, p. 213.
  13. Lois de Manou, livre ier, stance 98.
  14. On désigne plus particulièrement par ce nom les rois de l’Inde qui sont restés fidèles au brahmanisme. Ceux qui ont embrassé l’islamisme ou qui descendent des Mogols ont des titres empruntés aux langues arabe et persane : châh, padischâh, nizam, nabab, etc.
  15. The Soldier’s, Manual, in english and hindi, compiled for the use of infantry, part. ire, comprising the squad and company drill, part. ii, comprising the Manual and Platoons Exercises, by J. S. Harriot. Élevé au grade de général en récompense de ses services, M. Harriot est mort à Paris en 1839.
  16. Ces revenus ont beaucoup diminué depuis l’occupation anglaise ; les brahmanes ont soin d’en avertir les voyageurs, à qui ils demandent l’aumône en se plaignant de la dureté des temps.
  17. Livre ier, st. 89.
  18. Livre vii, stances 4-5. Et le législateur ajoute : « De même que le soleil, il brûle les yeux et les cœurs, et nul ne peut le regarder en face. »
  19. Voir, dans le code, attribué à Manou, le livre vii, qui traite des devoirs des rois.
  20. Voyez l’épisode de Savitri, traduit en allemand par M. Bopp et en français par M. Pauthier.
  21. Voyez la stance 3 du livre viie : « Le monarque insensé qui opprime ses sujets par une conduite inique est bientôt privé de la royauté et de la vie, ainsi que tous ses parens. »
  22. La guerre d’extermination avait eu lieu au temps de la conquête, lorsque les Aryens disputaient aux aborigènes la possession du sol de l’Inde. Quant aux esclaves, il y en a eu dans la société brahmanique, et les hommes sont cités parmi les choses que le brahmane, réduit à se faire marchand dans un cas de détresse, ne pourra pas vendre. Le commentateur répète le mot sans l’accompagner d’aucune explication.
  23. Livre vii, commentaire de la stance 176.
  24. Le refus de l’impôt est implicitement proclamé par Manou et clairement indiqué par les commentateurs.
  25. Les Hindous reconnaissent quatre âges : l’âge de vérité (satya-youga), l’âge de préservation (trêta-youga), l’âge subséquent et de décadence par rapport aux deux autres (dvâpara-youga), enfin l’âge du mal (kali-youga). Voici comment le kali-youga fit son apparition sur la terre. À la fin du Mahâbhârata, après les grands combats racontés dans ce poème, le dieu Krichna, incarnation de Vichnou, étant remonté au ciel, les héros fils de Pandou, accablés de chagrin, donnèrent à Parikchit, petit-fils d’Ardjouna, le plus vaillant d’entre eux, la royauté de l’ancienne Delhi et s’en allèrent dans les monts Himalaya pour se fondre dans l’âme universelle. À quelques jours de là, le roi Parikchit, étant à la chasse, vit accourir vers lui une vache et un bœuf qu’un çoûdra poursuivait en les frappant avec un pilon qu’il tenait à la main. Quand les deux animaux furent près de lui, le roi, affligé et tout troublé, appela le çoûdra et lui dit : « Holà, toi ! qui es-tu ? Explique-moi pourquoi tu frappes ces deux animaux que tu crois être une vache et un bœuf ?… » Parlant ainsi, le roi saisit son glaive, et le çoûdra s’arrêta tout tremblant ; ensuite, appelant en sa présence les deux animaux, le prince leur demanda : « Qui êtes-vous ? Faites-moi savoir si vous êtes des divinités ou des brahmanes ? Pourquoi fuyez-vous ainsi en courant ? Répondez sans crainte ; tant que je suis ici, sur cette terre, il n’y a personne assez puissant pour vous causer de la douleur. » À ces mots, le bœuf inclina la tête et dit : « Ce pécheur à la couleur noire, à la face terrible, qui se tient là debout devant vous, c’est le kali-youga, et je fuis sa venue. Cette vache est sous sa propre forme la Terre elle-même, et elle fuit aussi par la crainte qu’elle a de cet être. Mon nom à moi, c’est le Devoir, et j’ai quatre pieds, la mortification, la vérité, la compassion et la méditation. Dans le premier âge, mes pieds avaient vingt arpens, ils en avaient seize dans le second, douze dans le troisième ; il ne leur en reste plus que quatre dans le présent âge. Aussi je ne puis plus marcher. » La Terre dit à son tour : « Ô roi juste ! je ne puis pas non plus subsister dans l’âge présent, car le çoûdra devenu roi commettra des injustices qui me ruineront, et dont je ne pourrai supporter le poids ; voilà pourquoi je fuis, tant j’ai peur ! » Là-dessus, le roi dit avec colère au kali-youga : « Je vais te tuer. — Roi de la terre, répliqua celui-ci, qui s’était prosterné tremblant aux pieds du souverain, je viens maintenant chercher un refuge sous ta protection : indique-moi un lieu où je doive résider, car l’existence des quatre âges qui a été décrétée par Brahma ne peut être effacée. » Entendant ces paroles, le roi répondit au kali-youga : « Voici les lieux où tu résideras : le jeu, le mensonge, les tavernes, les maisons de débauche, le meurtre, le vol et l’or. » Aussitôt le kali-youga partit pour sa résidence, le roi s’appliqua à protéger la justice, et la Terre, recouvrant sa première forme, s’en alla tranquillement. Telle est la légende du kali-youga. Il reste sous-entendu que, par suite de la mauvaise conduite des rois, l’âge de fer, sortant peu à peu des retraites où l’avait consigné Parikchit, envahit le monde entier et opprima la Terre.
  26. Il est ainsi qualifié dans le code de lois de Manou : « Le grand être, souverain maître de l’univers, plus subtil qu’un atome, aussi brillant que l’or le plus pur, et ne pouvant être conçu par l’esprit que dans le sommeil de la contemplation la plus abstraite. » Livre xii, st. 122.