Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 2/2.5

Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 2p. 91-134).

chapitre v.


Blocus et canonnade du Port-au-Prince, par Polvérel et Sonthonax. — Résistance des factieux. — Borel s’enfuit à Jacmel et à la Jamaïque. — Soumission de la ville. — Réorganisation de la garde nationale et formation de la légion de l’Égalité. — Contribution de guerre et déportation des factieux. — Soumission d’une partie de la province du Sud. — Lettres du ministre Monge aux commissaires civils. — Lettre du ministre espagnol Pedro Acuña à Don Garcia. — Décrets de la convention nationale, des 5, 6, 15 et 19 mars 1793. — Projet de décret et maximes des colons à Paris. — Proclamation des commissaires civils, du 5 mai, sur l’esclavage. — Ecrit de J. Raymond. — Arrivée au Cap du gouverneur général Galbaud. — Polvérel et Sonthonax vont à Jacmel. — Ils retournent au Port-au-Prince. — Ils envoient Pinchinat, Albert, Nicolas Delétang et Rigaud, pour forcer la Grande-Anse à la soumission. — Ils vont au Cap.


Les commissaires civils arrivèrent le 5 avril 1793 dans la rade du Port-au-Prince. Le gouverneur Lasalle marcha contre cette ville, du côté de la plaine du Cul-de-Sac : il vint occuper les positions de Drouillard et du morne Pelet. Bauvais occupa celle de Bizoton, du côté opposé.

Lasalle avait sous ses ordres immédiats A. Chanlatte, Martial Besse, Lapointe, Montbrun et Desfourneaux. Avant de pénétrer dans la plaine, A. Chanlatte avait établi des communications avec les nègres, par l’entremise de Hyacinthe : ils facilitèrent les opérations de l’armée[1]. Hyacinthe céda de nouveau à l’influence des hommes de couleur qui, en 1792, l’avaient porté à soulever les ateliers contre Praloto. Il est présumable qu’il était bien aise de se prononcer alors contre Borel qui venait tout récemment d’arrêter Hanus de Jumécourt, ce dernier l’ayant influencé dans les mouvemens dirigés contre les hommes de couleur. Ce jeune noir se mettait ainsi au service de tous ceux qui lui donnaient de l’importance aux yeux des ateliers du Cul-de-Sac. Il reparut plus tard dans de semblables mouvemens.

Espérant que le seul appareil de la force dont ils disposaient porterait les habitans du Port-au-Prince à se soumettre à leur autorité, les commissaires civils s’empressèrent, de concert avec le gouverneur, d’y envoyer un parlementaire porteur d’une lettre à la municipalité, où ils établissaient leurs propositions : elles consistaient à demander, — l’introduction de leur armée dans la ville, — la reddition de ses forts, — et le désarmement des habitans. Ils lui accordèrent trois jours pour se décider. C’était témoigner de leur modération, pour porter les factieux à réfléchir sur les conséquences de leur résistance. Il n’en fut rien.

À cette sommation, la municipalité répondit par une lettre du 6 avril, qu’elle fît porter aux commissaires par une députation : elle la terminait ainsi « Citoyens, d’un seul mot vous pouvez nous sauver tous ; mais si une seule victime innocente est immolée, qu’aurez-vous à répondre à votre conscience, à la France, à l’univers entier qui ne cesseront de vous le reprocher ? »

Cette lettre menaçante fut suivie immédiatement, le même jour, d’une réponse des commissaires civils, qui reproduisait le texte de deux articles d’une loi du mois de juillet 1791, concernant les rapports du pouvoir municipal et de l’autorité militaire. Ils la terminaient ainsi : « Nous vous prévenons que cette réponse est la dernière communication que nous aurons avec vous, jusqu’à ce que la ville du Port-au-Prince soit parfaitement rentrée dans le devoir. »

Le même jour, 6 avril, la municipalité rendit un arrêté qu’elle fît publier avec la correspondance qu’elle avait entretenue avec les commissaires. Dans cet acte, elle les accusait de troubler l’ordre et la tranquillité publique ; elle les rendait responsables de tous les troubles et malheurs qui surviendraient, en prétendant que les citoyens du Port-au-Prince n’étaient coupables d’aucun crime, etc. Cette publication excita et devait exciter les factieux qui se voyaient plus spécialement menacés par l’autorité nationale. L’effervescence s’accrut.

Le 8, le corps des négocians de la ville fît une longue adresse aux commissaires, où ils étaient encore inculpés et menacés de la responsabilité des événemens qui porteraient dommage au commerce de la métropole et aux cultures.

Le 9, cette adresse reçut une réponse de la part des commissaires civils qui disaient aux négocians : « Nous serons toujours prêts à ouvrir les bras aux citoyens égarés qui rentreront dans le devoir ; mais il faut à tout prix que la loi et la souveraineté nationale soient respectées, et elles le seront. »

Il était évident que la lenteur mise à faire toute attaque, indiquait l’intention des commissaires de laisser aux hommes honnêtes le temps d’essayer de ramener les factieux à la modération ou de les comprimer.

Le 10 avril, la municipalité, chancelante et effrayée, leur envoya une nouvelle dépùtation pour solliciter un dernier délai : il lui fut accordé. Mais les commissaires fixèrent toute la journée du 11 à cet effet, et déclarèrent que si ce jour, avant six heures du soir, le gouverneur général n’avait pas une réponse satisfaisante, et si le 12, la ville n’accordait pas l’entrée à l’armée, à six heures du matin, les mesures prises recevraient irrévocablement leur exécution.

Loin de céder à cette injonction, la municipalité fit imprimer un nouvel écrit injurieux pour les commissaires civils. Telle fut sa réponse dans la journée du 11.

Informés que les blancs de Jacmel allaient marcher au secours du Port-au-Prince, en armant une troupe d’esclaves ; craignant que celle de Bauvais ne suffît pas à les combattre, et ayant enfin atteint les limites de la modération, Polvérel et Sonthonax ordonnèrent à Lasalle de se disposer à agir. Ce vieux militaire mollissait en présence de cette résistance des factieux dont il avait en tant à se plaindre. Il paraît que la municipalité lui avait fait proposer de laisser entrer la troupe de ligne, en excluant les hommes de couleur.

Enfin, le 12 avril, à neuf heures du matin, le vaisseau et les deux frégates tirèrent chacun un coup de canon à poudre. Mais tous les forts de la ville ripostèrent à boulet : les bâtimens répondirent alors de la même manière ; la canonnade continua jusqu’à cinq heures de l’après-midi. Les maisons de la ville furent plus ou moins endommagées : les forts Saint-Joseph et Sainte-Claire (aujourd’hui forts Lamarre et Benjamin), qui tiraient le plus sur les bâtimens, furent aussi ceux sur lesquels ils dirigèrent davantage leur feu. À la première décharge, Jonou, un des affidés de Borel, fut emporté par un boulet au fort Saint-Joseph ; et Augustin Borel reçut la mort au fort Sainte-Claire.

Onze autres victimes, d’après Sénac, un des colons accusateurs aux Débats, quarante, selon Pamphile de Lacroix, périrent durant cette longue canonnade. Des bombes et des boulets rougis au feu furent lancés contre les bâtimens. L’America reçut un boulet qui l’enflamma, mais le feu fut promptement éteint. Durant la canonnade, Polvérel et Sonthonax se tinrent constamment sur le gaillard d’arrière de ce vaisseau.

La canonnade ayant cessé par les ordres des commissaires, ils envoyèrent un nouveau parlementaire sommer la ville de se rendre. La municipalité y fut alors disposée ; mais les factieux firent de nouveau tirer des coups de canon sur les bâtimens. La nuit vint mettre fin à cette lutte.

Le lendemain matin, la municipalité députa deux de ses membres, Chanlatte aîné et Pérussel, auprès des commissaires, à l’effet, dit son procès-verbal du 13, de prendre tous les tempéramens possibles pour l’entrée, sans troubles, de l’armée du gouverneur général. C’était déguiser sa soumission sous l’apparence de conditions faites à leur autorité. Il est à remarquer que l’arrêté pris par la municipalité ce jour-là ne fait pas mention du maire B. Borgella, et que son procès-verbal atteste que plusieurs de ses membres n’ont pas paru à la séance : c’étaient ceux qui, comme lui, secondaient les vues de Borel. Garran, dans son rapport, dit aussi que « ceux des membres de la municipalité qui étaient décidément du parti de Borél, s’étaient retirés[2]. »

Les commissaires civils remirent une lettre aux deux envoyés, datée du 15, par laquelle ils disaient à la municipalité que « si le retour du conseil général de la commune est sincère, il les trouverait disposés à toute l’indulgence que leur ministère, le respect des lois et les ordres de la République leur permettraient. » Ils lui disaient en outre qu’ils avaient fixé, dans une lettre au commandant de là place, du même jour, l’entrée de leur armée à six heures du soir. « Pour vous donner le temps, ajoutèrent-ils, de combiner vos mesures avec le commandant de la place, nous suspendons, jusqu’à demain matin six heures, toute disposition hostile. Profitez du temps qui vous reste, si vous voulez qu’il nous soit permis de croire que vous n’êtes pas les excitateurs ou les protecteurs de la révolte. »

En conséquence de cette sommation impérative, les habitans effrayés achetèrent la fuite de Borel et de ses adhérons : ils lui donnèrent une somme de soixante-six mille francs en espèces et des lettres de change sur la Jamaïque pour trois cent mille francs. Au moyen de ces valeurs, cet infâme agitateur consentit à quitter le Port-au-Prince. Il en sortit avec ses affidés et les africains de Philibert ; et prenant la route des montagnes de la Charbonnière et du Fond-Ferrier, ils se rendirent à Jacmel.

Accablé de dettes, comme beaucoup d’autres colons de Saint-Domingue, Borel ne s’était fait révolutionnaire que pour se tirer d’affaires avec ses créanciers, et s’enrichir par les rapines. Dès le 3 mars, il avait prié Lasalle d’appuyer une demande qu’il fît à Polvérel, de lui permettre d’aller aux États-Unis, en lui accordant un sursis pour payer ses dettes. En compensation de cette faculté qu’il réclamait, il offrait alors à Lasalle de lui livrer cent cinquante des plus furieux agitateurs qu’il poussait aux crimes[3]. Arrivé à Jacmel, il partit pour la Jamaïque où il reçut un bon accueil des autorités anglaises. De là il écrivit des lettres factieuses à la municipalité de Jacmel pour l’engager à résister aux commissaires civils, en lui promettant le prochain appui des forces britanniques. Les relations établies depuis 1790 entre l’assemblée générale de Saint-Marc et cette île ; les propositions faites en 1791 par l’assemblée coloniale du Cap et par l’assemblée provinciale du Port-au-Prince, au gouverneur et à l’amiral de la station navale ; les intrigues qui se tramaient à Londres entre plusieurs colons et le gouvernement britannique, dès le mois de février 1793 ; la remise de diverses places de la colonie aux autorités anglaises dans la même année : tout indique que Borel avait raison de promettre cet appui. Pendant la présence des bâtimens de la République dans la rade du Port-au-Prince, deux frégates anglaises, la Pénélope et l’Iphigénie, croisaient sur les côtes de la Gonave ; et les factieux faisaient circuler une lettre de la Jamaïque, dans laquelle on engageait les habitans à résister aux commissaires civils.


La fuite de Borel ayant facilité la soumission des habitans, le général Lasalle entra avec toute l’armée de terre, le 13, à 6 heures du soir : elle occupa immédiatement les différens forts de la ville et autres postes.

Le 14 avril, Polvérel et Sonthonax débarquèrent au bruit d’une salve d’artillerie qui honorait en eux les représentans de la nation française à Sant-Domingue.

Le général Lasalle reprit, au Port-au-Prince, son rang de gouverneur général par intérim, que trois semaines après il perdit par l’arrivée de Galbaud. Le lieutenant-colonel Desfourneaux fut nommé commandant de la place. Le contre-amiral Sercey eut le commandement de la station navale ; il montait le vaisseau l’Éole.

La compagnie des canonniers qui avaient figuré au Port-au-Prince depuis le commencement de 1791, sous Praloto, fut licenciée par une proclamation des commissaires civils. On se rappelle qu’elle était composée de Génois, de Maltais, de Napolitains et d’une foule d’autres misérables accourus de toutes parts.

La garde nationale fut réorganisée dans le sens de la loi du 4 avril. Bauvais reçut le commandement général de celle de l’Ouest. Doyon aîné eut celui de la garde nationale du Port-au-Prince : il était avec Bauvais à Bizoton, pendant le blocus de la ville.

Le 19 avrils les commissaires civils publièrent une proclamation qui, en prononçant sur cette organisation de la garde nationale, créa un corps de troupes régulières. Son article 10 portait :

« Il sera également formé une légion coloniale de douze cents hommes, dont six cents à cheval. Cette légion portera le nom de Légion de l’Egalité ; elle sera composée à l’instar de celles qui sont employées en France, »

Elle fut divisée en infanterie, cavalerie et artillerie ; Antoine Chanlatte en fut nommé colonel : il eut le commandement de tout le corps, qui prit le nom de Légion de l’Ouest, quand une autre légion semblable fut formée aux Cayes, sous le nom de Légion du Sud, par Delpech, d’accord avec Polvérel et Sonthonax. La légion de l’Egalité avait dans ses rangs des blancs, des mulâtres et des nègres. Le nombre primitif en fut augmenté par la suite. Mais dès lors, les africains qui avaient accompagné Borel à Jacmel y furent incorporés et devinrent libres par ce seul fait. Il en fut de même, des esclaves déjà déclarés libres par Roume, en 1792, de quelques autres enrôlés à Jacmel sous le nom de hussards, et de plusieurs des chefs d’ateliers du Cul-de-Sac que Borel et Hanus de Jumécourt avaient soulevés en janvier 1793, notamment de ceux du canton des Grands-Bois, voisin de la Croix-des-Bouquets. Le fameux Hyacinthe acquit sa liberté définitive à cette époque, par un acte spécial du 7 juin.

Cette légion de l’Egalité est devenue comme le noyau de toutes les troupes régulières qui se formèrent avec le temps dans le pays, à mesure que les différentes guerres, nées de ses révolutions, firent reconnaître la nécessité de la création d’une armée. Avant l’organisation de la légion, Sonthonax avait formé au Cap, le 16 décembre 1792, six compagnies de troupes franches composées de nègres et mulâtres libres, qui furent une force créée pour s’opposer aux manœuvres des blancs de cette ville. Mais l’idée de la formation de la légion est due à Polvérel surtout.

Peu de jours après, les commissaires, ayant appris que le conseil de la Grande-Anse avait créé aussi un corps de six cents esclaves en troupes, rendirent une proclamation, le 3 mai, pour annuler cette résolution illégale et factieuse. Un des motifs de cet acte porte :

« Considérant que nulle autorité de la colonie n’a e droit de lever aucun corps armé sans notre ordre exprès ; que l’article 8 de notre proclamation du 19 avril dernier défend à tous corps administratifs de disposer des munitions de guerre, subsistances et d’aucune espèce d’effets, même en fournitures confiées au département de la guerre, sans une autorisation expresse de nous ou du gouverneur général ; que l’armement de six cents esclaves, ordonné par l’arrêté du conseil général de la commune de Jérémie, indépendamment de ce qu’il serait une violation de notre proclamation, est encore un attentat à la propriété, et ne tend à rien moins qu’à la subversion entière du régime colonial… »

Mais le conseil général de Jérémie ne se soumit pas à cette proclamation. Les colons de la Grande-Anse, se préparant déjà à effectuer la trahison qui se tramait entre eux et le gouvernement britannique, gardèrent cette organisation d’esclaves comme une force dont ils auraient bientôt besoin.


Il ne suffisait pas aux commissaires civils d’avoir vaincu les factieux qui avaient tenu le Port-au-Prince si longtemps en état de rébellion : les habitans, plus ou moins, y avaient pris part. Ils furent donc traités en vaincus, et subirent une contribution de guerre fixée à quatre cent cinquante mille francs. Puisqu’ils avaient pu donner une somme à Borel pour qu’il se retirât, ils pouvaient et devaient être condamnés à payer les frais de la guerre qu’ils occasionnèrent par leur faiblesse, sinon par leur complicité. Cependant, les commissaires n’exigèrent pas la totalité de la contribution, dont un tiers au plus fut réellement payé.

Une autre mesure de rigueur devenait plus urgente contre les fauteurs de troubles qui n’avaient cessé d’agiter cette malheureuse ville depuis trois ans : c’était d’en éloigner les plus coupables. Dès l’entrée des commissaires, de nombreuses patrouilles arrêtèrent une foule d’individus désignés par la clameur publique ; ils furent emprisonnés. Toutefois, quelques jours après, les commissaires en relaxèrent plus de cinq cents. Mais il y en eut deux cent cinquante de déportés en France, et d’autres aux États-Unis.

Certes, on peut croire, ainsi que le dit Garran, que, dans cette circonstance, les hommes de couleur et les blancs qui marchaient d’accord avec eux, exercèrent une certaine pression sur Polvérel et Sonthonax. Mais n’est-il pas vrai de dire aussi que ces commissaires furent déterminés à ordonner ces nombreuses déportations, par ce seul motif, — qu’il fallait éloigner de la colonie les colons qui, au Port-au-Prince comme au Cap, se montraient rebelles aux lois de la métropole et à l’autorité de la commission civile, déléguée pour y rétablir l’ordre et la tranquillité publique ? Etait-il convenable, prudent, d’y laisser ceux qui s’étaient le plus compromis dans la résistance du Port-au-Prince et qui auraient pu recommencer leurs coupables manœuvres, dès que l’occasion s’en fût présentée ? Les événemens qui vont bientôt se passer au Cap ne justifient-ils pas Polvérel et Sonthonax de ces mesures rigoureuses, alors qu’ils étaient autorisés par les lois à être encore plus rigoureux, en faisant juger ces hommes rebelles et dangereux par des tribunaux militaires ? En les éloignant de Saint-Domingue, ils les renvoyaient dans la mère-patrie, dans un pays civilisé ; et cette déportation était encore préférable aux risques qu’ils auraient courus devant ces tribunaux qui, dans les dissensions civiles, sont souvent des instrumens de mort dans les mains du vainqueur.

Mais, à ce sujet, écoutons les appréciations de la commission des colonies, par l’organe de son rapporteur :

« Peut-être, dit Garran[4] était-il difficile de mieux faire dans les circonstances critiques où ils se trouvalent. Il est certain, et les événemens qui s’étaient passés au Port-au-Prince le prouvent assez, que beaucoup de ces déportés étaient des boute-feu livrés au parti de Borel et de l’étranger, également ennemis de la révolution qu’ils feignaient d’embrasser avec emportement, et de la métropole qu’ils dénigraient sans cesse. Il est trop vrai que le temps des révolutions, même de celles qui conduisent à la liberté, n’est pas l’époque où l’on jouit le mieux de ses bienfaits ; et l’espèce humaine doit s’estimer heureuse quand les mesures qu’elles entraînent ne sont qu’aveugles et sévères, sans être barbares et sanguinaires. L’histoire ne nous a pas transmis une seule de ces crises qui n’ait entraîné le bannissement et l’arrestation d’un grand nombre d’hommes. Malgré l’heureuse situation des États-Unis pour opérer sans grandes secousses une révolution qui nous paraît si pure dans le lointain d’où nous la voyons, malgré la douceur des mœurs nationales, et tant d’institutions favorables à l’humanité, il est certain que des comtés entiers ont vu une grande partie de leurs habitans désarmés, bannis ou arrêtés comme loyalistes. Rien n’indique d’ailleurs dans les actes les plus secrets des commissaires civils, qu’ils se soient déterminés par des sentimens personnels de haine et de cupidité. Les tristes usages de la guerre, auxquels l’imperfection de la police laisse encore usurper le nom de lois, les auraient autorisés à instituer des tribunaux militaires, qui pardonnent bien rarement aux vaincus. Ils avaient devant les yeux les commissions prévôtales que l’assemblée coloniale avaient établies dans toutes les paroisses de la colonie. Ils se détournèrent de ces institutions barbares, et ne firent juger personne dans la colonie, parce qu’ils n’y auraient pu trouver des tribunaux impartiaux… enfin, ils étaient formellement autorisés par les décrets qui réglaient leurs pouvoirs, à faire ces déportations, en envoyant à la métropole les motifs de leurs arrêtés et les pièces justificatives. »

On ne peut que se ranger du côté de ces raisonnemens si sages, et si conformes aux sentimens d’humanité qui devraient toujours guider les hommes. C’est dans les dissensions intestines des peuples, c’est dans les guerres civiles surtout que ces sentimens devraient toujours prévaloir, pour atténuer les maux inévitables qu’entraînent ces perturbations dans l’ordre social. Mais hélas ! combien n’aurons-nous pas à nous indigner, dans la suite de cette histoire, de ce que cet exemple tracé aux colons de Saint-Domingue ait été méconnu par eux, quand de nouvelles circonstances leur eurent donné la faculté d’exercer une grande influence sur les gouvernemens qui se succédèrent dans ce pays ! Nous les verrons acharnés à poursuivre de leur haine implacable des hommes qu’ils ne considérèrent toujours que comme des ennemis, et les désigner à la fureur d’un pourvoit hypocrite ou à celle d’une autorité systématiquement violente, tous deux également coupables, et aux yeux de la morale et à ceux de la saine politique.


Le succès obtenu contre le Port-au-Prince par les commissaires civils appuyés des hommes de couleur, donna une nouvelle force à ceux-ci dans presque toutes les paroisses de la province du Sud. Secondés des blancs qui voulaient l’exécution de la loi du 4 avril, ils comprimèrent ceux qui étaient du parti des indépendans, effrayés du résultat de la lutte de leur parti dans l’Ouest, contre l’autorité nationale. Jérémie seul et tout le quartier de la Grande-Anse, favorisés par leur isolement, se prêtèrent de mauvaise grâce à la soumission qu’ils lui devaient. Ce n’est que le 18 avril, après avoir appris l’entrée des commissaires civils au Port-au-Prince, que le procureur de cette commune commença une correspondance avec eux, mais dénuée d’authenticité : rien n’indiquait que les lettres qui leur furent adressées émanaient de la municipalité[5].

La ville de Jacmel, toute dévouée au parti de Borel, céda aussi à l’empire des circonstances. Apprenant que les paroisses de Léogane, du Grand-Goave, du Petit-Goave et de Baynet avaient offert leurs forces aux commissaires civils pour la soumettre à leur autorité, les blancs de Jacmel licencièrent les africains que Borel y avait laissés et les renvoyèrent au Port-au-Prince. Baudoin, commandant de la garde nationale, et plusieurs autres chefs qui partageaient son opinion en faveur de l’indépendance de la colonie, partirent pour la Jamaïque ou les États-Unis. Dans les premiers jours du mois de mai, la municipalité écrivit aux commissaires pour leur annoncer la soumission de cette ville.


Pendant que les colons s’efforçaient, dans l’Ouest et dans le Sud, d’opposer à la commission civile la résistance dont nous venons de raconter les circonstances, d’autres colons qui se trouvaient à Londres agissaient auprès du cabinet britannique, pour le porter à accepter les offres qu’ils n’avaient cessé de lui faire, depuis 1789, de livrer Saint-Domingue à la Grande-Bretagne. La guerre ayant été déclarée à cette puissance par la France, le 1er février 1793, les ministres anglais ne se crurent plus obligés de garder aucun scrupule à ce sujet. Déjà, comme nous l’avons dit, des relations fréquentes existaient entre les autorités de la Jamaïque et les traîtres qui aspiraient à ravir à leur patrie cette précieuse colonie. Le 25 février, le gouvernement anglais expédia des ordres à cet effet au général Adam Williamson, gouverneur de la Jamaïque[6]

De son côté, le gouvernement français, qui n’ignorait pas ces menées infâmes des colons, dut prendre des mesures pour les contrecarrer efficacement. Il savait aussi que l’Espagne, dont les agens dans la colonie voisine n’avaient que trop favorisé la révolte des esclaves de la province du Nord, s’entendait avec la Grande-Bretagne. La guerre avait été également déclarée à cette puissance dont la dynastie était alliée à celle de l’infortuné Louis XVI, qui venait de périr si tragiquement sur l’échafaud révolutionnaire.

En conséquence, le ministre Monge adressa à Polvérel et Sonthonax deux lettres dans le mois de février, pour leur prescrire les mesures à prendre dans ces graves conjonctures. Dans celle du 15, il leur disait :

Je vous ai adressé, citoyens, les instructions que le conseil exécutif m’a chargé de vous transmettre ; il vous a ordonné, au nom de la patrie et de nos lois, de faire toutes les dispositions nécessaires pour repousser les ennemis de notre liberté. Je me repose à cet égard sur votre zèle, sur votre courage, et je ne puis que vous recommander de ne négliger aucun moyen pour assurer à la République française la conservation de Saint-Domingue. Parmi les précautions que l’état des circonstances exige, une des plus importantes est de ne confier la garde des forts qu’à des hommes dont vous soyez parfaitement sûrs. Vous n’ignorez pas qu’il a existé et qu’il existe peut-être encore à Saint-Domingue un parti ennemi de la révolution ; que des émissaires de cette faction liberticide ont été envoyés, sous divers prétextes, à la Jamaïque… Je ne doute pas que les braves citoyens de couleur ne versent jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour la métropole qui leur a rendu l’existence politique dont la tyrannie les avait privés. Vous avez assez gagné leur confiance, ils connaissent assez l’erreur dans laquelle on les avait plongés pour ne pas suivre vos sages conseils, pour ne pas préférer la mort à un joug oppresseur. C’est sur eux surtout que se repose le conseil ; leur intérêt particulier se trouve étroitement lié avec l’intérêt général, et ils ne peuvent l’abandonner sans trahir leur propre cause.

J’approuve donc, ainsi qu’on me l’a assuré, que vous leur ayez donné la garde des forts, après les malheureux événemens du 6 décembre (au Cap). Bientôt, je l’espère, ils participeront aux bienfaits de la nation, comme les autres défenseurs de la patrie[7]… Le conseil exécutif laisse d’ailleurs à votre prudence le choix des moyens que vous croirez propres à augmenter le nombre des défenseurs de Saint-Domingue, ou à lui en créer de nouveaux. Les circonstances et le bien public vous serviront de guides…

Il est une infinité de mesures, de précautions à prendre dans les circonstances actuelles ; le conseil ne peut vous les indiquer, vous les puiserez dans votre sagesse, vous vous concerterez avec ceux dont vous croirez utile de prendre les conseils… Songez que vous êtes investis de la confiance de la nation, de la convention nationale, du conseil exécutif ; que le salut de la colonie de Saint-Domingue est remis entre vos mains, que vous devez la défendre de l’ambition des ennemis du dehors et de la rage des ennemis de l’intérieur. Ayez enfin sans cesse devant les yeux que, si vous y rappelez le calme, que si vous lui rendez son ancienne splendeur, vous aurez bien mérité de la patrie. Est-il une plus douce récompense pour des républicains ?

Dans sa lettre du 26 février, Monge leur disait :

Je vous fais passer l’arrêté du conseil exécutif par lequel il a décidé que le ministre des affaires étrangères notifierait à la convention nationale la rupture ouverte de la cour d’Espagne comme hostilités imminentes, conformément aux lois existantes.

Cet arrêté doit vous servir de guide dans les circonstances actuelles. Vous devez faire traiter actuellement les Espagnols en ennemis ; vous devez déployer tous vos moyens pour tâcher de leur enlever cette portion de l’île dont la terre languit sans culture sous leurs bras fainéans. Que ceux qui ne possèdent point de biens à Saint-Domingue marchent sur la partie espagnole, ils y trouveront des terrains qu’ils pourront rendre fertiles. Engagez les hommes de couleur à s’armer contre ces nouveaux ennemis. Bientôt, comme je vous l’ai déjà marqué (dans la lettre du 15), on va organiser des légions franches dans les colonies. Prévenez le décret à cet égard

Voyez s’il ne serait pas possible de tirer parti des noirs révoltés contre les Espagnols. Concertez-vous à cet égard avec ceux que vous croirez dans le cas de vous donner des avis salutaires ; consultez les circonstances et l’esprit public : qu’ils vous servent de guide[8]

Chose singulière ! le 22 février, le ministre du roi d’Espagne, Pedro Acuña, donnait à Don Joachim Garcia, gouverneur et capitaine générale à Santo-Domingo, des instructions semblables pour la conquête de la partie française, au moyen des esclaves révoltés ! Il avait devancé de quatre jours le ministre du conseil exécutif. Donnons ici un extrait de sa lettre à ce sujet[9]. Il accusait réception de dix-sept dépêches de Don Garcia :

Sa Majesté, dit-il, a daigné approuver toutes les mesures prises par votre seigneurie, parce qu’elles se trouvent conformes à la situation et aux circonstances où se trouve cette île, aux ordres qui vous ont été donnés par ce ministère et à la bonne harmonie qui existait alors entre cette cour et celle de France, en vertu des conventions et traités qui étaient en vigueur. Mais, comme la nation française, oubliant les devoirs les plus sacrés et abandonnée avec fureur à ses caprices et à ses passions, a foulé aux pieds tout d’un coup, non-seulement le respect dû à cette couronne, mais encore à toutes les couronnes d’Europe, en exécutant sur l’auguste personne de son légitime souverain l’attentat aussi atroce qu’horrible, dont la connaissance est bien notoire ; S. M. veut qu’en même temps qu’au reçu de là présente dépêche, la guerre sera probablement déclarée à cette nation, V. S. emploie avec la plus grande promptitude, efficacité et dissimulation, les moyens nécessaires et propres à gagner et allier à notre parti, celui des brigands, nègres et mulâtres, de même que celui des royalistes mécontens du nouveau gouvernement établi par la nation française… À cette fin, il conviendra de gagner Jean-François, Hyacinthe et les autres chefs alliés des noirs, pour combattre les troupes et les habitans de la partie française attachés à la nouvelle constitution, jusqu’à obtenir sa parfaite conquête et sa réunion à notre couronne : à cet effet, vous leur accorderez les secours nécessaires, en leur promettant la protection royale de S. M., en assurant aux uns comme aux autres, aux nègres comme aux mulâtres, au nom de S. M. dès à présent et pour toujours, libertés, exemptions, jouissances et prérogatives comme à ses propres sujets ; et à eux tous, des établissements avantageux dans les terres et possessions de la partie française ou dans la partie espagnole… Pour obtenir que les royalistes, les nègres et les mulâtres soient instruits de ces dispositions, il sera nécessaire que V. S. se serve d’émissaires fidèles et discrets qui puissent, avec ruse et réserve, les leur en faire, part, de manière qu’ils arrivent à mettre à exécution le plan projeté, avant qu’on puisse se préparer à y résister. En cela, le très-révérend archevêque pourra y contribuer par lui-même et par quelques ecclésiastiques discrets et zélés, qui enflammeront l’âme de ceux qui voudraient embrasser notre parti, par des exhortations opportunes et l’espérance d’un meilleur sort. Je préviens ce prélat de ces dispositions. Il ne serait pas non plus désavantageux d’employer quelques nègres de notre colonie, d’une fidélité certaine, lesquels passant dans les camps des brigands, tâcheront non-seulement de les aider dans leurs entreprises, mais encore de les persuader et de les rassurer dans les promesses de liberté et d’établissement que S. M. leur fait sous sa domination.

Le surplus de cette dépêche, très-confidentielle, informait Don Garcia que des ordres avaient été donnés aux gouverneurs des îles de Cuba et de Porto-Rico, de Caracas et au vice-roi du Mexique, de lui fournir des secours en troupes et en argent, et lui accordait tous pouvoirs nécessaires pour parvenir au but désiré, en laissant tout à sa prudence et à sa sagacité déjà éprouvées depuis près de deux ans, au sujet de la révolte des esclaves du Nord, auxquels il avait fourni des armes et des munitions.

Vainement le ministre espagnol se fondait-il, dans cette dépêche, sur la mort de Louis XVI pour donner de pareilles instructions : l’état de paix subsistait entre la France et l’Espagne, quand les agens espagnols, dans le but de la contre-révolution, excitaient les noirs à continuer leur insurrection.

Une réflexion toute naturelle naît des dépêches dont nous venons de donner un extrait.

Entre les deux gouvernemens qui convoitaient respectivement le territoire que leurs pays possédaient à Saint-Domingue, lequel était plus dans son droit, suivant le droit de la guerre ?

Évidemment, c’est le gouvernement français. Depuis le mois d’août 1791 où l’insurrection des esclaves a commencé, il est avisé de toutes les intrigues ourdies dans la colonie française par ses propres agens contre-révolutionnaires, qui ne veulent pas se soumettre au nouvel ordre de choses produit par la révolution de 1789, et qui s’entendent avec ceux de l’Espagne pour troubler la tranquillité de cette contrée. En février 1793, il est encore avisé de toutes les combinaisons arrêtées ou présumées de la part des rois de l’Europe, pour vaincre la France à cause du grand crime qui vient de s’y commettre. Cette intervention dans ses affaires domestiques lui crée le droit de se défendre, de défendre son pays et ses possessions par tous les moyens qui sont en son pouvoir. La conquête de la partie espagnole entre nécessairement dans ce droit ; et au moment où il l’ordonne, il sait que presque tous les colons français se préparent à livrer la partie française à la Grande-Bretagne et à l’Espagne. Cependant, la partie espagnole fut conquise, non à Saint-Domingue, mais sur les frontières de l’Espagne, par les succès que les armées françaises y ont obtenus et qui amenèrent la paix de Bâle, en 1795.

Remarquons ensuite que les instructions données à Don Garcia, de promettre la liberté aux noirs, justifient d’avance la liberté générale que Sonthonax d’abord, et Polvérel après lui, se virent contraints de proclamer à Saint-Domingue, en faveur des nombreux infortunés dont on voulait faire des instrumens, pour se nuire réciproquement.

Mais voyons ce qui a suivi les instructions de Monge aux commissaires civils : voyons quels furent les actes de la métropole et ceux de ses agens revêtus du pouvoir dictatorial que les colons, plus que leurs instructions, les forcèrent d’exercer à Saint-Domingue.

Le 5 mars 1795, la convention nationale rendit le décret suivant :

La convention nationale, sur le rapport de son comité de défense générale, décrète :

Article 1er. Toutes les colonies françaises sont déclarées, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement statué, comme en état de guerre. Il est enjoint, néanmoins, aux gouverneurs généraux et aux autres agens militaires, ainsi qu’aux officiers de l’administration civile, de se concerter avec les commissaires nationaux civils, et d’obéir à toutes leurs réquisitions.

2. Tous les hommes libres des colonies qui voudront prendre les armes pour la défense intérieure et extérieure des colonies, sont autorisés à se réunir en légions ou compagnies franches qui seront organisées par les gouverneurs généraux et les commissaires civils, d’après les lois existantes, auxquelles il ne pourra être dérogé.

3. Lesdits commissaires nationaux et gouverneurs généraux sont autorisés à faire provisoirement, dans les règlemens de police et de discipline des ateliers, tous les changemens qu’ils jugeront nécessaires au maintien de la paix intérieure des colonies.

4. Le ministre de la marine donnera les ordres nécessaires pour faire transporter en France le régiment au Cap, qui prendra son rang dans la ligne.

5. Les citoyens qui ont été déportés de Saint-Domingue par ordre des commissaires nationaux Ailhaud, Sonthonax et Polvérel, ou qui le seraient, ne pourront y retourner qu’après la cessation des troubles dans cette colonie, et qu’après en avoir obtenu une autorisation spéciale du corps législatif. Le ministre de la marine est chargé de donner les ordres nécessaires à tous les ports, pour l’exécution de cette disposition.

6. La convention nationale approuve la formation des compagnies franches d’hommes libres faite à Saint-Domingue, sous les ordres des commissaires nationaux civils.

7. Le ministre de la marine est chargé d’organiser pareillement en compagnies franches tous les naturels des colonies actuellement en France, conformément aux lois existantes, et de les faire passer le plus promptement possible à Saint-Domingue.

Le 6 mars, un jour après ce premier décret, la convention nationale rendit celui qui suit :

La convention nationale confirme les mesures prises par les commissaires nationaux civils Polvérel et Sonthonax, les autorise à poursuivre et faire lever la subvention du quart de revenu sur tous les habitans de la colonie de Saint-Domingue, d’en faire verser le produit dans la caisse du receveur de la colonie, et de prendre toutes les mesures qui leur paraîtront nécessaires pour assurer la défense de la colonie contre les ennemis intérieurs et extérieurs.

On le voit : la défense de Saint-Domingue est la pensée qui préoccupe spécialement la convention nationale. Elle est une suite naturelle de l’état de guerre où se trouve la France avec les puissances maritimes, des instructions données par le ministre Monge aux commissaires civils, par ses deux lettres du mois de février. Les pouvoirs précédemment donnés à ces commissaires sont confirmés de nouveau ; les mesures qu’ils ont déjà prises sont approuvées ; ils sont autorisés à prendre encore toutes celles qu’ils jugeront nécessaires au salut de cette colonie. C’est la dictature confiée à leur patriotisme reconnu par leurs actes précédens. En approuvant les déportations déjà consommées, la convention prévoit que d’autres peuvent être encore nécessaires : celles exercées tout récemment au Port-au-Prince sont d’avance sanctionnées. Le 2e article du décret du 5 mars contient une disposition singulière : la convention est tellement convaincue du mauvais vouloir des colons envers la France, qu’elle n’ordonne pas la formation de tous les hommes libres en légions ou en compagnies franches ; elle laisse seulement cette faculté à ceux qui voudront le faire ; et elle ne compte à cet égard que sur le concours des mulâtres et des nègres libres. Cette disposition concernant les légions est évidemment ce qui a fourni à Polvérel l’idée de la formation de la légion de l’Égalité au Port-au-Prince.

Une autre disposition plus importante et qui est corrélative aux instructions du ministre concernant le parti à tirer des noirs révoltés, c’est celle qui attribue aux commissaires civils, concurremment avec les gouverneurs généraux, le pouvoir de faire provisoirement, dans les réglemens de police et de discipline des ateliers, tous les changemens qu’ils jugeront nécessaires, en vue du maintien de la paix intérieure des colonies. On voit par cette disposition que la convention pressent toutes les difficultés qui pourront naître des ordres mêmes qui ont été donnés à Polvérel et Sonthonax, d’employer les noirs révoltés à la conquête de la partie espagnole. S’il faut que ces hommes, armés depuis plus d’un an, restent encore esclaves après avoir servi les vues du gouvernement français contre ses ennemis, à quoi bon ce concours de leur énergie ? La convention ne définit rien, parce qu’elle ne peut bien juger de la situation présente dans la colonie, ni prévoir tous les incidens qui peuvent survenir : elle laisse tout à la sagacité de ses agens, à leur prudence et à leur patriotisme éclairé. Elle ne pouvait mieux faire sur une pareille question.

Mais les colons qui étaient à Paris, les anciens commissaires de l’assemblée coloniale, Page et Brulley qui, malgré sa dissolution, continuaient toujours leurs fonctions auprès de la convention nationale, en se faisant jacobins exaltés depuis la mort du roi, se réunirent, se concertèrent pour empêcher l’exécution des décrets des 5 et 6 mars. Ils étaient trop habiles pour ne pas reconnaître que ces décrets, en confiant la dictature à Polvérel et Sonthonax, les rendaient arbitres suprêmes de la question de l’esclavage ou de l’affranchissement général. Ils intriguèrent donc, comme toujours ils avaient fait, comme ils firent constamment, auprès de la convention ; et, à la faveur du masque de patriotisme qu’ils prirent, ils réussirent à en obtenir de nouveaux décrets, les 15 et 19 mars, par lesquels la convention ordonna qu’il serait sursis à l’expédition des deux précédens qui furent renvoyés à l’examen des comités de marine et des colonies.

Cependant, déjà le ministre Monge les avait expédiés. Polvérel les reçut par une dépêche qui lui fut adressée particulièrement, à la date du 18 mars[10].

Mais, il ne suffisait pas aux colons d’avoir obtenu le sursis dont nous parlons. Page et Brulley continuèrent d’assiéger le comité de marine et des colonies et le comité de salut public, et chacun de leurs membres en particulier, afin d’entraver les mesures du gouvernement et de le porter à des résolutions qui eussent été funestes à la colonie, s’ils avaient été écoutés. Dans une des nombreuses notes qu’ils remirent aux comités, Page proposait ce qu’on va lire.

Observations préliminaires.

Les mesures politiques valent mieux que les mesures coactives. Un bon décret vaut à lui seul une armée.

Aperçu d’un projet de décret convenable.

1o Chaque colonie fera sa législation et réglera son administration intérieure.

2o Les rapports extérieurs de chaque colonie seront réglés par la convention nationale.

3o Le commerce entre la France et les colonies sera franc, libre et exempt de tous droits.

4o Tous décrets antérieurs sont révoqués, excepté celui du 28 mars 1792, quant aux dispositions qui établissent l’égalité politique entre les hommes de couleur et les blancs.

5o Sonthonax, Polvérel et Delpech sont mis hors la loi.

6o Le comité de salut public prendra les mesures convenables pour faire exécuter le présent décret et pour porter secours et protection à Saint-Domingue.


Il proposait ensuite les mesures qu’il jugeait convenables. Parmi elles, six mille hommes de troupes, surtout le 9e régiment dit de Normandie, que Blanchelande avait renvoyé en France ; la mise en réquisition des colons qui étaient en France, dont le civisme serait connu ; la séquestration, au profit des défenseurs de la colonie, du revenu de ceux des colons suspects ; des canonniers, de l’artillerie, des armes, des munitions, deux mille chevaux de selle et de trait à prendre aux États-Unis, etc. Enfin, organiser à Saint-Domingue un directoire de douze membres, dont six à la nomination du comité de salut public et les six autres à celle des colons. Et les instructions à donner à ce directoire seraient :

1o De traiter avec une égalité parfaite les citoyens, sans distinction de couleur.

2o De tenir les troupes en haleine et de ne jamais les fatiguer.

3o D’entretenir des espions parmi les révoltés (les noirs), de connaître les blancs qui dirigent leurs mouvemens, et mettre leurs têtes à prix. De corrompre, égorger ou empoisonner les chefs de la révolte. De traiter avec les révoltés et leur proposer l’invasion de la Jamaïque.

Telles étaient les propositions et les maximes immorales professées par ces hommes altérés du sang de leurs semblables. Robespierre lui-même recula devant leur application.

On peut fort bien croire que, si Page proposait de mettre à prix les têtes des blancs comme lui, de corrompre, égorger ou empoisonner les chefs noirs des révoltés, il ne réservait pas sans doute un meilleur sort aux mulâtres et nègres libres.

Toutefois, si ces propositions ne furent pas acceptées, c’est à l’une d’elles qu’on doit attribuer la résolution prise par la convention, de décréter d’accusation Polvérel, Sonthonax et Delpech[11].

En possession des instructions ministérielles qui leur parvinrent avant les décrets, Polvérel et Sonthonax rendirent leur proclamation du 5 mai 1793, datée du Port-au-Prince, qu’ils firent publier en français et en langage créole, pour être plus à la portée de ceux qui en étaient l’objet. Lisons les motifs et le dispositif de cet acte, pour pouvoir apprécier la conduite de ces deux commissaires en cette circonstance.

« Ce n’est pas chez les esclaves qu’il faut chercher les causes de leur insurrection ; ce n’est ni pour eux ni d’eux-mêmes qu’ils se révoltent : ils ne font que céder à des impulsions étrangères. Leurs agitateurs, leurs meneurs n’ont rien de commun avec le sang africain : ce sont des Français, fils de Français, citoyens de Saint-Domingue, qui ont voulu que la colonie fût détruite, ou que du moins elle cessât d’exister pour la France ; ce sont eux qui, après avoir excité la guerre des gens de couleur, pour faire égorger les hommes libres les uns par les autres, ont armé les esclaves contre les hommes libres pour achever d’exterminer à Saint-Domingue toutes les ramifications, toutes les nuances de la race européenne[12]. Veut-on encore des preuves de cette vérité depuis longtemps reconnue ? Il n’a fallu que la fuite de Borel et de sa horde pour ramener au devoir les esclaves insurgés de la Croix-des-Bouquets. C’est donc sur des têtes libres qu’il faut frapper, si l’on veut faire cesser les insurrections des esclaves. Mais comment est-il si facile aujourd’hui de faire circuler et adopter des projets de révolte dans les ateliers ? C’est que les ateliers sont mal surveillés, mat contenus ; c’est que les esclaves sont traités avec inhumanité ; c’est qu’on n’exécute ni les lois qui obligent les propriétaires à tenir sur leurs ateliers un nombre de surveillans proportionné à celui des esclaves, ni celles qui ont pourvu au bon traitement des esclaves.

Pour remédier à ces abus, nous n’avons pas besoin de faire de nouvelles lois sur le sort des esclaves, mais seulement de rappeler et de faire exécuter sévèrement les lois qui existent sur cette matière. »

Tels sont les motifs de cet acte où les commissaires civils établissent clairement que le fait de la révolte des esclaves ne peut être imputé à ces malheureux, mais bien aux hommes libres, à des Français, — les Européens, — à des fils de Français, — les colons. C’est sur leurs têtes qu’il faut frapper, disent-ils, si l’on veut faire cesser les insurrections des esclaves : ils constatent de plus que les esclaves sont traités avec inhumanité, qu’on n’exécute pas les lois qui ont pourvu à leur bon traitement.

Voilà donc les commissaires civils qui se présentent comme les protecteurs des infortunés qui gémissent depuis près de deux siècles sous les dures lois de l’esclavage. Que vont-ils ordonner en leur faveur ? Passons au dispositif de cette proclamation.

Le 1er article remet en vigueur les ordonnances de Louis XIV, du mois de mars 1685 (code noir), de Louis XV, en 1724, et de Louis XVI, du 3 décembre 1784.

Ces différentes lois réglaient la police et la discipline des ateliers, qui sont maintenues par la proclamation du 5 mai, sauf quelques modifications dont le but est d’assurer aux esclaves l’exécution des dispositions favorables qu’elles contenaient et qui n’étaient pas toujours suivies par les maîtres. Ainsi, l’empêchement mis aux travaux des dimanches et fêtes ; l’assignation d’un petit terrain sur chaque habitation à chacun des esclaves, pour la plantation de vivres et de légumes à son profit personnel ; l’obligation imposée aux propriétaires de faire des plantations de vivres spéciales pour garantir les esclaves de la disette ; de délivrer tous les ans à chacun d’eux deux habillemens, appelés rechanges dans les colonies ; de tenir les hôpitaux des habitations en état, afin que les esclaves malades puissent être bien soignés ; de dispenser les femmes enceintes de tout travail à certaines époques de la grossesse ; la défense faite aux maîtres, par l’ordonnance de 1784, de frapper un esclave de plus de cinquante coups de fouet, de le faire mourir à force de coups et de mauvais traitemens, défense commune aux procureurs, gérans et économes, etc. : toutes ces dispositions relativement favorables aux esclaves sont rappelées et prescrites, sous, peine de grosses amendes et de poursuites criminelles, s’il y a lieu, contre les délinquans. La proclamation prescrit également le nombre d’hommes libres qu’il faut à chaque habitation, en raison du nombre des esclaves, un par quarante esclaves, afin que la police et la discipline puissent y être maintenues convenablement.

Tel est le premier côté de la médaille. Voyons aussi quel en est le revers.

L’article 22 de la proclamation fait défense aux esclaves d’avoir des armes, telles que fusils, pistolets, épées, sabres, manchettes, flèches, lances et même gros bâtons : tous ceux qui seront trouvés porteurs de telles armes sevont fouettés.

Le 25e prescrit la peine de mort contre tout esclave qui frappera son maître, sa maîtresse, son mari ou leurs enfans, si les coups sont apparens ou que le sang en est sorti ; et alors même que ces traces du délit n’existeraient pas, si c’est au visage qu’ils ont été frappés, la peine de mort n’en sera pas moins prononcée contre l’esclave. Pour un soufflet, par exemple, peine de mort.

Le 26e prescrit une punition sévère et même la mort, s’il y a lieu, s’il s’agit de toutes autres personnes libres qui auraient été frappées.

Le 27e prescrit la punition sévère ou la mort, s’il y a lieu, contre tout esclave qui aura volé chevaux, mulets, bœufs ou vaches.

Les mêmes peines sont déterminées contre tout esclave qui aura volé des armes définies par l’art. 22, ou volé et enlevé pirogue, bateau, canot ou autres bâtimens.

L’article 30 ordonne de couper le jarret à tout esclave qui sera surpris dans un bateau ou autres bâtimens étrangers, avec l’intention de se sauver dans un autre pays’; et si, avant de s’évader ou pendant qu’il est à bord, il avait commis tout autre méfait, il sera puni de mort. Les mêmes peines sont prescrites dans le cas de complot de la part d’esclaves, dans le but d’enlever de telles embarcations.

L’article 32 punit au fouet par la main du bourreau et l’estampage ou marque de la lettre V (voleur) à l’épaule droite, tout esclave qui aura volé moutons, cabrits, cochons, volailles, grains, fourrages, bois, fèves, légumes ou autres denrées.

L’article 34 ordonne de couper les oreilles et de marquer à l’épaule gauche de la lettre M (marron), à tout esclave qui aura été marron ou fugitif pendant un mois, à partir du jour de la déclaration faite à la justice par le maître ou son représentant.

Le 35e article fait grâce à tout esclave qui aura quitté les camps des révoltés un mois après la publication de cette proclamation. Mais si après être rentré chez son maître, il retourne en marronnage et qu’il soit pris, il aura les oreilles coupées, et la lettre M lui sera appliquée à l’épaule gauche.

L’esclave déjà fugitif qui aura subi la peine des oreilles coupées et de la marque à l’épaule gauche, et qui se sera enfui de nouveau, sera marqué M à l’épaule droite et aura le jarret coupé : tel est le texte de l’article 36.

Les lettres V et M remplaçaient les fleurs de lys du code noir. La royauté étant abolie, il fallait d’autres signes.


Telle fut la loi draconienne rendue le 5 mai 1793 par Polvérel et Sonthonax, revêtus des pleins pouvoirs à eux délégués par la convention nationale, et par les instructions ministérielles qui leur prescrivent de tâcher de tirer parti des esclaves révoltés contre les Espagnols. Autorisés à prendre toutes les mesures qui leur paraîtront nécessaires pour le maintien de la paix intérieure et pour assurer la défense de la colonie, ils débutent ainsi par les dispositions pénales que nous venons de relater, d’après leur proclamation.

Hâtons-nous de dire, comme une sorte d’atténuation au reproche que l’histoire est en droit de faire à leur mémoire, que par le 37e article de ce code inflexible, ils disposent que tout esclave accusé devra être jugé par les mêmes juges qui prononcent sur le sort des hommes libres. C’est sans doute un principe salutaire dans la société, que d’être jugé par des tribunaux réguliers ; mais nous craignons que cette attribution était illusoire, à raison de la qualité des juges de Saint-Domingue, tous ou presque tous propriétaires d’esclaves ; nous craignons que la passion du maître pouvait l’emporter sur l’équité du magistrat.

Nous le craignons d’autant plus, qu’à peine cet avantage est accordé aux esclaves accusés, l’article qui suit ne leur accorde le droit d’appel aux conseils supérieurs, que dans les cas où ils auraient été condamnés à mort ou à avoir le jarret coupé : dans tous les autres cas, les jugemens sont sans appel. Et cependant, l’article 32 du code noir leur accordait toujours ce droit d’appel aux conseils souverains, sans distinction de cas : il voulait qu’ils fussent jugés avec les mêmes formalités que les personnes libres. Loin d’améliorer la situation des esclaves, la proclamation l’empirait.

En rendant compte de cet acte inconcevable, le rapport de Garran dit : « Sans doute, plusieurs des peines énoncées dans la proclamation des commissaires civils sont non-seulement beaucoup trop sévères, mais même véritablement barbares : on y condamne à avoir les oreilles et le jarret coupés l’esclave qui, après une première évasion, écoutera une seconde fois le cri de la nature pour se soustraire à la plus intolérable tyrannie… S’ils n’ont pas cru pouvoir se permettre de supprimer ces horribles mutilations, qu’elles prononçaient (les anciennes lois), en cas de récidive, contre les nègres marrons, ils en ont du moins ôté la peine de mort, qui avait lieu dans le code noir pour la troisième fois. »

Nous trouvons ces excuses fort indulgentes ; car nous avons cité sept cas où la peine de mort est établie dans la proclamation. C’était le résultat du régime odieux de l’esclavage, nous en convenons avec la commission des colonies ; mais nous disons qu’au 5 mai 1793, après les précédens faits et les actes déjà relatés des commissaires civils, ils n’étaient nullement dans l’intention ni de préparer ni de prononcer l’affranchissement général des esclaves.

Pour mieux juger de leurs intentions à cet égard, voyons ce que l’un et l’autre ont dit dans les Débats pour se justifier de cet acte.

Après s’être défendu sur son opinion contenue dans son discours du 20 septembre 1792, à leur installation, et consignée encore dans leur proclamation du 24 ; après avoir expliqué les motifs qui le portaient à penser que l’esclavage des noirs était nécessaire, et les motifs qui le firent changer d’opinion à cet égard, Polvérel ajoute : « On a dit : Vous étiez, au mois de mai 1793, les ennemis fortement prononcés de la liberté des noirs ; à cette époque, vous ne vouliez pas la leur donner. Il est vrai qu’alors ce n’était pas notre intention : nous ne connaissions que très-imparfaitement les bases sur lesquelles la République française était fondée. Nous nous croyions encore renfermés dans les limites des pouvoirs qui nous avaient été donnés dans le cours de l’assemblée législative… »

Plus loin, il dit : « Voilà, citoyens, dans quel esprit j’étais au mois de mai 1793, sur l’incompétence où était la commission civile, pour prononcer sur la liberté des esclaves. Je n’avais donc garde de croire alors qu’il était en notre pouvoir de donner la liberté aux noirs… Pour juger des motifs qui ont nécessité la publication de cette proclamation et de l’esprit qui nous l’a fait faire, il faut vous en lire le préambule ; il faut aussi vous faire remarquer auparavant dans quelle circonstance nous étions. Le Nord de la colonie était dévasté par les nègres en révolte ; dans le Sud, des nègres révoltés étaient rassemblés, campés et armés près des Cayes ; dans l’Ouest, la coalition des contre-révolutionnaires avec les patriotes, coalition dont je vous donnerai les preuves dans le temps, avait tendu à exciter la révolte dans le Cul-de-Sac et dans les mornes environnans… Un des grands objets de la réclamation des noirs, un des grands motifs de leur insurrection, était les mauvais traitemens qu’ils essuyaient de toutes parts[13]… » Plus loin encore, Polvérel dit : « Quelles étaient donc les lois qui n’étaient pas exécutées ? Les voici. C’étaient les articles 42 et 43 de l’édit de 1685, qui défendaient aux maîtres de maltraiter, de mutiler, de faire périr leurs esclaves sans l’autorité de la justice, sans l’intervention de la justice… Maintenant, citoyens, vous pouvez juger si notre proclamation du 5 mai annonce des ennemis des noirs, si cette proclamation a eu pour objet d’adoucir ou d’aggraver le sort des esclaves[14]. »

À son tour, Sonthonax ayant à se défendre pour la proclamation du 5 mai, dit ces paroles :

« Lorsque nous avons publié l’édit de 1685, c’est-à-dire le code noir, ainsi que l’ordonnance concernant les procureurs gérans, rendue en 1784 (le 3 décembre), nous ne l’avons fait, comme mon collègue vous l’a expliqué dans le temps, que pour forcer les propriétaires à être moins barbares que la loi. Il y avait dans le code noir un article terrible, qui prononçait la peine de mort contre le marronage. Nous n’avons pas cru qu’un voir l’admettre, parce que nous n’avons pas cru qu’un esclave pût être condamné à mort pour le seul fait de la fuite. Nous nous sommes permis de le supprimer : la commission et la convention me jugeront à cet égard ; je m’en rapporte à leur prudence[15]. »

L’intention était bonne, sans doute ; mais il restait toujours dans la proclamation sept cas de mort, et encore plus de cas de fouet, d’oreilles coupées, de jarrets coupés. C’était horrible à ordonner contre les esclaves, lorsque les motifs de cet acte attribuaient l’insurrection de ces malheureux à leurs maîtres, lorsque les commissaires reconnaissaient que ces maîtres conspiraient pour livrer la colonie à l’étranger, lorsqu’ils venaient de donner la liberté à beaucoup d’esclaves, en les enrôlant dans la légion de l’Egalité. Et pourquoi n’ont-ils pas supprimé entièrement l’article du code noir relatif à l’esclave fugitif ? Un homme n’a-t-il pas le droit de fuir la tyrannie qui l’opprime ?

Dans la séance du 6 ventôse an 3, où Polvérel avait donné ses dernières explications à ce sujet, Sonthonax aussi avait dit ces paroles auxquelles nous nous rangeons volontiers :

« Les colons ont dit d’abord que j’avais toujours été étranger, ainsi que Polvérel, à la cause des noirs ; que j’avais cherché à aggraver leur sort, et que je m’étais par conséquent contredit avec les écrits que j’avais publiés en France sur les noirs. Il faut bien distinguer entre le philosophe ami de l’humanité, qui médite dans son cabinet sur les droits des hommes, et le fonctionnaire public chargé de l’exécution des lois. Le premier est le maître d’aller aussi loin qu’il veut dans la théorie du bonheur des hommes ; il cherche tous les moyens de perfectionnement de l’espèce humaine et de la sociabilité. Le second est circonscrit dans le cercle étroit des lois : il ne lui est pas permis de l’outre-passer ; il deviendrait criminel. J’ai publié dans le journal des Révolutiens de Paris mes opinions sur les noirs : vous allez voir, en en extrayant dix lignes seulement, si je méritais ce reproche. Après avoir discuté la conduite de l’assemblée de Saint-Marc et de Peinier, je dis, page 523, n° 63 :

Quant à la traite et à l’esclavage des nègres, les gouvernemens de l’Europe auront beau résister aux cris de la philosophie ; aux principes de liberté universelle qui germent et se propagent parmi les nations, qu’ils apprennent que ce n’est jamais en vain qu’on montre la vérité aux peuples ; que l’impulsion une fois donnée, il faudra absolument céder au torrent qui doit entraîner les anciens abus, et que le nouvel ordre de choses s’élèvera, malgré toutes les précautions qu’on prend pour en retarder l’établissement. Oui, nous osons le prédire avec confiance, un temps viendra, et le jour n’est pas loin, où l’on verra un Africain à tête crépue, sans autre recommandation que son bon sens et ses vertus, venir participer à la législation dans le sein de nos assemblées nationales.

Lorsque je fis cette prédiction, j’étais loin de penser que moi-même je convoquerais les assemblées primaires, qui enverraient ensuite des députés à la convention nationale. Vous voyez donc que j’étais loin d’être l’ennemi des noirs, d’être l’ennemi des droits et de l’égalité générale des hommes[16]. »

Nous citons ces paroles avec bonheur ; nous louons Sonthonax d’avoir professé de tels sentimens et de tels principes. Mais reconnaissons que, si ces précédons connus des colons durent les porter aux préventions contre le commissaire civil, celui-ci se condamne lui-même, condamne ses déclarations faites à l’église du Cap, le 20 septembre 1792, et dans sa proclamation du 4 décembre suivant ; car il dit ici que le fonctionnaire public est circonscrit dans le cercle étroit des lois ; qu’il ne lui est pas permis del’outre-passer sans devenir criminel. Si l’assemblée législative avait rendu une loi sur les esclaves, n’eût-il pas été obligé de s’y soumettre et de la faire exécuter, à moins de devenir criminel ? Ecoutons-le encore à ce sujet :

« La réponse que je fis au président de l’assemblée coloniale était politique et légale : elle était politique, en ce que, si je n’avais pas répondu dans le sens des colons, une insurrection eût éclaté sur-le-champ, la colonie était pour jamais séparée de la France. La réponse que j’ai faite était légale, car elle était conforme aux lois. Il ne s’agissait pas d’examiner quelle était mon opinion particulière relativement à l’affranchissement des noirs…

Or, quelles étaient alors les lois de l’assemblée constituante et de l’assemblée législative ? La première, par un décret du 15 mai 1791, avait cru devoir sanctionner l’esclavage dans les colonies françaises ; elle avait cru devoir statuer constitutionnellement que l’esclavage ne pourrait être détruit, que le sort des esclaves ne pourrait être fixé que sur le vœu libre et spontané des assemblées coloniales. L’assemblée législative voyait sa bonne volonté enchaînée à cet égard ; il n’était pas en son pouvoir de détruire ce que l’assemblée constituante avait décrété constitutionnellement. J’avais donc raison de dire qu’il n’était point dans les principes de l’assemblée nationale de changer à cet égard ce qui avait été fait par l’assemblée constituante ; je ne m’avançais donc pas trop lorsque je disais au président de l’assemblée coloniale, qu’il n’était pas dans l’intention de l’assemblée nationale de statuer sur le sort des esclaves. J’ai dit encore qu’il n’était point dans l’intention du roi de statuer sur le sort des esclaves ; je crois que ce n’était pas trop dire, car personne ne soutiendra que Louis Capet fût l’ami de la liberté des noirs…

J’avais donné aux hommes de couleur trois souslieutenances dans les régimens de ligne. Aussitôt on fait circuler dans la ville du Cap la lettre de Cougnac-Mion… Je n’hésitai pas alors à consigner de nouveau cette déclaration dans ma proclamation du 4 décembre 1792. J’ajoutai, que si l’assemblée nationale changeait au régime des propriétés mobilières des colons, au régime colonial fixé par les lois de l’assemblée constituante relativement à l’esclavage des noirs, je ne me rendrais jamais l’exécuteur d’une pareille injustice, que je m’y opposerais de toutes mes forces. Certes, je conviens bien que cette déclaration était au-dessous du caractère du commissaire civil, que les termes dans lesquels je l’ai faite, sans être criminels, compromettaient cependant mon caractère, qui devait être ferme et impassible ; mais j’oubliais un instant ce que je devais à moi-même, à la représentation de la République, pour ne songer qu’au salut de la ville du Cap. On était menacé d’y voir régner les factieux, d’y voir entrer les noirs en révolte prêts à fondre sur la population blanche… Ce fut alors que je dis que si l’assemblée nationale voulait toucher un jour au régime colonial en ce qui concernait l’esclavage, je m’y opposerais de toutes mes forces. Cette déclaration, je l’avoue, était au-dessous du caractère d’un représentant de la République, mais elle n’était pas criminelle, et je le prouve en deux mots. Pour qu’elle fût criminelle, il faudrait que cette insurrection annoncée contre les décrets de l’assemblée nationale eût eu un objet irrégulier et criminel ; or, quel était-il, mon objet ? Que dans le cas où l’assemblée statuerait sur le sort des esclaves, je m’y opposerais de mes forces morales, c’est-à-dire que je représenterais à l’assemblée législative qu’elle n’avait pas le droit de statuer sur le sort des personnes non libres dans la colonie, et que la constitution, acceptée par le roi et reconnue par le peuple, avait fixé d’une manière invariable les droits des citoyens. Tout citoyen français, tout magistrat surtout, avait le droit de s’opposer, dans les formes légales, à ce que le corps législatif violât la constitution. Il était bien reconnu que l’assemblée législative n’avait pas le droit de toucher aux articles fixés constitutionnellement par l’assemblée constituante et le roi, par l’acceptation du peuple français[17]… »


Si l’assemblée législative n’avait pas le droit de statuer sur le sort des esclaves, autrement que l’assemblée constituante, elle n’avait pas non plus le droit de déclarer les hommes de couleur égaux en droit aux colons ; car le décret du 24 septembre 1791, prétendu constitutionnel, s’y opposait : à plus forte raison, elle n’avait pas le droit de renverser la constitution, de prononcer la déchéance de Louis XVI ; car l’insurrection de la population de Paris, au 10 août, n’était pas l’insurrection du peuple français. Or, Sonthonax a-t-il réclamé contre cette violation de la constitution, en sa qualité de citoyen et de magistrat ? Il y a fortement adhéré, au contraire. A-t-il réclamé contre la loi du 4 avril ? Il est venu la faire exécuter.

Nous cherchons en vain une justification de ses paroles compromettantes, à son installation au Cap et dans sa proclamation du 4 décembre. C’est peut-être la faute de notre esprit ; mais nous ne trouvons pas dans ses explications que nous venons de citer, les principes, les maximes de l’homme d’État, qui doivent être fondés sur les principes éternels du droit et de la justice en faveur de tous les hommes. Or, les noirs sont-ils des hommes, oui ou non ? S’ils sont des hommes, la déclaration des droits de l’homme proclamée par l’assemblée constituante leur était applicable, soit graduellement, soit immédiatement. Lors donc que Monge leur prescrivait de tirer parti des noirs révoltés pour envahir et conquérir la colonie espagnole, à notre avis, Polvérel et Sonthonax, au 5 mai 1795, faisaient un mauvais usage de la dictature remise entre leurs mains. Il nous semble qu’avec leur sagacité habituelle, avec leurs principes bien connus en faveur de la liberté pour tous les hommes, ils auraient dû reconnaître que le régime colonial était déjà frappé de mort, et qu’il ne serait plus possible de conduire les noirs autrement que par la perspective d’un adoucissement notable dans leur malheureuse condition.


Tel était le but que se proposait Julien Raymond, dans une brochure qu’il rédigea, dit-il, avant la déclaration de guerre à l’Angleterre, par conséquent en janvier 1793. Garran dit « qu’il consacra cet écrit à prouver la nécessite d’adoucir enfin la misère insupportable des esclaves noirs. Il y joignit un projet d’affranchissement graduel, auquel on a droit de reprocher qu’il y assujétisse ces malheureux à racheter de leur maître une liberté qu’ils n’ont point vendue eux-mêmes, et dont l’acquisition ne pouvait, en aucun cas, être légitime[18]. »

Nous avons cet écrit sous les yeux : examinons-le, car il tient, par son sujet, à tout ce que nous venons de dire de la proclamation du 5 mai et des décrets de la convention nationale, des 5 et 6 mars.


« En considérant, dit J. Raymond, toute la population des libres et des esclaves comme un tout homogène, il faut porter ce tout à son plus grand bonheur, en conservant les rapports antérieurs ; c’est-à-dire que, faisant arriver tous les libres à la plus grande latitude de liberté dont on peut jouir dans l’état de sociabilité, vous devez aussi rapprocher les esclaves de l’état de liberté, en sorte qu’ils puissent y arriver sans secousses et par les seuls moyens que la loi leur offrira. Par ce moyen, vous éviterez ces déchiremens indispensables d’un tout homogène, dont vous voulez porter une partie vers un but, en retenant l’autre dans un point fixe. De plus, par cette mesure, en comblant la dose de bonheur à laquelle chaque individu aspirait, vous les attacherez tous au nouvel ordre de choses, qui pourra seul maintenir leurs jouissances et leurs droits…

J’entends souvent faire cette question : quels sont les moyens de défense générale pour garantir nos colonies d’une invasion ? J’avoue que je n’en connais pas de plus sûr et de moins dispendieux que celui de faire que tous les individus, libres ou esclaves, soient véritablement intéressés à les défendre et en repousser l’ennemi. Or, il est bien évident que si vous améliorez le sort de vos esclaves, de telle manière qu’ils soient convaincus que sous un autre gouvernement ils ne seront pas mieux ; il est bien évident, dis-je, que dans cette hypothèse ils concourront, par tous les moyens qui seront en leur pouvoir, à repousser ceux qu’ils croiront venir aggraver leur sort, et ravir les espérances qu’ils auraient fondées sur les nouvelles lois.

Lorsque Charles Villeite a dit : Donnez à vos nègres la liberté, et vous couvrez le sol des colonies de combattans, il n’a voulu parler que de cette liberté préparée dont je parle moi-même, qui conduirait les noirs à joindre une propriété à leurs jouissances ; et leur liberté doublera leurs forces pour combattre nos ennemis, qu’ils regarderont alors comme les leurs. »


Voilà qui est bien, sans doute, de la part de J. Raymond ; et il est permis de croire que ses idées ont pu exercer une certaine influence sur les décrets des 5 et 6 mars. Mais, tout à coup cet esprit systématique forge un projet de proclamation à adresser aux esclaves révoltés, dans lequel nous lisons ces étranges passages :

« Rentrez donc promptement dans l’ordre, hommes égarés, hommes abandonnés, et attendez, dans un silence respectueux, les lois qui doivent vous régénérer… Vous vous êtes révoltés contre vos maîtres, au lieu de réclamer leur humanité ; vous avez osé résister ensuite à la volonté nationale, en continuant votre rébellion : sont-ce là vos titres pour mériter votre liberté ? » Est-ce ainsi que vos frères les affranchis l’ont obtenue ? Trouveriez-vous juste vous-mêmes, que la nation récompensât par la liberté tous les crimes et les dévastations que vous avez commis ?… Ce serait donc en vain et injustement que vous argumenteriez sur les droits que la nation vient de rendre aux hommes de couleur et nègres libres, pour prétendre jouir sur-le-champ de la liberté à laquelle vous devez arriver[19]… »

C’en est assez pour faire apprécier la capacité politique de J. Raymond ; et si nous avons fait ces citations, c’est pour avoir le droit d’examiner la conduite qu’il a tenue ensuite, comme l’un des membres d’une nouvelle commission civile envoyée à Saint-Domingue. Nous verrons alors pourquoi il s’entendit si bien avec Toussaint Louverture.


Pendant que Polvérel et Sonthonax se préparaient à aller à Jacmel pour y assurer la complète exécution de la loi du 4 avril, le général Galbaud arriva au Cap.

Ils partirent pour Jacmel où ils renouvelèrent toutes les autorités constituées. Peu d’habitans de cetie ville furent déportés par eux, parce que déjà, comme nous l’avons dit, les principaux factieux avaient pris la fuite.

De retour au Port-au-Prince à la fin de mai, et apprenant que des intrigues se formaient au Cap, depuis l’arrivée de Galbaud, ils renoncèrent au projet qu’ils avaient conçu de se rendre dans la province du Sud et particulièrement dans le quartier de la Grande-Anse dont l’esprit restait toujours insoumis. Ils se virent alors obligés de charger une délégation d’y aller à leur place : elle était présidée par Pinchinat, ayant pour collègues Albert et Nicolas Delétang, deux des secrétaires de la commission civile. André Rigaud, qui était venu des Cayes au Port-au-Prince, reçut le commandement de quelques centaines d’hommes pour appuyer la délégation.

Le général Lasalle resta au Port-au-Prince : il était malade alors.

Nous avons vu le maire B. Borgelîa déserter la municipalité, le 13 avril, au moment où il fallait délibérer pour la soumission de la ville. Mais dès le départ de Borel, il y était retourné. Le 17, il signa un procès-verbal de la municipalité qui déclarait qu’elle n’avait pas été libre pendant la présence de Borel et de ses affidés. Son habileté ordinaire lui valut de n’être point compris au nombre des déportés : il n’était destiné à la déportation qu’à l’arrivée de l’armée de Leclerc, en 1802. Il resta donc dans ses fonctions de maire au Port-au-Prince.

Polvérel et Sonthonax partirent pour le Cap. Antoine Chanlatte, colonel de la légion de l’Egalité, les y accompagna : il leur fut bientôt d’un grand secours. Il avait sous ses ordres un détachement d’hommes de couleur et celui de troupes blanches que Sonthonax avait amené du Cap.

Avant de parler des événemens qui s’y sont accomplis, voyons ce qu’a fait la délégation qui représentait la commission civile.

  1. Tableau de la vie militaire de Lasalle, p. 17.
  2. Rapport, t. 3, p. 347. Débats, t. 7, p. 263.
  3. Rapport de Garran, t. 3, p. 349. De quelle espèce de marquis était donc celui-là ? Comment comprenait-il la noblesse de son origine ?
  4. Rapport, t. 3, p. 358.
  5. Débats, t. 7, p. 93 et suivantes.
  6. Pamphile de Lacroix, t. 1er, p. 266.
  7. Par les grades militaires, le commandement. Que le lecteur prenne note de ce paragraphe, par rapport à ce qui sera relaté en 1796.
  8. Débats, t. 5, p. 58 et 68.
  9. Lettre trouvée par nous dans les archives de Santo-Domingo.
  10. Débats, t. 6, p. 182, 183 et 205. — Ces décrets lui parvinrent au commencement de mai 1793, d’après Sonthonax. De cette époque jusqu’au mois de juin 1794, les commissaires ne reçurent aucune comraunication officielle du gouvernement français.
  11. Lorsqu’aux Débats, Sonthonax produisit cette pièce émanée de Page personnellement, ce colon ne rougit pas de défendre ses horribles propositions, en prétendant qu’il était d’usage, à la guerre, d’entretenir des espions parmi ses ennemis. « Je recommandais, dit-il, de corrompre, d’égorger ou d’empoisonner les chefs de la révolte. Eh bien ! si les gouvernemens ne publient pas ces maximes, ils les pratiquent… »

    « À l’ordre ! À l’ordre ! repartit vivement Garran de Coulon, président de la commission des colonies. « Les mauvaises maximes sont pires que les crimes eux-mêmes ; elles sont capables de pervertir la morale publique ; il n’est pas permis de s’en servir, même pour sa justification. »

    Après Page, — Brulley, qui fît observer qu’il ne signa pas cette pièce, voulant cependant justifier les maximes professées par son collègue, eut l’infamie de dire : « J’étais malade ou absent quand cet écrit fut présenté, « Je l’aurais signé sans cela, ou j’y aurais fait quelques modifications. Mais si je vous disais, citoyens, que l’on n’aurait alors usé que de représailles… »

    « Je te rappelle à l’ordre, répondit Garran : on ne peut pas empoisonner, même par représailles… Tu ne peux pas justifier de pareilles représailles ! « c’est corrompre la morale publique… On ne peut pas enseigner la théorie de l’empoisonnement (a) »

    Qu’on est heureux de pouvoir citer des paroles aussi mémorables, de la part d’un défenseur des droits de toute l’espèce humaine, à côté des maximes perverses des colons qui n’avaient de respect pour les droits d’aucun homme, pas même pour ceux des blancs comme eux !

    (a) Débats, t. 5, p. 139 à 151.

  12. Hélas ! que fera-t-on encore en 1799 et 1800 ?
  13. Débats, t. 2, p. 349, 350, 352 et 353.
  14. Débats, t. 3. p. 8 et 11.
  15. Débats, t. 6, p. 93.
  16. Débats, t. 3 p. 18 et 19.
  17. Débats, t. p. 371 et suivantes.
  18. Rapport, t. 4, p. 23.
  19. J. Raymond, dans cet écrit, a prouvé que ce sont les colons et les contre-révolutionnaires qui ont soulevé les esclaves ; et dans son projet de proclamation, il impute cette révolte à ces derniers, il leur reproche les crimes qu’ils ont commis. Si les affranchis n’avaient pas pris les armes, est-ce que leurs droits auraient été reconnus ? Les affranchis ne commirent-ils pas aussi des crimes affreux ? Propriétaire d’esclaves lui même, l’intérêt, la cupidité l’aveuglaient comme les blancs.