Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 1/0/8

VIII.


Aux notions générales que nous avons exposées sur l’état politique de Saint-Domingue, et qui sont bien propres à faire concevoir que toutes les classes de la population devaient éprouver le désir d’un changement dans la situation des choses ; aux aperçus que nous avons donnés sur la composition, sur les mœurs de cette population en général, sur son chiffre total, joignons les remarques particulières faites dans l’ancien régime, sur l’état plus ou moins prospère de chacune des provinces de cette colonie, sur les inclinations et les idées régnantes dans chacune d’elles. Elles trouveront leur application dans la suite ; et peut-être expliqueront-elles les causes des événemens accomplis dans ces localités.

Complétons ces renseignemens par ceux fournis sur les productions, sur le commerce et sur les finances de cette colonie, en 1789.


Le territoire de Saint-Domingue français était divisé en trois parties ou provinces : celle du Nord, celle de l’Ouest et celle du Sud. Ce territoire comprenait une surface d’environ 2,000 lieues carrées, tandis que la colonie espagnole représentait une superficie de 3,200 lieues carrées. Il était subdivisé en 52 paroisses portant plus tard le nom de communes.

La partie du Nord était évaluée à 480 lieues carrées : il y avait 21 paroisses.

La partie de l’Ouest, à 820 lieues carrées, comprenant 17 paroisses.

La partie du Sud, à 700 lieues carrées, ayant 14 paroisses.


« La partie du Nord, dit Moreau de Saint-Méry, a des avantages réels sur celles de l’Ouest et du Sud. Il en est qui tiennent à la nature de son sol et de son climat, et d’autres qui sont dus à sa position géographique. Parmi les premiers, on doit compter celui d’avoir beaucoup de rivières, de ruisseaux, de ravins, et de recevoir des pluies réglées… Le sol de cette partie est généralement plus productif que celui des deux autres… Ce n’est pas qu’on ne trouve dans les parties de l’Ouest et du Sud, des terrains aussi fertiles que dans celle du Nord, mais ils veulent toujours l’arrosement… L’avantage géographique de la partie du Nord, c’est de se trouver placée au vent des deux autres… Le Cap reçoit et attire plus de bâtimens que les autres ports de la colonie… Les denrées y sont avantageusement vendues… La circulation du numéraire y est plus rapide qu’ailleurs, et l’industrie, quelque forme qu’elle veuille prendre, est presque sûre d’y être encouragée.

» La partie du Nord est la première que les Français aient établie, et elle est encore la plus importante par sa situation, militairement parlant, par ses richesses et par sa population. On peut y compter à peu près 16,000 blancs de tout âge, dont plus des deux tiers sont du sexe masculin ; 9,000 gens de couleur libres, presqu’en nombre égal dans chaque sexe ; et 170,000 esclaves, parmi lesquels le rapport des nègres est à celui des négresses, comme 9 est à 7. Les nègres, en général, y sont plus industrieux et mieux traités. La culture est aussi poussée plus loin dans le Nord, et l’art de fabriquer le sucre y a fait des progrès qu’on n’égale point encore dans le reste de la colonie. Il faut dire de plus, parce que c’est la vérité, qu’on y trouve une plus grande sociabilité et des dehors plus polis. Il y a même une sorte de rivalité jalouse, de la part de l’Ouest et du Sud à cet égard, et elle servirait, au besoin, de preuve à cette observation. La plus grande fréquentation des bâtimens européens y place les premiers succès de la mode ; et partout où il y a des Français, la mode a ses adorateurs. Le luxe y a donc un culte très-suivi, et c’est du Cap, comme d’un centre, qu’il répand ses jouissances et ses maux…

» La partie de l’Ouest, contenant le Port-au-Prince, qui est la capitale de la colonie, elle renferme ainsi le siège principal du gouvernement et de l’administration générale…

» Si la partie de l’Ouest est obligée de reconnaître la supériorité de la partie du Nord sur elle, cette supériorité, elle l’exerce à son tour sur la partie du Sud. Moins éloignée qu’elle de l’abord des vaisseaux venant d’Europe ; moins dangereusement placée durant la guerre, parce qu’elle n’est pas aussi voisine de la Jamaïque ; plus et mieux cultivée ; ayant dans son étendue le siège du gouvernement, la résidence d’une cour souveraine, la garnison habituelle d’un régiment, elle tire de ces circonstances, qui produisent une plus grande réunion d’individus, et par conséquent plus de consommateurs, des avantages dont la partie du Sud est privée…

» Les 820 lieues carrées de la surface de la partie de l’Ouest contiennent à peu près 14,000 blancs de tout âge, dont deux tiers sont du sexe masculin ; 12,500 gens de couleur libres, dont les neuf seizièmes sont du sexe masculin ; et 168,000 esclaves, parmi lesquels le rapport des nègres est à celui des négresses, à peu près comme 8 est à 7. Il résulte de ce calcul que la population totale de la partie de l’Ouest peut être considérée comme égale à celle de la partie du Nord, mais avec cette différence que cette dernière n’a que les trois cinquièmes de la surface de l’autre…

» La partie du Sud, prise en masse, a été la dernière établie des trois de la colonie… Aujourd’hui (1789) la partie du Sud a réellement un peu plus de 10,000 blancs, dont les deux tiers sont mâles ; 6,500 affranchis[1], dont moitié à peu près de chaque sexe ; et 114,000 esclaves, dans la proportion de 8 mâles pour 7 femelles.

» Il est aisé de voir par ces résultats, que la partie du Sud n’est ni aussi peuplée ni aussi bien établie que les deux autres, puisqu’avec près de moitié de plus de la surface de la partie du Nord, elle n’a que les deux tiers de sa population, et qu’avec seulement un septième de surface de moins que celle de la partie de l’Ouest, elle n’a que les deux tiers de sa population. L’opinion veut que son sol soit moins productif…

» Le fait vrai, c’est que la partie du Sud n’a jamais été aussi encouragée que celle du Nord et de l’Ouest, et le désavantage de sa situation géographique sous le vent de ces deux autres et les dangers que le voisinage de la Jamaïque fait courir à son commerce pendant la guerre, en sont les véritables causes…

» C’est en quelque sorte au commerce étranger qu’elle doit ses premiers succès, et sans ce commerce, contre lequel les négocians de France ont poussé des cris, les avantages qu’ils vont maintenant y recueillir n’existeraient pas…

» L’espèce d’abandon où a été laissée la partie du Sud, y a produit des effets qui sont encore sensibles. La culture y est moins perfectionnée qu’ailleurs, parce que les forces cultivatrices y manquent et parce que les denrées n’y obtiennent pas un prix aussi avantageux…

» Les mœurs de la partie du Sud ont un caractère qui les fait différer en plusieurs choses, des mœurs du reste de la colonie. Il me semble qu’elles ont, surtout dans la bande méridionale, moins d’analogie avec ces dernières qu’avec celles des îles du Vent, et l’on peut faire la même observation dans le langage créole. Il est vrai qu’on trouve beaucoup de familles martiniquaises d’origine dans cette étendue. Les nègres y montrent aussi des différences dans leurs usages…

» La plaine des Cayes a un coup d’œil imposant… L’œil se promène avec plaisir sur une surface qui n’attend que les regards du gouvernement pour que ses produits accroissent de près des deux tiers… On ne peut se dissimuler que dans l’état présent des choses, la plaine des Cayes ne peut soutenir le parallèle avec les autres…

» Les habitans de cette plaine et ceux de toute la partie du Sud, demandent un conseil supérieur séant aux Cayes, et par conséquent le vœu de la colonie entière est d’en avoir trois au lieu d’un seul[2].

» Ils demandent qu’on ajoute un 3e bataillon au régiment du Port-au-Prince, qui aura pour garnison les postes de la partie du Sud.

» Ils demandent aussi des écoles publiques et des moyens d’éducation.

» Et, s’il le faut, ils offrent de supporter la dépense que ces objets peuvent occasionner.

» Ils observent, à cet égard, que les octrois (droits d’exportation des denrées) perçus aux Cayes, s’élèvent à 800 mille livres, dont il ne reste que 280 mille livres dans la partie du Sud pour sa dépense, et que les frais de justice payés par elle au Port-au-Prince, s’élèvent à 300 mille livres, ce qui absorbe, et au-delà, la portion gardée. Ils disent que la dépense d’une cour souveraine et d’un bataillon donnerait de la vie à la partie du Sud et des convenances de plus d’un genre…


Voilà ce que constatait Moreau de Saint-Méry, des dispositions particulières à chacune des provinces de la colonie de Saint-Domingue, avant les premiers troubles occasionnés par la révolution de 1789.

On trouve encore dans un écrit anonyme, publié au commencement de 1790, et intitulé : Lettre d’un citoyen du Port-au-Prince à un député à l’assemblée coloniale, les passages suivans que nous transcrivons :


« Depuis que j’habite la colonie, j’entends, et ce n’est pas sans raison, tous les habitans de la partie du Sud jeter les hauts cris

»… Déterminez l’assemblée à porter un décret qui statue que toutes les denrées coloniales qui s’exporteront directement pour la métropole, des ports des Cayes ; de Jerémie et de Saint-Louis, ne paieront que le tiers des droits imposés sur celles du crû des deux autres parties de la colonie…

» Je ne vois qu’une difficulté, c’est d’inspirer assez de désintéressement aux deux autres provinces de la colonie, pour les faire concourir à cet acte de justice envers celle du Sud. Mais, Monsieur, ne perdez pas de vue cette image agréable, — que la colonie ne forme qu’une famille composée de trois individus ; n’oubliez point que pendant la minorité de la cadette des filles, les tuteurs ont employé tous les revenus à doter les aînées ; aujourd’hui cette dernière a atteint sa majorité : avant qu’elle le demande, que les deux premières lui offrent un dédommagement qui lui fasse oublier l’abandon dans lequel on l’a laissée, et le peu de soins donnés à son éducation ; remarquez qu’elle s’est aperçue que depuis longtemps elle a très-peu participé aux revenus communs, et par un acte tel que celui que je vous propose, faites-lui oublier ses prétentions ou ses droits ; évitez la scission ; que les trois sœurs restent unies, qu’elles ne fassent qu’une maison, qu’un ensemble étroitement lié, et gémissez avec moi sur la colonie, si la dissension s’établissait, et si chacune d’elles voulait régir ses biens à sa manière. »


Suivant les états publiés par M. de Marbois, les principaux établissemens de Saint-Domingue présentaient, au 1er janvier 1789 :

451 habitations produisant 70 millions de livres pesant de sucre blanc.
341 » 93 » de sucre brut.
2810 » 68 » de café.
705 » 6 » de coton.
3097 » 1 » d’indigo.

Nous présentons ces chiffres de la production en nombre rond, en négligeant les autres produits.

La valeur totale des terres, bâtimens, plantations, etc., s’élevait à 1,500 millions de livres des colonies, valant un milliard de livres tournois.

La valeur totale des produits exportés de la colonie, s’élevait à 193 millions.

Celle des marchandises reçues de la métropole et des pays étrangers, particulièrement des États-Unis, montait à 200 millions.

Ce mouvement commercial occupait plus de 700 navires nationaux et autant de navires étrangers, mais ceux-ci d’un tonnage moindre que les premiers.

Les recettes diverses de la colonie, classées en différens chapitres, montaient à près de 15 millions de livres ou 10 millions de francs, sur les quelles les droits d’octroi ou d’exportation des denrées, s’élevaient à 7 millions de livres.

Les dépenses générales étaient de 13 millions de livres.

Il était dû aux diverses caisses de la colonie, par les agens comptables retardataires, environ 9 millions de livres, et cet exercice de 1788 laissait à la disposition du trésor une somme de plus d’un million en réserve.

Lorsque M. Barbé de Marbois prit charge, en novembre 1785, les comptables devaient plus de 15 millions de livres : le désordre le plus complet régnait dans cette partie de l’administration coloniale. Cet homme éclairé, intègre et d’une fermeté inébranlable, réussit à débrouiller ce chaos, en contraignant les agens infidèles à rendre leurs comptes et à verser une portion notable de ce qu’ils devaient. Il put ainsi acquitter toutes les dettes de la colonie et payer tous les achats et les services divers au comptant, après avoir construit une foule d’édifices publics, élevé des monumens dans l’intérêt général. Mais il devint odieux à la plupart des comptables et à ceux qui profitaient de leur mauvaise gestion. Sa rigidité si louable, autant que la réunion des deux conseils supérieurs en un seul, contribua à lui valoir cette haine de la part des colons, ceux du Nord surtout, qui l’obligèrent à quitter Saint-Domingue.

Les corps populaires, municipalités, assemblées provinciales et assemblées coloniales, qui s’emparèrent alors de la direction des affaires, ne tardèrent pas à occasionner un gaspillage affreux des deniers publics. En septembre 1792, après trois années d’agitations et de troubles, il avait été déjà tiré, sur la métropole, des traites pour la valeur de 60 millions de livres.

On conçoit facilement que les événemens si graves qui s’accomplirent durant la période révolutionnaire, étaient peu propres à inspirer de l’intégrité aux administrateurs financiers de la colonie. La plupart d’entre eux s’en esquivèrent sans rendre aucun compte.


Ces données économiques nous suggèrent diverses observations.

D’abord, une chose qui frappe au premier coup-d’œil, c’est la disproportion qui existait dans la classe blanche, entre les hommes et les femmes, de même que parmi les esclaves, tandis que les deux sexes étaient presqu’en nombre égal dans la classe des affranchis : de là l’accroissement rapide de cette dernière classe, puisque les blancs étaient obligés d’y prendre des compagnes ou des femmes noires esclaves dont les enfans, nés de cette habitude, augmentaient la classe intermédiaire. Et si le régime colonial n’avait pas défendu et avili l’union légitime des blancs avec les femmes de la race noire, cette classe se serait accrue davantage ; car on sait toute l’influence du mariage sur la population. C’est ce résultat prévu qui y mit obstacle, indépendamment du préjugé : système qui condamne également les vues étroites et l’injustice du gouvernement de la métropole, et la jalousie et l’égoïsme des colons. Et quant aux esclaves, on sait que la cause de l’inégalité entre les deux sexes était dans l’insatiable désir des colons de produire une plus grande quantité des denrées cultivées dans les colonies, les hommes introduits par la traite y étant plus propres que les femmes.

En second lieu, nous remarquons que l’immense production de la partie du Nord, ses richesses, sa population agglomérée sur une surface plus circonscrite, y ayant occasionné une plus grande sociabilité et plus de politesse que dans l’Ouest et le Sud, et excité une rivalité de la part de ces deux provinces, le germe des dissensions intestines que nous verrons éclater plus tard se trouvait dans cette disposition des esprits, parmi la population blanche d’abord, et ensuite dans la population colorée, par l’effet naturel des traditions locales.

Qu’on ne croie pas, cependant, que le Nord fût exempt lui-même de jalousie contre l’Ouest et le Sud. Ce sentiment naquit à la fondation du Port-au-Prince, ville créée pour être la capitale de la colonie, à cause de sa position centrale ; elle devint dès lors le siège du gouvernement, jadis fixé au Cap, bien que le Petit-Goave et Léogane eussent eu tour à tour le nom de capitale, avant l’établissement du Port-au-Prince. Ni l’une ni l’autre de ces petites villes de l’Ouest ne pouvaient avoir l’avenir de prospérité qu’offrait le Port-au-Prince, par sa proximité de la riche plaine du Cul-de-Sac : de là cette jalousie du Cap et de tout le Nord. Et la preuve de cette assertion, c’est que si, par des considérations qui tenaient à la défense militaire de la colonie, les gouverneurs généraux devaient habiter le Cap en temps de guerre maritime, il leur était néanmoins enjoint, recommandé par l’autorité ministérielle, d’y passer au moins quatre mois dans l’année pendant la paix[3]. La jalousie du Nord était la cause de ces instructions. Elle éclata plus particulièrement à la suppression de son conseil supérieur dont les membres, riches et influens sur l’opinion, étaient obligés d’aller siéger au Port-au-Prince : disposition absurde que prit le gouvernement royal, alors que la prospérité de la colonie eût dû faire sentir, au contraire, la nécessité de la création d’un nouveau conseil supérieur aux Cayes, pour rapprocher la justice des administrés.

La jalousie du Sud contre le Nord, étendue contre l’Ouest trouva un nouvel aliment dans les plaintes des habitans du Cap à l’égard du Port-au-Prince. Chacune de ces trois provinces en était arrivée au point de considérer, qu’elles avaient pour ainsi dire des intérêts distincts, oubliant alors que Saint-Domingue, colonie française, était nécessairement soumis à cette loi, à ce principe d’unité qui a constitué la force de sa métropole. Cette fermentation des esprits était arrivée à son apogée, lorsque survinrent en France les premiers troubles révolutionnaires. La formation de l’assemblée générale de Saint-Marc, composée des planteurs les plus influens, contribua à arrêter ce mouvement désordonné des esprits. Mais ce fut aux dépens de la métropole que cette assemblée reconstitua l’union entre les trois provinces de la colonie. Sous prétexte de la réforme des abus du gouvernement colonial, elle ne visait qu’à la direction politique de Saint-Domingue en dehors de toute influence de la métropole, et même à son indépendance de la France, à l’instar des anciennes colonies anglaises de l’Amérique septentrionale.

Dès ses premiers pas dans cette voie, elle heurta tous ceux qui profitaient des abus de l’ancien régime. L’assemblée provinciale du Nord, siégeant au Cap, étant composée principalement des gens de justice, des employés du gouvernement et des commerçans, fut effrayée des tendances des planteurs. Par une lettre du 24 décembre 1789, elle les avait bien excités à prendre une position indépendante de l’assemblée nationale constituante ; mais elle ne sut aucun gré à l’assemblée générale de prétendre à réformer les abus existans dans l’ordre judiciaire, dans l’administration des finances ; ou plutôt, elle comprit que les planteurs ne justifieraient point leurs prétentions à cet égard. Une scission éclata entre ces deux corps populaires. Le gouvernement colonial saisit habilement cette circonstance et appuya l’assemblée provinciale du Cap. Celles de l’Ouest et du Sud, où dominaient d’autres planteurs, se dévouèrent entièrement aux vues de l’assemblée générale qui, croyant à la puissance de cet appui, ne mit aucune borne à ses prétentions.

De ce conflit, de cette division des esprits, résultèrent des mesures militaires de la part du gouvernement colonial, pour appuyer la dissolution de l’assemblée générale qu’il ordonna. Une simple démonstration suffit pour porter 85 de ses membres à s’embarquer pour se rendre en France et former leurs plaintes à l’assemblée nationale constituante.

Mais avant de se dissoudre, l’assemblée générale avait fait un appel à tous les habitans propriétaires. Ce furent ceux du Sud surtout qui se hâtèrent d’y répondre, en se confédérant avec quelques paroisses de l’Ouest, en se portant en armes jusqu’à Léogane, où ils apprirent le départ des membres de l’assemblée générale. De là, ils notifièrent au gouverneur, comte de Peinier, une sorte de protestation formulée en articles, contenant leurs conditions et leurs réserves. La modération de cet officier général, appuyée toutefois de la menace qu’il leur fit de diriger des forces contre eux, les porta à dissoudre leur armée ; mais ils maintinrent le principe de leur confédération.

En remontant aux premiers temps de la colonie, on pourrait expliquer cette facilité, cette promptitude à s’armer, à se révolter contre le gouvernement colonial, de la part des habitans de ces localités, par les précédens qui eurent lieu lors de la révolte contre la compagnie monopoleuse des Indes, et à propos de la formation des milices, sous le prince de Rohan.

Eh bien ! en observant encore le cours des événemens, ne voit-on pas naître de cette idée de confédération armée, dite de Léogane, le conseil de sûreté et d’exécution de la Grande-Anse, vraie confédération armée entre les paroisses de cette partie du Sud, organisée contre l’autorité nationale, suivant les erremens des planteurs de l’assemblée générale de Saint-Marc, et livrant la ville de Jérémie aux Anglais, en 1793[4] ?

Veut-on une preuve de plus, de l’influence des traditions locales ? Nous allons la fournir.

À ce sujet, on peut certainement ajouter aux observations de Moreau de Saint-Méry, sur les noirs de la partie du Nord, qu’il représente comme plus industrieux que ceux du reste de l’ancienne colonie, et mieux traités par les colons, que ces hommes participaient réellement de la sociabilité, de la politesse des blancs. Cela résultait aussi de ce que le Nord ayant été établi plus tôt que les deux autres provinces, la richesse des colons y étant plus grande, le commerce plus florissant, il s’ensuivit que les filles des planteurs furent recherchées en mariage, dans la métropole comme dans la colonie, par un grand nombre de nobles, chefs de ces familles considérables qui possédaient les plus belles propriétés de cette province. Le ton, les manières distinguées de ces nobles, leur luxe, leur politesse s’étendirent des maîtres aux esclaves, et furent encore plus imités par la classe plus éclairée des affranchis. De là ce ton, ces manières aristocratiques qu’on a toujours remarquées parmi les hommes du Nord, et qu’on a vues influer sur le gouvernement de Toussaint Louverture, sur celui de Henri Christophe surtout. Ces habitudes ont même exercé leur empire sur l’organisation de la révolte des esclaves du Nord, placés sous le commandement de Jean François et de Biassou. Ces deux chefs prirent des titres fastueux, se décorèrent de cordons, de croix de Saint-Louis, excités encore à ces étrangetés par les contre-révolutionnaires français et par les agens du gouvernement espagnol. Ogé acheta en France une croix de l’ordre de mérite du Lion de Limbourg, pour simuler celle des chevaliers de Saint-Louis.

Avant la révolution coloniale, on citait avec raison une foule de noirs parmi les affranchis du Nord, chefs de familles respectables, presque toutes liées en légitime mariage, offrant des sujets distingués, des hommes éclairés, ayant de la représentation, de la dignité dans les manières comme de la régularité dans les mœurs, mais ayant aussi des inclinations aristocratiques. M. de Saint-Méry parle avec éloge de plusieurs d’entre eux qui, à des titres différens, méritèrent toujours la considération publique même de la part des blancs. Il cite nommément deux noirs, Vincent Ollivier et Étienne Auba, qui, étant devenus capitaines des milices de leur couleur, dans les paroisses qu’ils habitaient, eurent la faculté de porter l’épée du roi (sic) jusqu’à leur mort arrivée à un âge avancé, et obtinrent même une pension viagère sur les fonds coloniaux[5]. Ces exemples vivans d’une respectabilité acquise par une conduite honorable, contribuèrent beaucoup à la pureté des mœurs que nous venons de signaler.

Mais dans l’Ouest et dans le Sud, où l’aristocratie des blancs avait moins de représentans, où les mulâtres étaient plus nombreux, c’est dans cette classe qu’on remarquait des hommes plus éclairés, des familles respectables par leurs mœurs, étant la plupart mariées comme les affranchis du Nord. Ce sont ces familles qui envoyaient le plus d’enfans en France pour recevoir une éducation libérale. Qu’on ne s’attende pas à trouver, dans l’ouvrage de M. de Saint-Méry, la mention de ces individus. Par tout ce que nous avons dit de ce colon à la couleur douteuse (selon l’assertion de Clavière), agissant contre cette classe en France, on concevra facilement les motifs de son silence à cet égard. Il n’a fait que deux exceptions : celle de Lasneau que nous avons déjà citée, et en parlant de Julien Raymond, qui était habitant d’Aquin[6]. Il se garde, par exemple, de citer, entre beaucoup d’autres, ce Guillaume Labadie, vieillard septuagénaire, que des colons tentèrent de tuer, huit jours après avoir tranché la tête de Ferrand de Baudières. Guillaume Labadie, dans l’ancien régime même, était surnommé le Vénérable, à cause de la pureté de ses mœurs, de ses lumières[7], et de son hospitalité généreuse envers les petits blancs. Il avait été officier de milice vers le milieu du xviiie siècle ; il se vit retirer son brevet et interdire la faculté de porter l’épée du roi, tandis que dans le Nord, le gouvernement colonial l’autorisait avec raison, avec justice, en faveur de deux noirs. Dans la même année 1768, où cette injustice fut commise envers Labadie, elle eut également lieu envers Jacques Boury, Jacques Delaunay, Davesne et plusieurs autres hommes de couleur qui avaient été, comme eux, officiers de milice.

Si, dans le Nord, les affranchis subissaient l’empire des idées aristocratiques, dans l’Ouest et dans le Sud, ils subissaient celui des idées démocratiques que beaucoup d’entre eux avaient puisées dans leur éducation en Europe. C’étaient d’ailleurs les seules idées qui fussent conciliables avec leurs justes prétentions de parvenir à l’égalité des droits politiques dont jouissaient les blancs. Ils se pénétrèrent des principes de la révolution française dont l’égalité était la base, comme source de toute justice. Les chefs qu’ils se choisirent au début de la révolution avaient été presque tous élevés en France : ils étaient imbus de ces principes, d’abord en faveur de leur classe, pour arriver ensuite graduellement au même résultat, en faveur des esclaves de toutes couleurs. Cette marche méthodique leur était commandée par leur position, par la nature des choses, par les conseils de la société des Amis des noirs, pour ne pas effrayer, ni la métropole dont l’appui leur paraissait nécessaire, ni les colons eux-mêmes dont les intérêts menacés eussent été un obstacle invincible, puisque ces intérêts semblaient être liés à ceux de la France, pour la prospérité de son commerce et de sa navigation.


De ces observations fondées sur les faits antérieurs à la révolution, passons à un examen rapide de la conduite respective de Rigaud, homme du Sud, et de Toussaint Louverture, homme du Nord.

Que voyons-nous de la part de l’un et de l’autre ?

À l’ancienneté de ses services dans la cause de la liberté, Rigaud avait réuni la mission de défendre la province du Sud contre les Anglais, sous le titre de gouverneur général. En l’autorisant encore, en l’excitant à arrêter Montbrun, gouverneur général de l’Ouest, Polvérel l’avait rendu en quelque sorte l’arbitre des événemens dans ces deux provinces : c’était du reste une nécessité des circonstances, quoiqu’il se fît un devoir de déférer aux ordres de Laveaux, officier européen, gouverneur général de Saint-Domingue. Mais Polvérel, dans sa méfiance contre Montbrun, et pour arriver à ce résultat, avait flatté inconsidérément, intentionnellement, la vanité et l’orgueil de Rigaud. Devenu simple général de brigade comme Bauvais, Toussaint Louverture et Villatte, mais toujours chargé de la défense du Sud, Rigaud s’est vu contraint de résister à l’injustice de Sonthonax qui, revenu en 1796 et par ressentiment contre les hommes de couleur en général, voulut le remplacer par Desfourneaux. Dans son étrange aveuglement, Sonthonax ayant élevé Toussaint Louverture, d’abord au grade de général de division, puis au rang de général en chef de l’armée coloniale, Rigaud, justement mécontent de cette partialité, s’est vu ensuite autorisé par Hédouville à désobéir à ce chef de l’armée. Pendant les dissensions qui s’en suivirent entre ces deux rivaux, également ambitieux, également méritans par leurs brillans succès contre les ennemis de la France, Rigaud a encore vu une partialité coupable de la part de Roume pour son concurrent.

Subissant alors, malgré lui, peut-être même à son insu, l’influence de la jalousie traditionnelle du Sud contre le Nord ; placé sous l’empire des principes démocratiques qui l’animaient, si Rigaud s’est cru légitimement autorisé à entrer en lutte avec son adversaire, Toussaint Louverture, à son tour, se prévalant avec raison de son titre de général en chef, n’a pas moins éprouvé l’impulsion des principes aristocratiques du Nord, des sentimens jaloux préexistans dans cette province contre les deux autres, alors qu’il avait encore des vues rétrogrades, liberticides : il faut le dire, parce qu’on pourra le prouver.

De là, la cause originelle, réelle, de cette guerre fratricide allumée entre eux, attisée encore, et par la haine implacable des colons et par la malveillance du Directoire exécutif contre la vraie population de Saint-Domingue. Guerre à jamais déplorable, inévitable peut-être, mais dont l’origine, la cause vraie, atteste l’influence des traditions locales sur les peuples.

Poursuivant nos observations, nous ferons remarquer qu’à une époque postérieure, on a encore vu Rigaud, échappé des mains de la police française et revenu dans son pays, réveiller la jalousie surannée du Sud contre l’Ouest : sentiment presque éteint par la transformation politique produite par l’indépendance d’Haïti et par l’administration de Pétion. Rigaud, toujours révolutionnaire, n’a pas reculé alors devant l’idée de prononcer la scission du Sud, du territoire soumis au Président de la République, malgré les funestes conséquences que cet événement pouvait avoir[8].

Enfin, plus tard encore, on a pu reconnaître une certaine influence de ces regrettables traditions locales, dans le mouvement révolutionnaire entrepris dans le Sud contre le gouvernement de Boyer ; et, après le renversement de ce chef, des troubles politiques renaissant sans cesse dans ce département[9].

On ne peut le nier, en effet : les populations subissent, sans le vouloir, sans s’en douter même, l’influence des habitudes, des mœurs, des idées, des principes, des sentimens, des traditions qui ont prévalu dans les localités qu’elles habitent. Elles agissent, pour ainsi dire, par instinct : il suffit de la moindre circonstance pour les entraîner à des résolutions souvent funestes.

Nous ne comprenons pas dans l’enumération des faits que nous citons ici de la part du Sud, l’insurrection commencée aux Cayes, dont le succès a occasionné la chute de Dessalines, parce que nous aurons à prouver que cette révolution eut pour moteur principal Henri Christophe lui-même qui en suggéra la pensée. Ce fait est acquis à l’histoire. C’est du Nord que sortit l’inspiration de cette prise d’armes.


En constatant donc les sentimens contraires, les principes opposés qui animaient les supériorités des deux classes colorées dans les trois anciennes divisions du pays, et la jalousie préexistante entre elles, on peut, selon nous, déduire avec justesse de cette opposition, l’antagonisme entre le système politique que suivait Toussaint Louverture et celui que suivait Rigaud : cause de la première guerre civile, accompagnée des autres motifs que nous venons de signaler ; et plus encore, l’antagonisme entre le système politique de H. Christophe et celui de Pétion, seule et unique cause de la seconde guerre civile qui se termina à la mort du premier de ces deux chefs.

C’est à tort que les étrangers ont cru voir dans ces deux guerres une querelle de castes, une lutte de couleurs : cette détestable question n’en fut point la cause réelle. Sans doute, ces mots de nègres, de mulâtres, ont été employés durant ces luttes désastreuses ; sans doute, des actes barbares ont donné lieu à égarer l’opinion des observateurs superficiels : des Haïtiens eux-mêmes, peu réfléchis, peu instruits des vrais motifs de ces dissensions intestines, l’ont cru aussi sur la foi des écrits publiés à ces époques reculées, surtout à l’étranger, sans songer que, de part et d’autre, les hommes des deux couleurs combattaient les uns contre les autres dans les rangs opposés, et qu’ils périrent également victimes de ces affreuses fureurs. Mais la vérité historique fondée sur des particularités incontestables fera justice de ces erreurs, accréditées absolument par l’ignorance des choses.


Résumons nos opinions, nées de l’observation consciencieuse des faits de notre histoire nationale.

Par tout ce que nous avons dit des habitans de chacune des anciennes divisions territoriales d’Haïti, de leurs dispositions respectives, des sentimens qui animaient ces hommes, des idées traditionnelles qui agissaient avec plus ou moins d’influence sur eux, on peut reconnaître que :

Dans le Nord, les principes aristocratiques dominaient : ils prédisposaient naturellement les populations à subir le joug du pouvoir absolu, du despotisme, qui veut toujours être obéi aveuglément : de là la tendance constante de cette partie à la soumission passive, malgré les lumières de ses habitans.

Dans le Sud, c’étaient les principes démocratiques ; mais avec un esprit d’agitation, ou, si l’on veut, d’opposition, dont la vivacité irréfléchie devait toujours disposer les populations à des mouvemens désordonnés, révolutionnaires.

Dans l’Ouest, c’étaient aussi les principes démocratiques ; mais éclairés, tempérés par la pratique du gouvernement qui y a presque toujours résidé. Le caractère propre aux populations de cette localité exige cependant, de la part des chefs, un esprit libéral, de la modération, un sentiment de justice pour toutes les parties de l’État, pour tous les individus, sinon ils excitent leur mécontentement.


De cette comparaison entre l’esprit des trois anciennes divisions du pays, résulte encore l’explication de ce fait capital :

Que l’Ouest, par son tempérament, par ses idées, par ses principes modérés, peut-être plus en harmonie avec les besoins réels de la société haïtienne, par sa position centrale, par ses ressources, a exercé et exercera toujours une grande influence sur les destinées de cette jeune nation dont le génie politique de Pétion a préparé l’avenir.

Ce grand citoyen avait reconnu que toutes les classes de la population générale du pays, depuis 1791, ont constamment voulu posséder la liberté et l’égalité. Il avait pensé qu’en fondant le gouvernement républicain, il pourrait mieux leur en assurer la jouissance.

C’est certainement à ce système politique, à son administration libérale, que l’Ouest est redevable de son influence et des succès éclatans qui firent de la République d’Haïti un État paisible durant trente ans. Car, Pétion avait jeté les bases de ces succès par sa modération habituelle, surtout dans la pacification du Sud, après la mort de Rigaud.

Boyer, son successeur immédiat, continua le même système et acheva l’œuvre qu’il avait commencée. L’extinction de l’insurrection de la Grande-Anse, la réunion du Nord après la chute de H. Christophe, la réunion del’Est, opérée aussi pacifiquement, constituèrent l’unité politique d’Haïti par l’unité territoriale. La pensée des héros de l’indépendance nationale fut réalisée en 1822. Leur glorieuse entreprise reçut enfin sa consécration définitive en 1838 : les usages du monde civilisé l’exigeaient ainsi.

C’est à la fin de ce gouvernement républicain qui, de 1807 à 1843, a rayonné successivement sur tout le territoire d’Haïti, que nous nous proposons d’arrêter nos études historiques, parce que là finit aussi la vie politique et militaire de l’homme dont la mémoire, chère à notre cœur, nous a fait prendre la plume.

Notre conclusion alors, nous pouvons le dire d’avance dans cette introduction, notre conclusion sera :

Que les Haïtiens doivent tirer de précieuses leçons de ce passé si plein de grands événemens ; qu’une mutuelle indulgence leur est commandée, afin de se préserver des erreurs, des fautes, des torts respectifs de leurs devanciers.

Non, ne les imitons pas sous ce rapport ! Soyons, restons toujours unis ! C’est le gage de notre force, c’est le secret d’être invincibles, c’est le moyen le plus sûr de parvenir à la prospérité et à la civilisation de notre pays.


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    pour la première, et 35,400 pour la seconde. Celui-ci avouait 509,600 esclaves, et l’autre, seulement 452,000. Le fait est que le gouvernement colonial dissimulait toujours la population des affranchis et des esclaves, pour ne pas donner aux hommes éclairés parmi eux l’occasion de connaître leur vrai nombre. La société des Amis des noirs a prétendu, au contraire, que la classe des affranchis comptait de 40 à 45 mille âmes, et en cela elle a été d’accord avec les mulâtres instruits des faits et avec des blancs raisonnables qui ont écrit sur la matière, notamment le général Pamphile de Lacroix. M. Lepelletier de Saint-Rémy avoue également qu’on accusait un chiffre volontairement erroné, et il s’accorde avec celui fourni par Moreau de Saint-Méry.

  1. Au chiffre admis par Moreau de Saint-Méry pour la population de couleur, on trouve 28,000 âmes, tandis qu’il accuse 40,000 âmes pour la population, blanche. L’intendant Marbois établissait pour la même année 1789, 26,600
  2. Depuis 1701, il y avait deux conseils supérieurs ou cours de justice souveraines, l’un au Cap, l’autre à Léogane, et de là au Port-au-Prince. En 1787, celui du Cap fut supprimé et réuni à l’autre, sous le titre de Conseil supérieur de Saint-Domingue. Quelques velléités d’indépendance de la part de celui du Cap, sous le gouvernement de MM. de la Luzerne et de Marbois, avaient occasionné cette mesure provoquée par eux, d’accord avec M. de Lamardelle, procureur général au Port-au-Prince : de là l’irritation des colons du Nord contre ces trois personnages. En janvier 1790, l’assemblée provinciale du Cap le rétablit par l’initiative révolutionnaire. Excités par les anciens magistrats, des blancs de cette ville s’étaient rendus au Port-au-Prince, dès le mois d’octobre 1789, pour arrêter MM. de Marbois et de Lamardelle, qui eurent le temps de s’enfuir en France. M. de la Luzerne était alors ministre de la marine et des colonies. Les colons le dénoncèrent ensuite à l’assemblée nationale constituante.
  3. Moreau de Saint-Méry, tome 1er, page 494.
  4. Voyez le 2e volume du Rapport de Garran, p. 517, sur la tendance du Sud à l’isolement.
  5. Vincent Ollivier mourut à la Grande-Rivière, à l’âge de 120 ans, et Étienne Auba, à l’âge de 98 ans. (Voyez M. de Saint-Méry, t. 1er, p. 179 et 224.) À cause de sa haute stature, Vincent Ollivier fut présenté à Louis XIV : il fit ensuite les guerres d’Allemagne, sous Villars.
  6. Tome 2. p. 618.
  7. « Cependant, dit Brissot, dans une note de sa lettre à Barnave, en 1790, on peut dire aux blancs qu’il existe à Saint-Domingue même des mulâtres très-instruits, et qui ne sont jamais sortis de cette île. Je peux leur citer, par exemple, M. Labadie, vieillard respectable, qui doit à ses travaux et son intelligence dans la culture une fortune immense. M. Labadie connaissait les sciences, l’astronomie, la physique, l’histoire ancienne et moderne, dans un temps où pas un blanc de la colonie n’était à l’A, B, C de ces sciences, etc.
  8. Dans un de ses actes, Rigaud disait aux citoyens de l’Ouest : « Ayez un sénat, si vous voulez ; mais que votre sénat soit celui de l’Ouest. Ayez un président, si vous voulez ; mais que votre président soit celui de l’Ouest, etc. »

    Si l’on a bien voulu croire que dans la lutte entre Rigaud et Toussaint Louverture, il y avait antipathie entre le mulâtre et le noir, qu’on explique, si l’on peut, la scission du Sud par les mêmes motifs : Rigaud et Pétion étaient tous deux mulâtres

  9. En entrant au Port-au Prince, en 1843. Charles Hérard aîné, chef d’exécution de l’armée populaire, disait : « Le gouvernement de la République est un gâteau à partager. » Ce citoyen du Sud exprimait ainsi la pensée-mère de cette révolution, du moins dans son esprit. Boyer et lui étaient deux mulâtres : ce n’était donc pas une question de couleur entre eux.

    À son tour, Acaau, chef des réclamations de ses concitoyens, terminait par se proposer de mettre en pratique la doctrine communiste du partage des propriétés : partage bien autrement dangereux que celui dont goûta le chef d’exécution. Acaau disait aussi : « Tout mulâtre qui ne possède rien est nègre ; tout nègre qui possède des propriétés est mulâtre. » Cet audacieux voulait donc faire la guerre à la propriété, et non pas à la couleur des propriétaires. En France, tout récemment, les communistes n’en voulaient pas à la couleur des propriétaires, mais à leurs biens. Tous les hommes ne sont-ils pas sujets aux mêmes erreurs, aux mêmes tentations ?