Épitaphe sur la mort de damoiselle Élisabeth Ranquet, femme de Nicolas du Chevreul, écuyer, sieur d’Esturville

Épitaphe sur la mort de damoiselle Élisabeth Ranquet, femme de Nicolas du Chevreul, écuyer, sieur d’Esturville
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 133-134).

XLIII

Épitaphe,
Sur la mort de damoiselle Élisabeth Ranquet
Femme de Nicolas du Chevreul, écuyer, sieur d’Esturville.
Sonnet.

Élisabeth Ranquet, née à Paris le 23 juin 1618, et inhumée le 7 avril 1654 dans l’église de Briquebec, s’est fait connaître par sa vertu et sa piété. Sa mère se nommait Marguerite Loret, et l’on pourrait supposer qu’elle était parente à quelque degré de l’auteur de la Muse historique, et que ce fut par lui que Corneille la connut et fut porté à écrire son épitaphe ; mais il n’est pas besoin de recourir à cette interprétation, car nous lisons dans la Vie de Damoiselle Élisabeth Ranquet, à Paris, chez Charles Savreux, M.DC.LV, in-12 : « Madame de Mercœur… aimoit singulièrement cette famille ;… elle désira que son petit-fils Monseigneur de Mercœur, et sa petite-fille Mademoiselle de Vandosme donnassent le nom à notre sainte. » On doit penser que ce fut sur l’invitation de ces illustres protecteurs de notre poëte que la pièce qu’on va lire fut composée. Elle parut d’abord, signée Corneille, au verso du quatrième feuillet de la biographie que nous venons de citer et dont l’Achevé d’imprimer est du 10 mai 1655 ; elle fut ensuite réimprimée en tête de quelques exemplaires d’Œdipe (voyez tome VI, p. 110), et reparut enfin en 1660, à la page 10 de la seconde édition de la Vie de damoiselle Ranquet. Dans la première, le titre, interverti, est ainsi rédigé : Sur la mort de Damoiselle Élisabeth Ranquet… Épitaphe. Le mot sonnet n’y figure pas.


Ne verse point de pleurs sur cette sépulture,
Passant : ce lit funèbre est un lit précieux,
Où gît d’un corps tout pur la cendre toute pure ;
Mais le zèle du cœur vit encore en ces lieux.
 

Avant que de payer le droit à la nature, 5
Son âme, s’élevant au delà de ses yeux[1],
Avoit au Créateur uni la créature ;
Et marchant sur la terre elle étoit dans les cieux.

Les pauvres bien mieux qu’elle ont senti sa richesse :
L’humilité, la peine étoient[2] son allégresse ; 10
Et son dernier soupir fut un soupir d’amour.

Passant, qu’à son exemple un beau feu te transporte,
Et loin de la pleurer d’avoir perdu le jour,
Crois qu’on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.


  1. Var. Son âme, s’élevant au-dessus de ses yeux. (1655)
  2. On lit étoit dans l’édition de 1655.