Émile Zola : sa vie, son œuvre/Lettre de Zola à l’auteur

Mercure de France (p. 5-6).
Paris 27 nov. 87 
  Mon cher Lepelletier,

Merci mille fois de votre article, qui me fait grand plaisir, car il comprend et il explique au moins. Mais que de choses j’aurais à vous répondre, à vous qui êtes un ami ! Il y a de la vigne à la lisière de la Beauce, les vignobles de Montigny, près desquels j’ai placé Rogues, sont superbes. Tous les noms que j’ai employés sauf celui de Rogues, sont beaucerons. Il n’est pas vrai que la fatigue soit contraire à Vénus : demander aux physiologistes. Si vous croyez que les paysans ne reproduisent que le dimanche et le lundi, je vous dirai d’y aller voir. La lutte politique dans les villages n’est point aussi âpre, ouvertement, que vous le pensez : tout s’y passe en manœuvres sourdes. Mes Charles sont copiés sur nature ; et puis, c’est vrai, eux et Jésus-Christ sont la fantaisie du livre. Est-ce qu’à l’ironie de la phrase vous n’avez pas compris que je me moquais ?

La vérité est que l’œuvre est déjà trop touffue, et qu’il y manque pourtant beaucoup de choses. C’est un danger de vouloir tout mettre, d’autant plus qu’on ne met jamais tout. Du reste, c’est là l’arrière-plan, car mon premier plan n’est fait que des Fouan, de Françoise et de Lise : la terre, l’amour, l’argent.

Merci encore, et bien cordialement à vous.

Émile Zola