Traduction par Pierre de Nolhac.
Garnier-Flammarion (p. 75).

LVI. — Que dirai-je des Gens de cour ? Il n’y a rien de plus rampant, de plus servile, de plus sot, de plus vil que la plupart d’entre eux, et ils n’en prétendent pas moins au premier rang partout. Sur un point seulement, ils sont très réservés ; satisfaits de mettre sur leur corps l’or, les pierreries, la pourpre et les divers emblèmes des vertus et de la sagesse, ils laissent de celles-ci la pratique à d’autres. Tout leur bonheur est d’avoir le droit d’appeler le roi « Sire », de savoir le saluer en trois paroles, de prodiguer des titres officiels où il est question de Sérénité, de Souveraineté, de Magnificence. Ils s’en barbouillent le museau, s’ébattent dans la flatterie ; tels sont les talents essentiels du noble et du courtisan.

Si vous y regardez de plus près, vous verrez qu’ils vivent comme de vrais Phéaciens, des prétendants de Pénélope ; vous connaissez la fin du vers qu’Écho vous dira mieux que moi. Ils dorment jusqu’à midi ; un petit prêtre à leurs gages, qui attend auprès du lit, leur expédie, à peine levés, une messe hâtive. Sitôt le déjeuner fini, le dîner les appelle. Puis ce sont les dés, les échecs, les devins, les bouffons, les filles, les amusements et les bavardages. Entre-temps, une ou deux collations ; puis on se remet à table pour le souper, qui est suivi de beuveries. De cette façon, sans risque d’ennui, s’écoulent les heures, les jours, les mois, les années, les siècles. Moi-même je quitte avec dégoût ces hauts personnages, qui se croient de la compagnie des Dieux et s’imaginent être plus près d’eux quand ils portent une traîne plus longue. Les grands jouent des coudes à l’envi pour se faire voir plus rapprochés de Jupiter, n’aspirant qu’à balancer à leur cou une chaîne plus lourde, étalant ainsi à la fois la force physique et l’opulence.