La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 47-49).

IX


À la mort de ceux même qu’on a le plus aimés, il est bien rare qu’on puisse se rendre ce doux et glorieux témoignage. Quand tous les torts, tous les manquements sont devenus à jamais irréparables, les meilleurs d’entre nous savent quels regrets amers s’élèvent dans l’âme.

Noble exception dans l’égoïste humanité, Mme  Seton avait été jusqu’au bout de ses forces dans le devoir et dans l’amour. Et les gens de la maison qu’elle habitait, émerveillés de son courage, de son dévouement sans bornes, s’écriaient naïvement : « Si elle n’était pas une hérétique, elle serait une sainte. »

Le corps de William Seton fut transporté à Livourne et tous les Américains et les Anglais qui s’y trouvaient assistèrent aux funérailles[1].

La famille Filicchi offrit l’hospitalité à Élisabeth. J’ai dit plus haut que Mme  Filippo était une Américaine[2]. Elle accueillit son infortunée compatriote comme une sœur, et Mme  Antonio ne se montra ni moins empressée, ni moins sympathique.

Mais les soins délicats dont Mme  Seton fut entourée la laissèrent d’abord comme inconsciente. Son âme était dans cet au-delà mystérieux, impénétrable où William venait de disparaître ; et, sous le coup de la séparation, elle ne savait plus que répéter : « Ô Dieu, vous êtes mon Dieu, et me voilà seule, seule avec vous, mon Dieu, et mes chers petits. »

« Comme il est difficile, disait Alexandrine de la Ferronnays, de s’accoutumer à penser que l’amour, le bonheur et la jeunesse, l’avenir sur terre, que tout cela est fini, que toutes les espérances, tous les rêves de félicité terrestre sont à tout jamais anéantis ! »

On le comprenait autour d’Élisabeth, et pour l’arracher à son accablement les Filicchi l’emmenèrent à Florence. Au sortir du lazaret, Mme  Seton fut logée dans un palais des Médicis ; les splendeurs de l’art lui apparurent pour la première fois, et le 8 janvier qui était un dimanche, Mme  Antonio lui proposa de l’accompagner à la chapelle della Santissima Annunziata.

Jamais encore Mme  Seton n’avait assisté à la messe, jamais elle n’était entrée dans un temple catholique. Saisie d’un respect inexprimable, elle tomba à genoux et sans souci de ce qu’en pourraient penser ceux qui l’entouraient, elle pleura longtemps, mais avec un avant-goût du ciel.

On lui fit visiter les jardins, les palais, les musées ; et encore qu’elle eût très vif le sentiment de toutes les beautés, rien ne la toucha. « Il m’était impossible, disait-elle, de regarder et de ne pas penser, et chaque pensée était au fond de mon âme comme un sanglot. »

La petite Anna partageait les promenades et les jeux des quatre enfants d’Antonio Filicchi. Mais cette vie charmante ne lui faisait pas oublier son père et lorsqu’elle récitait avec sa mère les prières qu’ils avaient coutume de dire ensemble au lazaret, elle pleurait toujours abondamment : « Mon cher papa loue Dieu dans le ciel et je ne devrais pas pleurer, dit-elle un soir, mais je crois que cela est bien naturel, n’est-ce pas, maman ? Je pense à cette parole de David : J’irai vers lui, s’il ne peut revenir vers moi. »

Après quelques jours passés à Florence, les luttes d’Élisabeth la ramenèrent à Livourne : “Les Filicchi font tout ce qu’ils peuvent pour adoucir ma situation ; on dirait qu’ils croient n’en pouvoir jamais assez faire, écrivait-elle à sa famille. Vraiment, depuis que nous avons quitté notre pays, nous n’avons rencontré que bonté, empressement, même de la part des étrangers et des serviteurs. Ici, à Livourne, les souffrances et la mort de mon mari ont inspiré pour nous tant d’intérêt à un grand nombre de personnes, que de tout côté c’est à qui cherche à nous consoler, à nous entourer de soins. Quand je considère ma situation si incertaine maintenant et si dépourvue de ressource au point de vue de ce monde, je ne puis m’empêcher de sourire à leur tendresse et à leur bonté. La petite Anna me dit souvent : « Maman, que d’amis Dieu avait préparés pour nous dans ce pays étranger ! car ils sont pour nous des amis, même avant de nous connaître. » Elle dit vrai ; et moi, je dis en mon cœur : quelle consolation Dieu m’a préparée, quand il m’a donné une pareille enfant ! Je préfère sa conversation à toutes celles que je puis avoir de ce côté-ci du tombeau. »

  1. La tombe de William Magee Seton se voit encore dans l’ancien cimetière protestant, quartier del Casone via degli Elisi.
  2. Maria Cowper, de Boston.