Égalité des hommes et des femmes (1622)


EGALITÉ
DES
HOMMES ET
DES FEMMES.


A LA REYNE.




M.   DC.   XXII.


Je n’ai rencontré jusqu’à ce jour que deux exemplaires de ce livre inconnu à mon ami Weiss qui l’a mentionné sur oui dire dans la biographie universelle.

Le présent exemplaire contient à la fin deux feuillets de plus que l’autre. L’imprimeur a voulu remplir la feuille et le propriétaire de l’autre exemplaire a retranché ces feuillets qu’il aura regardés comme un hors d’Œuvre.


Avril, 1860


Dr JF Payen

A LA REYNE.


M
ADAME,

Ceux qui s’aduiſerent de donner vn Soleil pour deuiſe au Roy voſtre Pere, auec ce mot, Il n’a point d’Occident pour moy, firent plus qu’ils ne penſoient : parce qu’en repreſentans ſa grandeur qui voit preſque touſiours ce Prince des Aſtres ſur quelqu’vne de ſes terres, ſans interuale de nuiet ; ils rendirent la deuiſe hereditaire en voſtre Majeſte, preſageans vos vertus, & de plus, la beatitude des François ſous voſtre Auguſte preſence. C’eſt diſie chez voſtre Majeſté, Madame, que la lumiere des Vertus n’aura point d’Occident, ny cõſequemment l’heur & la felicitè de nos Peuples qu’elles eſclairerot. Or comme vous eſtes en l’Orient de voſtre aage & de vos vertus enſemble, Madame, daignez prendre courage d’arriuer en meſme point au midy de luy & d’elles, ie dis de celles qui ne peuuent meurir que par temps & culture : car il en eſt quelques vnes des plus recommendables, entre autres la Religion, la charitè vers les pauures, la chaſteté & l’amour coniugale, dont vous auez touché le midy dés le matin. Mais certes il faut le courage requis à cet effort auſsi grand & puiſſant que voſtre Royauté, pour grande & puiſſante qu’elle ſoit : les Roys eſtãt battus de ce malheur, que la peſte infernale des flatteurs qui ſe gliſſent dans les Palais, leur rend la vertu & la clairvoyance ſa guide & ſa nourrice, d’vn accez infiniment plus difficile qu’aux inferieurs. Ie neſcay qu’vn ſeur moyen à vous faire eſperer, d’atteindre ces deux midys en meſme inſtant : c’eſt qu’il plaiſe à V. M. ſe ietter viuement ſur les bons liures de prudence & de mœurs : car außi toſt qu’vn Prince s’eſt releué l’eſprit par cet exercice, les flatteurs ſe trouuans les moins fins ne s’oſent plus iouër à luy. Et ne peuuent communemẽt les Puiſſans & les Roys receuoir inſtruction opportune que des mors : parce que les viuans eſtans partis en deux bandes, les foux & meſchans, c’eſt à dire ces flateurs dont eſt queſtion, ne ſçauent ny veulent bien dire pres d’eux ; les ſages & gens de bien peuuent & veulent, mais ils n’oſent. C’eſt en la vertu certes, Madame, qu’il faut que les perſonnes de voſtre rang cherchent la vraye hauteſſe & la Couronne des Couronnes : d’autant qu’ils ont puiſſance & non droit de violer les loix & l’equité, & qu’ils trouuent autant de peril & plus de honte que les autres hommes à faire ce coup. Außi nous apprend vn grand Roy luy meſme, que toute la gloire de la fille du Roy eſt par dedans. Quelle eſt cependant ma ruſticité, tous autres abordent leurs Princes & Roys en adorant & loüant, i’oſe aborder ma Reyne en preſchant ? Pardonnez neantmoins à mon zele, Madame, qui meurt d’enuie d’ouyr la France crier ce mot, auec applaudiſſement, La lumiere n’a point d’Occident pour moy par tout où paſſera voſtre Maiesté nouueau Soleil des vertus : & d’enuie encore de tirer d’elle, ainſi que i’espere de ſes dignes commencemens, vne des plus fortes preuues du Traictè que i’offre à ſes pieds, pour maintenir l’egalité des hommes & des femmes. Et non ſeulement veu la grandeur vnique qui vous eſt acquiſe par naiſſance & par mariage, vous ſeruirez de miroir au ſexe & de ſuiet d’emulation aux hommes encore, en l’eſtẽduë de l’Vniuers, ſi vous vous esleuez du prix & merite que ie vo9 propoſe : mais außi toſt, Madame, que vous aurez pris reſolution de vouloir luyre de ce bel & precieux eſclat, on croira que tout le meſme ſexe eſclaire en la ſplendeur de vos rayons. Ie ſuis de voſtre Maieſté


MADAME,


Tres-humble & Tres-obeiſſante ſeruante & ſubjecte.
Govrnay.

EGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES.



LA pluſpart de ceux qui prennet la cauſe, des femmes, contre cette orgueilleuſe preferance que les hommes s’attribuent, leur rendent le change entier : r’enuoyans la preferance vers elles. Moy qui fuys toutes extremitez, ie me contente de les eſgaler aux hommes : la nature s’oppoſant pour ce regard autant à la ſuperiorité qu’à l’inferiorité. Que diſ-je, il ne ſuffit pas à quelques gens de leur preferer le ſexe maſculin, s’ils ne les confinoient encores d’vn arreſt irrefragable & neceſſaire à la quenoüille, ouy meſme à la quenouille ſeule. Mais ce qui les peut conſoler contre ce meſpris, c’eſt qu’il ne ſe faict que par ceux d’entre les hommes auſquels elles voudroient moins reſſembler : perſonnes à donner vray ſemblance aux reproches qu’on pourroit voſmir ſur le ſexe feminin, s’ils en eſtoient, & qui ſentent en leur cœur ne ſe pouuoir recommãder que par le credit de l’autre. D’autant qu’ils ont ouy trompetter par les ruës, que les femmes manquent de dignité, manquent auſſi de ſuffiſance, voire du temperament & des organes pour arriuer à cette-cy, leur eloquence triomphe à preſcher ces maximes : & tant plus opulemment, de ce que, dignité, ſuffiſance, organes & temperament ſont beaux mots : n’ayans pas appris d’autre part, que la premiere qualité d’vn mal habill’homme, c’eſt de cautionner les choſes ſoubs la foy populaire & par ouyr dire. Voyez tels eſprits comparer ces deux ſexes : la plus haute ſuffiſance à leur aduis où les femmes puiſſent arriuer, c’eſt de reſſembler le commun des hommes : autant eſlongnez d’imaginer, qu’vne grande femme ſe peuſt dire grandhomme, le ſexe chãgé, que de conſentir qu’vn homme ſe peuſt eſleuer à l’eſtage d’vn Dieu. Gens plus braues qu’Hercules vrayement, qui ne desfit que douze monſtres en douze combats ; tandis que d’vne ſeule parolle ils desfont la moitié du Monde. Qui croira cependant, que ceux qui ſe ueulent eſleuer & fortifier de la foibleſſe d’autruy, ſe puiſſent eſleuer ou fortifier de leur propre force ? Et le bon eſt, qu’ils penſent eſtre quittes de leur effronterie à vilipender ce ſexe, vſants d’vne effronterie pareille à ſe loüer & ſe dorer eux meſmes, ie dis par fois en particulier comme en general, voire à quelque tort que ce ſoit : comme ſi la verité de leur vãterie receuoit meſure & qualité de ſon impudence. Et Dieu ſçait ſi ie congnois de ces ioyeux vanteurs, & dont les vanteries ſont tantoſt paſſées en prouerbe, entre les plus eſchauffez au meſpris des femmes. Mais quoy, s’ils prennent droict d’eſtre galans & ſuffiſans hommes, de ce qu’ils ſe declarent tels cõme par Edict ; pourquoy n’abeſtiront ils les femmes par le contrepied d’vn autre Edict ? Et ſi ie iuge bien, ſoit de la dignité, ſoit de la capacité des dames, ie ne pretends pas à cette heure de le prouuer par raiſons, puiſque les opiniaſtres les pouroient debattre, ny par exemples, d’autant qu’ils font trop cõmuns ; ains ſeulement par l’aucthorité de Dieu meſme, des arcſboutans de ſon Egliſe & de ces grands hommes qui ont ſeruy de lumiere à l’Vniuers. Rengeons ces glorieux teſmoins en teſte, & reſeruons Dieu, puis les Saincts Peres de ſon Egliſe, au fonds, comme le treſor.

Platon à qui nul n’a debattu le tiltre de diuin, & conſequemment Socrates ſon interprete & Protecole en ſes Eſcripts ; (s’il n’eſt là meſme celuy de Socrates, ſon plus diuin Precepteur) leur aſſignent meſmes droicts, facultez & functions, en leurs Republiques & par tout ailleurs. Les maintiennent, en outre, auoir ſurpaſſé maintefois tous les hommes de leur Patrie : comme en effect elles ont inuenté partie des plus beaux arts, ont excellé, voire enſeigné cathedralement & ſouuerainement ſur tous les hommes en toutes ſortes de perfections & vertus, dans les plus ſameuſes villes antiques entre autres Alexandrie, premiere de l’Empire apresHypathia. Rome. Dont il eſt arriué que ces deux Philoſophes, miracles de Nature, ont creu dõner plus de luſtre à des diſcours de grand poix, s’ils les prononçoient en leurs liures par la bouche de Diotime & d’Aſpaſie : Diotime que ce dernier ne craint point d’appeller ſa maiſtreſſe & Preceptrice, en quelques vnes des plus hautes ſciences, luy Precepteur & maiſtre du genre humain. Ce que Theodoret releue ſi volontiers en l’Oraiſon de la Foy, ce me ſemble ; qu’il paroiſt bien que l’opinion fauorable au ſexe luy eſtoit fort plauſible. Apres tous ces teſmoignages de Socrates, ſur le faict des dames ; on void aſſez que s’il lache quelque mot au Sympoſe de Xenophon contre leur prudence, à compairaiſon de celle des hommes, il les regarde ſelon l’ignorance & l’inexperience où elles ſont nourries, ou bien au pis aller en general, laiſſant lieu frequent & ſpatieux aux exceptions : à quoy les deuiſeurs dont eſt queſtion ne s’entendent point.

Que ſi les dames arriuẽt moins ſouuẽt que les hõmes, aux degrez d’excellence, c’eſt merueille que le deffaut de bonne inſtructiŏ, voire l’affluẽce de la mauuaiſe expreſſe & profeſſoire ne face pis, les gardant d’y pouuoir arriuer du tout. Se trouue til plus de difference des hommes à elles que d’elles à elles meſmes, ſelon l’inſtitution qu’elles ont prinſe, ſelon qu’elles ſont eſleuées en ville ou village, ou ſelon les Nations ? Et pourquoy leur inſtitution ou nourriture aux affaires & Lettres à l’egal des hommes, ne rempliroit elle ce vuide, qui paroiſt ordinairement entre les teſtes des meſmes hommes & les leurs : puis que la nourriture eſt de telle importance qu’vn de ſes membres ſeulement, c’eſt à dire le commerce du monde, abondant aux Françoiſes & aux Angloiſes, & manquant aux Italiennes, celles cy ſont de gros en gros de ſi loing ſurpaſſées par celles là ? Ie dis de gros en gros, car en detail les dames d’Italie triumphent par fois : & nous en auons tiré deux Reynes à la prudence deſquelles la France a trop d’obligation. Pourquoy vrayment la nourriture ne frapperoit elle ce coup, de remplir la diſtance qui ſe void entre les entendemens des hommes & des femmes ; veu qu’en cet exemple icy le moins ſurmonte le plus, par l’aſſiſtance d’vne ſeule de ſes parcelles, ie dis ce cõmerce & conuerſatiõ : l’air des Italiẽnes eſtant plus ſubtil & propre à ſubtilizer les eſprits, comme il paroiſt en ceux de leurs hommes, confrontez communement contre ceux là des François & des Anglois ? Plutarque au Traicté des vertueux faicts des femmes maintient ; que la vertu de l’homme & de la femme eſt meſme choſe. Seneque d’autre part publie aux Conſolations ; qu’il faut croire que la Nature n’a point traicté les dames ingratement, ou reſtrainct & racourcy leurs vertus & leurs eſprits, plus que les vertus & les eſprits des hõmes : mais qu’elle les a doüées de pareille vigueur & de pareille faculté à toute choſe honeſte & loüable. Voyons ce qu’en iuge apres ces deux, le tiers chef du Triũuirat de la ſageſſe humaine & morale en ſes Eſſais. Il luy ſemble, dit il, & ſi ne ſçait pourquoy, qu’il ſe trouue rarement des femmes dignes de commander aux hommes. N’eſt ce pas les mettre en particulier à l’egale contrebalance des hommes, & confeſſer, que s’il ne les y met en general il craint d’auoir tort : bien qu’il peuſt excuſer ſa reſtrinction, ſur la pauure & diſgraciée nourriture de ce ſexe. N’oubliant pas au reſte d’alleguer & releuer en autre lieu de ſon meſme liure, cette authorité que Platon leur depart en ſa Republique & qu’Anthiſtenes nioit toute difference au talent & en la vertu des deux ſexes. Quant au Philoſophe Ariſtote, puiſque remuant Ciel & terre, il n’a point contredit en gros, que ie ſcache, l’opinion qui fauoriſe les dames, il l’a confirmée : s’en rapportant, sans doubte, aux ſentences de ſon pere & grand pere ſpirituels, Socrates & Platõ, comme à choſe conſtante & fixe ſoubs le credit de tels perſonnages : par la bouche deſquels il faut aduoüer que le genre humain tout entier, & la raiſon meſme, ont prononcé leur arreſt. Eſt il Eraſme Epiſt : & Colloq. Politia : Epiſt. Agripa Precel : du ſexe feminin Courtizan.beſoing d’alleguer infinis autres anciens & modernes de nom illuſtre, ou parmy ces derniers, Eraſme, Politien, Agripa, ny cet honneſte & pertinent Precepteur des courtizans : outre tant de fameux Poëtes ſi contrepoinctez tous enſemble aux meſpriſeurs du ſexe feminin, & ſi partiſans de ſes aduantages aptitude & diſpoſition à tout office & tout exercice louable & digne ? Les dames en verité ſe conſolent, que ces deſcrieurs de leur merite ne ſe peuuent prouuer habiles gens, ſi tous ces eſprits le ſont : & qu’vn homme fin ne dira pas, encores qu’il le creuſt, que le merite & paſſedroit du ſexe feminin tire court, pres celuy du maſculin ; iuſques à ce que par arreſt il ait faict declarer tous ceux là buffles, affin d’infirmer leur teſmoignage ſi contraire à tel decry. Et buffles faudroit il encores declarer des Peuples entiers & des plus ſublins, entre autres ceux de Smyrne en Tacitus : qui pour obtenir iadis à Rome preſſeãce de nobleſſe ſur leurs voiſins, allegoient eſtre deſcendus, ou de Tantalus fils de Iupiter ou de Theſeus petit fils de Neptune ou d’vne Amazone, laquelle par ce moyen ils contrepeſoient à ces Dieux. Pour le regard de la loy Salique, qui priue les femmes de la couronne, elle n’a lieu qu’en France. Et fut inuẽtée au temps de Pharamond, pour la ſeulle conſideration des guerres contre l’Empire duquel nos Peres ſecoüoient le ioug : le ſexe feminin eſtant vray ſemblablement d’vn corps moins propre aux armes, par la neceſſité du Hotman pour l’etymologie des Pairs : du Tillet & Math. Hiſtoire du Roy pour les Dames Rairreſſes.port & nourriture des enfans. Il faut rémarquer encores neantmoins, que les Pairs de France ayans eſté créez en premiere intention comme vne eſpece de perſonniers des Roys, ainſi que leur nom le declare : les dames Pairaiſſes de leur chef ont ſeance, priuilege & voix deliberatiue par tout où les Pairs en ont & de meſme eſtendue. Comme auſſi les Lacedemoniens ce braue & genereux Peuple, conſultoit de toutes affaires Plut.priuées & publiques auec ſes femmes. Bien a ſeruy cependant aux François, de trouuer l’inuention des Regentes, pour vn equiualent des Roys ; car ſans cela combien y a il que leur Eſtat fuſt par terre ? Nous ſçaurions bien dire auiourd’huy par eſpreuue, quelle neceſſité les minoritez des Roys ont de cette recepte. Les Germains ces belliqueux Peuples, dit Tacitus, qui apres plus de deux cens ans de guerre, furent pluſtoſt triumphéz que vaincus ; portoient dot à leurs femmes, non au rebours. Ils auoient au ſurplus des Nations, qui n’eſtoient iamais regies que par ce ſexe. Et quand Ænee preſente à Didon le ſceptre d’Ilione, les ſcoliaſtes diſent, que cela prouient, de ce que les dames filles aiſnées, telle qu’eſtoit cette Princeſſe, regnoient anciennement aux maiſons Royalles. Veult on deux plus beaux enuers à la loy Salique, ſi deux enuers elle peut ſouffrir ? Si ne meſpriſoient pas les femmes nos anciens Gaulois, ny les Carthaginois auſſi ; lors qu’eſtans vnis en l’armée d’Hanibal pour paſſer les Alpes, ils eſtablirent les dames Gauloiſes arbitres de leurs differends. Et quand les hommes deſroberoient à ce ſexe en pluſieurs lieux, part aux meilleurs aduantages ; l’inegalité des forces corporelles plus que des ſpirituelles, ou du merite, peut facilement eſtre cauſe du larrecin & de ſa ſouffrance : forces corporelles, qui ſont vertus ſi baſſes, que la beſte en tient plus par deſſus l’homme, que l’homme par deſſus la femme. Et ſi ce meſme Hiſtoriographe Latin nous apprend, qu’où la force regne, l’equité, la probité, la modeſtie meſme, ſont les attributs du vainqueur ; s’eſtonnera-on, que la ſuffiſance & les merites en general, ſoient ceux de nos hommes, priuatiuement aux femmes.

Au ſurplus l’animal humain n’eſt homme ny femme, à le bien prendre, les ſexes eſtants faicts non ſimplement, mais ſecundum quid, comme parle l’Eſchole : c’eſt à dire pour la ſeule propagation. L’vnique forme & difference de cet animal, ne conſiſte qu’en l’ame humaine. Et s’il eſt permis de rire en paſſãt, le quolibet ne ſera pas hors de ſaisõ, nous apprenant ; qu’il n’eſt rien plus ſemblable au chat ſur vne feneſtre, que la chatte. L’homme & la femme ſont tellement vns, que ſi l’homme eſt plus que la femme, la femme eſt plus que l’homme. L’homme fut creé maſle & femelle, dit l’Eſcriture, ne comptant ces deux que pour vn. Dont Ieſus-Chriſt eſt appellé fils de l’homme, bien qu’il ne le ſoit que de la femme. Ainſi parle apres le grād Sainct Baſile : La vertu de l’homme & Homil. 1. de la femme eſt meſme choſe, puis que Dieu leur a decerné meſme creation & meſme honneur : maſculum & fœmininam fecit eos. Or en ceux de qui la Nature eſt vne & meſme, il faut que les actions auſſi le ſoient, & que l’eſtime & loyer en ſuitte ſoient pareils, où les œuures ſont pareilles. Voila donc la depoſition de ce puiſſant pilier, & venerable teſmoing de l’Egliſe, Il n’eſt pas mauuais de ſe ſouuenir ſur ce poinct, que certains ergotiſtes anciens, ont paſſé iuſques à cette niaiſe arrogance, de debattre au ſexe feminin l’image de Dieu a difference de l’homme : laquelle image ils deuoient, ſelon ce calcul attacher à la barbe. Il failloit de plus & par conſequent, deſnier aux femmes l’image de l’homme, ne pouuant luy reſſembler, ſans qu’elles reſſemblaſſent à celuy auquel il reſſemble. Dieu meſme leur à departy les dons de Prophetie indifferammentOlda Debora. auec les hommes, les ayant eſtablies auſſi pour Iuges, inſtructrices & conductrices de ſon Peuple fidelle en paix & en guerre : & qui plus eſt, rendu triumphantes auec luy des hautes victoires, qu’elles ont auſſi maintefois emportées & arborées en diuers lieux du Monde : mais ſur quelles gens, à voſtre aduis ? Cyrus & Theſeus : à ces deux on adiouſte Hercules, lequel elles ont ſinon vaincu, du moins bien battu. Auſſi fut la cheute de Pentaſilée, couronnemẽt de la gloire d’Achilles : oyez Seneque & Ronſard parlans de luy.

L’Amazone il vainquit dernier effroy des Grecs.
Pentaſilée il rua ſur la poudre.

Ont elles au ſurplus, (ce mot par occaſion) moins excellé de foy, qui comprend toutes les vertus principales, que de ſuffiſance & de force magnanime & guerriere ? Paterculus nous apprend, qu’aux proſcriptions Romaines, la fidelité des enfãs fut nulle, des affranchis legere, des femmes treſgrande. Que ſi Sainct Paul, ſuyuãt ma route des teſmoignages ſaincts, leur deffend le miniſtere & leur commande le ſilence en l’Egliſe : il eſt euident que ce n’eſt point par aucun meſpris : ouy bien ſeulement, de crainte qu’elles n’eſmeuuent les tentations, par cette montre ſi claire & publique qu’il faudroit faire en miniſtrant & preſchant, de ce qu’elles ont de grace & de beaute plus que les hommes. Ie dis que l’exemption de meſpris eſt euidente, puiſque cet Apoſtre parle de Theſbé comme de ſa coadiutrice en l’œuure de noſtre Seigneur, ſans toucher le grand credit de Saincte Petronille vers ſainct Pierre : & puis auſſi que la Magdeleine eſt nommée en l’Egliſe egale aux Apoſtres, par Apoſtolis : Entre autres au Calendrier des Grecs, publié par Genebrard. Voire que l’Egliſe & eux-meſmes ont permis vne exception de ceſte reigle de ſilence pour elle, qui preſcha trente ans en la Baume de Marſeille au rapport de toute la Prouence. Et ſi quelqu’vn impugne ce teſmoignage de predications, on luy demandera que faiſoient les Sibyles, ſinon preſcher l’Vniuers par diuine inſpiration, ſur l’euenement futur de Ieſus-Chriſt ? Toutes les anciennes Nations cõcedoient la Preſtriſe aux fẽmes, indifferemment auec les hommes. Et les Chreſtiens ſont au moins forcez de conſentir, qu’elles ſoyent capables d’appliquer le Sacrement de Bapteſme : mais quelle faculté de diſtribuer les autres, leur peut eſtre iuſtement deniée ; ſi celle de diſtribuer ceſtuy-là, leur eſt iuſtement accordé ? De dire que la neceſſité des petits enfãs mourãs, ait forcé les Peres anciens d’eſtablir cet vſage en deſpit d’eux : il eſt certain qu’ils n’auroient iamais creu que la neceſſité les peuſt diſpenſer de mal faire, iuſques aux termes de permettre violer & diffamer l’application d’vn Sacrement. Et partant concedans ceſte faculté de diſtribution aux femmes, on void à clair qu’ils ne les ont interdites de diſtribuer les autres Sacremẽs, que pour maintenir touſiours plus entiere l’auctorité des hommes ; ſoit pour eſtre de leur ſexe, ſoit afin qu’à droit ou à tort, la paix fuſt plus aſſeurée entre les deux ſexes, par la foibleſſe & rauallement de l’vn. Certes ſainct Ieroſme eſcrit ſagement à noſtre propos ; Epiſt. qu’en matiere du ſeruice de Dieu, l’eſprit & la doctrine doiuent eſtre conſiderez, non le ſexe. Sentence qu’on doit generaliſer, pour permettre aux Dames à plus forte raiſon, toute action & ſciẽce honneſte : & cela ſuyuant auſſi les intentions du meſme ſainct, qui de ſa part honnore & auctoriſe bien fort leur ſexe. Dauantage ſainct Iean l’Aigle & le plus chery des Euangeliſtes, ne meſpriſoit pas les fẽmes, non plus que ſainct Pierre, ſainct Paul & ces deux Peres, i’entends ſaint Baſile & ſainct Ieroſme ; puis Electra. qu’il leur addreſſe ſes Epiſtres particulieremẽt : ſans parler d’infinis autres Ss : ou Peres, qui font pareille addreſſe de leurs Eſcrits. Quand au faict de Iudith ie n’en daignerois faire mention s’il eſtoit particulier, cela s’appelle dependant du mouuement & volonté de ſon auctrice : non plus que ie ne parle des autres de ce qualibre ; bien qu’ils ſoient immenſes en quantité, comme ils ſont autant heroiques en qualité de toutes ſortes, que ceux qui couronnent les plus illuſtres hommes. Ie n’enregiſtre point les faicts priuez, de crainte qu’ils ſemblent, non aduantages & dons du ſexe, ains boüillons d’vne vigueur priuée & ſpecialle. Mais celuy de Iudith merite place en ce lieu, parce qu’il eſt bien vray, que ſon deſſein tombant au cœur d’vne ieune dame, entre tant d’hommes laſches & faillis de cœur, à tel beſoing, en ſi haulte & ſi difficile entrepriſe, & pour tel fruict, que le ſalut d’vn Peuple & d’vne Cité fidelle à Dieu : ſemble pluſtoſt eſtre vne inſpiration & prerogatiue diuine vers les femmes, qu’vn traict purement voluntaire. Comme auſſi le ſemble eſtre celuy de la Pucelle d’Orleans, accompagné de meſmes circonſtances enuiron, mais de plus ample & large vtilité, s’eſtendant iuſques au ſalut d’vn grand Royaume Æneid. 1. ælluſion.& de ſon Prince.

Cette illuſtre Amazone inſtruicte aux ſoins de Mars,
Fauche les eſcadrons & braue les hazars :
Veſtant le dur plaſtron ſur ſa ronde mammelle,
Dont le bouton pourprè de graces eſtincelle :
Pour couronner ſon chef de gloire & de lauriers,
Vierge elle oſe affronter les plus fameux guerriers.

Adjouſtons que la Magdelene eſt la

ſeule ame, à qui le Redempteur ait iamais prononcé ce mot, & promis cette auguſte grace : En tous lieux où ſe preſchera l’Euangile il ſera parlé de toy. Ieſus-Chriſt d’autrepart, declara ſa tres heureuſe & tres glorieuſe reſurrection aux dames les premieres, affin de les rẽdre, dit vn venerable Pere ancien, Apoſtreſſes aux propres Apoſtres : cela, cõme lon ſçait, auec miſſion expreſſe : Va, dit il, à cette cy meſme, & recite aux Apoſtres & à Pierre ce que tu as veu, Surquoy il faut notter, qu’il manifeſta ſa nouuelle naiſſance eſgalement aux femmes qu’aux hommes, en la perſonne d’Anne fille de Phannel, qui le recongneut en meſme inſtant, que le bon vieillard Sainct Simeon. Laquelle naiſſance, d’abondant, les Sybilles nommées, ont predite ſeules entre les Gentils, excellent priuilege du ſexe feminin. Quel honneur faict aux femmes auſſi, ce ſonge ſuruenu chez Pilate ; s’addreſſant à l’vne d’elles priuatiuement à tous les hommes, & en telle & ſi haulte occaſion. Et ſi les hommes ſe vantent, que Ieſus-Chriſt ſoit nay de leur ſexe, on reſpond, qu’il le failloit par neceſſaire bien ſceance, ne ſe pouuant pas ſans ſcandale, meſler ieune & à toutes les heures du iour & de la nuict parmy les preſſes, aux fins de conuertir, ſecourir & ſauuer le genre humain, s’il euſt eſté du ſexe des femmes : notamment en face de la malignité des Iuifs. Que ſi quelqu’vn au reſte eſt ſi fade ; d’imaginer maſculin ou feminin en Dieu, bien que ſon nom ſemble ſonner le maſculin, ny conſequemment beſoin d’acception d’vn ſexe pluſtoſt que de l’autre, pour honnorer l’incarnation de ſon fils ; cettuy cy monſtre à plein iour, qu’il eſt auſſi mauuais Philoſophe que Theologien. D’ailleurs, l’aduantage qu’ont les hommes par ſon incarnation en leur ſexe ; (s’ils en peuuent tirer vn aduantage, veu cette neceſſité remarquée) eſt cõpenſé par ſa conception tres precieuſe au corps d’vne femme, par l’entiere perfection de cette femme, vnique à porter nom de parfaicte entre toutes les creatures purement humaines, depuis la cheute de nos premiers parens, & par ſon aſſumption vnique en ſuiect humain auſſi.

Finalement ſi l’Eſcripture a declaré le mary, chef de la femme, la plus grande ſottiſe que l’homme peuſt faire, c’eſt de prendre cela pour paſſedroict de dignité. Car veu les exemples, aucthoritez & raiſons nottées en ce diſcours, par où l’egalité des graces & faueurs de Dieu vers les deux eſpeces ou ſexes eſt prouuée, voire leur vnité meſme, & veu que Dieu prononce : Les deux ne ſeront qu’vn : & prononce encores : L’hõme quittera pere & mere pour ſuiure ſa femme ; il paroiſt que cette declaration n’eſt faicte que par le beſoin expres de nourrir paix en mariage. Lequel beſoin requeroit, ſans doubte, qu’vne des parties cédaſt à l’autre, & la preſtance des forces du maſle ne pouuoit pas ſouffrir que la ſoubmiſſiõ veĩt de ſa part. Et quand bien il ſeroit veritable, ſelon que quelques vns maintiennent, que cette ſoubmiſſion fut imposée à la femme pour chaſtiement du peché de la pomme : cela encores eſt bien eſloigné de conclure à la pretendue preferance de dignité en l’homme. Si lon croioit que l’Eſcripture luy commendaſt de ceder à l’homme, comme indigne de le contrecarrer, voyez l’abſurdité qui ſuiuroit : la femme ſe treuueroit digne d’eſtre faicte à l’image du Createur, de iouyr de la treſſaincte Eucariſtie, des myſteres de la Redemptiõ, du Paradis & de la viſion voire poſſeſſion de Dieu, non pas des aduantages et priuileges de l’homme : ſeroit ce pas declarer l’homme plus precieux & releué que telles choſes, & partant commettre le plus grief des blaſphemes ?


FIN.


L’IMPRIMEVR A RANGÉ
ces vers icy pour emplir le reſte
de la feuille.


AVTHEVR INCERTAIN.



LVmine Acron dextro captus, Leonilla ſiniſtro,
Et potis eſt forma vincere vterque Deos.
Blande puer, lumen quod habes concede ſorori :
Sic tu cæcus Amor, ſic erit illa Venus.


VERSION.

Lys & ſa ieune mere außy beaux que les Dieux :
De deux coſtez diuers ont perdu l’vn des yeux.
Lys, donne ton bon œil à ta mere Argentine ;
Tu ſeras Cupidon, elle ſera Cyprine.


AVTREMENT

Lyſe & ſon petit Lys außy beaux que les Dieux,
De deux coſtez diuers ont perdu l’vn des yeux.
Si Lys donne l’autre œil à ſa mere admirée ;
Il eſt l’aueugle Amour, & Lyſe Cytherée.


EX HORATIO.
Dial.



DOnec gratus eram tibi,
Nec quiſquam potior brachia candidæ
Ceruici iuuenis dabat,
Perſarum vigüi Rege beatior.
Donec non alia magis
Arſiſti, neque erat Lydia poſt Chloen,
Lydia multi nominis,
Romana vigui clarior Ilia.
Me nunc Thraſſa Chloe regit,
Dulces docta modos & Cytharæ ſciens :
Pro qua non metuam mori,
Si parcent animæ fata ſuperſtiti.
Me torret face mutua
Thurini Calais filius Orinthi :
Pro quo bis patiar mori,
Si parcent puero fata ſuperſtiti.
Quid ſi priſca redir Venus,
Diductoſque iugo cogit aheneo ?
Si flaua excutitur Chloe
Reiectæque patet ianua Lydiæ ?
Quanquam ſidere pulchrior
Ille eſt, tu leuior cortice & improbo
Iracundior Adria ;
Tecum viuere amem, tecum obeam libens.

DIALOGVE D’HORACE ET
DE LYDIE



TAndis que mon Amour t’enflãmoit conſtãmẽt,
Tandis qu’vn ieune amy, brauãt ma ialouſie,
Ne preſſoit ton beau col d’vn mol embraſſement,
I’ay flory plus heureux qu’vn Monarque d’Aſie.
Deuant que ton eſprit briſaſt ſa loyauté,
Deuant qu’il euſt chery d’vne aueugle folie
Cloé plus que Lydie, illuſtre de beauté,
I’ay ſurmonté l’eſclat de la Romaine Ilie.
Cloé Greque ſans pair me poſſede à ſon tour
Par sõ luth & ſa voix qui ſcait charmer l’oreille :
Et mourrois volontiers, victime de l’Amour,
Pour conſeruer mourant cette ieune merueille.
Calaïs Thurien épris de mes appas,
Par vn reuers gentil de ſes attraits me bleſſe :
Et ſouffrirois deux fois la rigueur du trespas,
Pour ſauuer du tombeau cette belle ieuneße.
Quoy ſi l’amour premier reſſuſcitant ſon feu
Ramenoit ſoubs ton ioug mon ame reuoltée ?
Quoy ſi mon cœur ſolide éterniſant ſon vœu,
Ma Lydie eſt reçeue & Cloé rejettée ?
Encor qu’il ſoit pl9 beau qu’vn aſtre au frõt des cieux,
Toy plus leger qu’vn liege & plus mutin que l’õde ;
Ie veux rouler mes iours aux priſons de tes yeux,
Ie veux que mon cercueuil tes obſeques ſeconde.

INCERTAIN SVR L’HORLOGE
DE SABLE.



EXiguus vitro puluis qui diuidit horas,
Et leuis anguſtum ſæpe recurrit iter,
Olim Alcipus erat : qui Marthæ vt vidit ocellos
Arſit, & eſt ſubito factus ab igne cinis —
Irrequiete cinis, miſeros teſtabere amantes,
More tuo, nulla poſſe quiete frui.


VERSION

Ce peu de poudre, helas ! qui fîle en ces deux verres,
Courant & recourant ſur ſes eſtroictes erres,
Affin de marquer l’heure & meſurer le iour,
Eſtoit iadis Alcipe eſclaue de l’Amour.
Bruſlè des yeux de Marthe il coula tout en cẽdre :
Et faut, cendre inquiete, en ton aſpect cõprendre :
Qu’vn miſerable eſprit bleſſé par vn bel œil
N’a iamais de repos s’il te manque au cercueil.