École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Graveur en taille-douce


Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (2p. Gravure-66).

Le Graveur en taille-douce.


LE GRAVEUR
EN TAILLE-DOUCE.





L’art de graver sur cuivre sert à représenter différens sujets, tels que des tableaux d’histoire, des portraits, des paysages, etc., soit d’après des peintures, soit d’après des dessins. Il y a trois manières de graver ; la première est au burin, la seconde à la pointe sèche, et la troisième à l’eau-forte.

Les instrumens nécessaires pour graver sont le burin, le grattoir, le brunissoir, la pierre à l’huile et le coussin.

Les burins sont des outils d’acier trempé, montés sur un manche de bois ; ils sont ou carrés ou taillés en losange ; les premiers servent à former des tailles très-larges, les autres à en faire de plus faibles et de plus délicates.

Le grattoir est un instrument à trois angles ou trois tranchans, que le graveur emploie pour enlever l’ébarbure laissée par le burin.

Le brunissoir sert à diminuer la trop grande profondeur des traits, ou à enlever les raies et les défauts du cuivre.

Le graveur repasse sur la pierre à l’huile ses burins ; il se sert encore de charbon pour polir son cuivre.

Il place sa planche sur son coussin pour avoir la faculté de la tourner en tous sens ; mais ce coussin ne sert guère qu’aux graveurs en lettres et en médailles.

Lorsque le graveur en taille-douce s’est pourvu de tous ses instrumens, la première chose qu’il doit faire c’est d’étendre son dessin sur la planche. Pour cet effet il la couvre d’une couche ou pellicule de cire vierge ; il calque alors le tableau ou le dessin sur du papier avec du crayon noir ; il étend ensuite ce papier sur la planche, en ayant soin de mettre le côté crayonné sur la cire ; il le presse de manière que, lorsqu’il retire le papier, l’empreinte du dessin reste sur la cire. Alors il prend une pointe très-aiguë, et trace à travers la cire le dessin sur le cuivre ; cette opération faite, il fait chauffer la planche, en enlève la cire, et finit la gravure au burin.

La pointe sèche, ainsi appelée parce que le graveur ne s’en sert que lorsque le fond du tableau est achevé, ne s’emploie que pour des ciels, des draperies et des parties extrêmement légères.

La gravure à l’eau-forte est celle dont les tailles, au lieu d’être faites au burin, sont corrodées par l’eau-forte ou l’acide nitreux, et voici la manière dont on s’y prend. On fait chauffer la planche à un degré de chaleur modéré, puis on la couvre d’une couche de vernis, que l’on noircit ensuite à la fumée d’une bougie.

Lorsque la planche est ainsi disposée et qu’on l’a laissée refroidir, l’opération dont on doit s’occuper est de transporter le dessin sur le cuivre. Pour cet effet on le calque sur du papier huilé avec une plume et de l’encre dans laquelle on a mis du fiel de bœuf ; on frotte ensuite une autre feuille de papier avec du blanc d’Espagne ou de céruse, et on l’étend sur le cuivre vernis, en ayant soin que le côté blanc se trouve sur la planche. C’est sur cette feuille que doit être placé le papier huilé qui a le calque, et que l’on fixe avec de la cire sur le cuivre.

Quand cette opération est terminée, on passe sur toutes les lignes du calque avec la pointe émoussée d’une aiguille, et par ce moyen les traits en sont transportés sur le côté de la planche qui a été verni.

La planche se trouve alors disposée pour qu’on puisse la graver dans les traits dont elle est marquée. Pour cet effet on se sert de pointes à graver ou d’aiguilles, en appuyant peu ou beaucoup, suivant le degré de force exigé dans les traits.

On fait ensuite autour de la planche une bordure avec de la cire pour contenir l’eau-forte que l’on verse dessus, et on y laisse cet acide nitreux jusqu’à ce que l’opération soit achevée. L’effet de l’eau-forte est la partie la plus incertaine du procédé, et l’expérience seule peut mettre une personne à même de savoir quand l’acide nitreux a suffisamment mordu sur la planche. Lorsque l’eau-forte a séjourné assez longtemps sur le cuivre pour former les traits qui doivent être les plus faibles, on décante ce liquide, on lave la planche, on la fait sécher, et l’on couvre ces traits de vernis fait de térébenthine et de noir de fumée que l’on étend dessus avec un pinceau. Lorsque ce vernis est sec, on peut verser de nouveau sur la planche l’eau-forte, pour qu’elle morde dans les autres traits qui sont destinés à avoir plus de profondeur.

Lorsque l’eau-forte a suffisamment mordu la planche, on en retire la bordure en cire et le vernis ; on nettoie le cuivre, et on en fait tirer une empreinte par l’imprimeur ; cette impression se nomme épreuve.

Dans presque toutes les gravures en cuivre faites au trait, on se sert de l’eau-forte et du burin ; l’acide nitreux la commence, et le burin la finit. Le paysage, l’architecture et les machines tirent un grand secours de la gravure à l’eau-forte ; elle ne peut pas s’appliquer de même aux portraits et aux sujets d’histoire.

Le châssis qui est suspendu devant la fenêtre du graveur est destiné à tempérer l’éclat de la lumière, qui, si elle était trop vive, nuirait beaucoup à son travail ; ce châssis consiste en quatre lattes ou tringles réunies à leurs extrémités et couvertes des deux côtés de papier huilé.

Les gravures les plus estimées en Angleterre sont celles de Woolett, de Nyland, d’Ogbome, de Smith, de Bartolozzi et de Strange ; mais celles de France leur disputent la supérioté. Il n’y a rien qui efface le mérite des Edlink, des Balechoux, des Drevet, des Audran, des Roger, des Desnoyers, des Dien et des Grateloup. Le procédé de ce dernier artiste est encore ignoré.

On dit figurément graver quelque chose dans sa mémoire, dans son cœur, pour dire imprimer fortement dans sa mémoire, dans son esprit, dans son cœur. On dit encore que d’ordinaire les bienfaits sont marqués dans le sable, et les injures sur l’airain.