Traduction par Charles Rabot.
Librairie Hachette et Cie (p. 99-110).


matelots préparant des peaux de phoque.
(dessin d’e. nielsen, d’après un croquis de m. nansen.)


CHAPITRE VI

la chasse au stemmatope mitré ou phoque à capuchon



Le stemmatope mitré ou phoque à capuchon (Cystophora cristata E rxl.) est un gros phoque très rapproché des éléphants de mer de la côte occidentale de l’Amérique et de l’océan Antarctique. Comme les amphibies du Pacifique et de l’océan Austral, le mâle a sur le sommet de la tête un gros capuchon ; cet appendice donne au stemmatope un aspect très différent de celui des autres phoques de l’océan Glacial Arctique. La femelle a simplement la peau de la tête distendue et plissée[1]. Après le phoque barbu, c’est le plus gros phoque des mers d’Europe.

Dès qu’il vient au monde, le stemmatope peut aller à l’eau ; il est alors couvert de poils lisses, gris sur le dos et blancs sous le ventre. Après la première mue, sa fourrure devient mouchetée de taches noires ; chaque année le nombre de ces plaques augmente, et, à l’état adulte, l’animal a une robe blanchâtre parsemée de taches plus ou moins grandes. Généralement ces plaques clairsemées sur la tête deviennent, sur les flancs, si rapprochées les unes des autres que celle partie du corps semble absolument noire. Le mâle, en gonflant son capuchon, donne à sa tête des dimensions énormes. Il ne prend cet aspect que lorsqu’il est irrité. En temps ordinaire la peau distendue lui tombe sur le museau. Il est assez difficile d’expliquer futilité de cet appendice. Peut-être destiné à préserver le nez, le point le plus vulnérable de l’animal, a-t-il atteint dans le cours des âges son développement actuel à la suite des combats que se livrent les mâles pour la possession des femelles. Ceux qui ont le museau bien protégé survivant aux autres, cet appendice se serait fixé avec le temps.

Cette hypothèse ne repose, à mon avis, sur aucun fondement. Les mâles ont certainement entre eux des luttes très vives pour s’emparer des femelles, mais leur museau n’est pas plus exposé dans ces combats qu’une autre partie du corps. Peut-être cette excroissance est-elle considérée comme un ornement et s’est-elle développée grâce à cette circonstance que ceux qui en étaient pourvus étaient recherchés par les femelles.

Le stemmatope mitré est très fort ; c’est un adversaire dont on aurait tort de faire fi. Sur la glace il se meut difficilement, mais, une fois dans l’eau, il peut être dangereux. Les Eskimos, qui le chassent dans leurs frêles kayaks, prennent leurs précautions pour l’attaquer ; beaucoup d’entre eux ont été tués ou noyés par ces phoques. En 1882, un mâle blessé se jeta dans l’embarcation où je me trouvais, en ouvrant la bouche pour me mordre, et avec ses crocs fit de profondes entailles dans le bordage.

Le phoque à capuchon nage et plonge avec une merveilleuse aisance. Pour aller chercher sa nourriture composée de poissons, il descend à de grandes profondeurs. La preuve m’en est fournie par la découverte, dans l’estomac d’un animal tué entre le Spitzberg et Jan Mayen, d’un Sebastes norvégicus, poisson qu’on trouve à une profondeur de 50 à 80 brasses[2]. Dans ces fonds la pression est d’environ quatre atmosphères ; pour la supporter, ce phoque doit avoir de bons poumons. Comme exemple de sa force je citerai ce fait qu’il peut sauter d’un seul bond de la surface de la mer sur un glaçon haut de 6 à 8 pieds au-dessus de l’eau.

Le stemmatope est une espèce de haute mer. Il ne recherche pas, comme d’autres espèces, le voisinage des côtes, et suit la banquise dans ses déplacements. On le trouve dans tout l’océan Glacial, entre le Spitzberg, le Labrador et la baie de Baffin. Il ne dépasse pas, je crois, vers l’est, le Spitzberg ; en tout cas il ne se rencontre pas à la Nouvelle-Zemble.
stemmatopes mitrés, femelle et jeunes.
(dessin d’e. nielsen, d’après une esquisse de m. nansen.)

Le stemmatope mitré recherche la société de ses semblables, et chaque année, en troupes plus ou moins nombreuses, entreprend des migrations. Ces phoques abandonnent, à certaines époques, la côte occidentale du Grönland pour aller on ne sait où[3]. L’hiver ils s’éloignent probablement de la côte pour gagner au large la banquise et y mettre bas en paix à la fin de mars. Un mois plus tard ils reviennent sur la côte occidentale du Grönland, puis s’éloignent de nouveau en juin ou au commencement de juillet et s’établissent sur la banquise. C’est l’époque de la mue ; tout le temps de sa durée ils ne vont pas volontiers à l’eau et restent couchés sur les glaçons. Pendant cette période, les stemmatopes mangent peu et deviennent très maigres. Je n’ai pu m’assurer si le stemmatope de la côte orientale du Grönland est le même que celui de la côte ouest, je le crois cependant.

Voici d’intéressants renseignements que m’a donnés un métis grönlandais, Lund de Sydpröven, sur les migrations du stemmatope dans le Grönland occidental. Ce phoque se montre sur la côte sud-ouest généralement en mai, quelquefois à la fin d’avril. À cette époque il paraît venir du Nord, du Labrador probablement. Ce qui prouverait qu’il vient en effet de cette direction, c’est qu’on le rencontre quelque temps auparavant plus au nord sur le littoral du Grönland, par exemple près des colonies de Sukkertoppen, Godthaab, Frederikshaab. Les troupes les plus nombreuses arrivent de la fin de mai au milieu de juin pour disparaître ensuite du 20 au 25 juin. Vers le 15 juillet le stemmatope reparaît sur la côte sud-ouest pour y rester jusqu’à la fin d’août. Il est sans doute attiré dans ces parages par la grande banquise qui, après avoir longé la côte orientale, double le cap Farvel. Dans le détroit de Danemark, on rencontre ces phoques en mai ou au commencement de juin. En 1882 j’ai chassé cet amphibie précisément à cette époque dans cette région. Avant le 24 juin le baleinier sur lequel je me trouvais en avait pris trois à quatre mille. À la fin de juin, après la Saint-Jean, ces animaux se rassemblent en troupes très nombreuses, puis vers le milieu de juillet se dispersent de nouveau. Le 22 juillet j’ai rencontré une masse de stemmatopes sur des glaces, entre le 64e et le 63e degré de latitude ouest, au large de la côte orientale. (Voir plus loin, chapitre ix.)

Voici, à mon avis, l’itinéraire probable suivi par ces phoques. Après la naissance de leurs petits sur la banquise du Labrador, les stemmatopes remontent vers le nord le long de l’iskant, traversent le détroit de Davis, puis gagnent, dès la fin d’avril, la côte occidentale du Grönland vers la latitude de Sukkertoppen, suivant toute vraisemblance. De là ils longent la côte dans la direction du sud[4], doublent ensuite le cap Farvel vers le milieu de juin, et atteignent la banquise du détroit de Danemark, où le gros de leur troupe arrive à la fin de ce mois. Après la mue ils se dirigent de nouveau vers le sud, et au milieu de juillet commencent à paraître sur la côte ouest du Grönland.

Le détroit de Danemark[5] est la région de l’océan Glacial où le stemmatope initié est le plus abondant à l’époque de la mue. Dans ces parages cet animal est poursuivi principalement par des navires norvégiens. La chasse ouvre le plus souvent en juin, lorsque les bâtiments reviennent de Jan Mayen où ils sont allés capturer le phoque du Grönland (Phoca Grönlandica O. F. M.). Quelques navires vont auparavant chasser l’Hyperoodon diodon au nord-est de l’Islande.


À LA CHASSE DU STEMMATOPE MITRÉ.
(DESSIN D’E. NIELSEN, D’APRÈS UN CROQUIS DE M. NANSEN.)

Il est assez difficile de trouver les phoques dispersés par troupes isolées sur la banquise. Souvent les baleiniers les cherchent pendant des semaines. Les navires suivent l’iskant, pénètrent dans chaque baie du päck[6] pendant qu’une vigie observe les champs de glace de la tonne vide placée au sommet du grand mât. Découvre-t-elle des troupes de phoques sur la banquise, les feux de la machine sont immédiatement poussés, et si la glace n’est pas trop compacte, le bâtiment se fraie au plus vite un passage du côté du gibier, pour qu’un compétiteur ne vienne pas lui enlever sa part de butin. Les chasseurs comme les joueurs n’ont aucun égard pour les amis. Tous les baleiniers de l’océan Glacial pratiquent l’égoïsme le plus brutal ; chacun cherche à tromper son voisin. Si au moment où la vigie découvre des phoques, d’autres navires se trouvent dans le voisinage et ne les ont pas aperçus, on a recours pour les tromper aux stratagèmes les plus ingénieux. On fait, par exemple, route dans une direction opposée à celle où se trouve le gibier, comme si on en apercevait de ce côté, et lorsqu’on a entraîné les autres sur cette fausse piste, on revient dans la direction première pour être seul à profiter de l’aubaine.

Dès que les phoques sont en vue, grande est l’animation à bord. Tout le monde se tient debout sur les bordages pour découvrir le gibier. Leur curiosité satisfaite, les matelots préparent les embarcations, y déposent des vivres, des munitions, nettoient une dernière fois les fusils, affilent les couteaux pour pouvoir dépecer rapidement les phoques. Ces préparatifs achevés, les hommes observent de nouveau la banquise, regardent dans quelle direction est braquée la longue-vue de la vigie, et essaient de découvrir quelque chose. Aperçoivent-ils un phoque, la conversation s’engage aussitôt ; en voient-ils plusieurs, la joie devient générale. Du haut du nid-depie, le capitaine commande la manœuvre. La barre à bâbord ! la barre à tribord ! la barre droite ! et les deux timoniers font tourner sans relâche la roue du gouvernail. Dans la chambre de chauffe les feux sont activés. L’hélice bat la mer à coups redoublés en laissant un sillage bleu que la glace, un instant repoussée, recouvre bientôt. Le bâtiment heurte les glaçons ; les chocs sont si violents que parfois il est impossible de rester debout sur le pont. Les phoques ne sont maintenant plus loin. Du nid-de-pie le capitaine ne les perd pas de vue, cherche les passages les plus faciles et prend ses dispositions pour les atteindre rapidement. Préparez-vous à mettre les embarcations à la mer ! À ce cri, tous les hommes accourent joyeux. Dans le poste la confusion est extrême ; les dormeurs se réveillent, tout le monde s’habille en hâte, en même temps le cuisinier s’occupe de servir un solide repas aux chasseurs avant leur départ. Souvent il est nécessaire de naviguer pendant une demi-journée au milieu des glaces avant d’arriver jusqu’aux phoques.

Une fois dans les environs de la région où les phoques sont cantonnés, le baleinier pousse encore plus avant au milieu de la glace pour parvenir au milieu d’eux. Alors le capitaine commande : Les embarcations à la mer ! et tous les hommes se précipitent dans leurs canots respectifs. Le tireur[7] de chaque bateau reçoit ses instructions, le capitaine lui indique la direction qu’il doit suivre, et les embarcations du navire prennent la mer. Chaque
combat d’un ours blanc et d’un phoque.
(dessin d’e. nielsen.)
canot a un équipage de cinq ou six hommes, un tireur qui se place à l’avant, un barreur et trois ou quatre rameurs.

Dès que les bateaux sont arrivés près des phoques, commence une fusillade nourrie, comme dans une bataille.

Lorsque le soleil brille au-dessus de la banquise et que les phoques sont nombreux, le spectacle est émouvant : jamais il ne s’effacera de votre mémoire si vous en avez été témoin.

Chaque tireur, voulant être le premier à revenir à bord avec son canot plein de gibier, s’efforce de communiquer son ardeur à ses hommes. Pour approcher des phoques on ne doit pas se dissimuler derrière les glaçons, de manière que les animaux perdent de vue le canot après l’avoir aperçu une première fois. On se dirige, au contraire, droit sur eux, pour qu’ils puissent découvrir l’embarcation de loin. Dès que les phoques ont aperçu le bateau, ils lèvent la tête, mais, le voyant encore à une bonne distance, ils s’étendent de nouveau sur la glace. Pendant ce temps le canot ramé vigoureusement avance, les animaux lèvent de nouveau la tête, mais cette fois avec un air d’inquiétude ; ils regardent tantôt l’embarcation, tantôt la mer, puis s’approchent du bord du glaçon, allongent le cou et font mine de vouloir se jeter à l’eau. Alors tout l’équipage, sur l’ordre du tireur, pousse un hurlement frénétique : étonné de ce bruit, le phoque s’arrête un instant, puis recommence à glisser vers le bord du glaçon. Un nouveau hurlement plus retentissant que le premier se fait entendre : l’animal s’arrête une seconde fois, regarde le canot qui arrive à toute vitesse, puis continue sa marche : il va plonger et l’on n’est pas encore à bonne portée. Le tireur envoie alors une balle sur le glaçon juste au-dessous de l’animal ; éclaboussé, le phoque recule aussitôt. Le canot avance toujours rapidement et arrive bientôt à portée ; les avirons s’arrêtent, le chasseur lire, et la balle va frapper en plein la tête du phoque.

Si des stemmatopes mitrés se trouvent réunis en troupe sur un même point, on peut en très peu de temps en abattre un grand nombre. Pour arriver à ce résultat, le premier animal doit être tué raide. En 1882, j’ai ainsi tiré sur le même point une grande quantité de phoques, j’aurais pu en abattre davantage si je n’avais dû rentrera bord pour vider mon canot. On peut tuer un grand nombre de ces animaux, sans que le reste de la troupe prenne la fuite. Voyant les morts immobiles, les survivants les croient encore en vie. Si le chasseur a la mauvaise chance de blesser le premier animal qu’il lire, immédiatement il saute hors du glaçon et plonge, entraînant à sa suite tous ses compagnons. Il est donc très important d’avoir pour cette chasse de bons tireurs.

Dès que le phoque est abattu, on le dépèce le plus rapidement possible, pour continuer de suite la chasse et ne pas se laisser devancer par les autres canots. En quelques minutes celle besogne peut être faite ; après avoir ouvert l’animal, on donne ensuite quelques coups de couteau autour de la tête et de la queue, puis sur les flancs ; on sépare la graisse de la chair, et la peau se trouve ainsi détachée. On prend seulement la peau et le lard qui y adhère : le restant de l’animal est abandonné sur les glaces aux mouettes.


DÉPÈCEMENT DE JEUNES PHOQUES SUR LA GLACE.
(DESSIN D’E. WERENSKIOLD, D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.)

La chasse au stemmatope mitré dans le détroit du Danemark date de 1876. Pendant les huit premières années, de nombreux baleiniers norvégiens[8] l’ont faite avec grand succès. Les phoques étaient alors très nombreux, et on les tuait par milliers. Pendant cette période on en a bien abattu 500 000 ; autant à peu près ont dû périr de blessures qu’ils avaient reçues sans profit pour les chasseurs. Depuis, les temps sont changés ; maintenant les baleiniers ne réussissent plus à capturer qu’un très petit nombre de phoques à capuchon, en dépit de la hardiesse avec laquelle ils s’aventurent au milieu de la banquise. Les chasseurs attribuent l’insuccès des dernières campagnes aux gros temps, ou à un état particulièrement défavorable de la banquise. Pareil fait a pu très bien arriver un an ou deux, mais cela ne peut expliquer que les phoques aient pour ainsi dire déserté ces parages depuis quatre ou cinq ans. Plusieurs fois cette année le Jason a rencontré des fragments de banquise, présentant d’excellentes conditions pour le séjour des stemmatopes ; quelques années auparavant ces « champs » auraient été couverts de phoques, aujourd’hui ils n’en portaient pas un. Ces animaux se tenaient toujours sur la glace compacte ; lorsqu’elle s’ouvrait, immédiatement ils disparaissent pour aller s’installer plus loin, dans une partie de la banquise absolument fermée.

Dans ces parages le phoque à capuchon a considérablement diminué depuis la chasse acharnée qui lui a été faite pendant plusieurs années. En 1882, lorsque le navire entrait dans la banquise, de tous côtés on en apercevait : en 1888, à peine en voyait-on quelques-uns. Au début de notre croisière, les phoques m’avaient semblé moins nombreux qu’ils ne l’étaient en réalité. Le 3 juillet, nous aperçûmes une masse considérable de stemmatopes : jamais auparavant je n’en avais vu autant, mais ils se trouvaient sur une masse de glace absolument impénétrable.

La diminution des phoques dans ces parages doit être attribuée pour une part à la chasse acharnée qui leur a été faite, pour une autre à une modification survenue dans leurs habitudes à la suite de cette guerre sans pitié.

Les animaux raisonnent, et savént tirer des conclusions de leurs observations. Les sens les instruisent aussi bien que nous, sinon mieux. Ce qui arrive pour les stemmatopes mitrés dans le détroit de Danemark en est une preuve.

Il y a une quinzaine d’années, ces animaux vivaient bien tranquilles sur la banquise. L’ours blanc seul venait de temps en temps troubler leur quiétude. Maître Martin n’est point un bon nageur, et il ne se hasarde guère sur les glaces au large, que recherchent les phoques à capuchon. En 1876, l’arrivée du premier baleinier norvégien mit fin à cette existence paisible. Dans cette première campagne, il captura une quantité énorme de phoques. A partir de cette année, chaque printemps une flottille de baleiniers vient leur donner la chasse. À cette époque, les stemmatopes n’étaient pas farouches ; pour les tuer, point n’était besoin de fusils ; on les assommait sur la glace. Cet âge d’or pour les baleiniers fut de courte durée. Les phoques apprirent bientôt à connaître les dangers qui les menaçaient lorsqu’ils voyaient arriver les navires ; à partir de ce moment il ne fut plus aussi facile de les approcher. Il fallut dès lors se servir de fusils et souvent les tirer de fort loin. Non seulement les vieux phoques, mais encore les jeunes étaient farouches ; les premiers ont donc enseigné aux seconds le résultat de leur expérience ; peut-être encore cette crainte est-elle un effet d’atavisme. En tout cas, d’année en année, les stemmatopes sont devenus plus farouches ; très rapidement ils ont appris à se méfier d’un ennemi qu’ils ne connaissaient pas auparavant. L’expérience leur a également enseigné qu’ils étaient particulièrement exposés sur les glaçons voisins de la lisière de la banquise, où jusque-là ils avaient coutume de se tenir, et que, pour être à l’abri des attaques, ils devaient rester au milieu des glaces compactes. Là, il est vrai, ils peuvent être attaqués par l’ours blanc, mais c’est un ennemi moins dangereux que les chasseurs norvégiens.

Une autre explication peut être proposée. Tous les stemmatopes ne sont pas également farouches ; naturellement ceux qui le sont le moins ont été les premières victimes des baleiniers, tandis que les autres, plus sauvages, ont pu échapper au massacre et se reproduire. Par suite, d’année en année, la sauvagerie est devenue par sélection un caractère héréditaire chez ces animaux. Ceci n’explique cependant pas pourquoi ces phoques se tiennent maintenant au milieu de la banquise. Si l’on admet que, lorsque la chasse a commencé dans ces parages, tous les stemmatopes n’étaient pas également farouches, on peut supposer avec autant de vraisemblance qu’à cette époque certains individus recherchaient la glace compacte au milieu du pack tandis que d’autres préféraient la lisière de la banquise. Il s’est également produit un autre phénomène de sélection. Les phoques ayant l’habitude de vivre sur l’iskant ont été décimés, il n’est plus resté que ceux qui vivaient au milieu de la banquise, et qui ont transmis cette habitude à leurs petits.

Quelle est la plus exacte de ces deux explications ? il n’est pas facile de le dire. Probablement chacune contient une part de vérité. Toutes deux en tout cas montrent avec quelle rapidité une espèce animale peut modifier son genre de vie.


STEMMATOPE MITRÉ MÂLE.
(DESSIN D’E. NIELSEN, D’APRÈS UNE ESQUISSE DE M. NANSEN.)

  1. Robert Brown (Artic Manual and Instructions. London, 1875. Natural History, p. 64) commet une erreur en affirmant que les femelles ont également un capuchon.
  2. Quelquefois, il est vrai, ce poisson se rencontre à une profondeur moindre.
  3. Les stemmatopes de la côte occidentale du Grönland vont probablement s’établir sur la banquise du Labrador. En tout cas à cette époque on en capture une grande quantité dans cette région.
  4. Ils se tiennent généralement à une certaine distance de la côte. Les chasseurs de Kangek (localité située près de Godthaab) m’ont raconté qu’ils devaient aller les chercher à plusieurs milles au large.
  5. On donne le nom détroit de Danemark au large bras de mer séparant l’Islande de la côte orientale du Grönland. Il est toujours encombré de banquises redoutables qui interdisent de ce côté l’accès du Grönland. Jusqu’ici Nordenskiold est le seul navigateur qui ait réussi à rompre cette barrière de glaces.
  6. Banquise. (Note du traducteur.)
  7. Dans chaque embarcation il n’y a qu’un seul tireur, et c’est à lui qu’appartient le commandement.
  8. Quelques baleiniers anglais et américains ont pris part à cette chasse à la suite des Norvégiens.