À tire-d’aile (Jacques Normand)/36
Calmann Lévy, éditeur, 1878 (2e éd.) (p. 163-164).
II
LE COUP DE CANON.
(Sur le tableau de Berne-Bellecour.)
Ami, ton œuvre est belle : elle t’a su placer,
D’un seul bond, au-dessus de la foule commune :
Mais — mérite plus grand et plus rare fortune ! —
Ton œuvre est bonne, ami, car elle fait penser.
Quand je la vois, je sens en mon cœur se glisser
Comme un frisson subit de honte et de rancune ;
Et le passé surgit — rêverie importune,
Mais féconde — et que nul n’a droit de repousser.
Vers l'horizon blanchi par l'aube qui se lève,
Ô canon, tourne-toi ! sans repos et sans trêve
Lance le lourd obus aux sifflements hardis !…
Inactif et glacé maintenant tu reposes :
Mais les cœurs que brûla le feu des nobles causes
Sitôt que les canons ne sont pas refroidis.