À qui ma femme ?
COMÉDIE EN TROIS ACTES
(INÉDITE)Marcassol : Saint-Germain[1]
Edgar Fréminet : Galipaux
Trémollet : Regnard
Lagaulardière : Hyacinthe
Jean, domestique de la comtesse :
Clarisse Marcassol : Jane May
Sonia Kaskoff :
Jenny, femme de chambre de Clarisse : Desormel
La scène à Paris, chez(Le 1er acte dans son salon, le 2e dans son cabinet de travail, le 3e dans la salle à manger)
ACTE I
Scène première
Jenny puis Marcassol puis Jean
Au lever du rideau, la scène est vide — On entend, au fond, des coups de sonnette d’abord espacés puis de plus en plus précipités. Jenny entre du pan coupé de droite lentement, un plat à la main.
Marcassol, paraissant à la porte du fond, une serviette au cou. — Eh bien ! voyons : le boudin ?…
Marcassol, lui arrachant le plat avec impatience. — Y s’amène ! y s’amène ! Allons ! donnez-moi ça ! Nous ne finirons jamais de déjeuner… Quelle limace, mon Dieu ! quelle limace ! (Il rentre.)
Jean, qui a paru au fond pendant ce qui précède, descend sur la pointe des pieds vers Jenny et lui prend la taille.
Jenny, digne. — Hein ! Monsieur Jean ! J’ai cru que c’était madame.
Jean, l’embrassant. — Voilà qui prouve le contraire !
Jean, montrant la lettre. — Ah ! voilà !… Un poulet… pour M. Marcassol, votre maître ! Je viens, messager de Vénus…
Voix de Marcassol, dans la salle à manger. — Là, c’était à parier ! du sucre dans les épinards et tu sais que je ne les aime qu’au sel !
Scène II
Les mêmes, Trémollet
Trémollet, passant la tête à gauche. — Psitt ! psitt… Monsieur Marcassol n’est pas là ?
Jenny, les présentant. — M. Trémollet, sous-secrétaire.
(Jean et Trémollet saluent.)
Trémollet, avec mépris. Un larbin ! Et moi qui le salue (haut.) C’est bien, mon garçon, continuez !
Trémollet, embarrassé. — Voilà… J’aurais bien aimé à voir le propriétaire. Je voulais lui demander… tâcher d’obtenir…
Jean, à part. — Un grippe-sous ! Je regrette de lui avoir donné la main.
(Voix de Marcassol dans la coulisse.)
Scène III
Les mêmes, Marcassol
Marcassol, sortant de la salle à manger, parlant dans la salle à manger. — Non ! non ! je me passerai de café, voilà tout ! il est tiède !… (descendant en scène) Ah ! c’est trop ! c’est trop !… du boudin cru ! des épinards au sucre, et du café tiède ! Je finirai par aller au bouillon… J’aime mieux cela !…
Jenny, lui indiquantJean, lui montrant sa lettre. — C’est une lettre, Monsieur.
Marcassol, avec joie. — Tiens !… de la Comtesse !… Ah ! très bien ! très bien ! mon ami ! Ce brave Jean !… et moi qui l’accusais !… tiens ! voilà dix francs !
Jean, à part. — Ah ! oui ! quand M. Lagaulardière est
arrivé… notre singe… (haut) Mon Dieu, Monsieur, je n’ai rien vu… mais je vais le chercher…
(Jean sort.)
Scène IV
Marcassol, seul
Voyons ! (parcourant la lettre) Allons bon (lisant) « Impossible de vous recevoir aujourd’hui comme c’était convenu. Le singe a des soupçons et comme c’est un tigre ». (parlé) Le singe, un tigre ?… C’est un métis alors ! (lisant) « il ne me quittera pas de la journée. S’il me laisse un moment, j’irai vous voir sous le prétexte habituel. (parlé) Oui les cheminées qui fument ! ce que nous les faisons fumer, ces cheminées ! (embrassant la lettre) Ah ! quelle femme ! quand je la compare à la mienne ! (s’asseyant) et dire pourtant que je l’ai épousée par amour ! oui ! il y a un an ! j’avais toujours rêvé une femme originale, capricieuse, fantasque, enfin je ne voulais pas la femme de tout le monde. Clarisse avait été élevée à la diable, elle s’était sauvée de sept couvents, on n’en disait que du mal ! je me dis : voilà mon affaire ! Elle me refusa dix-neuf fois ! mais je m’étais juré d’aller jusqu’à vingt, parce que dix-neuf ce n’est pas un nombre. A la vingtième ! » Vous tenez absolument à m’épouser, me dit-elle, soit, mais provisoirement ! « — Provisoirement ? » C’est ma condition ! Vous ne m’êtes pas antipathique, mais vous n’avez aucun rapport avec le mari que j’avais rêvé. Eh bien ! si je le rencontre jamais, nous divorcerons et je l’épouse." Tout le monde aurait refusé !… J’acceptai tout de suite ! Je l’aimais tant, je croyais si bien avoir trouvé la femme qu’il me fallait ! Ah bien oui ! le mariage l’a transformée ! J’avais épousé un diable,… maintenant c’est un mouton, un pot-au-feu !… Et voilà un an que cela dure ! je commence à trouver qu’elle pourrait s’occuper un peu de chercher l’homme de ses rêves ! Il se fait trop attendre celui-là… et il est temps que je le lui rappelle…
Scène V
Marcassol, Clarisse
Clarisse, entrant de droite. — Ah ! te voilà mon ami ?… je voulais te montrer une jolie petite paire de pantoufles en tapisserie que je viens de terminer pour ta fête… je vais les porter au cordonnier…
Marcassol, à part. — Elle me fait des pantoufles !… la voilà, ma vie…
Clarisse, étonnée. — Mais on dirait qu’elles ne te font pas plaisir. Ah ça ! qu’est-ce que tu as depuis quelque temps ?…
Clarisse. — Oui… tu parais préoccupé !…
Marcassol, à part. — Abordons la question adroitement… (haut) Eh bien !….je me mine !… voilà ce que j’ai ! je dévore mes larmes !….
Clarisse. — Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce qui t’attriste ?…
Marcassol, avec une émotion feinte. — Mais… l’idée qu’un jour ou l’autre… il va me falloir te perdre…
Clarisse, gaiement. — Me perdre !… mais j’espère bien vivre encore très longtemps !
Clarisse, éclatant de rire. — Ah ! Ah ! Ah ! tu penses encore à ça ?
Marcassol, vivement, — Je le crois fichtre bien que j’y pense ! enfin tu n’as pas oublié nos conventions ! tu dois te rappeler que quand nous nous sommes mariés, tu rêvais un mari idéal…
Clarisse. — Si je me le rappelle !… j’ai encore son portrait !
Clarisse. — Oui… je l’avais décrit trait pour trait dans un petit carnet où je mettais mes impressions de jeune fille (prenant un carnet sur la table du milieu) tiens, tiens, celui-ci justement ! veux-tu voir ?
Clarisse, feuilletant le carnet. — Attends un peu. (Lisant.) « 10 Juin — pris bain avec Gustave » non, ce n’est pas ça !
Clarisse. — « 12 Juin — Deuxième bain, toujours avec Gustave. Mer agitée. »
Clarisse. — Mais ce n’est pas maman, c’est l’Océan !
Clarisse. — C’était le baigneur ! Ah ! tiens, voilà le portrait ! mais tu le liras quand je ne serai pas là ! tu te moquerais de moi !… Ah ! qu’il devait être beau ! qu’il devait être parfait ! c’était un de ces maris invraisemblables qu’on ne rencontre qu’une fois par hasard… comme Zizi !
Clarisse. — Un ami d’enfance !… (avec un soupir) mon premier amour !… j’avais treize ans !
Clarisse. — Ah ! j’avoue que celui-là s’en rapprochait presque !…
Marcassol, à part. — Mais voilà le mari qu’il lui faut !
Clarisse. — Il était si bien ! et puis il avait une très belle position !… il était cinquième clerc d’huissier !…
Clarisse. — Ah ! c’est que je ne sais pas ! un beau jour il est parti… et je ne l’ai jamais revu !
Clarisse, étonnée. — Ah ça ! mais on dirait que tu le voudrais !
Clarisse. — Il pourrait être meilleur…
Clarisse. — Oh ! pour cela !… tu es rageur !… mais est-ce qu’on ne se fait pas à tout ?…
Marcassol, à part. — Qu’est-ce qu’elle dit ?…
Clarisse. — Eh bien ! je me suis faite à tout cela ! et comme j’ai compris bien vite que je ne rencontrerais jamais mon idéal, j’ai pris le parti le plus simple ! c’est de m’en tenir à toi !
Clarisse. — Eh bien, oui ! je te le sacrifie !
Marcassol, bondissant. — Hein !… tu veux… (à part.) Ah bien ! il ne manquerait plus que cela !… (haut) mais je ne veux pas que tu me sacrifies ton idéal !… tu n’en as pas le droit !… enfin il a été entendu que tu le chercherais !…
Clarisse. — Je ne le trouverais pas !
Clarisse. — Eh ! il serait déjà revenu !
Clarisse. — Ce serait trop difficile ! et puis je te dis que je me contente de toi ! allons ! je cours faire monter tes pantoufles ! c’est du quarante-quatre, n’est-ce pas ?…
Clarisse. — Je me contente de toi ! Au revoir ! (Elle sort par le fond.)
Scène VI
Marcassol, seul, très agité. — Elle se contente de moi… Ah bien ! que le diable l’emporte ! Me voilà bien, moi !… il n’y a pas à dire, je suis rivé… condamné à perpétuité ! Car enfin, du moment qu’elle renonce à chercher !… (Avec accablement.) Ah ! si je m’attendais à celle-là, par exemple !
Scène VII
Jenny, entrant avec précaution par le fond. — Monsieur, il y a là quelqu’un du second…
Lagaulardière, son chapeau à la main, l’autre main tenant un objet qu’il cache derrière son dos. — C’est à moi, monsieur.
Lagaulardière, tirant un autre chapeau de derrière son dos. — C’est çà, monsieur.
Lagaulardière, d’un ton bref. — C’est un chapeau !
Marcassol, à part. — Quelle drôle de conversation ! (haut) Mon Dieu, non monsieur, si ce n’est à la cuisine et encore ce sont des casques…
Marcassol, à part. — La Comtesse !… sapristi !… C’est le singe !
Marcassol, à part. — Bigre de bigre ! C’est le mien !…
Marcassol, s’enfonçant le chapeau sur les yeux. — A moi ! à moi ! Ah ! elle est bien bonne !… mais regardez-donc !… (à part) Je ne pourrai jamais l’enlever !…
Lagaulardière, l’invitant à le retirer. — C’est vrai !… il est trop étroit !… et puis du reste, ce n’est pas un chapeau d’homme comme il faut !… c’est un chapeau de pignouf !…
Marcassol, se reprenant. — Nous… je veux dire vous !… C’est une façon de parler…
Marcassol, s’échauffant. — Un feutre ! Chez la Comtesse !… un petit melon ! en feutre… Mais c’est indigne, Monsieur ! et vous permettez qu’elle connaisse des petits melons !… Mais il faut aviser ! nous ne pouvons pas supporter çà !…
Scène VIII
Les mêmes, Jenny puis Comtesse
Jenny, annonçant. — La comtesse Kaskoff !
Marcassol etLa Comtesse, jouant l’étonnement. — Tiens ! vous voilà ! je ne vous voyais pas !…
La Comtesse, un peu embarrassée. — Ce qui m’amène ?… Ah ! mon Dieu ! c’est bien simple… je venais… pour mes cheminées.
Marcassol, sèchement, — C’est bien, Madame !
La Comtesse, à part, étonnée. — Madame !
La Comtesse. — Oui… elles fument énormément, mes cheminées !
La Comtesse. — Eh bien, cela ne les empêche pas de fumer, mon ami, en hiver… mais je crois que vous sortiez… je ne vous retiens pas : d’autant plus que nous avons à causer affaires, mon propriétaire et moi, et vous ne pourriez que nous gêner.
La Comtesse. — Vous savez bien que vous n’y entendez rien !
Marcassol, idem. — Soyez tranquille, allez ! et ce ne sera pas long !
Scène IX
La Comtesse, Marcassol
(Une fois que Lagaulardière est sorti, la Comtesse va vivement àLa Comtesse. — Que vous a-t-il dit ? Pourquoi était-il ici ?
La Comtesse, étonnée. — Qu’est-ce qu’il a ?
La Comtesse. — Perfide ?
La Comtesse. — Les petits chapeaux ? quels petits chapeaux ?
La Comtesse. — Mais quoi ! Je ne vous comprends pas ! C’est un rébus !
La Comtesse, à part. — Aïe ! Aïe ! (haut, jouant l’étonnement) Hein ! Comment, vous avez pu croire ? Ah ! Tenez ! c’est mal…
La Comtesse. — Oh ! gros bêta ! Mais c’est mon chapeau, mon chapeau pour mon amazone.
La Comtesse. — Eh bien oui ! un pour la pluie, l’autre pour le beau temps.
Marcassol, avec joie. — Mais oui… c’est évident… et lui qui croyait… Non, mais il est bête !…
La Comtesse. — Hein ! à qui le dites-vous ? Heureusement que vous êtes là, car ce ne serait pas une existence, de vivre éternellement avec le même imbécile…
La Comtesse. — Ah ! Toto ! que ne puis-je vous dire : « Vous êtes garçon » ?
La Comtesse. — Mais non ! Vous êtes marié… Toujours la vieille tocade des hommes de prendre des femmes vertueuses pour leur apprendre en somme des choses que nous leur avons apprises.
La Comtesse. — Regardez comme cela aurait été gentil ! Vous libre, nous aurions planté là Lagaulardière ; nous serions partis tous les deux bien loin.
La Comtesse. — A Trouville !…
La Comtesse. — Mais hélas ! il n’y faut pas penser. Je n’ai pas le droit de vous arracher à votre ménage… En somme vous êtes heureux…
La Comtesse. — Vous avez une femme charmante ! Croyez-moi, restez près d’elle ! Restez à faire votre petit-pot-au-feu, à ravauder vos bas !
La Comtesse. — Enfin, ce serait indigne à vous de ne pas être fidèle !
La Comtesse. — Ah ! Dame ! Si vous étiez libre, ce serait autre chose ! — Ainsi, tenez, maintenant je vais faire un tour au bois, à cheval… Eh bien ! vous viendriez avec moi ! Tandis que c’est impossible…
La Comtesse. — Non ! Non !
Scène X
Les mêmes, Clarisse
Clarisse, entrant vivement. — Mon ami… ah ! pardon, madame…
Marcassol, à part. — Sapristi ! ma femme !
Clarisse, apercevant Marcassol qui est toujours à genoux devant la comtesse. — Ah ! çà, qu’est-ce que tu fais là ?
Marcassol, embarrassé. — Eh bien, tu vois ! c’est Madame…
La Comtesse. — En effet c’est moi !
Clarisse, effrayée. — Votre plafond ?…
Clarisse. — Un morceau de corniche !
La Comtesse. — Enorme, Madame, un morceau énorme !
Marcassol, toujours à genoux. — C’est sans doute une poutre en mauvais état… alors, nous examinions… (Tapant avec sa main sur le plancher.) Tenez ! ce doit être là !
La Comtesse, frappant du pied. — Mais vous avez raison…
(Ils frappent tous ensemble.)
Clarisse, avec un cri. — Je crois que j’ai entendu un craquement ! Mais il faut envoyer chercher l’architecte ! Il faut prévenir le maçon !
Clarisse. — Mais je crois bien ! va vite !…
Marcassol, à la comtesse. — Je vous suis, Madame, si vous le permettez !
La Comtesse. — Comment donc ! (Saluant Clarisse qui lui rend un salut.) Madame…
(Il sort par le fond avec la comtesse.)
Scène XI
Clarisse, seule
C’est cela ! va, mon ami !… Je viens de chez le cordonnier. Il aura ses pantoufles pour demain… Je veux être la première à lui souhaiter sa fête… Cher Thomas !… Ah ! je l’adore ! quand je pense pourtant que j’aurais pu ne pas être sa femme ! Ah ! ma foi !… si ce petit Edgard n’était pas parti… Pauvre Edgard… c’était un cousin éloigné à moi, il n’avait pas de fortune, pas de position… il était clerc d’huissier… mais il m’aimait tant !… Ah ! je crois bien que sans son départ…
Voix d’Edgard, au fond. — Je vous dis que je veux entrer !… Je sais qu’elle est là !…
Jenny, paraissant au fond et parlant à la cantonade. — Mais Monsieur !… mais a-t-on jamais vu !
Clarisse. — Qu’y a-t-il ?
Clarisse. — Un fou ?…
Edgard, paraissant au fond et apercevant Clarisse. — Ah ! je savais bien qu’elle était là…
Clarisse, stupéfaite. — Edgard !
Clarisse. — Oui ! laisse-nous !
Scène XII
Edgard, Clarisse
Edgard, avec reproche. — Ah ! Clarisse !
Clarisse. — Vous !… vous ici !… mais, ah çà ! d’où sortez-vous donc ?… d’où revenez-vous ?
Edgard. — D’Amérique, Madame !… et si j’ai un regret, c’est de ne pas y être resté ; pour apprendre ce que je viens d’apprendre ! votre trahison !…
Clarisse. — Ma trahison ?
Edgard. — Je sais tout !… ainsi vous êtes mariée !… Ah ! perfide !…
Clarisse. — Des reproches ?… En vérité j’admire votre audace ! M’accuser, quand c’est vous qui m’avez quittée !… Brusquement, sans raison !… quand c’est vous qui êtes parti…
Edgard. — Eh ! je suis parti… je suis parti… j’y étais forcé, moi ! J’ai été recueillir un héritage, toucher le montant de la fortune d’un oncle…
Clarisse. — C’était pour cela ?… Eh ! pouvais-je le deviner ? pourquoi ne m’en avez-vous pas prévenue ?
Edgard. — Mais pour vous en garder la surprise ! Je me disais : elle ne se doute de rien ! elle me croit toujours le petit saute-ruisseau d’autrefois, sans fortune !… Mais quand elle saura que je suis riche !… car je suis riche, riche maintenant ! il n’y aura plus d’obstacles ! On ne pourra pas me refuser ! Je repars pour la France radieux, plein d’espoir… et quand j’arrive, je vous trouve mariée à un autre ! mais cela ne peut pas se passer comme cela ! Je lutterai !
Clarisse. — Vous lutterez ?
Edgard. — Oui !… je suis décidé à tout ! et pour commencer, je viens vous enlever !
Clarisse, riant. — M’enlever !… Comment, m’enlever ?…
Edgard. — Croyez-vous que je vais vous laisser à ce misérable ?
Clarisse. — Misérable !… Ah ! permettez !…
Edgard. — Oui, misérable !… Car enfin, pourquoi vous a-t-il épousée ?… il n’en avait pas le droit ! Vous me revenez, comme je vous reviens !… Je vous aimais avant lui ! c’est un vol… Allons, vite ! Ne perdons pas de temps !… personne ne nous dérange !… mettez votre chapeau et partons !…
Clarisse. — Partir ?…
Edgard. — Puisque je vous dis que je vous enlève !…
Clarisse. — Il ne doute de rien !…
Edgard. — Mais cela se fait toujours comme cela, en Amérique !
Clarisse, riant. — Grand’enfant !… Voyons… ce n’est pas sérieux !
Edgard. — Pas sérieux !… Comment, pas sérieux ?…
Vous refusez ?…
Clarisse, riant. — Cette question ! Je ne veux pas du tout être enlevée !
Edgard, piqué. — Ah ! Clarisse ! Je ne vous reconnais pas là !… Ce n’est pas gentil !… voyons !… Vous me devez bien cette faible compensation. J’arrive d’Amérique tout exprès pour cela !… vous ne pouvez pas vouloir que j’aie fait le voyage pour rien !
Clarisse. — Je le regrette, en effet… mais vous arrivez mal. Heureusement trop tard…
Edgard. — Trop tard ?… Comment trop tard…
Clarisse. — Mais parce que j’aime mon mari !
Edgard. — Votre mari ! allons donc ! Comme si c’était possible… Les femmes disent toujours cela !… C’est la phrase consacrée… mais je sais bien que vous ne pouvez pas l’aimer !
Clarisse. — Vous le connaissez ?
Edgard. — Moi ?… pas du tout !… mais je le vois d’ici : un bon bourgeois, bien maniaque, qui porte pantoufles et fume la pipe !
Clarisse. — Mais pas le moins du monde !
Edgard. — Un de ces hommes qui ne se marient que pour faire une fin !… Laid, usé par les orgies, incapable de faire le bonheur d’une femme !…
Clarisse. — Ah ! assez !
Edgard, continuant. — Tandis que moi !… Je suis beau, je suis jeune, je suis ardent, moi !… Je vous rendrai heureuse, moi ! il n’y a pas à nous comparer ! Enfin, je ne vous demande que d’essayer de moi, Clarisse !… essayez de moi, et vous verrez la différence !…
Clarisse. — Pas un mot de plus ! ou je vais être forcée…
Edgard.— Me chasser !… vous voudriez !… en êtes-vous donc là ?…
Clarisse. — Dame ! s’il n’y a pas d’autre moyen de vous faire taire !…
Edgard.— Eh bien ! non !… non !… je ne dis plus rien !… C’est vrai ! j’ai eu tort…
Clarisse. — Vous le reconnaissez ? C’est heureux !…
Edgard. — Oui… je reconnais que j’ai peut-être été un peu trop loin ! Je vous ai trop demandé pour commencer…
Clarisse. — Pour commencer ?
Edgard. — Je m’en accuse, Clarisse !… Je m’en repens !… mais vous me pardonnez ?
Clarisse. — Je ne le devrais pas !
Edgard. — Me permettez-vous de venir vous voir… en ami ?…
Clarisse. — Enfin !… si vous me promettez d’être raisonnable…
Edgard. — Si je serai raisonnable !… puisque je vous dis que je ne viendrai qu’en ami !… en ami simplement !
Clarisse. — Du moment que ce n’est… qu’en ami !
Edgard. — Ah ! merci ! (à part) Tu verras cela comme je serai raisonnable !… pour commencer, je m’installe dans la maison… il y a un appartement à louer à l’entresol…
Clarisse. — Ah ! j’entends MonsieurEdgard, à part. — Le mari… Canaille ! va.
Scène XIII
Les mêmes, Marcassol
Marcassol, entrant du fond sans voir Edgard ni Clarisse. Il boite. — Aïe ! Maudit cheval !… Je me suis flanqué par terre !… J’ai de l’assiette, mais je me flanque par terre… (Apercevant Clarisse.) Oh ! ma femme !
Clarisse, à Edgard. — Mon cher Edgard, laissez-moi vous présenter mon mari.
Edgard, à part. — Lui !… Tiens ! il ne me dégoûte pas !
(Edgard et Marcassol se saluent.)
Marcassol, se redressant vivement après avoir salué et poussant un petit cri de douleur. — Aïe ! (à Clarisse) Qu’est-ce que c’est que celui-là ?
Clarisse. — Monsieur Edgard Fréminet, un ancien ami, dont…
Edgard. — Dites un parent, car nous étions un peu cousins, n’est-il pas vrai ?… on est de la même famille.
Marcassol, saluant. — Ah ! Monsieur, croyez-bien que les parents de nos parents sont nos parents…
Edgard. — Ah ! Monsieur…
Clarisse. — C’est Monsieur Edgard Fréminet dont je t’ai parlé ce matin.
Edgard. — De New York pour louer votre entresol qui est libre, je crois !
Clarisse, à part. — Que dit-il ?
Clarisse, bas. — Comment heureux !… (Haut.) Je dois vous avertir qu’il est très humide !…
Marcassol, bas. — Mais tais-toi donc ! Tu ne vas pas m’empêcher de louer mon entresol !… voilà deux ans que je ne peux pas arriver à trouver de locataire.
Clarisse, à part. — Après tout, c’est vrai !… et puis, autant que ce soit lui qu’un autre.
Marcassol, à Edgard. — Seulement, vous savez, jeune homme, il est un peu cher !…
Edgard. — Je ne regarde pas à la dépense !… mes moyens me le permettent…
Marcassol, à part. — Eh bien, puisqu’il est calé, je peux y aller franchement ! (haut) alors il est de trois mille…
Edgard. — Parfait ! je le prends !…
Marcassol, étonné. — Ah ! vous… c’est bien !… c’est bien !… (à part) J’aurais dû le lui mettre à quatre mille. (Poussant un petit cri de douleur.) Aïe !
Clarisse, avec intérêt. — Qu’est-ce que tu as ?
Edgard, à part. — Ah ! mais, ils ont l’air de s’entendre à merveille !
Clarisse, àClarisse. — Que t’est-il arrivé ?
Clarisse. — Sur ta tête ?…
Clarisse, le câlinant. — Ah ! mon pauvre ami ! Et tu souffres beaucoup ! Mais il faudrait mettre quelque chose…
Edgard, à part. — J’ai une position un peu ridicule, moi !… cela a un nom, le rôle qu’on me fait tenir…
Clarisse, subitement. — Ah ! la chandelle !… oui, un bon cataplasme à la chandelle ! c’est souverain… il faut t’en mettre un tout de suite…
Edgard, à part. — Comment ? Devant moi ?
Clarisse. — Je cours te le préparer !
Clarisse. — Allons, ne gronde pas ! (à Edgard) mon cher Edgard…
Edgard. — Je vous accompagne… je vais prendre possession de mon entresol… (saluant Marcassol) Monsieur (à part) C’est égal ! un mari grincheux et je suis dans la place !… mes affaires sont bonnes ! (Il sort avec Clarisse par le fond.)
Scène XIV
Marcassol, seul
Ah ! non ! non ! elle est insupportable !….enfin de quoi cela a-t-il l’air ? Venir parler de cataplasme devant ce jeune homme ! Ah c’est intolérable ! toujours la réalité après le rêve !… Ah ! cette promenade ! cette promenade ! je me suis flanqué par terre. C’est vrai… mais qu’importe !… C’est le rêve cela !… Et dire que si j’étais libre, ce serait tous les jours comme cela !… mais non ! il faut que je sois attaché, cadenassé, muselé… Ah ! je n’en peux plus !… Je n’en peux plus !… Je n’en peux plus !
Scène XV
Marcassol, Trémollet
Trémollet, passant la tête. — Personne !… (Apercevant Marcassol, il referme vivement la porte.)
Trémollet, entrant timidement. — Monsieur, c’est moi !
Trémollet, timidement. — Mon Dieu ! non mais un petit acompte : vingt-sept francs soixante-dix !
Trémollet, vivement. — Soixante-dix.
Marcassol — Eh ! vous croyez que je vous donnerai des sursis, que j’aurai pitié de vous, d’un monsieur qui fait des mariages, un marchand de chaînes, un fabricant de boulets… Ah ! oui… c’est une belle institution que votre mariage, parlons-en !
Marcassol, frappé. — Qu’elle a rêvé ! Qu’elle a rêvé ! Ah ! mon Dieu !…
Marcassol, à lui-même. — Mais oui, cela arrangerait tout !… si jamais je trouve l’homme de mes rêves, je vous rends votre liberté !… Elle me l’a dit. Eh bien ! cet homme…
Scène XVI
Les mêmes, Clarisse, Jenny
Clarisse tient un morceau de mousseline et une serviette, Jenny portant une casserole avec le cataplasme.
Clarisse. — Tiens ! voilà ton cataplasme !
Clarisse. — Qu’est-ce que c’est ?
(Ils sortent vivement tous les deux.)
(Clarisse et Jenny restent ahuries, l’une avec sa serviette, l’autre avec sa casserole.)
ACTE II
Même décor
Scène Première
Edgard, Jenny.
Edgard. — Monsieur est là ?
Edgard. — Et madame…
Edgard. — Ah ! (il s’assied.) A quelle heure monsieur Marcassol rentre-t-il ?
Edgard. — Comment…
Edgard. — Eh bien ! dites donc…
Jenny — Oh ! Monsieur n’ignore pas que quand les domestiques sont entre eux, cela n’est pas pour vous donner du « monsieur », c’est le moins qu’on se rattrape… Enfin pour Monsieur, ça y est… mais pour Madame… entre nous, je crois qu’elle vous a dans le nez.
Edgard. — Moi ?…
Edgard. — Hein ! Ah ! ça, dites donc… mais ne vous gênez pas… (à part.) En voilà une fille !
Edgard. — Oh ! blackboulage… blackboulage… pas tant que ça… et puis d’abord, ça ne vous regarde pas, tout ça… fichez-moi la paix… blackboulage, c’est vexant… Oh mais j’aurai ma revanche.
Scène II
Marcassol, Edgard.
Marcassol, un paquet de journaux sous le bras. — Tiens Edgard… vous n’avez pas vu ma femme ?
Edgard.— Non, justement je la cherche… Je lui apporte une baignoire pour le Palais-Royal.
Edgard. — A qui le dites-vous ?…
Edgard. — Et réciproquement.
Edgard. — Oh ! tout à fait content… si ce n’est qu’il y pleut comme dans la cour.
Edgard. — Oui, et puis j’ai un bon parapluie.
Edgard. — C’est cela !… Je vous quitte (à part.) C’est égal, si je n’arrive pas, ça ne sera vraiment pas de sa faute… (il sort.)
Scène III
Ah ! comme il aurait fait l’affaire celui-là !… mais non ! Clarisse ne peut pas le sentir ! Voilà bien ma guigne !… Enfin !… (cherchant autour de lui.) Qu’est-ce que j’ai fait de mes journaux ?… (prenant un journal.) Ah ! voilà…
Voyons : quatrième page, annonces. Ah !… Mariages… Peut-être vais-je enfin trouver là le mari qu’il me faut (lisant.) « Petit Havanais… » Ah ! Havanais… un étranger ! pourquoi pas… Natures ardentes et puis très bons cigares ! (lisant.) « On cherche pour petit Havanais terre-neuve femelle pour tenter croisement… » (parlé :) Est-ce qu’ils se moquent de moi… Ah ! voyons… (lisant.) « l’officier de marine »… Ah ! bon, (lisant.) « Sachant nager, épouserait femme de vingt-cinq à trente ans. : bonne travailleuse… de préférence avec tache… » (parlé :) Ah ! il est trop exigeant, celui-là, pour un officier de marine. Allons ! Ce n’est pas encore l’affaire !… Ah ! on ne sait pas ce qu’il est difficile de marier sa femme… Voilà trois jours que je cours après un remplaçant sans pouvoir le trouver. Quel métier ! mon Dieu. J’ai déjà fait cinq agences… Et bien, rien… rien que des prétendants défraîchis, des maris impossibles à écouler… des fonds de magasin, quoi… des rossignols. Et je ne pense pourtant pas marier ma femme à un rossignol. Sans compter qu’elle n’en voudrait pas, et comme il faut que l’homme que je trouve soit l’homme de ses rêves !… alors !…
Marcassol, lisant. — Enfin, voyons toujours… Oh ! « Il aura l’œil bleu, pensif. »
Marcassol, jetant le carnet sur la table. — C’est inutile !… mais au fait !… Dites donc ! pas de filous, là-dedans ? Ce sont tous des gens bien ?
Trémollet, dignement. — Ah ! nous n’en tenons pas d’autres.
Scène V
Marcassol, Clarisse
Clarisse. — Quelle indignité !… a-t-on jamais vu !…
Clarisse. — Oh ! J’en suis outrée… Un insolent qui a eu l’audace de me suivre dans la rue… Voilà une heure qu’il ne me quitte pas !
Clarisse. — Comment, ce n’est pas gentil ? C’est abominable ! (allant à la fenêtre.) Tiens ! Le voilà en faction sur le trottoir…
Clarisse. — Enfin, qu’est-ce que tu en dis ?
Clarisse. — Oh ! je ne te parle pas de sa personne… mais de son inqualifiable conduite.
Marcassol, très calme. — Oh ! c’est indigne !
Clarisse. — Comme tu dis cela ! On dirait que cela ne te fait rien ? Je te trouve une colère bien placide.
Clarisse. — De quoi ?
Clarisse. — Eh bien, mon ami ?
Clarisse. — La revue !… Quelle revue ?
Clarisse. — C’est un peu vieux !
Clarisse. — Ma foi, c’est un peu vague…
Clarisse, riant. — Mais, ah çà ! mon ami, qu’est-ce que tu as ? Quelle drôle de conversation !
Clarisse. — Voyons, où veux-tu en venir ?
Clarisse. — Monsieur Trémollet ?
Clarisse. — Il t’a demandé de me consulter.
Clarisse. — Moi ?
Clarisse. — Choisis quoi ?
Clarisse. — Un pompier… jamais de la vie !
Clarisse. — Oh ! c’est la même chose !
Clarisse. — Enfin, c’est toujours un soldat.
Clarisse. — Oh ! mais il faudra toujours consulter l’aveugle.
Clarisse. — Celui-là ? un maître d’hôtel ?…
Clarisse. — C’est justement ce qui me l’avait fait prendre pour un maître d’hôtel.
Clarisse. — Ah ! épouser un notaire !…
Clarisse. — Je ne sais pas quel est le goût de l’aveugle. Mais moi, je n’aurais jamais voulu d’un notaire.
Clarisse. — Vous me demandez mon avis ! Maintenant, parlez à l’aveugle !
Clarisse. — Enfin, qu’est-ce qu’elle demande ?
Clarisse. — Les jumeaux ?
Clarisse. — Mais, mon ami, des jumeaux.
Clarisse. — Tu… pourquoi tu ?…
Clarisse. — Eh bien, moi l’aveugle, je n’épouserais jamais un jumeau, j’aurais toujours peur d’être la femme de son frère.
Scène VI
Les Mêmes, Trémollet
Trémollet, accourant. — C’est moi ! on peut entrer ?
Clarisse. — Ah ! Monsieur Trémollet, je suis bien aise de vous voir !… Mon mari m’a fait votre commission.
Clarisse. — Aurez-vous l’occasion de voir ces jours-ci, l’aveugle ?
Clarisse. — Au théâtre Cluny ?… Mais non, l’aveugle, l’aveugle qui veut se marier.
Marcassol, à part. — Oh ! la ! la ! la ! la !
Clarisse. — Comment où elle demeure ?… mais c’est votre amie.
Marcassol, lui faisant des signes. — Mais oui, voyons l’aveugle… l’aveugle que nous voulons marier… à laquelle nous cherchions un mari.
Clarisse. — Et qui sort des Sourds-muets.
Marcassol, à part. — J’étouffe !
Clarisse. — Eh bien ! vous savez, je les ai vus, vos maris… ces maris que vous me proposez.
Clarisse. — Mais voilà une heure que nous vous le répétons !
Clarisse. — Oh ! ils ne me plaisent pas du tout… il est vrai, que pour ce que je veux en faire…
Marcassol, à Trémollet, bas. — N’insistez pas ! Ils ne font pas l’affaire !
Clarisse. — Au revoir, monsieurScène VII
Les Mêmes, Lagaulardière
Lagaulardière, entrant vivement du fond. — Je vous dis qu’elle est entrée ici, j’en suis sûr !…
Marcassol, à part. — Hein ! c’était l’homme au parapluie ?…
Trémollet, bas. — J’y pensais !…
Lagaulardière, avec dignité. — Le jaguar du Texas !… il me vient de ma mère…
Marcassol, avec admiration. — Le jaguar !… vous avez… (à part.) mais c’est un homme très bien ! je n’aurais jamais pu trouver mieux. (haut.) Eh bien, mon cher, je me charge de votre affaire…
Scène VIII
Jenny entrant. — Madame la Comtesse Kaskoff.
(Trémollet entre dans le cabinet. Jenny introduit la Comtesse et sort.
Scène IX
Marcassol, La Comtesse, puis Clarisse.
La Comtesse. — Je viens vous dire adieu !
La Comtesse. — Je pars ce soir pour Dieppe à 4 heures…
La Comtesse. — Lagaulardière ? je l’ai planté là !… je pars seule…
La Comtesse. — Oh ! je penserai à vous…
La Comtesse. — Que voulez-vous ! Ah ! si vous aviez été libre, je vous aurais dit : Marcassol je vous emmène… mais là, je vous dis : « restez ! »
La Comtesse. — Allons ! Allons ! vous oubliez votre femme…
La Comtesse. — Et puis, non, voyez vous… Je ne pourrais pas vivre avec vous… Rien que l’idée que vous ne m’appartenez pas tout entier. Je suis trop jalouse !
Croyez-moi, oubliez-moi !
La Comtesse. — Oh ! impossible… Si vous devez m’accompagner… et vous n’avez pas le droit de le faire, il faut que nous partions ensemble ce soir-même et que je le sache tout de suite… parce que des… amis à moi m’offrent l’hospitalité là-bas… et si vous venez, vous comprenez, il faut que je refuse…
La Comtesse. — Ah ! voilà mon ultimatum… tout de suite, ou pas du tout !
La Comtesse. — Ah ! Est-ce oui ?
La Comtesse. — Comment, vous hésitez !
La Comtesse. — Alors signons notre traité (Elle lui tend la joue.)
La Comtesse. — Eh bien ! j’attends, voyons, signez !
Clarisse, entrant de droite, recule en apercevant la scène, en laissant retomber la tapisserie sur elle. — Oh !
La Comtesse. — Et maintenant, je vous quitte… mes malles à faire, je suis pressée… Alors, à quatre heures !… c’est dit ! au revoir !
Scène X
Clarisse
Ah ! le misérable ! oui, j’ai bien entendu : Il l’aime. Il veut partir avec elle. Ah ! je comprends maintenant toutes ses sorties, les visites continuelles de cette femme ! Oh ! Oh ! C’est trop fort !… Attendez un peu !…
Scène XI
Edgard, entrant vivement à gauche et apercevant Clarisse, à part. — Ah ! Clarisse !
Clarisse, nerveuse. — Ah vous voilà ! Je vous attendais, mon cher Edgard.
Edgard, à part, étonné. Son cher Edgard ?…
Clarisse. — Edgard ! J’ai été injuste envers vous ! J’ai été dure !… mais je m’en repens.
Edgard, à part. — Qu’est-ce qui lui prend ?
Clarisse. — C’est fini, maintenant ! Dites-moi ! Vous vous souvenez de ce que vous m’avez proposé ? Eh bien ! j’accepte !…
Edgard, avec joie. — Hein !… Vous voulez bien que je vous enlève ?…
Clarisse. — C’est à dire que je vous le demande !
Edgard. — Vous me le demandez ? En vérité, je ne vous reconnais pas — je vais envoyer chercher un fiacre. Mais est-ce possible ? vous qui ce matin encore…
Clarisse. — Ah ! c’est que je luttais ! Je luttais, ce matin ! Tandis que maintenant…
Edgard. — Vous ne luttez plus…
Clarisse. — Non, parce que je sais que vous m’aimez, au moins, vous.
Edgard. — Si je vous aime !
(Marcassol paraît au fond, sur ce mot.)
Trémollet, à la porte de gauche. — Oh ! (Il referme vivement la porte.)
Clarisse. — Je sais que vous m’êtes fidèle, vous !
Edgard. — Si je vous suis fidèle… depuis neuf ans… Je vous jure que depuis neuf ans…
Clarisse, lui tendant sa main qu’il embrasse avec passion. — Ah ! mon ami ! Marcassol, entr’ouvrant la porte et se frottant les mains. — Bon ! Bon !
Edgard. — Ainsi, vous ne me repoussez plus ?… Vous êtes prête à tout ?…
Clarisse. — A tout !
Trémollet, entr’ouvrant sa porte. Même jeu queEdgard, continuant. — Et pour commencer, j’ai une baignoire pour le Palais-Royal. Ce soir, vous voudrez bien la partager avec moi ?
Clarisse. — Si je le veux !… mais avec bonheur, encore !… avec délices !…
Marcassol etClarisse. — Et nous souperons après !
Edgard, avec joie. — Nous souperons ?…
Marcassol etClarisse. — Et en cabinet particulier ! Ah ! mais ! en tête à tête. Ah ! mais ! avec des écrevisses !…
Edgard. — A la bordelaise ?…
Clarisse, résolument. — A la bordelaise !…
Marcassol et Trémollet, enchantés. — A la bordelaise !
Edgard ; se jetant aux pieds de Clarisse. — Ah ! Clarisse ! Je vous retrouve donc !…
Scène XII
Marcassol, descendant et faisant signe à Trémollet de le suivre. — Bonjour, vous allez bien ?…
Clarisse et Edgard. — Hein ?…
Edgard. — Comment ?… (à part.) Nous sommes flambés !
Marcassol, appelant. — Jenny ! (à Clarisse et Edgard.) Quelques dispositions à prendre.
Edgard, à part. — Il a l’air féroce… Il va me massacrer… c’est sûr !
Jenny, arrivant. — Monsieur m’appelle ?
Edgard et Clarisse. — Sa malle !
Edgard. — La malle !… C’est quelques supplice de son invention… le supplice de la malle… Ce doit-être horrible !
Clarisse, s’efforçant de sourire. — Ah ! nous… nous allons à Dieppe ?
(Jenny sort.)
Clarisse. — Comment seul… Je ne comprends pas.
(Ils s’asseyent.)
Edgard. — Il n’est pire que l’eau qui dort. Comme il déguste sa vengeance !
Trémollet, à(Il fait un mouvement pour sortir.)
Edgard, à part. — Comme il déguste… comme il déguste !…
Edgard. — Oh ! aux pieds, aux pieds !… Ça dépend de la manière de voir !
Edgard. — Moi ?… mais monsieur…
Edgard. — Me tuer !
Edgard, vivement. — Le droit !… Permettez, Monsieur ! Les avis sont partagés… On n’est pas d’accord !…
Edgard. — Qu’est-ce qu’il va me faire ? Mon Dieu, qu’est-ce qu’il va me faire ?
Edgard. — Moi… mais…
Edgard et Clarisse. — Hein !…
Marcassol, à Clarisse. — Quant à toi, Clarisse, tu reconnais avoir rencontré dans Edgard, un garçon absolument de ton goût, qui répond à toutes tes aspirations ?
Clarisse, à part. — L’insolent !… (haut.) Eh, bien oui, il me plaît ! et plus que vous et mille fois plus… et je l’aime, entendez-vous !… Je l’aime !
Clarisse et Edgard. — Hein ! Plaît-il ?
Clarisse. — A lui ! Allons donc ce n’est pas sérieux.
Edgard, abasourdi. — Comment… Vous voulez ?…
Marcassol, à Clarisse, — Oh ! Quant à la demande en divorce, tu t’en charges. Je suis un peu pressé.
Clarisse. — Mais mon ami !…
Edgard. — Mais enfin, monsieur.
Edgard. — Voyons Marcassol…
Scène XIII
Les mêmes, Jenny, puis Lagaulardière
Edgard. — Mais mon ami…
Marcassol — Allons, adieu, mes enfants ! Ah ! mon sac !…
Jenny, accourant — Le voilà !
Marcassol, — Tu as bien mis mon costume de bain ? Allons, adieu ! portez-vous bien !
Lagaulardière, cheveux noirs, accourant par le fond. — Me voilà ! Ce n’est pas tout à fait la teinte… Le coiffeur s’est trompé.
Clarisse. — Monsieur Marcassol, vous me payerez tout ça !
(Ahurissement général.)
ACTE III
Une serre d’appartement — Pièce à pans coupés. Dans celui de droite, porte donnant sur l’antichambre. Dans celui de gauche une autre porte dans l’appartement de Mme Marcassol — Fond vitré — Plantes, arbres rares en caisse. Portes latérales à droite et à gauche. — Celle de droite et à gauche — Celle de droite donnant dans la cuisine — Celle de gauche dans l’appartement — Chaises — fauteuils, table, au milieu de la scène.
Scène Première
Jenny, seule, sortant de chez Clarisse et parlant à la cantonade. Elle tient une assiette à la main. — Oui, madame !… (prêtant l’oreille) Hein ?… oui, madame… Plaît-il… (assez impatiente) mais oui, madame (descendant) Ah ! elle m’embête, madame ! (Elle jette l’assiette par terre) V’lan ! ça soulage… ce qu’elle est devenue tannante, madame, depuis huit jours que Monsieur est parti pour Dieppe et qu’on entend même plus parler de lui ! (Coup de sonnette du côté de la cuisine.) Qu’est-ce que c’est que cela encore ? (Elle entre à droite et rentre immédiatement avec un bouquet) un bouquet !… d’Edgard, le prétendu… prétendu à madame ! non ! mais il est amusant !… C’est qu’il croit vraiment que madame l’épousera !… S’il savait qu’elle n’a pas même fait sa demande de divorce… elle s’est bien gardée de le lui dire, par exemple !… pas plus qu’à Monsieur !… Ah ! il n’y a pas à dire, c’est toujours lui qu’elle aime !… Seulement je crois qu’elle ne serait pas fâchée de se venger un peu de lui ! Oh ! moi aussi, du reste ! et s’il revenait, je me chargerais bien de lui faire payer… (coup de sonnette) Ah ! ça… on ne peut donc pas être un instant tranquille ! Ah ! les sonnettes ! en voilà encore une fichue invention !… On croirait que c’est fait exprès pour déranger les domestiques !… (allant ouvrir) Hein !… Monsieur (à part) Ah bien ! il arrive bien !
Scène II
Marcassol, passant les assiettes. — Tiens, tu mets le couvert ?
Scène III
Les mêmes, Edgard.
Edgard, tenue très élégante, fleur à la boutonnière. — Tiens Marcassol ! à Paris ?
Edgard. — Ah ! ce bon, ce cher Marcassol, que vous êtes aimable d’être venu ! Clarisse va être enchantée !
Edgard. — Dame, ma femme !
Edgard.— Non ! ma femme !…
Edgard.— Ah ! permettez, elle n’est plus à vous !…
Marcassol, à part. — Ah ! elle n’est plus… Il a raison !
Edgard.— Ah ! mon ami, quel ange vous m’avez donné-là… C’est une perle ! une perle qui s’est séparée de sa coquille !
Edgard. — Oh ! pas vous ! C’est une métaphore ! Ah ! si vous saviez ! Elle a toutes les qualités.
Edgard. — Oui, toutes ! elle est taquine, autoritaire, despote !
Edgard. — Ah ça ! non, elle n’est pas jalouse avec moi !…
Edgard, haussant les épaules. — Vous ?… Oh ! Oh !
Edgard. — Ça n’a jamais été bien chaud chaud !
Edgard. — Mais elle me l’a dit parbleu Elle n’a jamais eu pour vous qu’une affection très modérée… tandis que moi…
Edgard. — Ah ! mon ami ! Elle m’adore, tout simplement ! Ah ! quand je pense que bientôt… dans quelque temps…
Edgard. — Eh bien, votre divorce sera prononcé !… Elle sera à moi… rien qu’à moi !…
Edgard. — Nous avons fait notre petit calcul ! nous nous marierons le 8 du mois prochain !…
Edgard, avec feu. — Ah ! ce jour ! ce jour ! quel jour ce sera !
Marcassol, tirant un calendrier de sa poche. — Quel jour ce sera ?… Attendez, je vais vous le dire. Le 8, c’est la Saint-Médard ! jour de pluie !
Edgard. — Alors, il pleuvra ce jour-là ! Ah ! c’est égal ! c’est grave !
Edgard. — Un moraliste l’a dit : « En mariage tout dépend des premiers instants… » Et le fait est que c’est délicat. Les femmes ont quelquefois de ces susceptibilités, et comme on n’est pas au courant de leurs manières de voir, de leurs dispositions d’esprit… Eh ! mais au fait vous !… vous connaissez Clarisse.
Edgard. — Eh bien, vous pourriez facilement me donner quelques conseils.
Edgard. — Ah ! Marcassol ! ce serait là un vrai service… vous comprenez, tout le monde a son petit amour-propre et vous êtes plus apte que personne.
Edgard. — Que diable ! vous avez eu le temps de l’étudier d’apprécier son caractère… Sans doute même lui avez-vous inculqué certains de vos principes.
Edgard. — Ah ! Marcassol, vous n’êtes pas un confrère !
Scène IV
Les mêmes, Clarisse.
Clarisse, à part. — Lui ! Ah ! Je savais bien qu’il reviendrait… A nous deux, maintenant. (haut.) Ah ! monsieur Marcassol ! Quelle bonne surprise ! Je vous demande pardon de vous avoir fait attendre, mais j’achevais ma toilette.
Marcassol, avec élan. — Ah ! Cette chère Clarisse !
Edgard. — Clarisse ! Clarisse ! permettez !
Edgard. — Vous êtes familier !… Soyez convenable !
Clarisse. — Mais…
Edgard. — Eh ! bien, dites donc ; est-ce que vous croyez que ma femme embrasse comme cela les messieurs ?
(un moment de silence.)
Clarisse. — Mais certainement non ! vous êtes un ami !… Ah ! que c’est aimable à vous d’être venu nous voir ! avoir quitté cette côte de Normandie qui a tant d’attraits…
Clarisse. — Si, si, je sais que vous l’aimez beaucoup.
Edgard. — Enfin ! vous y êtes très bien !
Marcassol, à Edgard. — Vous devriez venir nous y rejoindre (à part) ils se moquent de moi.
Clarisse. — Vous le voyez, vous arrivez, en pleins préparatifs.
Clarisse. — Mais pour notre mariage !
Edgard. — Ah ! Clarisse !
Clarisse. — Ah ! Edgard !
Marcassol, à part. — Ah ! ils m’embêtent !
Edgard. — A propos ! Tenez-vous libre pour ce jour-là !Clarisse. — Mais certainement ! nous comptons sur vous !… Je vous ai réservé un poste officiel.
Clarisse. — Vous serez notre second garçon d’honneur !
Clarisse. — Oui, nous avions bien pensé à vous prendre comme premier…
Edgard. — Mais nous avions une politesse à faire.
Edgard.— Ça ne vous fâche pas ?
Clarisse, à part. — Il est vexé !
Scène V
Les mêmes, Jenny.
Jenny, des cartons à la main. — On apporte ça de chez Rodrigues pour Madame.
Clarisse. — Ah ! oui, je sais !
Clarisse. — Ce sont des échantillons pour ma robe de mariage. Vous permettez que je jette un coup d’œil ? Venez voir, Edgard !
Edgard. — Comment, vous en aller ? mais non, vous n’êtes pas de trop, voyons !
Clarisse. — C’est vrai, vous allez nous donner votre avis, le second garçon d’honneur !
Marcassol, à part. — Oh ! mais ils commencent à m’agacer.
Clarisse, ouvrant les cartons et tirant les étoffes. — Ah ! voyons ! voici une soie gros grain qui n’est vraiment pas mal.
Edgard. — Ah ! vous êtes pour la soie, vous ?
Edgard. — J’aimerais mieux le satin ! Et vous, garçon ? (Marcassol ne répond pas.)
Edgard. — Eh bien ! oui, est-ce que vous n’êtes pas garçon d’honneur ?
Edgard. — Voyons, qu’est-ce que vous pensez de ça ?
Marcassol, regardant. — Qu’est-ce que c’est ? C’est pour des chemises ?
Clarisse. — Mais non, pour la robe !
Edgard. — Dame !
Edgard. — Comment ?
Edgard. — Enfin, il n’y a que les veuves qui se marient en couleur.
Clarisse. — Eh bien ! mon ami.
Edgard. — Mais pas du tout ! pas du tout ! je tiens au blanc ! La couleur prêterait aux commérages !
Clarisse. — Oui, oui, Edgard a raison.
Edgard. — Le fait est qu’il a tranché la difficulté.
Edgard. — Mais certainement ! ah ! ce bon Marcassol !
Clarisse. — Mais nous aurons encore besoin de vous. Tantôt l’on apporte la corbeille ! Aussi nous vous gardons à déjeuner.
Clarisse. — je vais dire qu’on ajoute un plat de plus… nous avons l’ordinaire… nous pensions déjeuner tête à tête.
Edgard. — Et nous n’attendions pas d’étranger.
Clarisse. — Oh ! Nous aurons le temps de nous rattraper.
Edgard. — Nous rattraper, ma chérie ! Oh ! oui, nous nous rattraperons. (Il la prend par la main ;)
Edgard. — Allons ! va, mon ange, va ! (il lui baise la main avec transport.)
Clarisse. — Voulez-vous me laisser. (Elle se sauve.). Il est furieux.
Scène VI
Marcassol, Edgard.
Marcassol, rageant. — Son ange ! votre ange ! Vous pourriez mesurer vos expressions !
Edgard. — Eh bien ! quoi donc ! qu’est-ce qui vous prend ?
Edgard. — Eh bien ! qu’est-ce que ça vous fait ? Elle n’est plus votre femme.
Edgard. — Allons, ne grondez pas, mon ami ! mon cher ami ! mais toutes ces marques de tendresse, c’est une façon de vous remercier.
Edgard. — Oh ! c’est si beau ! si grand, ce que vous avez fait ! Vous dépouiller pour un ami ! Car enfin, c’est à vous que je le dois ! réunir deux enfants qui s’aimaient.
Edgard. — Vous ne le saviez pas ? — Mais il y a longtemps que nous nous adorions ! quand elle vous a épousé, c’est moi qu’elle aimait.
Edgard. — Si elle vous a accepté, c’est par dépit, parce qu’elle croyait que je l’avais oubliée. Vous n’étiez qu’un pis aller.
Edgard. — Mais l’homme de ses rêves, c’était moi.
Edgard. — Moi !
Edgard. — Oh ! mais je la rendrai bien plus heureuse !
Marcassol, à part. — Oh ! Je rage ! je rage ! je rage !
Edgard. — Ah ! tenez, Marcassol, mon ami, mon bienfaiteur, voyez-vous c’est trop !… Il faut que je t’embrasse. (il se jette à son cou.)
Scène VII
Les Mêmes, Clarisse, Trémollet, puis Jenny
Clarisse, à la cantonade. — Mais comment donc ! Entrez donc, monsieur Trémollet ! (à Edgard) C’est monsieur Trémollet qui vient nous voir, je l’ai invité à déjeuner.
Edgard. — Mais certainement ! Vous avez trés bien fait… Ce bon Trémollet ! (il lui serre la main.)
Trémollet, bas, à Marcassol. — Vous venez voir comment ça va ici, hein ? Eh bien ! pas encore de nuages, toujours beau-fixe ?
Marcassol, grincheux. — Est-ce que je sais ? Je ne suis pas de l’observatoire.
Jenny, apportant un plat. — Madame est servie.
Edgard. — Allons à table !
(Marcassol va pour s’asseoir en face de Clarisse)
Edgard, très aimable. — Pardon, c’est ma place.
Marcassol — Comment ; c’est sa place ?
Edgard. — Mais naturellement, en face de ma femme ! N’est-ce pas… M. Trémollet ?
Edgard. — Tiens ! mais c’est vrai !
Marcassol, à part. — Imbécile !
Clarisse. — Allons, Monsieur Marcassol, dans ce cas-là, en face de moi ! Vous ne nous en voulez pas ? Ce n’est pas trés correct, n’est-ce pas ?
Edgard. — Mais deux amoureux !
Marcassol, à part. — J’ai eu tort d’accepter à déjeuner.
Jenny, servant. — Tourne-dos à la moëlle !
Clarisse, à Marcassol. — Ah ! ça, c’est pour vous ! je me suis rappelé votre faible
Clarisse. — Oh ! Ce n’est pas gentil !
Edgard. — Voyons, Ça ne se garde pas !
Edgard. — Oh ! bien ! Je ne suis pas comme vous ! J’en prendrai deux.
Marcassol, à part. — Quel goinfre…
Edgard. — Et toi, mon chou ?
Trémollet, donnant un coup de coude à Marcassol. — « Son chou », vous avez entendu ?
Edgard. — Oh ! C’est délicieux ! quand nous serons mariés, vous m’en ferez souvent ?
Clarisse. — Tous les jours !
Edgard, tendrement. — Alors on le soignera son petit mari ?
(Jenny donne un coup de poing sur le dos de Marcassol)
Marcassol, furieux. — Qu’est-ce que c’est que ces manières ! Occupez-vous donc de votre service !
Edgard. — Et on le dorlotera… et on le caressera ?
Clarisse. — Oh ! vous verrez ça !
Trémollet, bas à Marcassol. — Sont-ils assez charmants !
Marcassol, lui versant à boire. — Tenez, buvez donc, vous, buvez donc !
Jenny, arrivant avec un autre plat. — Pigeons rôtis !
Trémollet, d’un air malin. — Ah ! ça, ce n’est pas pour vous !
Marcassol, à part. — Oh ! ce Trémollet, si je pouvais l’étrangler (haut et froissé) C’est bien, je n’en prendrai pas.
Clarisse, intervenant. — Oh ! quelle idée ! mais c’est une plaisanterie ! Tenez je vais vous servir, moi. (Elle sert Marcassol) Et vous, Edgard, qu’est-ce que vous voulez ?
Edgard. — Servez-vous d’abord !
Clarisse. — Mon, mon ami ! tenez, l’aile que vous aimez !
Edgard. — Vous l’aimez aussi !
Clarisse. — Non.
Edgard. — Si.
Clarisse. — Eh ! bien ! partageons !
Edgard. — Quoi, vous voulez…
Clarisse. — Dame !… est-ce que deux époux ne doivent pas toujours partager ?
Edgard. — Oh ! oui, tout partager, mon trésor !
Trémollet, à Marcassol. — Hein ! ça y est-il assez ! êtes-vous content ?
Marcassol, lui versant à boire. — Tenez, buvez donc ! vous avez soif !
Jenny, apportant le café qu’elle pose sur la table. — Madame, le tapissier est là. Il demande à parler à Madame
Clarisse. — Ah ! Très bien !… Nous y allons.
Edgard, à Marcassol. — Vous permettez ! C’est pour la chambre nuptiale ! Vous vous servirez le café tout seul ! pensez-donc, la chambre nuptiale !
Trémollet, donnant un coup de coude à Marcassol — La chambre nuptiale !
Edgard. — Allons, viens, ma chérie !
Edgard — Allons nous occuper de notre petit nid ! Mon cher Marcassol !… (il offre le bras à Clarisse.)
(Jenny et Trémollet donnent en même temps un coup de poing àScène VIII
Trémollet, Marcassol.
êtes-vous venu ainsi me marier ma femme !…
Scène IX
Les mêmes, Lagaulardière.
Lagaulardière, teint en blond clair. — Ah ! monsieur Marcassol…
Marcassol, insistant. — Et Trémollet aussi !
(Il les chasse.)
Scène X
Marcassol, Clarisse, Et Edgard.
Edgard. — Allons, tout est arrangé avec le tapissier…
Edgard. — Il y a surtout un lit ! Un rêve !…
Marcassol, rageant. — Un lit, un lit !… Eh ! bien, non, il n’y a pas de lit il n’y a plus de lit !
Clarisse, à part. — Qu’est-ce qu’il dit ?…
Edgard. — Comment !
Edgard. — Comment, mais pour Clarisse !
Edgard. — Ah ! mon Dieu, mais qu’est-ce qu’il a ?
Edgard, furieux. — Monsieur !…
(Clarisse se retient pour rire.)
Edgard, furieux. — Aztèque !…
Edgard. — Monsieur… Je finis par croire que vous m’insultez !…
Clarisse, feignant la colère. — Assez monsieur… Vous injuriez celui qui va être mon mari.
Edgard. — Monsieur, vous n’avez pas le droit de me déprécier.
Clarisse. — D’abord, je ne vous demande pas votre avis, monsieur. Edgard me convient tel qu’il est, et je l’épouserai.
Edgard. — Enfin madame n’est plus à vous ! Vous me l’avez donnée.
Clarisse. — Ah ! oui, mais je m’y oppose.
Edgard. — Pantin ! Ah ! mais il est ennuyeux !…
Clarisse, à part. — Il m’aime toujours.
Clarisse, à part. — Ah ! cher Thomas !
Edgard. — Hein ?…
Clarisse. — Qu’est-ce que vous ferez ?
Clarisse, avec élan. — Tu ferais ça ? Ah ! Toto, que c’est bien !
Edgard. — Comment que c’est bien !
Clarisse. — Ah ! Tiens ! je t’adore…
Edgard. — Hein !
Marcassol, ouvrant les bras à sa femme. — Clarisse…
Clarisse, se jetant dans les bras deEdgard, à Clarisse. — Mais vous vous trompez… c’est moi… Il y a maldonne.
Edgard. — Hein ! Ah ! mais permettez… Madame, je vous en prie… dites à monsieur, faites lui comprendre… j’espère que vous n’allez pas l’écouter…
Clarisse. — Ah ! la femme doit obéissance à son mari.
Clarisse. — Et moi donc !…
Clarisse. — Chut !… j’ai tout oublié.
Edgard. — Eh ! bien, et moi alors ?… et mon mariage ?…
Edgard. — Mais c’est indigne, monsieur, on ne se conduit pas comme cela ! Enfin, vous m’aviez donné votre parole.
Jenny, entrant. — Monsieur Marcassol, un télégramme.
Marcassol, regardant la dépêche. — Ah ! c’est de Dieppe ! (à Clarisse.) Faut-il brûler ?
Clarisse. — Ah ! maintenant je n’ai plus peur !
(Marcassol et Clarisse éclatent de rire.)
Edgard. — Eh bien ! oui !… Je vais les rejoindre ! (avec dignité.) Vous pouvez disposer de votre entresol.
Jenny, annonçant. — M. Trémollet !
Clarisse. — Ah ! ce cher M. Trémollet !
Clarisse. — Eh ! grand enfant ! je ne l’ai jamais faite !
Trémollet, accablé. — Eh bien ! c’était bien la peine de me donner tant de mal !
- ↑ Distribution prévue par l’auteur.