À MA FILLE
SARAH


LE JOUR DE SA PREMIÈRE COMMUNION.


Tu fus, pendant treize ans, l’ange de la famille :
Notre unique bonheur, ce fut toi, douce fille,
Toi, dont le cœur si pur et le front si joyeux
Ont fait de notre vie un soleil radieux…
Il me souvient encor de ta première enfance ;
Je revois ton berceau, blanc comme l’innocence,
Où, quand j’allais guetter ton réveil du matin,
Je croyais voir dormir l’ombre d’un séraphin.
Ton paisible sommeil était un long sourire ;
Le souffle de ta lèvre, ainsi qu’un doux zéphire,
Semblait tout parfumé de grâce et de fraîcheur,
Et mon âme aspirait l’encens de ta candeur ;

J’oubliais mon enfant, ne voyant plus qu’un ange,
Et souvent, près de toi, dans une extase étrange,
Rêvant que j’admirais un messager du ciel,
Je priais à tes pieds, comme au pied d’un autel…
Et, quand tu t’éveillais, tu souriais encore :
On eût dit, au printemps, le réveil de l’aurore ;
Avec toi, se levait, dans le fond de nos cœurs,
Tout ce que la maison renfermait de bonheurs :
Avant que de parler tu te faisais comprendre ;
Ta bouche était si rose et ton regard si tendre,
Que, rien qu’en te voyant, je devinais soudain
Ce que voulait ton cœur ou demandait ta main…
Alors, je te couvrais de si longues caresses,
Je dévorais ton front de si vives tendresses,
Que ta mère souvent s’est prise à m’accuser
De ternir ta fraîcheur au feu de mon baiser.
Plus tard, quand tu marchas sans l’aide de ta mère,
Comme j’étais heureux et fier d’être ton père !
Comme mon cœur battait quand, te donnant la main,
Les passants, pour te voir, s’arrêtaient en chemin !
Comme nous nous plaisions à te couvrir de soie !…
Te voir aussi jolie était toute ma joie.
Et, que ce fût amour, erreur ou vanité,
Rien n’était assez beau pour parer ta beauté !…
Et tu le savais bien, innocente coquette !…
Lorsque l’on t’admirait, tu relevais la tête,

Et, d’un regard malin interrogeant mon cœur,
Tu m’envoyais ma part de ce commun bonheur.
Ce bonheur, mon enfant, fut bien grand pour ton père…
Oh ! mais il en est un pourtant que je préfère :
C’est celui d’aujourd’hui, celui qui, comme toi,
A grandi, chaque jour, tout à côté de moi.
Oui, treize ans ont passé comme passe un doux rêve ;
Quand ce passé s’enfuit, le présent se relève,
Et voici qu’à ta vue, en écoutant ta voix,
Je bénis aujourd’hui, sans regret d’autrefois.
Aujourd’hui, tu n’es plus seulement notre fille ;
Tu deviens une amie au sein de la famille ;
Tu deviens, près de nous, une sorte de sœur,
Plus petite de taille, aussi grande de cœur.
Tu partages nos jeux, nos plaisirs et nos peines :
Nos bonheurs, tu les sens, nos douleurs sont les tiennes,
Et notre vie, à nous, est un concert à trois,
Dont ton cœur est l’écho, dont nous sommes la voix…
Dieu plaça dans ton âme un trésor d’opulence,
Tout rempli de douceur, de grâce et d’innocence,
Dont il nous confia la clé pour la garder :
Nul que nous, jusqu’ici, n’a pu le regarder,
Et je sais que vanter cette obscure richesse,
Dont il daigna doter ta suave jeunesse,
C’est le faire au profit de ma propriété :
Qu’importe !… qu’on m’accuse hélas ! de vanité,

D’amour propre ou d’orgueil, d’erreur ou d’égoïsme :
Peut-être je te vois à travers un faux prisme,
Mais nous ne trouvons rien, ni ta mère ni moi,
D’aussi bon ici-bas ni d’aussi beau que toi !
Ma louange, aujourd’hui, descend du ciel lui-même ;
Il vient de l’attester par un second baptême ;
Le prêtre t’initie aux mystères de Dieu,
En consacrant ton cœur, admis dans le saint lieu :
Comme lui je bénis toute ta vie entière ;
Comme lui, je te dis : — Enfant, crois, aime, espère !
Et, puisqu’en ce grand jour, Dieu, du haut de son ciel,
Est venu dans ton cœur, pour en faire un autel,
Demande à sa clémence une faveur suprême…
C’est de rester toujours ce que tu fus toi-même ;
Et, pour que mieux encor nous puissions te bénir,
Que ce soit ton passé qui soit ton avenir !


GALOPPE D’ONQUAIRE.
24 juin 1852.