À la reine, pour sa bienvenue en France
ODE III
À LA REINE MERE DU ROY
[MARIE DE MÉDICIS]
SUR SA BIEN-VENUE EN FRANCE
Peuples, qu’on mette sur la teste
Tout ce que la terre a de fleurs ;
Peuples, que cette belle feste
À jamais tarisse nos pleurs ;
Qu’aux deux bouts du monde se voye
Luire le feu de nostre joye ;
Et soient dans les coupes noyez
Les soucis de tous ces orages
Que pour nos rebelles courages
Les dieux nous avoient envoyez.
À ce coup iront en fumée
Les vœux que faisoient nos mutins
En leur ame encor affamée
De massacres et de butins.
Nos doutes seront éclaircies,
Et mentiront les propheties
De tous ces visages pallis
Dont le vain étude s’applique
A chercher l’an climaterique
De l’éternelle fleur de lys.
Aujourd’huy nous est amenée
Cette princesse que la foy
D’Amour ensemble et d’Hymenée
Destine au lit de nostre Roy.
La voicy, la belle Marie,
Belle merveille d’Hetrurie,
Qui fait confesser au soleil,
Quoy que l’âge passé raconte,
Que du ciel, depuis qu’il y monte,
Ne vint jamais rien de pareil.
Telle n’est point la Cytherée,
Quand, d’un nouveau feu s’allumant,
Elle sort pompeuse et parée
Pour la conqueste d’un amant :
Telle ne luit en sa carriere
Des mois l’inégale courriere ;
Et telle dessus l’orizon
L’Aurore au matin ne s’étale,
Quand les yeux mesmes de Cefale
En feroient la comparaison.
Le sceptre que porte sa race,
Où l’heur aux merites est joint,
Luy met le respect en la face,
Mais il ne l’enorgueillit point.
Nulle vanité ne la touche ;
Les Graces parlent par sa bouche ;
Et son front, témoin asseure
Qu’au vice elle est inaccessible,
Ne peut que d’un coeur insensible
Estre veu sans estre adoré.
Quantes fois, lorsque sur les ondes
Ce nouveau miracle flottoit,
Neptune,
en ses caves profondes,
Plaignìt-il le feu qu’il sentait ?
Et quantes fois, en sa pensée,
De vives atteintes blessée,
Sans l’honneur
de la royauté
Qui luy fit celer son martyre,
Eust-il voulu de son empire
Faire échange à cette beauté !
Dix jours, ne pouvant se distraire
Du plaisir de la regarder,
Il a par un effort contraire
Essayé de la retarder.
Mais, à la fin, soit que l’audace
Au meilleur advis ait fait place,
Soit qu’un autre demon plus fort
Aux vents ait imposé silence,
Elle est hors de sa violence,
Et la voicy dans nostre port.
La voicy, peuples, qui nous montre
Tout ce que la gloire a de pris ;
Les fleurs naissent à sa rencontre
Dans les coeurs et dans les esprits ;
Et la presence des merveilles
Qu’en oyoient dire nos oreilles,
Accuse la temerité
De ceux qui nous l’avoient décrite
D’avoir figuré son merite
Moindre que n’est la verité.
O toute parfaite princesse,
L’étonnement de l’univers,
Astre par qui vont avoir cesse
Nos tenebres et nos hivers ;
Exemple sans autres exemples,
Future image de nos temples,
Quoy que nostre foible pouvoir
En vostre accueil ose entreprendre,
Peut-il esperer de vous rendre
Ce que nous vous allons devoir ?
Ce sera vous qui de nos villes
Ferez la beauté refleurir,
Vous qui de nos haines civiles
Ferez la racine mourir ;
Et par vous la paix asseurée
N’aura pas la courte durée
Qu’esperent infidellement,
Non lassez de nostre souffrance,
Ces François qui n’ont de la France
Que la langue et l’habillement.
Par vous un Dauphin nous va naistre,
Que vous-mesme verrez un jour
De la terre entiere le maistre,
Ou par armes ou par amour ;
Et ne tarderont ses conquestes,
Dans les oracles déja prestes,
Qu’autant que le premier coton
Qui de jeunesse est le message
Tardera d’estre en son visage
Et de faire ombre à son menton.
O ! combien lors aura de veuves
La gent qui porte le turban !
Que de sang rougira les fleuves
Qui lavent les pieds du Liban !
Que le Bosphore, en ses deux rives,
Aura de sultanes captives !
Et que de meres, à Memphis,
En pleurant diront la vaillance
De son courage et de sa lance
Aux funerailles de leur fils !
Cependant nostre grand Alcide,
Amolli parmi vos appas,
Perdra la fureur qui sans bride
L’emporte à chercher le trépas ;
Et cette valeur indomtée
De qui l’honneur est l’Euristée,
Puis que rien n’a sceu l’obliger
A ne nous donner plus d’alarmes,
Au moins pour épargner vos larmes,
Aura peur de nous affliger.
Si l’espoir qu’aux bouches des hommes
Nos beaux faits seront recitez
Est l’aiguillon par qui nous sommes
Dans les hazards precipitez,
Luy, de qui la gloire semée
Par les voix de la Renommée,
En tant de parts s’est fait ouïr
Que tout le siecle en est un livre,
N’est-il pas indigne de vivre
S’il ne vit pour se réjouir ?
Qu’il luy suffise que l’Espagne,
Reduite par tant de combas
A ne l’oser voir en campagne,
A mis l’ire et les armes bas ;
Qu’il ne provoque point l’envie
Du mauvais sort contre sa vie,
Et puis que, selon son dessein,
Il a rendu nos troubles calmes,
S’il veut d’avantage de palmes,
Qu’il les acquiere en vostre sein.
C’est là qu’il faut qu’à son genie,
Seul arbitre de ses plaisirs,
Quoy qu’il demande, il ne denie
Rien qu’imaginent ses desirs ;
C’est là qu’il faut que les années
Luy coulent comme des journées,
Et qu’il ait dequoy se vanter
Que la douceur qui tout excede
N’est point ce que sert Ganimede
A la table de Jupiter.
Mais d’aller plus à ces batailles
Où tonnent les foudres d’enfer,
Et lutter contre des murailles
D’où pleuvent la flamme et le fer,
Puis qu’il sçait qu’en ses destinées
Les nostres seront terminées,
Et qu’aprés luy nostre discord
N’aura plus qui domte sa rage,
N’est-ce pas nous rendre au naufrage,
Aprés nous avoir mis à bord ?
Cet Achille, de qui la pique
Faisoit aux braves d’Ilion
La terreur que fait en Afrique
Aux troupeaux l’assaut d’un lyon,
Bien que sa mere eust à ses armes
Adjousté la force des charmes,
Quand les destins l’eurent permis,
N’eut-il pas sa trame coupée
De la moins redoutable épée
Qui fust parmy ses ennemis ?
Les Parques d’une mesme soye
Ne devident pas tous nos jours ;
Ny tousjours par semblable voye
Ne font les planettes leurs cours.
Quoy que promette la Fortune,
A la fin, quand on l’importune,
Ce qu’elle avoit fait prosperer
Tombe du feste au precipice ;
Et, pour l’avoir tousjours propice,
Il la faut tousjours reverer.
Je sçay bien que sa Carmagnole,
Devant luy se representant
Telle qu’une plaintive idole,
Va son courroux sollicitant,
Et l’invite à prendre pour elle
Une legitime querelle ;
Mais doit-il vouloir que pour luy
Nous ayons tousjours le teint blesme,
Cependant qu’il tente luy-mesme
Ce qu’il peut faire par autruy.
Si vos yeux sont toute sa braise,
Et vous la fin de tous ses voeux,
Peut-il pas languir à son aise
En la prison de vos cheveux,
Et commettre aux dures corvées
Toutes ces ames relevées
Que, d’un conseil ambitieux,
La faim de gloire persuade
D’aller sur les pas d’Encelade
Porter des échelles aux cieux ?
Apollon n’a point de mystere,
Et sont profanes ses chansons,
Ou, devant que le Sagittaire
Deux fois ramene les glaçons,
Le succez de leurs entreprises,
De qui deux provinces conquises
Ont déja fait preuve à leur dan,
Favorisé de la victoire,
Changera la fable en histoire
De Phaeton en l’Eridan.
Nice, payant avecques honte
Un siege autrefois repoussé,
Cessera de nous mettre en conte
Barberousse, qu’elle a chassé ;
Guise en ses murailles forcées
Remettra les bornes passées
Qu’avoit nostre empire marin ;
Et Soissons, fatal aux superbes,
Fera chercher parmi les herbes
En quelle place fut Turin.