À la duchesse Mazarin (« Quand je songe au respect que j’eus toujours pour vous »)



À LA DUCHESSE MAZARIN.
(1687.)

Quand je songe au respect que j’eus toujours pour vous,
Je ne puis deviner d’où vient votre courroux :
Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je dit ? Quel peut être le crime
Qui contre un serviteur fidèle vous anime ?
Autrefois, j’étois caressé,
Vous me consultiez sur l’étude ;
Maintenant votre esprit blessé,
Vous fait dire d’un ton bien rude :
« Allez, allez à d’autres gens
Porter Honnête homme et bon sens :
Jargon aux François ordinaire,
Que les savants n’approuvent guère ;
Allez, avec votre fausset,
Chanter les airs du vieux Boisset1 ;
Et lorsque vous serez à table,
Plus dégoûté que délicat,
Ne voyez servir aucun plat,
Que vous ne trouviez détestable ;
Ou dont vous ne mangiez au moins à contre-cœur,
Si l’on n’en mangeoit pas chez votre commandeur2.
Puissiez-vous conserver, pour votre pénitence,
Toujours le goût françois, sans jamais être en France ! »
Surpris du mauvais traitement,
Je cherchois inutilement
Ce qui m’attiroit tant d’injure ;
Lorsqu’à la fin, par aventure,
M’étant tourné vers un miroir,
Où loupe et rides se font voir,
Où j’ai peine à souffrir moi-même mon image,
Je me suis dit avec douleur :
On n’est point innocent avec un vieux visage,
Dont les traits effacés font peur.
Vieillard, ne cherche pas ton crime davantage !



NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Voy. sup., page 399.

2. Le commandeur de Souvré.