À l’ombre de mes dieux/Pluie d’automne

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À l’ombre de mes dieuxLibrairie Garnier frères (p. 60-62).
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PLUIE D’AUTOMNE


Qu’est devenue, Été, ta gloire ensoleillée ?
Vois pourrir dans l’étang ton reste de feuillée,
Rien n’a gardé mémoire ici de tes reflets,
Et partout, c’est l’ennui d’une plaine rouillée
Où la pluie ample et drue a tendu ses filets.

La Terre dépouillée aujourd’hui des verdures
Où Messidor, hier, allumait ses tisons,
Le cuir ridé d’avoir gesté tant de moissons,
Avec tout ce que l’Homme y fit d’entailles dures,
Nue et vide, s’en va rejoindre l’horizon.

L’azur qu’exile au loin, océan de tristesse,
La pluie envahissante aux mobiles réseaux,
Ne sait plus que jadis y vibrait d’allégresse,
À chaque aube nouvelle, un cantique d’oiseaux,
Ni que sa fête, au soir, incendiait les eaux.


Ce long bruit de la pluie uniforme qui tinte,
Ce long bruit qui nous vient des lointains assoupis
Et se propage autour de nous, semble la plainte
Triste qu’exhalerait d’une voix presque éteinte,
La Terre à qui l’on a ravi tous ses épis,

La Terre dépouillée et qui se remémore,
Par ce gris crépuscule ondoyant et sonore,
De quelle ardeur cupide il lui meurtrit le sein,
De l’aube jusqu’au soir et du soir à l’aurore,
L’Homme qui tire d’elle et son or et son pain.

La Terre qui s’éplore à n’avoir rien pour elle,
Mère au cœur douloureux, de sept glaives planté,
De qui l’engeance humaine épuise la mamelle,
Et qui sait qu’à l’endroit de ses flancs, éternelle,
Jamais ne périra la douleur d’enfanter.

Ainsi, sous le ciel bas rongé de plaie humide,
Comme lasse à la fin de son terrible effort,
S’endolorit la Terre et son immense corps,
Nu, creusé de sillons profonds comme des rides,
S’en va rejoindre au loin le vaste horizon mort.


Et sa plainte gémit et s’enfle et s’exaspère
Tandis qu’impitoyable instrument du Destin,
De l’humus détrempé fouillant le noir mystère,
La Pluie, au blé que l’homme y sèmera demain,
La Pluie, obstinément, prépare le chemin.

1892.