À l’ombre de mes dieux/Ode à Ronsard

Pour les autres éditions de ce texte, voir Ode à Ronsard.

À l’ombre de mes dieuxLibrairie Garnier frères (p. 97-105).


ODE À RONSARD

POUR FÊTER LE QUATRE CENTIÈME ANNIVERSAIRE
DE SA NAISSANCE


I


 Oïs, Phoïbos, dieu de lumière,
Ma prière,
Fais que je puisse avec art
Forger d’un or sans mélange
La louange
Du Maître-ouvrier Ronsard.

Soit que d’aventure il erre,
Solitaire
Et pensif, au fond des bois,
Épiant ce que Nature
Lui murmure
De sa plus secrète voix ;


Soit qu’il célèbre en vers tendre
Sa Cassandre,
Marie à la joue en fleur,
Ou que d’une voix dolente,
Il lamente
Chaste Hélène, ta rigueur ;

Soit qu’à l’ombre de la treille
Il éveille
À l’escrime du couplet,
Belleau, Baïf, son fidèle,
Et Jodelle
Et son plus cher du Bellay ;

Ou que, d’un poumon farouche,
Il embouche
Comme à Roncevaux, le cor,
Et taille, à grands coups d’épée,
L’épopée
De Francus, issu d’Hector ;

Ou que, jailli de son aire
Téméraire,
D’un trait d’aigle impétueux,

Il aille, bravant la foudre,
Noir de poudre,
Ravir l’Ode au fond des cieux.

Toujours, d’un grave ou doux style,
Il distille
L’ambroisie, et ses accents,
Comme une haleine pâmée
D’Idumée,
Saoûlent l’âme avec les sens.

Toujours, sa bouche confesse
La Sagesse.
Sans rien de vil aduler,
Puisqu’aux rois même il découvre,
En plein Louvre,
Un sévère et franc parler,

Leur montrant quels périls crée
L’Empyrée
Et que si haut que leurs droits
Délivrent sentence au monde,
Plus haut gronde
Le Ciel, tribunal des rois.


Il sait d’une rose en cendre
Faire entendre,
Qu’ici-bas l’essentiel
Consiste à cueillir d’emblée
L’heure ailée,
Pour en épuiser le miel.

Surtout, fidèle au vrai rite,
Il agite
À sa garde, un éclair prompt,
Et de la racaille intruse
Chez toi, Muse !
Pulvérise l’escadron.

II



Je te salue et révère
Ô bon père,
Qui (miracle sans égal
De l’un jusqu’à l’autre pôle)
Fis, en Gaule,
Bouillonner l’Onde au cheval.


Ô toi, qui de la dépouille
De la Pouille
Et de Thèbes, as construit,
Pour notre âge, de main-fée,
Un trophée
Dont l’Univers s’éblouit.

Qui menant Pégase boire
Dans la Loire,
Et pliant tout sous tes lois,
Sûs te rendre sur la terre
Tributaire
Jusqu’au sceptre des Valois.

Toi, qui repeuplas la cime
Du sublime
Olympe, un temps dévasté ;
Et des dieux d’apothéoses,
Ceints de roses,
Rouvris l’immortalité.

III



Longtemps une engeance impie,
(Qu’elle expie

Son crime au noir Achéron)
Sur ta gloire a voulu mordre
Et détordre
La palme inscrite à ton front.

Mais ton bruit prit violence
De l’offense
Comme un filet d’eau courant,
Grossi de l’effort contraire,
S’en libère,
Du coup devenu torrent.

Ton culte ainsi se répare
En fanfare,
Et l’on voit aux purs sommets,
Le Signe heureux enfin luire
De ta lyre
Acclamée à tout jamais.

IV



Qu’un rustre ignard s’éblouisse
D’artifice
Puéril et de clinquant

Qu’à ta Substance il préfère
La Chimère,
Image de son néant !

Moi, t’avouant pour ancêtre,
Je veux être
Celui qui, sans défaillir,
Debout, sous ton péristyle,
Nourris d’huile
La lampe du souvenir.

Je veux être ta cymbale
Triomphale
Et jusqu’à mon dernier jour,
T’offrant l’encens d’une nue
Continue,
Faire à ton ombre séjour.

V



Depuis qu’au sombre royaume
Son fantôme
Plaint le soleil aboli,

Quatre siècles n’ont pu faire,
Sur sa pierre,
Déferler la vague : Oubli.

Et puisqu’échoit, retournée,
La journée
Où Vendôme (signe heureux)
A vu naître au pied d’un hêtre,
Ce dieu, maître
Des pasteurs harmonieux,

Vous, dont il reste le guide
Et l’égide,
Jeunes disciples romans,
Entonnez à son adresse
D’allégresse
Un sonore Io Pœan !

Io Pœan ! sur la frêle
Chanterelle
Et sur les cuivres vainqueurs,
Io Pœan ! boute-flammes,
Dans les âmes
Io Pœan ! dans les cœurs !


Qu’un auguste et saint délire
Vous inspire
Et, joints du même étendard,
Criez tous à perdre haleine :
« Gloire pleine
Au maître-ouvrier Ronsard ! »