Alphonse Lemerre (p. 147-149).

XXXI

LE SERMENT


 
Songez à ce matin si merveilleux encor
Où vous fîtes devant un vieux crucifix d’or
Le serment de m’aimer toujours pendant l’absence !
Ô désespoir du cœur qui s’éloigne ! ô puissance
Du dernier mot d’amour qu’on se donne au départ !
Et le dernier baiser ! et le dernier regard !


La voiture roulait lentement par la ville.
Je ne regardais pas votre bouche tranquille
Dans le serment divin s’ouvrir et se fermer.
Mais Dieu vous entendait quand vous juriez d’aimer.
Monstre mélancolique et triste, chair vendue,
Combien de fois déjà vous a-t-il entendue ?

Oh ! maintenant je vous en supplie à genoux,
Songez à moi ! songez aussi, songez à vous !
Écoutez ce qu’a dit la parole sacrée :
« Tous ceux qui n’auront point gardé la foi jurée
Mourront de leur blasphème effroyable, et leur chair
Horrible fumera dans l’éternel enfer. »

Quand vous aurez trahi la parole donnée,
Votre chair en sera désormais condamnée.
Je prendrai dans mes mains le châtiment des dieux.
Je viendrai, noir, pareil aux morts qui n’ont plus d’yeux,
Et vous frappant au cœur comme on troue une cible,
Quand vous aurez trahi le serment invincible.

Puis je mourrai moi-même en poussant un sanglot
Tellement douloureux que le bois et le flot
En jetteront encore une clameur farouche
Après que je serai tombé dans l’autre couche,
Comme au jour où le temple immense s’écroula
Sur le juge Samson vendu par Dalila.


Ainsi meurent, et dans leur corps et dans leur âme,
Pour punir toutes les trahisons de la femme,
Meurent dans un immense effondrement humain,
Terribles et faisant craquer avec leur main
Les colonnes sur qui repose le ciel même,
Tous les êtres qu’aura trompés l’Amour suprême.