À bas la calotte/Où sont les tripes ?

Bibliothèque anti-cléricale (p. 42-44).

OÙ SONT LES TRIPES ?


L’autre jour, il pleuvait, je m’ennuyais à mourir, et voilà que je pensais à de drôles de choses.

Je repassais dans ma mémoire l’histoire de la résurrection du Christ.

N’avez-vous pas remarqué que c’est toujours par les temps de pluie et d’embêtement que l’on pense aux choses rigolottes ?

Tout à coup, tandis que je me remémorais les divers incidents des funérailles de celui que les chrétiens appellent un Dieu et les Juifs un imposteur (deux religions également autorisées, cependant), tandis que je me rappelais la vieille légende d’après laquelle les saintes femmes prirent le corps du Christ, l’embaumèrent et le déposèrent dans un sépulcre appartenant à un nommé Joseph d’Arimathie, cette question de l’embaumement me trotta longtemps dans la cervelle d’une façon fort irrévérencieuse.

Pour que les saintes femmes aient embaumé le Maître, il faut qu’elles l’aient d’abord vidé comme on fait à une vulgaire poularde ; après quoi, on a remplacé ses intestins par des aromates et des parfums, etc., etc.

Mais l’Évangile nous apprend que le Christ est ressuscité trois jours après qu’on l’a eu enseveli.

C’est donc qu’il est sorti du sépulcre vivant, mais sans intestins. On n’a jamais entendu dire que lesdits intestins désertèrent le bocal dans lequel on les avait sans doute placés ; aucun évangéliste ne fait mention de ce petit détail qui aurait été pourtant intéressant.

Alors, où sont les tripes ?

J’en appelle à tous les gens de bonne foi, où sont les tripes ?

Les dévots vont me répondre : Dieu n’avait pas besoin d’intestins pour vivre.

Très-bien ! je vous l’accorde. Du moment que saint Denis s’est promené au bois de Boulogne en portant sa tête sous le bras, je consens très volontiers à ce que le Christ ait passé quarante jours complètement dépourvu d’entrailles ; cela m’importe peu.

Ce que je vous demande, c’est de me dire où sont les tripes.

Oh ! ce n’est pas que j’aie envie de me les faire apprêter à la mode de Caen !… Ne vous inquiétez pas, je vous les laisse pour le cas où vous voudriez inventer une « communion partielle ». Mais que voulez-vous ? je suis né très-curieux, et je meurs d’envie de savoir où sont les tripes.

Voyons, frère Veuillot, ne me laissez pas comme cela dans l’incertitude.

Les divines tripes existent-elles quelque part, oui ou non ?

Sinon, expliquez-moi comment elles ont pu disparaître, tandis qu’on a recueilli tous les autres morceaux ou objets ayant appartenu au Christ ou l’ayant seulement touché, tels que le mouchoir avec lequel sainte Véronique lui a essuyé la frimousse, la croix sur laquelle il a expiré (en a-t-on assez vendu des fragments de cette vraie croix), la lance qui lui a percé le cœur, le saint prépuce, la couronne d’épines, etc., etc.

Si oui, c’est-à-dire si les intestins du Seigneur n’ont pas été égarés, eh bien ! je demande qu’on les exhibe, et que l’on inaugure un pèlerinage, et que l’on bâtisse une chapelle, et qu’il pleuve des miracles à faire enrager Fourvières, Lourdes et la Salette.

Allez-y donc gaîment, mes très-chers frères, organisez grandement cette dévotion à laquelle vous n’avez pas encore pensé, la dévotion aux Saintes-Tripes.

Je vous jure que vous aurez un succès fou. Tenez, je suis tellement certain de la réussite que je m’inscris d’avance pour cent actions.