À Mademoiselle de Cosnard de Ses

À Mademoiselle de Cosnard de Ses
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 129-130).

XL

À Mademoiselle de Cosnard de Ses.

La pièce de vers suivante se trouve en tête de la pièce intitulée les Chastes martirs, Tragédie chrestienne par Mademoiselle Cosnard, à Paris, chez Nicolas et Iean de la Coste, au mont S. Hilaire à l’Escu de Bretagne…, M.DC.L., avec privilège du Roy. L’ouvrage dont nous venons de reproduire le titre forme un volume in-4o de cinq feuillets non chiffrés et de quatre-vingt-quinze pages. Le premier feuillet est occupé par le titre ; le second contient la dédicace, adressée à la Reine régente et signée : Marthe Cosnard de Ses ; le troisième feuillet présente au recto les vers de Corneille qu’on va lire, et, au verso, un compliment adressé par M. de Saint-Nicolas, maître des eaux et forêts à Vire, à Mlle Cosnard ; il se termine ainsi :
Votre art qui va jusqu’à l’excès
Mérite bien qu’on vous appelle
Quelque jour la vierge de Sais,
Puisqu’Orléans a sa pucelle.

Les feuillets 4 et 5 renferment l’avis au Lecteur et les noms des personnages. Il s’en faut néanmoins que les exemplaires de cette tragédie se rencontrent d’ordinaire dans l’état que nous venons d’indiquer. Tous ceux que nous avons vus à Paris, dans les bibliothèques publiques et dans les ventes, ne contiennent ni le second ni le troisième feuillet, occupés par la dédicace et les vers. Je savais que ces curieuses particularités se trouvaient dans l’exemplaire qui figure au Catalogue de M. de Soleinne sous le no 1249, mais j’ignorais ce que cet exemplaire était devenu. M. Albert de la Fizelière, rédacteur en chef de l’Union des Arts, a eu l’obligeance de me le signaler. Il fait aujourd’hui partie de la précieuse bibliothèque de M. Léon de la Sicotière, avocat d’Alençon, qui a bien voulu nous en envoyer une description très-complète, avec une copie fort exacte des vers de Corneille. — Si nous cherchons quels sont les motifs qui ont pu amener notre poète à adresser ces vers à Mlle Cosnard, nous sommes obligé, en l’absence de tout renseignement biographique, de faire simplement observer que Mlle Cosnard était de Sées, qu’elle recevait les compliments d’un maître des eaux et forêts de Vire, et qu’elle imitait dans sa pièce Agathonphile, roman de Jean-Pierre Camus, ancien évêque de Belley, retiré alors à l’abbaye d’Aunay, près de Caen, où il exerçait les fonctions de vicaire général du diocèse de Rouen. C’est, ce nous semble, plus qu’il n’en faut pour expliquer un peu l’intérêt que son ouvrage inspirait à Corneille.


Que tes Chastes martyrs vont te faire d’amants,
Que parmi leurs travaux tu sèmes d’ornements,
Et que ton coup d’essai, si digne de mémoire,
Doit enhardir ta plume à redoubler ta gloire !
Poursuis, divin esprit, continue à charmer, 5
Entretiens ce beau feu que tu viens d’allumer ;
Bientôt à cet effort fais succéder un autre
Qui couronne ton sexe, et fasse honte au nôtre :
Des Muses nous prenons le génie et la loi,
Qui ne sont après tout que filles comme toi. 10
Je te dis de leur part que dessus le Parnasse,
Au milieu de leur chœur[1] elles te gardent place,
Et que tes premiers vers ont assez de douceur,
Pour faire la dixième entre ces doctes sœurs.
Moi-même pour me faire admirer sur la scène, 15
Je te voudrai pour guide au lieu de Melpomène ;
Et chacun après moi, pour boire en leur vallon,
Préférera ton aide au secours d’Apollon.
Ne te lasse donc point d’enfanter des merveilles,
De prêter ton exemple à conduire nos veilles, 20
Et d’aplanir à ceux qui l’auront imité
Les illustres chemins à l’immortalité.


  1. L’édition originale porte cœur.