À M. le sénateur L.-J. Forget

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Nous aimons exalter, nous exaltons souvent
Les preux qui, tout sanglants, pleins d’ardeur obstinée,
Auprès d’un fier drapeau gonflant ses plis au vent,
Succombent au milieu d’une charge effrénée ;
Mais toujours nous passons indifférents devant
Ceux qui luttent sans bruit contre la destinée.


Nous avons des sanglots, nous avons des lauriers
Pour le grand général tombé pour la patrie.
Nous proclamons bien haut la gloire des guerriers ;
Mais nous n’avons pas même un mot de sympathie
Pour les vaillants obscurs qui font, à leurs foyers,
Ivres de dévoûment, les combats de la vie.

Rarement nous songeons à ces cœurs indomptés,
Que le destin pourtant fait saigner à toute heure.
Nous oublions parfois jusqu’aux déshérités
Que torture la faim au fond de leur demeure,
Et la foule, entraînée aux bras des voluptés,
Détourne ses regards du mendiant qui pleure.
 
Dans cette foule ardente, aux délirants propos,
Qu’une indicible fièvre incessamment transporte,
La voix de la pitié n’éveille pas d’échos.
La sainte Charité par moments semble morte,
Et bien des châtelains restent sourds aux sanglots
Des pâles suppliants qui frappent à leur porte.


Le riche bien souvent éloigne avec aigreur
Le paria du sort courbé par la misère…
Cependant parmi ceux qu’enivre le bonheur,
À qui la fée Urgande a tout donné sur terre,
Il en est dont la main s’ouvre comme le cœur,
Pour verser des secours au pauvre prolétaire.

Vous êtes parmi nous un de ces bienfaiteurs,
Et vos dons sont de ceux qu’enregistre l’Histoire.
Vous brillez au milieu des grands consolateurs
Dont le peuple toujours conserve la mémoire,
Car ce que vous donnez aux malheureux en pleurs
Se transforme pour vous en un rayon de gloire.

Aux ravages du temps votre nom survivra,
Et, parce qu’en voulant combattre la souffrance,
Vous payez de votre or la flamme qui luira
Dans l’âtre près duquel gémissait l’indigence,
Au foyer de son cœur plus d’un vous gardera
Le feu cent fois béni de la reconnaissance.