Les Salaziennes/26

(Redirigé depuis À M. A. Vinson)


Vingt-sixième

Salazienne.


À M. A. VINSON.


Oui, je pleure en ce jour, comme au milieu des chaines
Les enfants d’Israël, sur les bords odieux
Où les tenaient captifs leurs vainque vs orgueilleux,
Pleuraient pour adoucir leurs peines.


Comme la leur, ma lyre, aux arbres de ces bords,
Muette aux chants joyeux demeure suspendue ;
Mais aujourd’hui pour toi sa corde détendue
Essaira de faibles accords.

Pour toi qui dans ma nuit chantas sur ma misère,
Toi qui mêlas tes pleurs aux larmes de mes yeux,
Et qui vins saluer d’un chant harmonieux
Une muse humble et solitaire.

Ami, mon vers que dicte un triste souvenir,
C’est le premier parfum d’un cour qui vient d’éclore ;
Mais des chants qu’inspira la tendre Éléonore
Il doit ignorer l’avenir.

Qu’importe ! j’ai chanté pour charmer ma tristesse,
Pour m’oublier, hélas ! à mon plaintif accord ;
Comme à son bruit léger le flot des mers s’endort
Sur le sable uni qu’il caresse.

Quand le chœur des oiseaux se répand dans les airs,
Quand je crois dans leur voix entendre un doux génie,
Que mon âme se berce à la molle harmonie
De leurs mélodieux concerts.


Quand la lune qui monte aux bords de la vallée,
De son jour affaibli vient éclairer la nuit,
Et que, triste et rèveur, par mes pas seuls conduit,
J’erre ainsi qu’une ombre exilée.

Quand sous les roseaux verts qu’elle vient arroser,
Une onde a murmuré sa plainte fugitive ;
Semblable au bruit mourant qu’une lèvre craintive
Laisse exhaler dans un baiser ;

Alors, m’abandonnant à mon vague délire,
Ma poétique ardeur se répand dans ma voix ;
Je laisse avec amour se promener mes doigts
Sur chaque corde de ma lyre.

Le son qui s’en échappe est toujours un soupir,
Un accent de tristesse, un murmure, une plainte ;
C’est la note expirante et la molle complainte
D’un cœur qui cherche à s’assoupir.

Je pleure… et voilà tout… et jamais je ne lève
Un ceil d’ambition sur le vaste avenir,
Car je sens que mes chants doivent s’évanouir
Comme au réveil l’ombre d’un rêve.


Mais toi, dont l’àme éclose aux feux d’un même ciel,
Exhale en vers si doux sa senteur exotique,
Tu peux, bien mieux que moi, pour ton front poétique
Rêver un éclat immortel.

Courage, enfant bercé par la vague africaine !
Ta brise est de parfum et ton ciel est d’azur ;
Tu n’as pas à lutter contre le flot obscur
Où vogue ma barque incertaine.

Courage ! un jour brillant sourit à ton réveil ;
Et cette voix qui chante à ton aube naissante,
Tu l’entendras vibrer dans ta splendeur croissante
Pour applaudir à ton soleil !