À M.-B…, Nychtophile (Guaita)

Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 180-182).


À M.-B…, Nychtophile


As-tu le cerveau plein de rêves ?
Dans l’ombre sais-tu voir encor
La fleur des espérances brèves
Fleurir de gueules sur champ d'or ?

Amant obstiné des ténèbres,
Dis-nous si ton œil épia
L’horreur des visions funèbres,
Blêmes sur fond de sépia ?…


Comme une lanterne magique,
Quand le cauchemar menaçant
Fait, au mur de la nuit tragique,
Flamboyer ses fresques de sang,

As-tu l’orgueil et le courage
De fixer d’un œil assuré
Le spectre qui te dévisage
Du fond de l’Inconnu sacré ?…

— Salut à vous, Nuits solitaires !
Sous vos plafonds d’ébène et d’or
Le sommeil est plein de mystères :
Le secret d’outre-tombe y dort.

Un destin muet y recèle
Le passé près de l’avenir ;
Et le germe à naître s’y mêle
Aux fantômes du souvenir !

. . . . . . . . . . .

Puis, que le Rêve instruise ou mente,

Et qu’importe au poëte doux ?
Il fuit la Bêtise infamante
Dans le Dormir clément aux fous,

Et, nocturne visionnaire,
Loin, loin de la réalité,
Dans un éden imaginaire
Il s’exile avec volupté !


Octobre 1884.