De l’imprimerie de l’auteur (p. 58-66).

Catastrophe.



Ce paladin jouissait auprès du beau sexe d’une célébrité qu’il ne démentit pas dans cette fameuse orgie. Tous les acteurs dévorés de desirs, de besoins, d’amour s’aiguillonnaient de leurs caresses, s’embrâsaient mutuellement par les titillations les plus intimes ; déjà les demi-mots échappés du cœur, les soupirs brûlans, les exclamations précurseurs du bonheur suprême produisaient ce doux murmure, ce frémissement de la jouissance parfaite. Enfin de mélodieux accens allaient encore annoncer de nouvelles victoires. Volsange pâmée n’attendait que le dernier élan de l’ivresse ; Lauréda ne pouvait tenir davantage ; Zoloé pressait d’Orbazan d’arriver au terme. L’instant en fut reculé ou perdu par ces cris lamentables : Au secours, au secours, je me noie. Lauréda, la première, s’arrache des bras de Pacôme. Cette voix, elle croit la reconnaître. Elle n’aimait pas Fessinot comme époux, car c’était lui même, mais elle était loin de lui souhaiter la mort. Sa sensibilité, changeant d’objet, elle se livra toute entière à lui sauver la vie.

Malgré les brutales instances de Pacôme pour la ramener sur le trône du plaisir, elle ne put prendre part davantage aux délices qui terminèrent cette Bacchanale ; et ce contre-tems effaça pour elle tout le charme de la félicité dont elle croyait avoir atteint le dernier degré. Volsange et Zoloé achevèrent ce qui était commencé ; ce ne fut même qu’avec peine que Lauréda obtint la suppression du chant de triomphe.

Fessinot entouré de laquais qui ne s’épargnaient pas les propos goguenards et insolens, s’essuyait tristement le front. Pâle et défait comme un condamné, tout à l’heure arraché au supplice, il demande des habits pour réparer le désordre de son accoutrement : aucun n’allait à sa taille élancée. On l’eût pris dans ceux de la France qu’il lui fallut enfin endosser, pour un échappé de bicêtre, tant cette décoration contrastait avec l’air de son visage et la stature de sa personne. Enfin une voiture fermée parût, il s’y jeta en maudissant le mauvais génie qui l’avait amené dans ce fatal séjour, et résolu d’invoquer l’autorité pour punir les impies qui avaient osé manquer à l’auguste représentation nationale dans sa personne.

Où est ma femme, s’écrie-t-il de la portière ? — Monsieur, il n’est-pas jour chez elle. — Jour ou non, il faut que je la voie. — Monsieur, attendez que je vous annonce. — Bah ! est-ce que je connais cette formalité ? — Monsieur, la consigne est telle. — La Fleur, obéissez moi, ou je vous chasse. — Monsieur, j’appartiens à madame. Pendant ce dialogue, Lauréda s’était glissé dans son appartement par un escalier dérobé. Elle avait prévu qu’à son retour, Fessinot irait épancher auprès d’elle le flux de son humeur bilieuse ; et elle l’avait suivi sur le champ. On ouvrit enfin au désolé mari. Qu’est-ce, dit la belle, en se frottant les yeux et levant la longue coëffe qui lui couvrait la moitié du visage. Quoi vous, monsieur, à cette heure ! le feu est-il à la maison ? ô dieux ! vous est-il arrivé quelque fâcheuse nouvelle ? la patrie est-elle en danger ? parlez, votre silence me désespère. — Enfin retrouvant la parole : calmez-vous, madame, ce n’est que moi que cela regarde. On m’a joué un tour affreux, on m’a conspué, honni, emprisonné ! les misérables, ils porteront leur tête sur la lunette, j’en jure par la liberté. Il faut qu’une justice exemplaire, terrible, effraie à jamais quiconque insulterait à la nation dans ses représentons. — Monsieur, je ne vous comprens pas. — Tant pis, madame : ils périront ; s’écriait-il en se promenant avec agitation ! oui, leur sang seul peut réparer tant d’outrage. — Monsieur, vous connaissez donc les coupables ? — Ah ! voilà ce qui fait que j’enrage de toute mon ame[1]. Mais il faut que je les découvre, que je mette à leurs trousses tous les limiers de la police, dussé-je y sacrifier une décade de mes indemnités ; je vais trouver le ministre, activer ses recherches, ou le faire renvoyer. Pour vous, madame, qui parcourez tous les cercles, ayez, je vous prie, la complaisance de me rendre compte de tout ce qui transpirera de cette avanture. — Oh ! je vous le promets de tout mon cœur. J’y prens, je vous le jure, le plus vif intérêt. — Fort bien, madame, cette sensibilité me touche infiniment, je vous quitte. Adieu, mon cœur, ajoute l’honnête époux en serrant tendrement les joues, de sa fidelle moitié contre les siennes. Je cours mettre à la piste des insolens les mouchards de tous les étages. Hola ! ma voiture. Le voilà à la porte du ministre.

— Bonjour, citoyen ministre ! — Bonjour, citoyen représentant ? qui vous amène si matin ? quelque conspiration sans doute ? — Oui, vraiment, une conspiration bien caractérisée contre ma personne. Les scélérats ! si je n’avais eu la présence d’esprit de m’échapper par la fenêtre, c’en était fait de ma vie. Il est vrai que j’ai manqué de la perdre dans l’eau. Mais qui se serait douté que ce château du diable, sans doute, eût été bâti au milieu d’un abîme ? L’attention du ministre redoublait ; il cherchait à démêler où tendait ce préambule. Enfin Fessinot lui raconta tous les détails de ce qui s’était passé dans l’hermitage la nuit précédente, supprimant toutefois les circonstances qui lui eussent été désavantageuses. Malgré sa gravité, le magistrat ne pouvait s’empêcher de sourire : il s’en fallut peu que Fessinot n’éclata en injures. Il ne fut appaisé qu’en lui promettant de remuer ciel et terre pour découvrir les auteurs d’un si mauvais tour ? mais où, comment les découvrir ? le hazard seul pouvait favoriser ces recherches. On n’avait ni le signalement, ni les noms des personnages. Aussi tous les mouvemens que les agens du chef de l’espionnage se donnèrent, furent-ils en pure perte. Fessinot en fut pour ses indemnités, son bain à l’eau froide, son amour joué, sa femme souflée, et sa honte divulguée.

Il paraissait à peine dans les cercles qu’un rire sardonique honorait sa présence. Car d’Orbazan avait adroitement semée de tous côtés cette mémorable équipée. Fessinot seul pour le moment en portait tous les ridicules. Bientôt d’autres noms furent accolés au sien et les partagèrent, sans les mériter.



  1. D’Orbazan n’était de retour à la capitale que depuis trois mois. Il s’était renfermé dans un asyle solitaire, pendant les jours affreux de la terreur. Il n’est pas étonnant qu’il ne fût pas connu de Fessinot. Il en était de même de Pacôme et de Parmesan dont les noms n’étaient jamais parvenus jusqu’à lui. Quant aux dames, elles avaient trop de raisons de garder l’incognito pour se trahir. Aussi le secret ne perça-t-il que très-longtems après l’événement.