Seu Ring-haï, Hunghou-Norbou dans Livre:Seu - Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens, 1934.pdf, édition Eugène Figuière 1934


HUNGBOU ET NORBOU

Hungbou et Norbou étaient deux frères qui vivaient autrefois dans un petit village de campagne. Le cadet, Norbou, était un homme riche mais sans cœur et avare et ne connaissait que l’argent. Il ignorait totalement la bonté et la pitié. Cependant son frère aîné Hungbou était un homme bon et aimable, mais il était très pauvre, si pauvre que, parfois, la misère le poussait à la mendicité. Il est vrai qu’il ne mendiait jamais pour lui-même, mais pour sa vieille mère qu’il aimait tendrement. Norbou n’avait jamais aidé son frère pauvre, pas davantage sa vieille mère sans ressource.

Un jour Hungbou n’avait absolument rien à manger. Après une longue hésitation il alla trouver son frère cadet Norbou :

— « Mon frère, je n’ai rien aujourd’hui à la maison, prêtez-moi un sac de riz, je vous rendrai à la prochaine moisson. Ce n’est pas d’ailleurs pour moi que je viens vous demander du riz, c’est plutôt pour notre vieille mère… »

Mais Norbou faisait semblant de ne rien entendre, tandis que sa femme, d’un air méprisant, répondit qu’ils n’avaient rien à prêter. Hungbou revint à la maison tout humilié. Cependant il fallait nourrir sa vieille mère. Il alla chez les voisins d’où il revenait toujours les mains pleines, car si tout le monde dans le village haïssait et blâmait Norbou, le brave Hungbou y jouissait d’une amitié sincère et d’une familiarité respectueuse.

L’hiver fut, cette année-là, particulièrement dur pour Hungbou qui, n’ayant aucune provision à la maison, dut faire un effort presque surhumain pour soutenir l’existence de sa famille. Cependant le printemps arriva, et avec lui, la vie et la joie régnèrent partout. Un jour, profitant des doux rayons d’un soleil printanier, Hungbou prenait l’air devant sa chaumière. Et en contemplant le merveilleux spectacle de la Nature qui se déroulait partout devant ses yeux, il disait tristement :

— « Ah, vraiment la vie humaine ne vaut pas celle de la plante ! puisque la plante ressuscite et rajeunit tous les ans avec le printemps ! »

Soudain les cris aigus et inaccoutumés des hirondelles qui avaient leurs nids justement au-dessus de sa fenêtre, attirèrent l’attention de Hungbou. Et aussitôt il constata qu’une d’elles gisait par terre ayant une patte blessée, tandis que deux autres poussaient des cris d’alarme comme si elles suppliaient Hungbou de venir à leurs secours. Celui-ci, ému de cette scène, prit soigneusement l’oiseau dans sa main et lui prodigua des soins attentifs en appliquant sur sa blessure les médicaments nécessaires. Et tous les jours il allait voir sa malheureuse hirondelle.

Au bout de quelques jours l’oiseau s’envola ; complètement rétabli. Un jour comme Hungbou se trouvait à la maison, l’hirondelle vint toute joyeuse, puis elle laissa tomber aux pieds de son bienfaiteur une graine de gourde. Celui-ci, fort amusé, ramassa la graine et la sema dans un coin de son jardin. Avec une rapidité extraordinaire un germe sortit de cette graine, puis de grosses tiges rampantes rayonnèrent de tous côtés. Bientôt de magnifiques fleurs ornèrent ces tiges qui ne tardèrent guère à porter des gourdes. Il y en avait cinq superbes, qui, en quelques jours, devinrent toutes étonnamment grosses et mûres.

— « Ah, quelles belles gourdes, tout de même ! Nous allons avoir cette année des belles cruches ! » dit Hungbou à sa femme d’un rire naïf et heureux, tout en cueillant les cinq gourdes.

— « Prends en une, ma mie, nous allons la scier en deux. » Il se mit aussitôt à la besogne.

À peine une gourde était-elle ouverte, qu’une immense quantité d’or et d’argent en sortit, au grand étonnement de Hungbou et sa femme.

Ils ouvrirent une deuxième gourde. Il en sortit plusieurs anges mignons qui mirent des gâteaux exquis aux pieds de Hungbou et de sa femme. Ceux-ci, heureux de cet événement extraordinaire et inattendu, choisirent les meilleurs et coururent pour les offrir à leur vieille mère, puis ils conservèrent le reste dans la cuisine.

Ils ouvrirent une troisième gourde. Celle-ci contenait une quantité prodigieuse de magnifiques étoffes. Ils ouvrirent une quatrième gourde. Cette fois une troupe de fées en sortit ; les unes en chantant, d’autres en dansant divertirent les époux Hungbou. Ils ouvrirent la cinquième gourde, la dernière. Il en sortit une équipe de maçon qui bâtirent aussitôt une superbe maison. Hungbou pleurant de bonheur, dit à sa femme :

— « Maintenant avec toutes ces richesses et cette belle maison nous pouvons enfin rendre heureuse notre vieille mère ainsi que beaucoup de malheureux. »

Un jour, Norbou, ayant appris l’incroyable nouvelle de son frère, vint lui rendre visite. A une foule de questions curieuses de son frère cadet, Hungbou raconta tout simplement son histoire de l’hirondelle et des gourdes.

Norbou était fort jaloux de ce que son frère fût plus riche que lui et dès son retour à la maison, Norbou délibéra avec sa femme.

Un jour il constata avec bonheur que des hirondelles avaient construit des nids au seuil de sa maison. Il en attrapa aussitôt une et lui brisa une patte. Puis il lui prodigua des soins attentifs, en appliquant sur sa blessure les produits nécessaires. Cependant la malheureuse hirondelle gémissait douloureusement depuis deux jours. Pourtant au bout du troisième jour elle s’envola rétablie. Elle revint en effet avec une graine au bec.

— « Ça y est ! m’y voilà ! » pensa Norbou avec un cri de joie. Il lui prit la graine et la sema dans un coin de son jardin. Avec une rapidité extraordinaire, un germe poussa de cette graine, puis de grosses tiges rampantes rayonnèrent de tous côtés. Bientôt de magnifiques fleurs ornèrent ces tiges qui ne tardèrent guère à porter des citrouilles. Il y en avait cinq superbes qui, en quelques jours, devinrent toutes grosses et mûres. Norbou, ivre de bonheur, s’empressa de les cueillir. Puis aidé de sa femme, il scia une première citrouille. Mais à la grande déception de Norbou et de sa femme, il en sortit une bande de voleurs qui s’enfuirent en emportant tous les objets de valeur. Ils ouvrirent une deuxième. Cette fois il en sortit une grande quantité d’ordures et d’excréments qui remplirent toute la maison de Norbou. Ils ouvrirent une troisième d’où sortirent cette fois une foule de mendiants qui emportèrent tous les vêtements et toutes les couvertures de Norbou. Ils ouvrirent une quatrième. Cette fois il en sortit quelques fous qui fouettèrent, sans explication, les époux Norbou. Ils ouvrirent la cinquième citrouille, la dernière. Cette fois-ci, il en sortit une troupe de fossoyeurs qui remplirent de cadavres la maison de Norbou, puis l’incendièrent.

Maintenant Norbou et sa femme dépouillés de tout, sans riz, sans abri, allèrent trouver leur frère aîné Hungbou. Ils lui racontèrent en sanglotant leur juste aventure. Alors Hungbou, pris de pitié pour son frère cadet, lui offrit une partie de sa fortune.