Marguerite Audoux, Le Fantôme 1912




LE FANTÔME



À PRÉSENT, tout était tranquille dans la maison et les bruits de la rue ne s’entendaient presque plus. De temps en temps, un fiacre passait encore au loin, les fers du cheval claquaient sur les pavés comme s’ils ne tenaient plus que par un fil à ses sabots, et les sons creux et gelés de sa clochette passaient dans la nuit comme un avertissement triste.

Marie avait cessé de pleurer et Angélique se tenait toute penchée sur la table, la tête presque sous l’abat-jour de la lampe.

Un craquement sec sortant d’un meuble fit relever vivement la tête à Angélique, pendant que Marie ramenait ses mains bien en vue sur la table, comme si elle craignait que quelqu’un les lui touchât dans l’ombre, puis toutes deux regardèrent vers une porte vitrée qu’on voyait à l’autre bout de la pièce, et Angélique remonta un peu l’abat-jour pour que la clarté de la lampe s’étendit davantage sur les murs de la chambre.

Le silence augmenta encore et tout à coup la pendule se mit à sonner.

Marie se pencha vers la cheminée pour essayer de voir la pendule et elle dit à voix basse :

“ Comme elle a sonné vite ! ”

Angélique évita le regard de sa sœur en répondant :

“ Tu trouves ? ”

“ Oui, ” dit Marie toujours à voix basse, “ on dirait qu’elle s’est dépêchée de dire l’heure pour se renfermer au plus vite comme une personne qui a peur. ”

Angélique sourit à sa sœur et dit d’une voix assez calme :

“ Il est minuit, il faut aller nous coucher. ”

“ Non, ” dit Marie, “ je ne pourrais pas dormir. Lis-moi plutôt quelque chose, ” et elle atteignit un livre au hasard sur la petite étagère accrochée au mur tout près d’elle.

“ Nous le connaissons par cœur, ” dit sa sœur en repoussant le livre. Elle regarda de nouveau vers la porte vitrée.

“ Maintenant que l’oncle est mort, nous pourrons prendre les livres qui sont dans sa chambre. Il ne nous a jamais défendu de les lire. ”

“ C’est vrai, ” dit Marie, “ mais je n’oserai pas entrer dans sa chambre maintenant. ”

Elle baissa la voix pour dire en se rapprochant de sa sœur :

“ Tantôt, quand nous sommes revenues du cimetière, il m’a semblé qu’il rentrait dans la maison en même temps que nous. ”

Angélique remonta l’abat-jour tout en haut du verre de lampe et, dans le silence qui suivit, les deux sœurs entendirent un bruit qu’elles ne reconnurent pas.