François Arago, Traduction d’une note historique de Lord Brougham sur la découverte de la composition de l’eau. dans Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, 1 (p. 495-510). 1854



TRADUCTION D’UNE NOTE HISTORIQUE

DE LORD BROUGHAM

SUR LA DÉCOUVERTE DE LA COMPOSITION DE L’EAU.


Il n’y a aucun doute qu’en Angleterre, du moins, les recherches relatives à la composition de l’eau ont eu pour origine les expériences de Warltire relatées dans le 5e volume de Priestley[1]. Cavendish les cite expressément comme lui ayant donné l’idée de son travail (Trans. philos., 1784, p. 126). Les expériences de Warltire consistaient dans l’inflammation, à l’aide de l’étincelle électrique et en vases clos, d’un mélange d’oxygène et d’hydrogène. Deux choses, disait-on, en résultaient : 1o une perte sensible de poids ; 2o la précipitation de quelque humidité sur les parois des vases.

Watt dit, par inadvertance, dans la note de la page 332 de son Mémoire (Trans. philos., 1784), que la précipitation aqueuse fut observée, pour la première fois, par Cavendish ; mais Cavendish, lui-même, déclare, p. 127, que Warltire avait aperçu le léger dépôt aqueux, et cite, à ce sujet, le 5e volume de Priestley. Cavendish ne put constater aucune perte de poids. Il remarque que les essais de Priestley l’avaient conduit au même résultat[2], et ajoute que l’humidité déposée ne contient aucune impureté (littéralement, aucune parcelle de suie ou de matière noire, any sooty matter). Après un grand nombre d’essais, Cavendish reconnut que si on allume un mélange d’air commun et d’air inflammable, formé de 1000 mesures du premier et de 423 du second, « un cinquième environ de l’air commun et à peu près la totalité de l’air inflammable perdent leur élasticité, et forment en se condensant la rosée qui couvre le verre… En examinant la rosée, Cavendish trouva que cette rosée est de l’eau pure… Il en conclut que presque tout l’air inflammable et environ un sixième de l’air commun deviennent de l’eau pure (are turned into pure Water). »

Cavendish brûla de la même manière un mélange d’air inflammable et d’air déphlogistiqué (d’hydrogène et d’oxygène) ; le liquide précipité fut toujours plus ou moins acide, suivant que le gaz brûlé avec l’air inflammable contenait plus ou moins de phlogistique. Cet acide engendré était de l’acide nitrique.

M. Cavendish établit que « presque la totalité de l’air inflammable et de l’air déphlogistiqué est convertie en eau pure ; » et encore, « que si ces airs pouvaient être obtenus dans un état complet de pureté, la totalité serait condensée. » Si l’air commun et l’air inflammable ne donnent pas d’acide quand on les brûle, c’est, suivant l’auteur, parce qu’alors la chaleur n’est pas intense.

Cavendish déclare que ses expériences, à l’exception de ce qui est relatif à l’acide furent faites dans l’été de 1781, et que Priestley en eut connaissance. Il ajoute : « Un de mes amis en dit quelque chose ( gave some account ) à Lavoisier, le printemps dernier ( le printemps de 1783 ), aussi bien que de la conclusion que j’en avais tirée, savoir, que l’air déphlogistiqué est de l’eau privée de phlogistique. Mais, à cette époque, Lavoisier était tellement éloigné de penser qu’une semblable opinion fut légitime, que jusqu’au moment où il se décida à répéter lui-même les expériences, il trouvait quelque difficulté à croire que la presque totalité des deux airs pût être convertie en eau. »

L’ami cité dans le passage précédent était le docteur, devenu ensuite sir Charles Blagden. C’est une circonstance remarquable que ce passage du travail de Cavendish semble n’avoir pas fait partie du Mémoire original présenté à la Société royale. Le Mémoire paraît écrit de la main de l’auteur lui-même ; mais les paragraphes 134 et 135 n’y étaient pas primitivement ; ils sont ajoutés avec une indication de la place qu’ils doivent occuper ; l’écriture n’est plus celle de Cavendish ; ces additions sont de la main de Blagden. Celui-ci dut donner tous les détails relatifs à Lavoisier, avec lequel on ne dit pas que Cavendish entretint quelque correspondance directe.

La date de la lecture du Mémoire de Cavendish est le 15 janvier 1784. Le volume des Transactions philosophiques, dont ce Mémoire fait partie, ne parut qu’environ six mois après.

Le Mémoire de Lavoisier (volume de l’Académie des sciences pour 1781) avait été lu en novembre et décembre 1783. On y fit ensuite diverses additions. La publication eut lieu en 1784.

Ce Mémoire contenait la relation des expériences du mois de juin 1783, auxquelles Lavoisier annonce que Blagden fut présent. Lavoisier ajoute que ce phycisien anglais lui apprit « que déjà Cavendish ayant brûlé de l’air inflammable en vases clos, avait obtenu une quantité d’eau très-sensible ; » mais il ne dit nulle part que Blagden fit mention de conclusions tirées par Cavendish de ces mêmes expériences.

Lavoisier déclare, de la manière la plus expresse, que le poids de l’eau est égal à celui des deux gaz brûlés, à moins que, contrairement à sa propre opinion, on n’attribue un poids sensible à la chaleur et à la lumière qui se dégagent dans l’expérience.

Ce récit est en désaccord avec celui de Blagden, qui, suivant toute probabilité, fut écrit comme une réfutation du récit de Lavoisier, après la lecture du Mémoire de Cavendish et lorsque le volume de l’Académie des sciences n’était pas encore parvenu en Angleterre. Ce volume parut en 1784, et, certainement, il n’avait pu arriver à Londres ni lorsque Cavendish lut son travail à la Société royale, ni à plus forte raison quand il le rédigea. On doit, en outre, remarquer que, dans le passage du manuscrit du Mémoire de Cavendish, écrit de la main de Blagden, il n’est question que d’une seule communication des expériences : d’une communication à Priestley. Les expériences, y est-il dit, sont de 1781 ; mais on ne rapporte aucunement la date de la communication. On ne nous apprend pas davantage si les conclusions tirées de ces expériences, et qui, d’après Blagden, furent communiquées par lui à Lavoisier pendant l’été de 1783, étaient également comprises dans la communication faite à Priestley. Ce chimiste, dans son Mémoire rédigé avant le mois d’avril 1783, lu en juin de la même année, et cité par Cavendish, ne dit rien de la théorie de ce dernier, quoiqu’il cite ses expériences.

Plusieurs propositions découlent de ce qui précède :

1o Cavendish, dans le Mémoire qui fut lu à la Société royale le 15 janvier 1784, décrit l’expérience capitale de l’inflammation de l’oxygène et de l’hydrogène en vaisseaux clos, et cite l’eau comme produit de cette combustion ;

2o Dans le même Mémoire, Cavendish tire de ses expériences la conséquence que